Phocas a écrit :
A-t-il été un "boulet" ou un atout pour la construction européenne?
A en lire les mémoires de Paul-Henri Spaak, l'un des initiateurs du Marché Commun, De Gaulle devait paraître un sacré boulet pour ses homologues, entre le véto français unilatéral à la candidature britannique et la politique de la chaise vide.
Mais pour un historien, la question ne se pose pas en ces termes : il n'y a pas
une voie de la construction européenne, qui mènerait du charbon et de l'acier à une belle fédération bien huilée, avec des obstacles à franchir, des boulets qui ralentissent et des grands hommes qui l'accélèrent. Il vaut mieux se demander quelle marque il a apporté sur la construction européenne, s'il l'a infléchie dans un sens ou un autre.
Je pense que l'empreinte de De Gaulle sur l'Europe, c'est l'infléchissement très net vers l'intergouvernemental par rapport au supranational : la politique de la chaise vide a considérablement affaibli la position d'Hallstein, et à travers lui de la commission tout entière.
De Gaulle est un patriote réaliste. Ce qui compte pour lui, c'est la France, et la "certaine idée" qu'il en avait (on le saura, comme dirait Obélix). Il était au départ très hostile à une communauté européenne. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il écarte les plans de Monnet (qu'il appelait "l'homme des Américains") sur une réconciliation franco-allemande et à la fin de la guerre, il est adepte d'une ligne très dure vis-à-vis de l'Allemagne. Durant la IVe République, les gaullistes seront hostiles à la CED puis au Marché Commun en 1957.
Mais, dès son arrivée au pouvoir, De Gaulle se rallie au Marché Commun, comme il l'explique très bien dans l'entretien télévisé du 14 décembre 1955, parce qu'il comprend que le protectionnisme est une impasse. Il va d'ailleurs créer les conditions de l'adaptation de la France à ce marché commun, notamment par la création du franc lourd en décembre 1958.
De Gaulle voyait donc l'Europe comme un multiplicateur de puissance pour la France, certes. Mais je pense que c'était pareil pour les autres grands Etats européens. Je n'ai pas l'impression qu'il ait tenté d'imposer une hégémonie française sur l'Europe. Ce qui l'intéressait, c'était que la France ait quand même les mains libres pour mener sa politique, notamment en matière de défense. D'où son combat contre Hallstein et les dérives supranationales de la commission, d'où aussi son opposition à la candidature britannique, considérée comme un cheval de troie américain (les Etats-Unis, c'est l'obsession de De Gaulle!).