Savinien a écrit :
On peut mourrir en fuyant (je joue les avocats du diable mais bon, l'armée belge a elle aussi connu des défections assez importantes de régiments flamands).
La population tout comme de nombreux militaires ont du être impressionné par les fuyards sinon cette légende ne serait pas née. St Exupéry n'est tendre dans son livre Pilote de guerre. Il y a même un passage ou il dit carrément que l'on tentera par tout les moyens de briser le cou à cet état des choses. Maintenant, reste à savoir ce que vaut aussi son témoignage.
là c'est un wallon qui parle !
Il y a une ambiguité qui porte sur le mot "fuyard." On parle de soldats qui jettent leur fusil et qui se sauvent. Or dans le cours de cette campagne ils ont été assez peu nombreux.
Des paniques scandaleuses se sont produites à Sedan, par exemple, à l'annonce de l'arrivée des chars allemands, alors que ceux-ci n'avaient pas encore traversé. Nervosité d'une infanterie qui n'est pas équipée et encore moins entraînée à la lutte antichar, et qui n'a pratiquement pas de chars en soutien.
Dans "Pilote de guerre" Saint-Exupéry ne me semble pas vindicatif. Il explique bien que lui-même, ses chefs, les autres pilotes accomplissent le rituel prévu, fréquemment mortel, pour une guerre qui n'a aucun rapport avec ce qui était envisagé. Rituel et sacrifice inutiles, parce qu'on se refuse à dire que la guerre est déjà perdue.
La population a davantage vu des soldats en retraite que des fuyards. Les soldats en retraite se sont mélangés aux civils de l'exode. Saint-Exupéry dit que les soldats qui montent au front sont "battus par la paix" avant d'avoir combattu : ils doivent remonter à contre-courant une foule de civils en détresse, on leur colle des enfants perdus dans les bras, il y a des civils blessés à évacuer, des gens qui ont besoin de manger, des femmes qui accouchent... des tâches de secours, comme en temps de paix. - Il le dit mieux que moi.
Arrive un ordre de retraite et les soldats se retrouvent à marcher avec les civils qu'ils doivent aider : où est la guerre, là-dedans ?
Saint-Exupéry trace au contraire un portrait très vrai d'une armée dépassée par des événements qui vont trop vite pour elle. Il a bien repéré le rôle joué par les percées des chars allemands et le désarroi créé dans le commandement, les soldats et surtout les civils. C'est ce qui m'a frappé le plus : ces civils - chez qui vont manger les aviateurs - et qui soudain prennent stupidement la route alors qu'ils n'ont pas assez d'essence et que les routes sont déjà saturées d'autres civils.
Probable que Saint-Exupéry a reconstitué, après l'armistice, une vision plus cohérente que les impressions du moment. Mais rien dans "Pilote de guerre" ne met en cause une lacheté généralisée de cette armée. Bien au contraire, si on s'en tient à l'exemple que donnent les soldats dont il parle : les aviateurs.
Publié à New-York en 41 ou 42, je pense que ce livre a été très pédagogique pour le public américain, logiquement choqué par une défaite aussi rapide. Il a sans doute contribué à faire comprendre que cette guerre-là n'était pas celle des tranchées.