Même si certains prêtent aux autorités de la zone d'occupation soviétique des intentions inavouables, il est admis par la plupart des historiens que la dénazification a été plus poussée à l'Est malgé la pénurie de "juges innocents". Peut-être peut-on expliquer cette différence par des "intentions inavouables" des autorités des zones d'occupation occidentale...
Un exemple du "deux poids, deux mesures" extrait de l'ouvrage de Guillaume MOURALIS. Cette fois la différence de traitement est qualitative (si on peut dire)...
"La 14 octobre 1943, une unité de la Wehrmacht exécutait tous les habitants d’une ferme des environs de Caiazzo (Italie centrale) parmi lesquels dix enfants âgés de 5 à 14 ans. En 1990, sur la base de documents de l’armée américaine, un parquet italien ouvrait une enquête contre Wolfgang Mehnigk-Emden, l’ancien lieutenant (l
eutnant) responsable du massacre, et diffusait par Interpol un avis de recherche. Cela entraîna l’ouverture d’une information en Allemagne, où résidait l’ex-lieutenant. Le tribunal régional de Coblence prononça un non-lieu, au motif que les crimes étaient prescrits, ce que le BGH confirma en 1995 –par une décision non publiée dans le recueil officiel.
Le raisonnement était d’autant plus difficile à suivre que le crime était qualifié de meurtre au premier degré (
mord) et que, on l’a vu, les crimes de ce type commis entre 1933 et 1945 ne pouvaient en principe être prescrits (en raison de la législation alliée, puis ouest-allemande).
Pour justifier leur décision, les juges estimèrent qu’il ne s’agissait pas d’un crime d’Etat, mais d’un excès qui aurait été « vraisemblablement » puni par la justice militaire si les auteurs n’étaient pas tombés, quelques jours plus tard, entre les mains des Américains. Il n’y avait donc pas eu d’obstacle légal aux poursuites, du type « ordre du Führer ». Les juges se retranchaient derrière le témoignage d’« experts », en particulier un historien américain. Suivant cette hypothèse douteuse (qui perpétuait la légende d’une Wehrmacht vertueuse), la prescription des poursuites n’avait pas « gelé » jusqu’au 8 mai 1945 : elle avait normalement couru pendant la guerre. Et ces 18 mois (entre le massacre et la capitulation) firent la différence pour l’accusé : suivant le BGH son crime était prescrit depuis 1968 ; il échappait ainsi à la loi adoptée l’année suivante, qui retardait la prescription des meurtres au premier degré commis sous le nazisme pour les seules infractions non encore prescrites.
Cette interprétation on ne peut plus restrictive des règles de prescription contrastait avec l’interprétation extensive relative aux crimes est-allemands. Dans l’arrêt cité, le BGH lui-même distinguait nettement entre un meurtre à la frontière interallemande (« de toute évidence non puni pour des raisons politiques ») et le massacre de civils par la Wehrmacht (« la chambre ne peut affirmer avec certitude que, s’il avait été connu [par la justice militaire], le crime n’aurai pas été puni »).
Enfin, un autre exemple montrait l’ampleur des marges d’interprétation en matière de prescription. Dix jours après l’arrêt Caiazzo, une autre chambre du BGH (la 5e) confirmait la condamnation d’Erich Mielke, ex-ministre de la Stasi (1957-1989), pour le meurtre de deux policiers à Berlin en 1931 –plus de soixante ans après les faits : selon le BGH, ce double meurtre (
mord) n’était pas encore prescrit. La démonstration était d’une rare complexité : pour arriver à ce résultat les juges exploitèrent toutes les ressources légales et procédurales (interruption de la prescription en 1934 et 1947 ; période de gel en vertu des lois alliées, de la loi de 1965 et de l’immunité parlementaire de Mielke [après tout, il était député à la Chambre du peuple] ; modification des délais légaux en 1969 et en 1979)."