Citer :
Maison de l’Amérique latine, 27 septembre 1968.
Pompidou : « Quelle est votre explication de ce phénomène étrange : pourquoi les mêmes drames ont-ils éclaté pour ainsi dire en même temps dans les universités, aux États-Unis et en Allemagne, en Italie et en Espagne, en Tunisie et en Égypte, à Alger et à Varsovie, à Prague et à Tokyo, à Rio et à Amsterdam ? Alors que ce sont des régimes politiques et même des civilisations tellement différents ?
AP. — Partout dans le monde, il y a une croissance rapide des effectifs scolaires et universitaires. Partout se pose un problème d’adaptation à une société en mutation. Partout, un fossé se creuse entre les générations nouvelles et celles qui les ont précédées. Cela fait un terrain de frustrations, de doute, d’incertitudes. Et là-dessus, il y a eu une contagion, qui s’est répandue d’est en ouest et du nord au sud, grâce à des groupuscules révolutionnaires très peu nombreux mais très actifs et en relations étroites entre eux ; notamment entre Allemagne, France, Pays-Bas, Italie.
Pompidou. — Mais chez nous la contagion s’est étendue jusqu’à la société. Partout ailleurs, elle s’est arrêtée aux portes des facultés. Comment vous expliquez-vous que, dans un mouvement aussi général, la France fasse exception – c’est-à-dire qu’elle se comporte beaucoup plus mal ?
AP. — C’est notre extrême centralisation qu’il faut incriminer, ne croyez-vous pas ? Notre système n’a pas assez de souplesse. Sous la IIIe et la IVe, le gouvernement sautait. Sous la Ve, tout remonte au sommet. […] Une émeute d’étudiants à Berkeley ou Columbia, c’est le président de l’université qui gère la situation, qui fait appel ou non à la police. Nul ne songe à s’en prendre au gouvernement américain, encore moins au Président. En France, un chahut à Nanterre ou l’invasion de la Sorbonne par des extrémistes armés, et le gouvernement est en première ligne, l’Élysée est ébranlé sur ses bases.
Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, tome III
Peyrefitte reprend pour Pompidou une explication qui lui a été avancée par de Gaulle quelques mois plus tôt :
Citer :
Conseil du mercredi 8 mai 1968.
Dès que les lycéens devenaient bacheliers, l’université les accueillait. Ils allaient vers les disciplines qu’ils choisissaient eux-mêmes. Ils étaient en si petit nombre qu’il n’y avait pas de problème. Quand ils obtenaient leur licence, ils trouvaient toujours à s’employer.
« Comme nous avons démocratisé, c’est un flot énorme qui arrive. L’Université va en être submergée. Il faut un changement complet.
« On a l’habitude de conserver tout le monde. On laisse les gens choisir la voie qu’ils veulent, sans se soucier de savoir si on n’entasse pas des gens dans des amphithéâtres où ils n’ont que faire. Beaucoup n’arrivent pas jusqu’au bout. Ils restent là, ils redoublent, ils triplent, ils essaient de suivre ou même ils n’essaient pas, ils ne débouchent sur rien. Les études s’allongent sans mesure. Est-ce qu’à 25 ans, on a sa place à l’université ? Non. Et donc on s’agite !
Ibid.