Nan, mais c'est Causeur ! Jamais en retard d'une ânerie réactionnaire...
L'article s'intitule "Cohn-Bendit, 50 ans de tartufferie", ça donne le ton : c'est à charge.
("Pauvre Cohn !" aurait dit Pierre Desproges, qui l'a accueilli ainsi aux Flagrants Délires.)
Non, Cohn-Bendit, à l'époque, appelait la révolution de ses voeux. Il publiera plus tard son récit des évènements sous le titre :"Nous l'avons tant aimée, la Révolution". Et on ne voit pas quel intérêt il aurait eu à caviarder, surtout qu'il avait dû entretemps s'apercevoir que ce mouvement n'avait eu aucune débouché politique - au sens de la conquête du pouvoir - mais avait permis l'émergence de changements sociétaux décisifs, d'une mise à jour des mentalités, de la libération de la parole publique (des femmes, entre autres) etc... (Ce qui est politique aussi, d'ailleurs.)
C'est le grand malentendu de Mai : les leaders sont des militants éprouvés, l'occasion révolutionnaire ils l'attendent depuis longtemps, et ils vont amener leur rhétorique - marxiste ou maoïste, effectivement - à une explosion étudiante d'abord, populaire ensuite, dont ce n'était pas forcément le propos. Plutôt une exaspération larvée devant une France dûment immobile. Sans ces leaders experts dans l'encadrement des foules - et qui y amènent leur service d'ordre, dont on imagine bien l'utilité, dans des manifestations et des affrontements de cette ampleur - Mai 68 aurait été une sorte de mouvement Gilets Jaunes, dont on ne distingue pas la "ligne politique". (Je fais ce lien hors limite chronologique uniquement pour situer les choses.)
Anticommunistes, ils le sont ! Tous ! Non pas parce que le PCF ne "serait pas assez marxiste" comme l'affirme cet article - sauf peut-être pour les Maos, d'ailleurs minoritaires parmi les minoritaires, parce que c'est ce que le Grand Timonier pense de l'URSS - mais parce qu'ils est verrouillé, cadenassé, stalinien et aux ordres de Moscou. Pas une tête qui dépasse. Les gauchistes, plus démocratiques entre eux, le vomissent, et celui-ci le leur rend bien.
(Pendant toute la crise le PCF n'aura de cesse de tenter de remettre les ouvriers au travail et d'écarter les gauchistes des usines : pas question de leur céder le terrain ! On se souvient que Jacques Chirac, conseiller de Pompidou, a eu des contacts secrets avec eux, pour préparer la négociation de Grenelle : le PCF ne voulait absolument pas de la révolution, surtout avec ces agités.)
D'où le fameux article de Marchais sur "l'anarchiste allemand", lequel, au soir de la manif monstre du 13 Mai - ou les ouvriers ont rejoint - commentera devant des journalistes : "ma joie de la journée a été d'être en tête d'un cortège où les crapules staliniennes se trouvaient dans le fourgon de queue" !" Le grand amour...
Cohn-Bendit, marxiste "'comme tout le monde" est un peu atypique, dans la mesure où effectivement il est "libertaire", c'est à dire en pointe sur la libération de la société. De plus ce n'est pas le moins politique de la bande : à un moment il dira "de toute façon, nous roulons tous pour Mitterrand", preuve qu'il ne voyait pas trop le débouché révolutionnaire et repérait déjà la récupération, ou le profit électoral ultérieur pour la gauche modérée. (En quoi il avait du nez.)
mais aussi "spontanéiste" et pétillant qu'il ait été - il est peut-être celui qui incarne le mieux l'esprit de cette révolte - rien ne permet de soutenir la thèse d'un Cohn-Bendit non révolutionnaire et cherchant avant tout l'évolution sociétale. C'est un anachronisme : ce n'est que quelques années plus tard, parfois plus longtemps, que les figures les plus en pointe du mouvement ont compris qu'ils avaient finalement déclenché quelque chose, mais pas là où l'attendaient.
(Ils l'attendaient sur le terrain révolutionnaire, dans lequel d'ailleurs une petite minorité, la Gauche Prolétarienne, a continué à s'enfermer, pour finalement se dissoudre en 73 : la classe ouvrière ne voulait pas la révolution, ils en ont fait le constat honnête - ce qui demande un certain courage, face à des militants qui avaient sacrifié leur avenir dans ce but - et évité à la France des années "de plomb", comme en Allemagne et en Italie.)