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 Sujet du message : Le "mythe" de Wannsee
Message Publié : 23 Mars 2015 13:26 
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Marc Bloch
Marc Bloch

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Dans les années 1970 et 1980, il était courant d'attribuer une importance décisive à la conférence de Wannsee dans le processus génocidaire nazi. On en est aujourd'hui revenu pour des raisons évidentes : l'extermination des Juifs a commencé en URSS dès juillet 1941, les conditions de vie imposées aux Juifs de Pologne des 1939 ou 1940 témoignent aussi d'une volonté d'éliminer ces populations, enfin Wannsee a plus visé à organiser la déportation qu'à prendre une décision de principe qui avait probablement été prise par Hitler lui même quelques mois auparavant.

Alors pourquoi cette "popularité" ?

Je vois plusieurs hypothèses. souci de simplification des journalistes ? Ethnocentrisme des occidentaux qui ont focalisé leurs analyses historiques sur l'Europe de l'ouest délaissant les massacres commis en URSS (peut être par anticommunisme ou antisovietisme) ? Indifférence des soviétiques au sujet ? Raisonnement tâtillon d'historiens ou de juristes n'ayant pas réussi à trouver un ordre d'extermination écrit et croyant pourvoir y substituer Wansse ? Ou bien fais je totalement fausse route ?

Je suis curieux de connaître l'analyse des membres du forum sur cette lecture de la Shoah faite par après la guerre.


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 Sujet du message : Re: Le "mythe" de Wannsee
Message Publié : 23 Mars 2015 14:17 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

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l'extermination des Juifs a commencé en URSS dès juillet 1941


Avec les einzatsgruppen ?

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Le souvenir ne disparait pas, il s'endort seulement.
Epitaphe trouvée dans un cimetière des Alpes

La science de l'histoire est une digue qui s'oppose au torrent du temps.
Anne Comnène, princesse byzantine (1083-1148)

Le passé fait plus de mal que le présent
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 Sujet du message : Re: Le "mythe" de Wannsee
Message Publié : 23 Mars 2015 14:27 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

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Je ne parle que pour moi mais le fait marquant de Wannsee, c'est de faire entrer le "monde civil" (membres du gouvernement, fonctionnaires) de plein pied dans la Shoah alors que celle ci n'était jusqu'à présent que le fait des SS et des militaires. En gros de donner à la Shoah un cadre "légal", en faire un instrument de pouvoir au même titre que les infractions au code de la route.


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 Sujet du message : Re: Le "mythe" de Wannsee
Message Publié : 23 Mars 2015 15:01 
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cush a écrit :
Je ne parle que pour moi mais le fait marquant de Wannsee, c'est de faire entrer le "monde civil" (membres du gouvernement, fonctionnaires) de plein pied dans la Shoah alors que celle ci n'était jusqu'à présent que le fait des SS et des militaires. En gros de donner à la Shoah un cadre "légal", en faire un instrument de pouvoir au même titre que les infractions au code de la route.


Désolé, la plupart des fonctionnaires présents à Wannsee savent déjà ce qui est en train de se mettre en place et plusieurs d'entre eux ont déjà participé de diverses manières aux programmes destinés :
- soit à exclure les juifs de la vie sociale et industrielle;
- soit de faire disparaitre des membres de la société allemandes que le NSDAP pensait ne devoir pas faire partie du futur.

Wannsee est une espèce de réunion Go-NoGo dont le but est de s'assurer que tout le monde est bien en phase et qu'on va pouvoir passer à la phase "industrielle" du programme d'extermination.

La partie "dépucelage" des consciences sera le fait de réunions de masse plus tardives (fin 43, pour la plupart) où Himmler et consort diront à des salles remplies de généraux ou de fonctionnaires de l’État et du parti que l'extermination des juifs est en bonne voie et pratiquement terminée.

Vu la structure constitutionnelle de l'Allemagne de l'époque, la Shoah était déjà parfaitement légale, il suffisait qu'elle émane de la volonté du Führer pour qu'elle le soit ...

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 Sujet du message : Re: Le "mythe" de Wannsee
Message Publié : 23 Mars 2015 15:32 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

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Narduccio a écrit :
Désolé, la plupart des fonctionnaires présents à Wannsee savent déjà ce qui est en train de se mettre en place et plusieurs d'entre eux ont déjà participé de diverses manières aux programmes destinés :
- soit à exclure les juifs de la vie sociale et industrielle;
- soit de faire disparaitre des membres de la société allemandes que le NSDAP pensait ne devoir pas faire partie du futur.


Exclure n'est pas exterminer, déporter n'est pas non plus exterminer. Les meurtres de masses commis avant Wannsee n'impliquent que le SS et l'armée. Après Wannsee, les "civils" sont directement impliqués: logistique (chemins de fer), diplomatie, économie... A Wannsee, les points sont mis sur les "i" et l'implication des "civils" est totale. En ce sens, je suis tout à fait Longerich.


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 Sujet du message : Re: Le "mythe" de Wannsee
Message Publié : 23 Mars 2015 15:46 
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A mon avis, exclure fut la première marche vers l'extermination. Quand les juifs allemands vivaient au cœur de villes, on a vu de nombreux allemands envoyer des lettres à Hitler pour dire qu'il fallait exclure les juifs de la société allemande, mais que monsieur Untel, leur voisin, était bien un juif, mais qu'il était différent des autres juifs... S'ils n'avaient pas été exclus de la société allemande, il aurait été plus difficile de les exterminer.

J'ignore si les juristes qui écrivirent les lois de Nuremberg savaient que leur travail déboulerait sur l'extermination, mais je suis convaincu que quelques personnes, tout en haut de l'organigramme nazi avait déjà ce but en tête. Et force est de constater que pas un participant de la conférence de Wannsee ne fera d'objections à ce propos.

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 Sujet du message : Re: Le "mythe" de Wannsee
Message Publié : 23 Mars 2015 15:48 
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Pouzet a écrit :
Citer :
l'extermination des Juifs a commencé en URSS dès juillet 1941


Avec les einzatsgruppen ?


Pour être exact, la première opération spéciale d'extermination de 10 000 juifs polonais a lieu en juillet-aout 1940. C'est un premier test grandeur nature et il permet de dater l'intention mortifère.

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 Sujet du message : Re: Le "mythe" de Wannsee
Message Publié : 23 Mars 2015 15:49 
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Jerôme a écrit :
Alors pourquoi cette "popularité" ?


Parce qu'avec le rapport de cette conférence on a un document écrit montrant l'implication de tout l'appareil d’État allemand.

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 Sujet du message : Re: Le "mythe" de Wannsee
Message Publié : 23 Mars 2015 15:55 
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Philippe de Commines
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Tout à fait d'accord avec vous (Kershaw montre d'ailleurs très bien le phénomène dans son "Opinion allemande sous le nazisme") et je n'ai jamais cru ni pensé que les Allemands se berçaient d'illusion sur le sort des Juifs ou autres "indésirables". Je parle seulement du point de vue légal et Wannsee me semble être le point de basculement entre la période où la société civile (même si elle est déjà jusqu'au cou dans l'exclusion et dans la "racialisation" de la société) n'est pas impliquée dans l'action génocidaire et la période où, par le biais de diverses structures (dont comme je l'ai dit la logistique, l'économie, la diplomatie) ou elle s'y vautre sans retenue.


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 Sujet du message : Re: Le "mythe" de Wannsee
Message Publié : 23 Mars 2015 16:59 
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Pour l'opinion publique, ce serait oublier que de nombreux allemands sont soldats sur le front de l'Est depuis juin 1941. En 6 mois, ils ont déjà vu des massacres de juifs et ils sont un certain nombre à y avoir participé. Globalement l'opinion publique sait ou pourrait savoir. La plupart des allemands n'apprendront la tenue de la conférence de Wannsee qu'après guerre. Justement parce qu'officiellement, on ne désire pas s'exprimer sur le sujet.

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 Sujet du message : Re: Le "mythe" de Wannsee
Message Publié : 23 Mars 2015 19:21 
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Grégoire de Tours
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Jerôme a écrit :

Alors pourquoi cette "popularité" ?

Je suis curieux de connaître l'analyse des membres du forum sur cette lecture de la Shoah faite par après la guerre.


Et si c'etait la pression des négationnistes qui ont fait de l'absence d'ordre écrit une " preuve" de la fausseté la Shoah ? Ils ont tendu un piège en incitant des historiens superficiels à trouver cette preuve dans les protocoles de Wannsee. Mais je suis d'accord la Shoah a commencé avant la conférence de Wannsee. Quant à la trace écrite soit elle a disparu sous les bombardements soit elle n'a jamais existe du fait de mode de fonctionnement du gouvernement nazi et des pratiques de Hitler - souvent orales et allusives.


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 Sujet du message : Re: Le "mythe" de Wannsee
Message Publié : 23 Mars 2015 19:53 
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Il y a plusieurs traces écrites, les seules qui manquent ce sont celles de la prise de décision, ou de l'ordre émanant des plus hautes autorités. Mais, Hitler donnait certains ordres que de manière orale...

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 Sujet du message : Re: Le "mythe" de Wannsee
Message Publié : 24 Mars 2015 18:06 
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Grégoire de Tours
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Jerôme a écrit :
Dans les années 1970 et 1980, il était courant d'attribuer une importance décisive à la conférence de Wannsee dans le processus génocidaire nazi. On en est aujourd'hui revenu pour des raisons évidentes : l'extermination des Juifs a commencé en URSS dès juillet 1941


Wikipédia:
Wikipedia a écrit :
1) Le plan Madagascar
Le Plan Madagascar fut un plan du Troisième Reich visant à envoyer de force 4 millions de juifs d'Allemagne, de ses pays alliés et de ses territoires conquis à Madagascar, alors encore colonie française. Évoqué depuis 1938 dans des discussions de responsables tels que Julius Streicher, Hermann Göring, ou Joachim von Ribbentrop, ce plan n'est réellement envisagé qu'à partir de mai 1940, sous l'impulsion d'Heinrich Himmler.
La défaite de la France est alors quasiment achevée et ses colonies passeront donc sous contrôle allemand. Dans l'esprit du commandement nazi d'alors, il est aussi acquis que la Grande-Bretagne capitulera rapidement sous les bombardements de la Luftwaffe, donc que les voies maritimes seront bientôt libres et que la flotte britannique sera à la disposition de l'Allemagne.

Le 3 juin 1940, Franz Rademacher, membre du ministère des Affaires étrangères de Ribbentrop chargé des affaires juives, présente un mémorandum à ce sujet à son supérieur Martin Luther. Son plan détaillait les mécanismes d'évacuation des juifs d'Europe et prévoyait de garder les juifs d'Europe de l’Est à Lublin (Pologne) et de déplacer tous les juifs de l'ouest hors d'Europe, à Madagascar par exemple.

Luther communique le plan à Ribbentrop qui le communique lui-même à Adolf Hitler. Le 18 juin 1940, en référence à la défaite et l'avenir de la France, Hitler et Ribbentrop s'entretiennent de ce plan avec Benito Mussolini. Hitler en discute les jours suivants avec le Grand Amiral Erich Raeder. Informé en juin 1940 du projet, Reinhard Heydrich souhaite être largement impliqué. Il écrit donc le 24 juin 1940 à Ribbentrop dans ce sens. Ribbentrop s'y résout et informe Rademacher qu'il a donné son accord de principe à la préparation d'un plan d'expulsion des Juifs d'Europe qui doit se faire en étroite coopération avec les services du Reichsführer (le RSHA dirigé par Heydrich).

Début juillet 1940, Rademacher déclare dans ses rapports : « la victoire imminente donne à l'Allemagne la possibilité et le devoir de résoudre la question juive en Europe. La solution souhaitable est: tous les Juifs hors d'Europe. La solution Madagascar signifie la création d'un immense ghetto. Seule la police de sécurité possède l'expérience nécessaire dans ce domaine ». Pas d'administration coloniale mais un régime d'autonomie avec à sa tête un gouverneur SS plus la création d'une banque européenne chargée de liquider les biens juifs en Europe et d'être le filtre obligatoire entre les Juifs et le reste du monde afin d'annihiler toute influence économique juive en Allemagne car toute transaction commerciale avec eux sera interdite.

Le 15 août 1940, Adolf Eichmann et Theodor Dannecker produisent un dossier imprimé intitulé Reichssicherheitshauptamt: Madagaskar Projekt qui prévoit la déportation vers Madagascar d'un million de juifs par an sur quatre ans et sous le contrôle total de la RSHA. Le plan prévoit la spoliation des juifs afin de financer la logistique. Les Juifs vivront dans des camps construits à cet effet. Fin août, Rademacher réplique en produisant un rapport sur le principe d'un large partage des tâches entre le ministère des affaires étrangères et le RSHA. Le deuxième point prévoit que la SS aura à sa charge le ramassage des Juifs d'Europe et l'administration de l'île-ghetto. À cet effet, 120 navires pourraient transporter vers Madagascar 1 million de Juifs chaque année.

Abandon
Le 30 août 1940, Rademacher s'entretient avec Ribbentrop pour qu'il réunisse des experts afin de finaliser le plan, mais celui-ci ne répondra jamais à sa demande, tout comme le dossier d'Eichmann ne sera jamais validé par Heydrich. La cause de ces refus et de l'abandon du plan est tout simplement la résistance du Royaume-Uni. L'échec du Reich à obtenir une capitulation rapide des Britanniques mit fin à tout espoir de maîtrise de l'espace maritime et de la flotte britannique.

Le Plan Madagascar sera définitivement abandonné en décembre. En janvier 1941, Göring et Himmler mettent au point le plan Heydrich, qui doit permettre l’établissement d’un nouveau territoire au sein de l’Union soviétique, une fois la guerre remportée contre cette dernière. L’enlisement du conflit ne le permet pas et l'expulsion des juifs vers la Pologne continue, aboutissant à la Solution finale.


2 ) les Einsatzgruppen

Les Einsatzgruppen (traduction littérale : « groupes d'intervention ») étaient des unités de police politique militarisées du IIIe Reich, créées dès l'Anschluss et chargées, à partir de l'invasion de la Pologne, de l'assassinat systématique des opposants réels ou imaginaires au régime nazi et en particulier des Juifs. Ces groupes sous l'autorité administrative de l'armée dépendaient pour les ordres opérationnels du Reichssicherheitshauptamt (« Office central de la sécurité du Reich » ou RSHA) et agissaient dans les territoires occupés de l'Est (Pologne, Union soviétique et Pays baltes), à l'arrière du front de l'Est.

Ils étaient principalement composés par des membres de la SS, appartenant au RSHA (Gestapo, Kripo, SD) et par des membres de l’Ordnungspolizei ; ils comprenaient également des auxiliaires locaux de la police de sécurité, la Schutzmannschaft.

Les missions d'extermination des Einsatzgruppen furent successivement l'élimination en masse des cadres polonais, des handicapés, des Juifs et des Tziganes1, puis, à partir de la rupture du pacte germano-soviétique et de l'invasion de l'Union soviétique du 22 juin 1941, des prisonniers de guerre et des civils soviétiques, des partisans (qualifiés par les SS de saboteurs et terroristes), des cadres soviétiques, dont les commissaires politiques et des communistes au sens général du terme.

De 1940 à 1943, les Einsatzgruppen assassinèrent plus d'un million de personnes, essentiellement des Juifs et, à partir du 22 juin 1941, des prisonniers de guerre soviétiques. Leur action fut la première phase de la Shoah, dans un premier temps les fusillades (appelée Shoah par balles), et dans un deuxième temps les camions à gaz itinérants, avant la mise en place des camps d'extermination pour la première vague en 1941 et parallèlement à ceux-ci pendant la deuxième vague en 1942.

Premières interventions
L'étymologie du mot Einsatzgruppen ne fait pas référence à une mission mortifère. Leur création est notamment liée au fait que, depuis la guerre de 1870 et la Première Guerre mondiale, les militaires allemands en campagne vivent dans la hantise de l'action de groupes de francs-tireurs insaisissables, méconnaissables, jetant le trouble et la confusion sur les arrières du front allemand.

Lors de l'Anschluss et de l'invasion de la Tchécoslovaquie, les Einsatzgruppen suivent les troupes allemandes pour sécuriser les territoires occupés, confisquer les armes, rassembler des documents et arrêter les opposants politiques. Ils doivent aussi mettre en place l'expulsion des Juifs d'Autriche et des Sudètes. Près de 4 500 personnes sont arrêtées et 1 300 maintenues en détention dans les territoires occupés en mars 1939.

Les discours de justification de la propagande nazie
Dès l'intervention de ces groupes en Pologne à l'automne 1939, l'action des Einsatzgruppen est présentée par la propagande nazie comme une action défensive de la part du Reich, qui prolonge l'action défensive des Allemands ayant vécu sous la tutelle polonaise entre 1919 et 1939.

Lors de la préparation de l'invasion de l'Union soviétique, l'idéologie nazie présente les Einsatzgruppen comme des acteurs du combat de l'Allemagne pour son existence dans le cadre d'une guerre totale d'extermination.

La guerre avec l'URSS communiste revêt une dimension idéologique importante. Pour les Allemands qui pénètrent en Union soviétique, les Slaves de l'Est sont perçus comme des barbares, des « Mongols ». Les Einsatzgruppen favorisent les pogroms en Union soviétique. Ils souhaitent que les populations locales prennent part aux pogroms pour des raisons de maintien de l'ordre. En Lettonie, le pogrom de Riga fait 400 victimes. L'Einsatzgruppe filme les pogroms à des fins de propagande.

Massacres en Pologne
« Notre force tient à notre rapidité et à notre brutalité. [...] L'objectif de la guerre ne sera pas d'atteindre une ligne donnée, mais d'anéantir physiquement l'adversaire. C'est pourquoi j'ai disposé - pour l'instant seulement à l'Est - mes unités à tête de mort ; elles ont reçu l'ordre de mettre à mort sans merci et sans pitié beaucoup d'hommes, de femmes et d'enfants d'ascendance et de langue polonaise. C'est la seule manière pour nous de conquérir l'espace vital dont nous aurons besoin »

— Adolf Hitler à ses généraux, 22 août 1939.

C'est lors de la campagne de Pologne que s'opère la première phase de radicalisation de l'action des Einsatzgruppen, auxquels Hitler, dans un entretien avec Brauschitsch, assigne « certaines tâches ethniques ».

Cette campagne est la première des guerres de revanche menée par le Reich. À ce titre, la propagande nazie la présente comme une réparation de l'affront de 1918, à savoir la perte des conquêtes issues de la paix de Brest-Litovsk en 1918 et comme une opération de défense des minorités allemandes incorporées dans le territoire polonais.

Exécution de Polonais par un Einsatzkommando, octobre 1939
Préparation
Dans le cadre de l'opération Tannenberg, dont le nom, choisi par Himmler, évoque à la fois la victoire de 1914, et surtout la défaite de 1410, donc place cette action comme une mesure de rétorsion face à cette défaite, cinq Einsatzgruppen sont constitués en juillet par Reinhard Heydrich ; par la suite, deux Einsatzgruppen supplémentaires sont créés ainsi qu'un Einsatzkommando (« commando d'intervention ») indépendant formé à Dantzig. Au total, ces unités comptent 3 000 hommes, issus de la Gestapo, du SD, de la Kripo et de l'Ordnungspolizei.

Dès le mois d'avril 1939, les militaires sont informés de la compétence du parti et de ses organisations paramilitaires à l'arrière du front.
Le 5 juillet, lors d'une réunion organisée autour des services de Heydrich, l'action de ces unités est précisée : quatre groupes d'intervention, divisés en cinq commandos de cent hommes, soit 2 000 hommes au total, sont planifiés ; parmi ces 2 000 hommes, 450 hommes sont détachés du SD.

Motivations
L'action de ces groupes, qui porte officiellement sur l'arrestation systématique de tous les ennemis potentiels, fait l'objet de négociations entre Heydrich et le général de brigade Eduard Wagner, responsable de la logistique au sein de l'OKW, entre le 31 juillet 1939 et le 29 août 1939.
Loin de se limiter à leur mission officiellement convenue lors des négociations, dans le sillage de la Wehrmacht, les Einsatzgruppen procèdent au massacre planifié de l'élite polonaise, en mettant l'accent contre les Juifs considérés comme opposants potentiels.

Si la Wehrmacht commet elle aussi de nombreuses exactions en représailles aux actions de francs-tireurs le plus souvent imaginaires, l'action des Einsatzgruppen est quant à elle planifiée avant même le début de l'invasion, dirigée vers des victimes prédéfinies, considérées comme des opposants ou de futurs opposants potentiels à l'occupation allemande. Heydrich indique ainsi « nous voulons bien protéger les petites gens, mais les aristocrates, les curetons et les Juifs doivent être supprimés. »

Tueries de masse
Les tueries sont menées en parallèle avec celles commises par trois régiments des Totenkopfverbände qui suivent les troupes allemandes pour « appréhender les réfugiés récemment arrivés dans le pays et traquer les éléments hostiles au régime, parmi lesquels les francs-maçons, les Juifs, les communistes, l'intelligentsia, le clergé et l'aristocratie ».
La brutalité des unités de la SS et le nombre des assassinats qu'elles commettent, font l'objet de vives critiques du général de la Wehrmacht, Johannes Blaskowitz : « Les sentiments de la troupe envers la SS et la police oscillent entre la répulsion et la haine. Tous les soldats sont pris de dégoût et de répugnance devant les crimes commis en Pologne ». Il semble être le seul à juger « inopportun » de livrer des suspects aux Einsatzgruppen. Après la fin de la campagne de Pologne, lors d'un rassemblement d'officiers, le Generalleutnant Mieth déclare que les formations de police qui ont pratiqué des exécutions de masse « sans procédure juridique régulière [ont] sali l'honneur de la Wehrmacht ». Ces incidents ne sont clos qu'après un accord entre Walther von Brauchitsch et Heinrich Himmler, début 1941, accord selon lequel les « événements locaux de 1939 [sont] définitivement clos » et ne doivent plus être abordés.

Les actions menées par l' Einsatzgruppe II dirigé par Emmanuel Schäfer et de l'Einsatzgruppe de Udo von Woyrsch, suscitent un profond malaise au sein du commandement de la Wehrmacht. Après un entretien avec Walther von Brauchitsch, commandant en chef, le général Wagner rencontre Heydrich le 19 septembre 1939, pour obtenir des précisions sur les missions confiées aux Einsatzgruppen. Sur ce point, Heydrich est très clair : il s'agit de la purification radicale des Juifs, de l'intelligentsia, du clergé et de la noblesse. Selon Christopher R. Browning, le commandement de la Wehrmacht ne souhaite contester que ponctuellement les décisions de la SS, éviter les pires bavures et « gagner du temps de sorte que la Wehrmacht puisse se retirer de Pologne les mains propres ».

Les Einstazgruppen I, IV et V ont de plus pour mission spécifique de mener une politique de terreur à l'encontre des Juifs : ainsi, entre le 15 et le 19 septembre, la synagogue de Dynow, près de la rivière San, est incendiée, avec une dizaine de Juifs à l'intérieur ; mais l'ensemble des Einsatzgruppen engagées en Pologne a pour consigne de chasser le maximum de Juifs vers les territoires échus en partage à l'URSS.

Le territoire polonais est également utilisé par les Einsatzgruppen pour l'élimination des handicapés mentaux et physiques, dans le prolongement de l'Action T4. Les premières victimes sont déportées de Poméranie et massacrées en octobre 1939. Ces opérations font plusieurs milliers de victimes, dont certaines sont tuées au moyen de camions de déménagement reliés à des réservoirs de monoxyde de carbone pur30.

De septembre 1939 au printemps 1940, les assassinats commis par les Einsatzgruppen, la Waffen SS et leurs auxiliaires font entre 50 000 et 60 000 victimes.

L'invasion de l'Union soviétique

La préparation de l'opération Barbarossa fait changer la nature de l'action des Einsatzgruppen. Dès le printemps 1941, ils sont organisés en plusieurs unités opérant dans des espaces délimités, leur action fait l'objet d'intenses négociations entre la Wehrmacht et la SS et ils sont présentés comme les héros de la lutte des Germains contre les Slaves.

Le printemps 1941 : une préparation minutieuse
La préparation du point de vue militaire et opérationnel
Le 3 mars 1941, Adolf Hitler exige du chef d'état-major de la Wehrmacht, le général Alfred Jodl, que soit examinée l'intégration des services du Reichsführer SS Heinrich Himmler dans les zones d'opération de l'armée, ce qui débouche sur d'intenses négociations au sein de la Wehrmacht, puis entre celle-ci et la SS. Dès le 5 mars, la Wehrmacht accepte de limiter le rôle des juridictions militaires aux affaires internes à la troupe ou aux affaires liées à une menace immédiate contre l'armée. En l'absence d'administration civile, l'arrière du front devient de ce fait une zone de non-droit où la SS a les mains libres.

Le rôle des Einsatzgruppen est mentionné dans des instructions du commandant en chef Wilhelm Keitel, le 13 mars 1941.

« Dans le cadre des opérations de l'armée et dans le but de préparer l'organisation politique et administrative [des territoires occupés], le Reichsführer SS assume, au nom du Führer, la responsabilité des missions spéciales qui résulteront de la nécessité de mettre fin à l'affrontement entre deux systèmes politiques opposés. Dans le cadre de ces missions, le Reichsführer agira en toute indépendance et sous sa seule responsabilité »

Ces instructions sont détaillées via un accord négocié entre Reinhard Heydrich, chef du RSHA et le général Wagner, en date du 26 mars 1941. Le texte est précis sur l'objectif de mission : « les sonderkommandos sont autorisés, dans le cadre de leur mission et sous leur propre responsabilité, à prendre des mesures exécutives contre la population civile ». L'accord finalisé en mai 1941 après des discussions entre Wagner et Walter Schellenberg rajoute un droit tactique substantiel, celui d'opérer en plus des arrières des armées et groupes d'armées sur les arrières des corps d'armées pour ainsi capturer plus rapidement les victimes juste derrière le front. Les Einsatzgruppen étaient ainsi placés sous la double autorité conjointe de l'armée pour le contrôle territorial et administratif et du RSHA pour le contrôle opérationnel et fonctionnel.

Au printemps 1941, plusieurs milliers de membres de la SS et de l’Ordnungspolizei sont rassemblés dans une école de police à Pretzsch, sur l'Elbe. À l'exception de quelques dirigeants, ils ne savent pas à quelle mission ils seront affectés. Leur entraînement est réduit à sa plus simple expression.

En outre, le 17 juin 1941, donc tardivement, lors d'une réunion avec les chefs des Einsatzgruppen, Reinhard Heydrich établit la liste des personnes à assassiner.
« Tous les fonctionnaires du Komintern, la plupart de ceux-ci devant être des politiciens de carrière ; les fonctionnaires de haut rang et de rangs intermédiaires ainsi que les extrémistes du parti communiste, du comité central et des comités régionaux et locaux ; les commissaires du peuple ; les Juifs occupant des fonctions au sein du parti communiste ou du gouvernement, ainsi que tous les autres éléments extrémistes, saboteurs, propagandistes, francs-tireurs, assassins, agitateurs... »

— Reinhard Heydrich, 17 juin 1941.

L'imminence de l'invasion de l'Union soviétique constitue ainsi une deuxième inflexion majeure du rôle confié aux Einsatzgruppen : ils deviennent aussi, selon la propagande nazie, des acteurs du combat pluriséculaire des Germains contre les Slaves. Dans cette perspective, la figure du judéo-bolchevisme constitue, aux yeux de certains généraux allemands conservateurs, le dernier avatar en date de la figure du Slave engagé dans une lutte à mort contre les Germains.

Si l'exécution des assassinats relevait de la SS, l'identification des populations d'un village à l'autre a reposé sur les minutieux travaux cartographiques compilés pour le Generalplan Ost par son administration civile, l'Ost Institut.

Organisation générale (juin 1941)
Quatre Einsatzgruppen sont constitués en préparation de l'invasion de l'Union soviétique, alliée du IIIe Reich depuis la signature du pacte germano-soviétique le 23 août 1939. Affectés aux arrières d'un groupe d'armée, ils sont divisés en Einsatzkommandos (« commandos d'intervention ») eux-mêmes divisés en Sonderkommandos (« commandos spéciaux »), qui réalisent les opérations de tuerie mobiles.
Otto Ohlendorf, chef de Einsatzgruppe D, au procès de Nuremberg, à gauche sur la photo et Heinz Jost, chef de Einsatzgruppe A, à droite.

Einsatzgruppe A ( Sonderkommandos 1a et 1b, Einsatzkommandos 2 et 3)

groupe d'armée nord (Ostland et nord de la Russie)
SS-Brigadeführer Dr. Franz Walter Stahlecker, jusqu'au 23 mars 1942, avec à ses côtés Martin Sandberger (1911-2010), chef de l'Einsatzkommando 1a.
Ce groupe travailla notamment avec le sonderkommando Arājs, éponyme du SS letton Viktors Arājs. Celui-ci fut responsable à lui seul de la mort d'entre 50 000 et 100 000 personnes (principalement juives ou communistes). Arājs sera arrêté en 1975 et condamné en 1979.

Einsatzgruppe B ( Sonderkommandos 7a, 7b et 7c, Einsatzkommandos 8 et 9, Vorkommando Moskau)

groupe d'armée centre (Est de la Pologne, Biélorussie, et Russie centrale)
SS-Brigadeführer Artur Nebe (jusqu'en octobre 1941)
divisé en 6 commandos (bien que sa structure soit fluide), dont le Vorkommando Moskau, dirigé au début par le Brigadeführer SS Franz Six, qui devait opérer à Moscou si la capitale était prise. À partir de décembre 1941, ce commando, particulièrement actif du côté de Smolensk, fut dirigé par le Sturmbannführer Friedrich Buchardt (1909-1982).

Einsatzgruppe C (Sonderkommandos 4a, 4b, Einsatzkommandos 5 et 6 et le 201e bataillon Schutzmannschaft à partir d'août 1941)

groupe d'armée sud (centre et nord de l'Ukraine)
SS-Gruppenführer Dr. Otto Rasch (jusqu'en octobre 1941)

Einsatzgruppe D (Sonderkommandos 10a, 10b, 11a, 11b, Einsatzkommandos 12) : 11e armée (Bessarabie, sud de l'Ukraine, la Crimée et le Caucase)

SS-Gruppenführer Otto Ohlendorf (jusqu'en juin 1942)

Les opérations mobiles ne seront que la première étape du génocide
Au terme d'un décompte partiel obtenu grâce aux rapports d'Einsatzgruppen, et du rapport d'Heinrich Himmler à Adolf Hitler en décembre 1942, Raul Hilberg totalise 900 000 victimes. Outre les Juifs non comptabilisés mais effectivement tués par les Einsatzgruppen, il faut ajouter, écrit Hilberg, ceux qui ont été tués par la deuxième vague d'unités mobiles de tuerie, partie après les Einsatzgruppen, et de composition semblable, bien qu'elles ne portent pas ce nom, ainsi que les Juifs tués par l'armée allemande et l'armée roumaine. Au total, il estime que 1 400 000 Juifs ont été tués par les unités mobiles de tuerie pendant la Seconde Guerre mondiale.

Interprétations
Dans Des Hommes ordinaires, l'historien Christopher Browning fait une étude détaillée du comportement, des motivations et des actes du 101e bataillon de réserve de la police allemande, qui fut jugé après la guerre pour les faits de massacres de Juifs en Pologne.
Les chefs des Einsatzgruppen et des Einsatzkommados étaient majoritairement des personnes diplômées, exerçant souvent des professions libérales. Ils n'ont presque jamais exprimé le moindre remords ou regret.
Les motivations des hommes engagés dans les unités mobiles de tuerie, de même d'ailleurs que des autres exécutants de la Shoah, font l'objet d'un débat historiographique souvent âpre. Browning insiste sur l'aspect ordinaire des tueurs, qui ont accepté d'exécuter leur tâche avant tout par docilité.
À l'inverse, pour Daniel Goldhagen, la principale explication se trouve dans l'adhésion au projet nazi d'extermination, adhésion provenant de l'antisémitisme «éliminationniste», développé en Allemagne, c'est-à-dire la volonté de se séparer physiquement des Juifs, par expulsion ou par extermination.
Pour Richard Rhodes, la théorie de Goldhagen «a un caractère tautologique, puisqu'elle inclut l'effet (l'élimination) dans la cause (l'antisémitisme)». Il critique notamment l'affirmation de Goldhagen selon laquelle « les individus doivent être motivés pour en tuer d'autres, sinon ils ne le feraient pas » en la qualifiant de naïve et de lapalissade. Se rapprochant de Browning, Rhodes explique la motivation des tueurs en se basant sur l'approche du criminologue Lonnie Athens, soit un phénomène de socialisation par la violence articulé en quatre étapes : la brutalisation, la belligérance, le comportement violent et la virulence.

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 Sujet du message : Re: Le "mythe" de Wannsee
Message Publié : 24 Mars 2015 18:30 
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Grégoire de Tours
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cush a écrit :
Je ne parle que pour moi mais le fait marquant de Wannsee, c'est de faire entrer le "monde civil" (membres du gouvernement, fonctionnaires) de plein pied dans la Shoah alors que celle ci n'était jusqu'à présent que le fait des SS et des militaires. En gros de donner à la Shoah un cadre "légal", en faire un instrument de pouvoir au même titre que les infractions au code de la route.


Wikipedia a écrit :
La conférence de Wannsee réunit dans une villa de Berlin, le 20 janvier 1942, quinze hauts responsables du Troisième Reich, pour débattre de l'organisation administrative, technique et économique de la solution finale à la question juive, voulue par Adolf Hitler et mise en œuvre, sur ses instructions, par Hermann Göring, Heinrich Himmler, Reinhard Heydrich et Adolf Eichmann.

Au moment où la conférence se tient, la Shoah a débuté depuis déjà plusieurs mois : la déportation des Juifs du Reich a commencé, les Einsatzgruppen exécutent les Juifs par centaines de milliers en URSS, le camp d'extermination de Chełmno est en activité et les autres centres de mise à mort sont en construction ou en projet.

Présidée par Reinhard Heydrich, la conférence dure moins de deux heures. Si elle est brève et n'est pas marquée par des décisions fondamentales, elle constitue une étape décisive dans la réalisation de la Shoah, en entérinant d'une part le contrôle total de la SS sur la mise en œuvre de l’extermination du peuple juif, d'autre part le rôle de Heydrich en tant que maitre-d'œuvre dans le processus destructeur puis en exigeant la collaboration sans entraves et le soutien sans failles de l'ensemble de l'appareil d'État.



Contexte
Mesures antisémites du régime nazi avant-guerre

La conférence de Wannsee ne peut être isolée de la volonté d'exclure la population juive de la société allemande, qui se traduit dans les faits, dès l'arrivée des nazis au pouvoir, et s'amplifie de l'année 1933 au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.



Les adjoints immédiats d’Hitler, Göring et Heinrich Himmler, SS-Reichsführer, considèrent cette déclaration, comme d’autres propos tenus à la même époque par le Führer, et dont la plupart n’ont été rapportés que lors des procès d’après-guerre, comme une autorisation de procéder à une solution finale de la question juive plus radicale, incluant notamment la déportation de tous les Juifs présents dans les territoires occupés par l’Allemagne.
Au cours de l'invasion de l'Union Soviétique, 2 500 000 Juifs se retrouvent, au fil des avancées des armées allemandes, sous la domination nazie. Formés dès le printemps 1941, soit avant l'invasion, quatre Einsatsgruppen suivent la progression de la Wehrmacht et commettent des massacres à grande échelle qui visent, selon Heydrich « tous les fonctionnaires du Komintern, la plupart de ceux-ci devant être des politiciens de carrière ; les fonctionnaires de haut rang et de rangs intermédiaires ainsi que les extrémistes du parti communiste, du comité central et des comités régionaux et locaux ; les commissaires du peuple ; les Juifs occupant des fonctions au sein du parti communiste ou du gouvernement, ainsi que tous les autres éléments extrémistes, saboteurs, propagandistes, francs-tireurs, assassins, agitateurs13… » Les tueries se concentrent rapidement sur les Juifs, tout d'abord sur les adultes de sexe masculin, puis à partir d'août 1941N 8, à l'ensemble de la population juive, sans distinction de sexe ou d'âge et sans aucun lien avec une éventuelle fonction au sein du parti communiste
Göring est à cette époque le personnage le plus puissant du régime nazi après Adolf Hitler ; il a reçu le grade spécifique de Reichsmarschall et est désigné comme le successeur du Führer. Pour Heydrich, toute instruction de Göring est soutenue par l’autorité de Führer ; Heydrich sait également que son supérieur immédiat, Himmler, est en faveur de l’extermination des Juifs. De plus, à cette époque, il a mis en place et commande les Einsatzgruppen qui ont entrepris l’assassinat en masse de la population juive des territoires récemment conquis en Union soviétique. Selon Rudolf Lange, commandant de l’Einsatzkommando 2 qui opère en Lettonie, ses ordres portent sur une solution radicale du problème juif, via l’exécution de tous les Juifs16. En octobre commence la déportation vers l’Est des Juifs d’Allemagne, d’Autriche et de Tchécoslovaquie ; lorsque les trains chargés de déportés arrivent en Lettonie, Lange fait abattre tous les passagers. Mais cette méthode d’assassinat par fusillade s’avère rapidement impraticable pour le massacre de millions de personnes : le coût en munitions est inacceptable, et les SS éprouvent des problèmes psychologiques.

Planification de la conférence
Lettre de Reinhard Heydrich à Martin Luther, l'invitant à la conférence de Wannsee.

Le 31 juillet 1941, Göring signe un document qui lui est soumis par Reinhard Heydrich, numéro deux de la SS et chef du RSHA, qui étend les pouvoirs confiés à ce dernier depuis le 24 janvier 1939 pour résoudre le problème juif par l'émigration ou l'évacuation. Heydrich se voit chargé de faire tous les préparatifs nécessaires pour la solution totale de la question juive dans tous les territoires sous contrôle allemand, de coordonner la participation des organisations dont les juridictions sont concernées et de soumettre un projet global pour la solution finale de la question juive (Endlösung der Judenfrage).
Au cours de la seconde moitié de l’année 1941, Heydrich et son état-major travaillent sur des projets d’évacuation des Juifs de tous les territoires occupés par l’Allemagne vers des camps de travail en Pologne ou plus à l’Est, en Union soviétique, dont il pense que la conquête sera bientôt terminée : ceux qui sont incapables de travailler seront assassinés, les autres exterminés par le travail. La défaite allemande devant Moscou au cours des mois de novembre et décembre conduit à une large révision des priorités : l’euphorie cède la place à la perspective d’une guerre de longue durée et au constat que les réserves de nourriture ne suffiront pas à alimenter la population de l’Allemagne et de l’Europe occupéeN 10.
Dès novembre 1941, il devient clair que les responsables nazis savent que Adolf Hitler a l'intention d'expulser tous les Juifs d'Europe vers les territoires de l'Est et de les y faire assassiner.
Mener à bien une telle entreprise impliquant l'enregistrement et le transport de millions de personnes, à un moment où les ressources matérielles et humaines nécessaires sont déjà gravement compromises, est un formidable défi logistique. Afin d'éviter que certains éléments de l'appareil d'État ne fassent obstacle ou refusent de coopérer à la «solution finale de la question juive», il est décidé d'inviter à une réunion les représentants de tous les ministères concernés afin de leur exposer les projets en cours et la méthode à mettre en œuvre pour leur exécution, en précisant qu'il s'agit d'une décision de la plus haute autorité du Reich.

Le 29 novembre 1941, Reinhard Heydrich, représentant d'Himmler en son absence, envoie une invitation pour une réunion prévue le 9 décembre 1941 au siège de la Commission internationale de police criminelle — une sorte de précurseur de l'Interpol dont Heydrich est à l'époque le président —, au 16 Am Kleinen Wannsee, dans le cadre confortable d'une villa, au bord du lac à l'extrémité ouest de Berlin. Il joint à cette invitation une copie de la lettre de Hermann Göring du 31 juillet pour souligner son autorité en la matière.

Les développements du début de décembre 1941, perturbent les plans initiaux. Le 5 décembre, l'Armée rouge lance une contre-offensive à Moscou, mettant fin à la perspective d'une conquête rapide de l'Union des républiques socialistes soviétiques ; le 7 décembre, les Japonais attaquent les États-Unis à Pearl Harbor, ce qui provoque, le lendemain, l'entrée en guerre des États-Unis contre le Japon. Pour s'acquitter de ses obligations en vertu de son pacte tripartite avec l'Italie et le Japon, le gouvernement du Troisième Reich prépare immédiatement une déclaration de guerre aux États-Unis, le 11 décembre. Certains invités de la réunion participent à ces préparatifs, et le 8 décembre, Heydrich reporte la réunion, sans déterminer de nouvelle date. Au début du mois de janvier 1942, Heydrich envoie de nouvelles invitations à une réunion fixée au 20 janvier. Pour l'historien allemand Christian Gerlach, le report de la réunion par Heydrich a pour but d'en élargir l'objectif initial. Selon Götz Aly, par contre, il est causé par la confusion qui suit l'attaque japonaise sur Pearl Harbor. Toujours selon Gerlach, l'objectif initial de la conférence de Wannsee ne portait que sur la déportation des Juifs du Reich ; ce n'est qu'après le discours d'Adolf Hitler du 21 décembre 1941 qu'Heydrich peut élargir le thème de la réunion pour la consacrer à la solution finale de la question juive19.

Le lieu de la conférence est changé pour une villa au 56-58 Am Grossen Wannsee, une rue résidentielle tranquille, à Wannsee. La villa Marlier, construite en 1914, a été acquise par la SS en 1940 pour l'utiliser comme un centre de conférence.

Participants

Comme il s'agit d'une réunion destinée à discuter de la mise en œuvre d'une décision déjà prise au niveau politique, dont l'étendue est vaste, les invités de Heydrich sont, à l'exception d'Eichmann et du Dr Lange, parmi les plus hauts fonctionnaires du Reich ; on peut en particulier relever que « pas moins de huit participants sur quinze sont titulaires d’un doctorat». En outre, au moins deux des participants — Lange et Schöngarth — ont eu un contact direct sinon très proche avec les massacres déjà commis dans le cadre de la Shoah par balles : ils ont donc une expérience indéniable dans la manière de tuer en masse.
Pour chaque personne, en fin de ligne, entre parenthèses suivant la flèche « → », est indiqué le supérieur hiérarchique du participant concerné (en général « au rang N », sinon « au rang N+1 ») ; est aussi précisé si ce supérieur participe également à la présente réunion. Si Heydrich est dans la ligne hiérarchique, son nom a été mentionné. Il est aussi indiqué si le supérieur a rang de ministre du Reich ou s'il est en contact direct avec le Führer.

Reinhard Heydrich, SS-Obergruppenführer, chef du RSHA, qui préside la réunion (→ Heinrich Himmler, rang de ministre)
Adolf Eichmann, SS-Obersturmbannführer, chef du bureau IV B-4 (Judenangelegenheiten, Affaires juives) de la Gestapo (RSHA), qui rédige les notes de la conférence (→ Heinrich Müller, présent, → Reinhard Heydrich, présent)
Dr Josef Bühler, StaatssekretärN 13, Gouvernement général de Pologne (→ Dr Hans Frank, rang de ministre)
Dr Roland Freisler, Staatssekretär, ministère de la Justice (→ Franz Schlegelberger, ministre)
Otto Hofmann, SS-Gruppenführer, Chef du Bureau pour la race et le peuplement (RuSHA) (→ Heinrich Himmler, rang de ministre)
Dr Gerhard Klopfer, SS-Oberführer, secrétaire permanent à la chancellerie du parti (→ Martin Bormann, en contact direct avec Hitler)
Dr Friedrich Wilhelm Kritzinger, secrétaire permanent de la chancellerie du Reich (→ Dr Hans Lammers, en contact direct avec Hitler)
Dr Rudolf Lange, SS-Sturmbannführer, Kommandeur der SP und des SD (KdS) — chef de la SiPo et du SD (RSHA) — à Riga, Lettonie (→ Franz Walter Stahlecker, Befehlshaber der SP und des SD (BdS) Ostland → Reinhard Heydrich, présent)
Dr Georg Leibbrandt, Staatssekretär, représentant du ministère des Territoires occupés de l'Est (→ Alfred Rosenberg, ministre, aux pouvoirs néanmoins limités)
Martin Luther, Unterstaatssekretär, ministère des Affaires étrangères (→ Joachim von Ribbentrop, ministre)
Dr Alfred Meyer, Gauleiter des Gaus Westfalen-Nord (de Westphalie du Nord) et Staatssekretär, adjoint de Rosenberg au ministère des Territoires occupés de l'Est (→ Alfred Rosenberg, ministre, aux pouvoirs néanmoins limités)
Heinrich Müller, SS-Gruppenführer, chef de la Gestapo (RSHA) (→ Reinhard Heydrich, présent)
Erich Neumann, Staatssekretär, Beauftragter für den Vierjahresplan — représentant du Plan quadriennal — (→ Hermann Göring, rang de ministre) ; il représentait ainsi en outre les ministères de l'Économie, du Travail, des Transports et de l'Armement
Dr Karl Eberhard Schöngarth, SS-Oberführer, Befehlshaber der SP und des SD (BdS) — chef de la SiPo et du SD (RSHA) — au Gouvernement général de Pologne (→ Reinhard Heydrich, présent)
Dr Wilhelm Stuckart, Staatssekretär, ministère de l'Intérieur (→ Wilhelm Frick, ministre)

Déroulement de la conférence
Reinhard Heydrich ouvre la conférence en rappelant les mesures antisémites prises en Allemagne depuis l’arrivée des nazis au pouvoir en 1933. Il souligne qu’entre 1933 et 1941, 530 000 Juifs ont émigré d’Allemagne et d’Autriche ; cette information est tirée d’un document préparatoire rédigé la semaine précédente par Adolf Eichmann, qui fort de son expérience dans l’organisation de l’émigration forcée des Juifs autrichiens en 1938, est devenu le principal expert en ce qui concerne la mise en œuvre de la solution de la question juive22. Heydrich chiffre le nombre de Juifs vivant en Europe et dans l'empire colonial français en Afrique du Nord (Maroc, Algérie, Tunisie - mentionnés comme vivant dans « France /territoires non-occupés ») à approximativement onze millions de personnes, dont un peu plus de la moitié vivent dans des pays ou des territoires qui ne sont pas sous contrôle allemand. Et Heydrich de poursuivre : « désormais, à la place de l'émigration, la prochaine solution à envisager, avec l'aval préalable du Führer, est l'évacuation des Juifs vers l'est. Ces actions sont toutefois à considérer uniquement comme des solutions transitoires, mais qui nous permettront d'acquérir des expériences pratiques qui seront très précieuses pour la solution finale à venir de la question juive. »

Dénombrement de la population juive selon le protocole de Wannsee
Pour les négationnistes, la conférence n’a porté que sur l’évacuation des Juifs vers l’Est et non sur leur extermination ; les propos de Heydrich sur le sort qui attend les personnes évacuées sont pourtant clairs.
« Au cours de la solution finale, les Juifs de l'Est devront être mobilisés pour le travail avec l'encadrement voulu. En grandes colonnes de travailleurs, séparés par sexe, les Juifs aptes au travail seront amenés à construire des routes dans ces territoires, ce qui sans doute permettra une diminution naturelle substantielle de leur nombre.
Pour finir, il faudra appliquer un traitement approprié à la totalité de ceux qui resteront, car il s'agira évidemment des éléments les plus résistants, puisque issus d'une sélection naturelle, et qui seraient susceptibles d'être le germe d'une nouvelle souche juive, pour peu qu'on les laisse en liberté. »

Aucun des participants n’a pu ne pas comprendre la teneur des propos d’Heydrich. Comme le souligne Christopher Browning, « ce ne sont pas des gens incultes incapables de comprendre ce qu'on leur dit ; ils ne vont pas non plus être dépassés par la surprise ou le choc parce que Heydrich ne parle pas à des non-initiés ou à des personnes délicates.» Toujours selon Heydrich, au cours de l'exécution pratique de la solution finale, l'Europe sera passée au peigne fin d'ouest en est. L'opération débutera sur le territoire du Reich, y compris le protectorat de Bohême-Moravie, à cause de la situation du logement et de la spécificité sociopolitique du Reich. Les Juifs évacués seront d’abord envoyés dans des ghettos de transit dans le Gouvernement général, avant d’être déportés plus à l’Est. Cette priorité découle des pressions croissantes exercées par les autorités locales nazies, dont les Gauleiters, qui insistent pour que les Juifs soient retirés de leurs territoires, pour permettre le logement des familles devenues sans abri, suite aux bombardements alliés et celui des travailleurs forcés provenant des pays occupés.

Afin d’éviter de nombreuses interventions, les Juifs âgés de plus de soixante-cinq ans, grands invalides de guerre ou décorés de la croix de fer, seront déportés vers le ghetto de Theresienstadt.

Heydrich aborde ensuite assez longuement la situation des Mischling, soit les personnes considérées selon les théories racistes nazies, comme des demi-Juifs ou quarts-de-Juifs, ainsi que celle des personnes juives mariées à des personnes non juives. Les Lois de Nuremberg étant assez floues sur ces différentes catégories, Heydrich précise clairement le sort qui leur est réservé avec beaucoup de détails, et en prévoyant de nombreuses exceptions.

Il faut en outre observer que ces mesures détaillées et ces exemptions ne s’appliquent qu’aux Juifs du Reich et ne sont que partiellement observées. Dans la plupart des pays occupés et surtout à l’Est, les Juifs sont arrêtés, déportés et exterminés en masse. La situation en France constitue une exception : en échange de sa collaboration le régime de Vichy est autorisé à appliquer ses propres règles, qui s’appliquent plus durement aux réfugiés et immigrés récents qu’aux Juifs de nationalité française ; de ce fait, pour Heydrich, l’enregistrement des Juifs pour leur déportation ne devrait pas soulever de grandes difficultés, qu’il s’agisse de la zone occupé ou de celle contrôlée par Vichy.

Entrée du camp, dans la forteresse de Theresienstadt

Les Allemands craignent des difficultés avec certains de leurs alliés, la Roumanie et la Hongrie. Selon Heydrich, le gouvernement roumain vient de se doter d’une commission aux affaires juives ; dans les faits, et malgré le fort antisémitisme de la population, la déportation des Juifs roumains sera lente et inefficace. En ce qui concerne la Hongrie, Heydrich préconise de forcer rapidement son gouvernement à accepter un conseiller allemand pour y régler la question juive ; jusqu’à sa mise à l’écart en 1944, le gouvernement dirigé par Miklós Horthy continuera à s’opposer à toute ingérence allemande dans sa politique juive ; Horthy mis à l’écart, 500 000 Juifs hongrois seront envoyés à la mort sur l’ordre direct d’Eichmann.

L’exposé de Heydrich dure près d’une heure. Suivent ensuite une trentaine de minutes de questions et de commentaires, suivis par quelques conversations informelles centrées, d'après le témoignage d'Eichmann, sur les méthodes de tuerie. Le représentant du ministère des Affaires étrangères, Luther, insiste sur la prudence à observer dans les pays scandinaves, dont la population n’a pas de sentiment d’hostilité à l’égard des petites communautés juives et qui risque de réagir face à des scènes déplaisantes. Au Danemark, grâce à la ferme opposition du roi et de la population, peu de Juifs seront déportés.

Hofmann et Stuckart soulignent les difficultés juridiques et administratives dans le cas des mariages mixtes, plaidant pour une annulation d’office de ceux-ci et pour un usage à grande échelle de la stérilisation comme alternative à la déportation. Neumann, représentant de Göring pour le Plan de quatre ans, demande l’exemption des Juifs qui travaillent dans des industries vitales pour l’effort de guerre et dont le remplacement n’est pas possible : Heydrich qui ne souhaite pas offenser Göring assure Neumann que ces travailleurs ne seront pas déportés. Les questions plus détaillées sur le sort des Mischling et des mariages mixtes sont renvoyées à des réunions ultérieures.

Selon les notes prises par Eichmann, la dernière intervention fut celle du secrétaire d'État, le Dr. Bühler, représentant du Gouverneur général Hans Frank. Il déclare : « Le Gouvernement général serait heureux de voir commencer sur son territoire la solution finale de cette question. Là en effet le problème des transports ne présente pas de difficultés excessives et le déroulement de l'opération ne serait pas gêné par des considérations de main-d'œuvre. Il faut éliminer le plus vite possible les Juifs de cette région : le Juif en tant qu'agent de contagion y représente un danger particulier et la continuation de son commerce interlope apporte un élément constant de désordre dans la situation économique du pays. De plus sur les deux millions et demi de Juifs en question, la majorité est inapte au travail. Il faut que l'on résolve le plus vite possible la question juive dans cette région ».

La conférence de Wannsee sera suivie par plusieurs autres réunions auxquelles participent des responsables de rang inférieur. Une réunion est organisée aux ministère des Territoires occupés de l’Est, le 29 janvier 1942, au cours de laquelle il est décidé que quiconque ayant eu la citoyenneté russe ou ayant été apatride soit défini comme Juif s’il admet l’être, s’il est reconnu comme Juif par la communauté juive, si son appartenance au judaïsme résulte d’autres circonstances ou s’il a un parent défini comme Juif par l’un des trois critères définis ci-dessus. Cette réunion est suivie par dix-sept autres, qui concernent la totalité de l’appareil administratif et répressif nazi, à l’exception du ministère de la Propagande.

« En mars 1942, la connaissance de la Solution finale a pénétré profondément, bien que de manière inégale, au sein de la bureaucratie allemande où cette information suscite une volonté de contribuer — selon les termes de Rosenberg — à la « tâche historique » que « le destin a confiée » à l’Allemagne nazie».

Objectifs
La conférence de Wannsee ne dure que quatre-vingt-dix minutes, et, pour la plupart des participants, il ne s’agit que d’une réunion parmi d’autres au cours d’une semaine chargée. L’énorme importance accordée à celle-ci par des auteurs d’après-guerre n'est pas comprise par ses participants de l’époque.
Aucune décision fondamentale concernant l’extermination des Juifs n’est prise lors de cette conférence, de telles décisions ne dépendant que de Hitler, éventuellement en concertation avec ses principaux adjoints comme Göring et Himmler, et non avec de hauts fonctionnaires, comme le savent les personnes présentes à Wannsee. Elles savent également qu’une telle décision a déjà été prise et que Heydrich, en tant que représentant de Himmler, est là pour le leur faire savoir. De plus, la conférence ne débouche pas non plus sur l’élaboration d’une planification logistique détaillée, ce qui aurait été par ailleurs difficile en l’absence d’un représentant du ministère des Transports ou des chemins de fer.

Reinhard Heydrich en 1940.
Selon l’un des biographes d’Eichmann, David Cesarini, le but principal de la réunion est de permettre à Heydrich d’asseoir son autorité sur les différents ministères et institutions impliqués dans la politique à l’égard des Juifs, pour éviter la répétition des problèmes causés par l’assassinat de Juifs allemands à Riga en octobre 1941. « La manière la plus simple et la plus décisive par laquelle Heydrich pourrait assurer le flux régulier des déportations était d’affirmer son total contrôle sur le destin des Juifs du Reich et de l’Est en intimidant les autres parties concernées pour qu’elle suivent la ligne fixée par le RSHA». Cette analyse explique pour quelle raison la plus grande partie de la conférence se réduit à un long monologue de Heydrich, dont le contenu n’est pas nouveau pour la majorité des participants, et pourquoi si peu de temps est consacré aux questions pratiques. Un autre objectif consiste en l’obtention de l’accord des représentants des ministères des Affaires étrangères et du Plan de quatre ans, qui étaient les plus susceptibles de soulever des objections à l’assassinat en masse des Juifs, pour des raisons économiques ou diplomatiques

L’historien allemand Peter Longerich adhère à ces hypothèses, mais y ajoute un objectif supplémentaire : rendre les principaux ministères complices des projets de Heydrich. « Du point de vue de Heydrich, les principaux objectifs de la conférence étaient, premièrement, d’établir le contrôle total du programme de déportation par le RSHA sur de nombreuses et importantes autorités du Reich, et ensuite, de faire des hauts responsables de la bureaucratie des différents ministères des complices, des auxiliaires et des coresponsables du plan qu’il poursuivait. Pour rappel : le plan consistait à déporter les Juifs des zones sous contrôle allemand, vers l’Est, où ils seraient exposés à des conditions de vie extrêmement sévères et fatalement morts d’épuisement ou assassinés. Heydrich poursuivait ce plan depuis début 1941 ; en juillet 1941, Göring lui donna l’autorité nécessaire pour le mener à bien, et, avec les premières déportations de Juifs d’Europe centrale en octobre, la première phase de ce plan fut réalisée. Lors de la première invitation à la conférence, Heydrich avait attendu jusqu’à ce que la seconde vague de déportation vers Riga, Minsk et Kovno ait débuté. Il voulait clairement placer les représentants des plus hautes autorités du Reich devant un fait accompli.»
Source
Adolf Eichmann lors de son procès à Jérusalem, en 1961.

Le procès-verbal d'Adolf Eichmann, dont des copies sont envoyées par Eichmann à tous les participants après la réunion est le document sur lequel s'organise la réflexion à propos de la conférence. La plupart de ces exemplaires sont détruits à la fin de la Seconde Guerre mondiale quand les participants et d'autres responsables cherchent à dissimuler leurs actes. Ce n'est qu'en 1947 qu'une copie du procès-verbal, aussi connue comme le « Protocole de Wannsee », est retrouvée par Robert Kempner dans les archives de Martin Luther, mort en mai 1945. À ce moment, les participants les plus importants à la réunion, tels que Heydrich, Müller, Freisler, Meyer ou Eichmann sont morts ou disparus ; la plupart des autres participants nient avoir eu connaissance de l'évènement ou font valoir qu'ils ne peuvent pas se souvenir de ce qui s'est passé là-bas. Seul Kritzinger montrera de véritables remords pour son rôle dans la préparation de la Solution finale.

Selon l'historien Christopher Browning, Joseph Goebbels, dont les services n'assistaient pas à la conférence de Wannsee, ne reçut qu'une version expurgée du procès-verbal. En effet, il notait le 7 mars 1942 dans son journal : « Je lis un mémorandum détaillé du SD et de la police sur la solution finale de la question juive. […] Il reste encore 11 millions de juifs en Europe. Ils devront ultérieurement être concentrés dans un premier temps à l'Est ; on pourra éventuellement leur attribuer une île après la guerre, comme Madagascar. »

Le texte du procès-verbal, tel que découvert par Kempner, comporte d'importantes omissions, lesquelles ne furent mises en évidence qu'en 1962, au cours du procès d'Eichmann en Israël. Eichmann y affirme que, vers la fin de la réunion, du cognac a été servi, et la conversation est alors devenue moins retenue. Il explique : « Ces Messieurs étaient debout ensemble, ou assis, et discutaient du sujet sans mettre de gants, d'une manière très différente du langage que j'ai dû utiliser plus tard dans le rapport. […] Ils ont parlé de méthodes pour tuer, de liquidation, d'extermination. »

Eichmann souligne que Heydrich a été heureux de la façon dont se déroulait la réunion. Il exprima sa grande satisfaction, et s'est accordé à lui-même un verre de cognac, bien qu'il bût rarement. Il avait prévu des écueils et des difficultés, rappelle Eichmann, mais il avait trouvé un climat propice à l'accord de la part des participants, et plus que cela, l'accord a pris une forme inattendue. À l'issue de la réunion, Heydrich donne à Eichmann des instructions strictes sur ce qui doit figurer dans le procès-verbal, qui ne doit pas être un verbatim. Eichmann doit nettoyer le texte, afin que rien ne soit trop explicite. Il dit à son procès : « Comment aurais-je pu rendre dans le vocabulaire officiel qui était le mien, des conversations plus que franches et des expressions relevant du jargon». En conséquence, les vingt dernières minutes de la séance, durant lesquelles furent utilisés librement des mots comme « liquidation » et « extermination », sont résumées par la phrase : « En conclusion, les différents types de solutions possibles ont été discutés ». Ainsi, pour avoir une idée aussi proche que possible des propos réellement tenus, le procès-verbal doit être lu avec la connaissance du témoignage d'Eichmann à son procès.

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 Sujet du message : Re: Le "mythe" de Wannsee
Message Publié : 24 Mars 2015 18:43 
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@ Elviktor : pourriez-vous mettre vos citations dans des balises quotes (ou citer, si vous préférez le français) pour respecter les règles des droits d'auteurs. D'avance merci.

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