cush a écrit :
Je ne parle que pour moi mais le fait marquant de Wannsee, c'est de faire entrer le "monde civil" (membres du gouvernement, fonctionnaires) de plein pied dans la Shoah alors que celle ci n'était jusqu'à présent que le fait des SS et des militaires. En gros de donner à la Shoah un cadre "légal", en faire un instrument de pouvoir au même titre que les infractions au code de la route.
Wikipedia a écrit :
La conférence de Wannsee réunit dans une villa de Berlin, le 20 janvier 1942, quinze hauts responsables du Troisième Reich, pour débattre de l'organisation administrative, technique et économique de la solution finale à la question juive, voulue par Adolf Hitler et mise en œuvre, sur ses instructions, par Hermann Göring, Heinrich Himmler, Reinhard Heydrich et Adolf Eichmann.
Au moment où la conférence se tient, la Shoah a débuté depuis déjà plusieurs mois : la déportation des Juifs du Reich a commencé, les Einsatzgruppen exécutent les Juifs par centaines de milliers en URSS, le camp d'extermination de Chełmno est en activité et les autres centres de mise à mort sont en construction ou en projet.
Présidée par Reinhard Heydrich, la conférence dure moins de deux heures. Si elle est brève et n'est pas marquée par des décisions fondamentales, elle constitue une étape décisive dans la réalisation de la Shoah, en entérinant d'une part le contrôle total de la SS sur la mise en œuvre de l’extermination du peuple juif, d'autre part le rôle de Heydrich en tant que maitre-d'œuvre dans le processus destructeur puis en exigeant la collaboration sans entraves et le soutien sans failles de l'ensemble de l'appareil d'État.
Contexte
Mesures antisémites du régime nazi avant-guerre
La conférence de Wannsee ne peut être isolée de la volonté d'exclure la population juive de la société allemande, qui se traduit dans les faits, dès l'arrivée des nazis au pouvoir, et s'amplifie de l'année 1933 au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.
Les adjoints immédiats d’Hitler, Göring et Heinrich Himmler, SS-Reichsführer, considèrent cette déclaration, comme d’autres propos tenus à la même époque par le Führer, et dont la plupart n’ont été rapportés que lors des procès d’après-guerre, comme une autorisation de procéder à une solution finale de la question juive plus radicale, incluant notamment la déportation de tous les Juifs présents dans les territoires occupés par l’Allemagne.
Au cours de l'invasion de l'Union Soviétique, 2 500 000 Juifs se retrouvent, au fil des avancées des armées allemandes, sous la domination nazie. Formés dès le printemps 1941, soit avant l'invasion, quatre Einsatsgruppen suivent la progression de la Wehrmacht et commettent des massacres à grande échelle qui visent, selon Heydrich « tous les fonctionnaires du Komintern, la plupart de ceux-ci devant être des politiciens de carrière ; les fonctionnaires de haut rang et de rangs intermédiaires ainsi que les extrémistes du parti communiste, du comité central et des comités régionaux et locaux ; les commissaires du peuple ; les Juifs occupant des fonctions au sein du parti communiste ou du gouvernement, ainsi que tous les autres éléments extrémistes, saboteurs, propagandistes, francs-tireurs, assassins, agitateurs13… » Les tueries se concentrent rapidement sur les Juifs, tout d'abord sur les adultes de sexe masculin, puis à partir d'août 1941N 8, à l'ensemble de la population juive, sans distinction de sexe ou d'âge et sans aucun lien avec une éventuelle fonction au sein du parti communiste
Göring est à cette époque le personnage le plus puissant du régime nazi après Adolf Hitler ; il a reçu le grade spécifique de Reichsmarschall et est désigné comme le successeur du Führer. Pour Heydrich, toute instruction de Göring est soutenue par l’autorité de Führer ; Heydrich sait également que son supérieur immédiat, Himmler, est en faveur de l’extermination des Juifs. De plus, à cette époque, il a mis en place et commande les Einsatzgruppen qui ont entrepris l’assassinat en masse de la population juive des territoires récemment conquis en Union soviétique. Selon Rudolf Lange, commandant de l’Einsatzkommando 2 qui opère en Lettonie, ses ordres portent sur une solution radicale du problème juif, via l’exécution de tous les Juifs16. En octobre commence la déportation vers l’Est des Juifs d’Allemagne, d’Autriche et de Tchécoslovaquie ; lorsque les trains chargés de déportés arrivent en Lettonie, Lange fait abattre tous les passagers. Mais cette méthode d’assassinat par fusillade s’avère rapidement impraticable pour le massacre de millions de personnes : le coût en munitions est inacceptable, et les SS éprouvent des problèmes psychologiques.
Planification de la conférence
Lettre de Reinhard Heydrich à Martin Luther, l'invitant à la conférence de Wannsee.
Le 31 juillet 1941, Göring signe un document qui lui est soumis par Reinhard Heydrich, numéro deux de la SS et chef du RSHA, qui étend les pouvoirs confiés à ce dernier depuis le 24 janvier 1939 pour résoudre le problème juif par l'émigration ou l'évacuation. Heydrich se voit chargé de faire tous les préparatifs nécessaires pour la solution totale de la question juive dans tous les territoires sous contrôle allemand, de coordonner la participation des organisations dont les juridictions sont concernées et de soumettre un projet global pour la solution finale de la question juive (Endlösung der Judenfrage).
Au cours de la seconde moitié de l’année 1941, Heydrich et son état-major travaillent sur des projets d’évacuation des Juifs de tous les territoires occupés par l’Allemagne vers des camps de travail en Pologne ou plus à l’Est, en Union soviétique, dont il pense que la conquête sera bientôt terminée : ceux qui sont incapables de travailler seront assassinés, les autres exterminés par le travail. La défaite allemande devant Moscou au cours des mois de novembre et décembre conduit à une large révision des priorités : l’euphorie cède la place à la perspective d’une guerre de longue durée et au constat que les réserves de nourriture ne suffiront pas à alimenter la population de l’Allemagne et de l’Europe occupéeN 10.
Dès novembre 1941, il devient clair que les responsables nazis savent que Adolf Hitler a l'intention d'expulser tous les Juifs d'Europe vers les territoires de l'Est et de les y faire assassiner.
Mener à bien une telle entreprise impliquant l'enregistrement et le transport de millions de personnes, à un moment où les ressources matérielles et humaines nécessaires sont déjà gravement compromises, est un formidable défi logistique. Afin d'éviter que certains éléments de l'appareil d'État ne fassent obstacle ou refusent de coopérer à la «solution finale de la question juive», il est décidé d'inviter à une réunion les représentants de tous les ministères concernés afin de leur exposer les projets en cours et la méthode à mettre en œuvre pour leur exécution, en précisant qu'il s'agit d'une décision de la plus haute autorité du Reich.
Le 29 novembre 1941, Reinhard Heydrich, représentant d'Himmler en son absence, envoie une invitation pour une réunion prévue le 9 décembre 1941 au siège de la Commission internationale de police criminelle — une sorte de précurseur de l'Interpol dont Heydrich est à l'époque le président —, au 16 Am Kleinen Wannsee, dans le cadre confortable d'une villa, au bord du lac à l'extrémité ouest de Berlin. Il joint à cette invitation une copie de la lettre de Hermann Göring du 31 juillet pour souligner son autorité en la matière.
Les développements du début de décembre 1941, perturbent les plans initiaux. Le 5 décembre, l'Armée rouge lance une contre-offensive à Moscou, mettant fin à la perspective d'une conquête rapide de l'Union des républiques socialistes soviétiques ; le 7 décembre, les Japonais attaquent les États-Unis à Pearl Harbor, ce qui provoque, le lendemain, l'entrée en guerre des États-Unis contre le Japon. Pour s'acquitter de ses obligations en vertu de son pacte tripartite avec l'Italie et le Japon, le gouvernement du Troisième Reich prépare immédiatement une déclaration de guerre aux États-Unis, le 11 décembre. Certains invités de la réunion participent à ces préparatifs, et le 8 décembre, Heydrich reporte la réunion, sans déterminer de nouvelle date. Au début du mois de janvier 1942, Heydrich envoie de nouvelles invitations à une réunion fixée au 20 janvier. Pour l'historien allemand Christian Gerlach, le report de la réunion par Heydrich a pour but d'en élargir l'objectif initial. Selon Götz Aly, par contre, il est causé par la confusion qui suit l'attaque japonaise sur Pearl Harbor. Toujours selon Gerlach, l'objectif initial de la conférence de Wannsee ne portait que sur la déportation des Juifs du Reich ; ce n'est qu'après le discours d'Adolf Hitler du 21 décembre 1941 qu'Heydrich peut élargir le thème de la réunion pour la consacrer à la solution finale de la question juive19.
Le lieu de la conférence est changé pour une villa au 56-58 Am Grossen Wannsee, une rue résidentielle tranquille, à Wannsee. La villa Marlier, construite en 1914, a été acquise par la SS en 1940 pour l'utiliser comme un centre de conférence.
Participants
Comme il s'agit d'une réunion destinée à discuter de la mise en œuvre d'une décision déjà prise au niveau politique, dont l'étendue est vaste, les invités de Heydrich sont, à l'exception d'Eichmann et du Dr Lange, parmi les plus hauts fonctionnaires du Reich ; on peut en particulier relever que « pas moins de huit participants sur quinze sont titulaires d’un doctorat». En outre, au moins deux des participants — Lange et Schöngarth — ont eu un contact direct sinon très proche avec les massacres déjà commis dans le cadre de la Shoah par balles : ils ont donc une expérience indéniable dans la manière de tuer en masse.
Pour chaque personne, en fin de ligne, entre parenthèses suivant la flèche « → », est indiqué le supérieur hiérarchique du participant concerné (en général « au rang N », sinon « au rang N+1 ») ; est aussi précisé si ce supérieur participe également à la présente réunion. Si Heydrich est dans la ligne hiérarchique, son nom a été mentionné. Il est aussi indiqué si le supérieur a rang de ministre du Reich ou s'il est en contact direct avec le Führer.
Reinhard Heydrich, SS-Obergruppenführer, chef du RSHA, qui préside la réunion (→ Heinrich Himmler, rang de ministre)
Adolf Eichmann, SS-Obersturmbannführer, chef du bureau IV B-4 (Judenangelegenheiten, Affaires juives) de la Gestapo (RSHA), qui rédige les notes de la conférence (→ Heinrich Müller, présent, → Reinhard Heydrich, présent)
Dr Josef Bühler, StaatssekretärN 13, Gouvernement général de Pologne (→ Dr Hans Frank, rang de ministre)
Dr Roland Freisler, Staatssekretär, ministère de la Justice (→ Franz Schlegelberger, ministre)
Otto Hofmann, SS-Gruppenführer, Chef du Bureau pour la race et le peuplement (RuSHA) (→ Heinrich Himmler, rang de ministre)
Dr Gerhard Klopfer, SS-Oberführer, secrétaire permanent à la chancellerie du parti (→ Martin Bormann, en contact direct avec Hitler)
Dr Friedrich Wilhelm Kritzinger, secrétaire permanent de la chancellerie du Reich (→ Dr Hans Lammers, en contact direct avec Hitler)
Dr Rudolf Lange, SS-Sturmbannführer, Kommandeur der SP und des SD (KdS) — chef de la SiPo et du SD (RSHA) — à Riga, Lettonie (→ Franz Walter Stahlecker, Befehlshaber der SP und des SD (BdS) Ostland → Reinhard Heydrich, présent)
Dr Georg Leibbrandt, Staatssekretär, représentant du ministère des Territoires occupés de l'Est (→ Alfred Rosenberg, ministre, aux pouvoirs néanmoins limités)
Martin Luther, Unterstaatssekretär, ministère des Affaires étrangères (→ Joachim von Ribbentrop, ministre)
Dr Alfred Meyer, Gauleiter des Gaus Westfalen-Nord (de Westphalie du Nord) et Staatssekretär, adjoint de Rosenberg au ministère des Territoires occupés de l'Est (→ Alfred Rosenberg, ministre, aux pouvoirs néanmoins limités)
Heinrich Müller, SS-Gruppenführer, chef de la Gestapo (RSHA) (→ Reinhard Heydrich, présent)
Erich Neumann, Staatssekretär, Beauftragter für den Vierjahresplan — représentant du Plan quadriennal — (→ Hermann Göring, rang de ministre) ; il représentait ainsi en outre les ministères de l'Économie, du Travail, des Transports et de l'Armement
Dr Karl Eberhard Schöngarth, SS-Oberführer, Befehlshaber der SP und des SD (BdS) — chef de la SiPo et du SD (RSHA) — au Gouvernement général de Pologne (→ Reinhard Heydrich, présent)
Dr Wilhelm Stuckart, Staatssekretär, ministère de l'Intérieur (→ Wilhelm Frick, ministre)
Déroulement de la conférence
Reinhard Heydrich ouvre la conférence en rappelant les mesures antisémites prises en Allemagne depuis l’arrivée des nazis au pouvoir en 1933. Il souligne qu’entre 1933 et 1941, 530 000 Juifs ont émigré d’Allemagne et d’Autriche ; cette information est tirée d’un document préparatoire rédigé la semaine précédente par Adolf Eichmann, qui fort de son expérience dans l’organisation de l’émigration forcée des Juifs autrichiens en 1938, est devenu le principal expert en ce qui concerne la mise en œuvre de la solution de la question juive22. Heydrich chiffre le nombre de Juifs vivant en Europe et dans l'empire colonial français en Afrique du Nord (Maroc, Algérie, Tunisie - mentionnés comme vivant dans « France /territoires non-occupés ») à approximativement onze millions de personnes, dont un peu plus de la moitié vivent dans des pays ou des territoires qui ne sont pas sous contrôle allemand. Et Heydrich de poursuivre : « désormais, à la place de l'émigration, la prochaine solution à envisager, avec l'aval préalable du Führer, est l'évacuation des Juifs vers l'est. Ces actions sont toutefois à considérer uniquement comme des solutions transitoires, mais qui nous permettront d'acquérir des expériences pratiques qui seront très précieuses pour la solution finale à venir de la question juive. »
Dénombrement de la population juive selon le protocole de Wannsee
Pour les négationnistes, la conférence n’a porté que sur l’évacuation des Juifs vers l’Est et non sur leur extermination ; les propos de Heydrich sur le sort qui attend les personnes évacuées sont pourtant clairs.
« Au cours de la solution finale, les Juifs de l'Est devront être mobilisés pour le travail avec l'encadrement voulu. En grandes colonnes de travailleurs, séparés par sexe, les Juifs aptes au travail seront amenés à construire des routes dans ces territoires, ce qui sans doute permettra une diminution naturelle substantielle de leur nombre.
Pour finir, il faudra appliquer un traitement approprié à la totalité de ceux qui resteront, car il s'agira évidemment des éléments les plus résistants, puisque issus d'une sélection naturelle, et qui seraient susceptibles d'être le germe d'une nouvelle souche juive, pour peu qu'on les laisse en liberté. »
Aucun des participants n’a pu ne pas comprendre la teneur des propos d’Heydrich. Comme le souligne Christopher Browning, « ce ne sont pas des gens incultes incapables de comprendre ce qu'on leur dit ; ils ne vont pas non plus être dépassés par la surprise ou le choc parce que Heydrich ne parle pas à des non-initiés ou à des personnes délicates.» Toujours selon Heydrich, au cours de l'exécution pratique de la solution finale, l'Europe sera passée au peigne fin d'ouest en est. L'opération débutera sur le territoire du Reich, y compris le protectorat de Bohême-Moravie, à cause de la situation du logement et de la spécificité sociopolitique du Reich. Les Juifs évacués seront d’abord envoyés dans des ghettos de transit dans le Gouvernement général, avant d’être déportés plus à l’Est. Cette priorité découle des pressions croissantes exercées par les autorités locales nazies, dont les Gauleiters, qui insistent pour que les Juifs soient retirés de leurs territoires, pour permettre le logement des familles devenues sans abri, suite aux bombardements alliés et celui des travailleurs forcés provenant des pays occupés.
Afin d’éviter de nombreuses interventions, les Juifs âgés de plus de soixante-cinq ans, grands invalides de guerre ou décorés de la croix de fer, seront déportés vers le ghetto de Theresienstadt.
Heydrich aborde ensuite assez longuement la situation des Mischling, soit les personnes considérées selon les théories racistes nazies, comme des demi-Juifs ou quarts-de-Juifs, ainsi que celle des personnes juives mariées à des personnes non juives. Les Lois de Nuremberg étant assez floues sur ces différentes catégories, Heydrich précise clairement le sort qui leur est réservé avec beaucoup de détails, et en prévoyant de nombreuses exceptions.
Il faut en outre observer que ces mesures détaillées et ces exemptions ne s’appliquent qu’aux Juifs du Reich et ne sont que partiellement observées. Dans la plupart des pays occupés et surtout à l’Est, les Juifs sont arrêtés, déportés et exterminés en masse. La situation en France constitue une exception : en échange de sa collaboration le régime de Vichy est autorisé à appliquer ses propres règles, qui s’appliquent plus durement aux réfugiés et immigrés récents qu’aux Juifs de nationalité française ; de ce fait, pour Heydrich, l’enregistrement des Juifs pour leur déportation ne devrait pas soulever de grandes difficultés, qu’il s’agisse de la zone occupé ou de celle contrôlée par Vichy.
Entrée du camp, dans la forteresse de Theresienstadt
Les Allemands craignent des difficultés avec certains de leurs alliés, la Roumanie et la Hongrie. Selon Heydrich, le gouvernement roumain vient de se doter d’une commission aux affaires juives ; dans les faits, et malgré le fort antisémitisme de la population, la déportation des Juifs roumains sera lente et inefficace. En ce qui concerne la Hongrie, Heydrich préconise de forcer rapidement son gouvernement à accepter un conseiller allemand pour y régler la question juive ; jusqu’à sa mise à l’écart en 1944, le gouvernement dirigé par Miklós Horthy continuera à s’opposer à toute ingérence allemande dans sa politique juive ; Horthy mis à l’écart, 500 000 Juifs hongrois seront envoyés à la mort sur l’ordre direct d’Eichmann.
L’exposé de Heydrich dure près d’une heure. Suivent ensuite une trentaine de minutes de questions et de commentaires, suivis par quelques conversations informelles centrées, d'après le témoignage d'Eichmann, sur les méthodes de tuerie. Le représentant du ministère des Affaires étrangères, Luther, insiste sur la prudence à observer dans les pays scandinaves, dont la population n’a pas de sentiment d’hostilité à l’égard des petites communautés juives et qui risque de réagir face à des scènes déplaisantes. Au Danemark, grâce à la ferme opposition du roi et de la population, peu de Juifs seront déportés.
Hofmann et Stuckart soulignent les difficultés juridiques et administratives dans le cas des mariages mixtes, plaidant pour une annulation d’office de ceux-ci et pour un usage à grande échelle de la stérilisation comme alternative à la déportation. Neumann, représentant de Göring pour le Plan de quatre ans, demande l’exemption des Juifs qui travaillent dans des industries vitales pour l’effort de guerre et dont le remplacement n’est pas possible : Heydrich qui ne souhaite pas offenser Göring assure Neumann que ces travailleurs ne seront pas déportés. Les questions plus détaillées sur le sort des Mischling et des mariages mixtes sont renvoyées à des réunions ultérieures.
Selon les notes prises par Eichmann, la dernière intervention fut celle du secrétaire d'État, le Dr. Bühler, représentant du Gouverneur général Hans Frank. Il déclare : « Le Gouvernement général serait heureux de voir commencer sur son territoire la solution finale de cette question. Là en effet le problème des transports ne présente pas de difficultés excessives et le déroulement de l'opération ne serait pas gêné par des considérations de main-d'œuvre. Il faut éliminer le plus vite possible les Juifs de cette région : le Juif en tant qu'agent de contagion y représente un danger particulier et la continuation de son commerce interlope apporte un élément constant de désordre dans la situation économique du pays. De plus sur les deux millions et demi de Juifs en question, la majorité est inapte au travail. Il faut que l'on résolve le plus vite possible la question juive dans cette région ».
La conférence de Wannsee sera suivie par plusieurs autres réunions auxquelles participent des responsables de rang inférieur. Une réunion est organisée aux ministère des Territoires occupés de l’Est, le 29 janvier 1942, au cours de laquelle il est décidé que quiconque ayant eu la citoyenneté russe ou ayant été apatride soit défini comme Juif s’il admet l’être, s’il est reconnu comme Juif par la communauté juive, si son appartenance au judaïsme résulte d’autres circonstances ou s’il a un parent défini comme Juif par l’un des trois critères définis ci-dessus. Cette réunion est suivie par dix-sept autres, qui concernent la totalité de l’appareil administratif et répressif nazi, à l’exception du ministère de la Propagande.
« En mars 1942, la connaissance de la Solution finale a pénétré profondément, bien que de manière inégale, au sein de la bureaucratie allemande où cette information suscite une volonté de contribuer — selon les termes de Rosenberg — à la « tâche historique » que « le destin a confiée » à l’Allemagne nazie».
Objectifs
La conférence de Wannsee ne dure que quatre-vingt-dix minutes, et, pour la plupart des participants, il ne s’agit que d’une réunion parmi d’autres au cours d’une semaine chargée. L’énorme importance accordée à celle-ci par des auteurs d’après-guerre n'est pas comprise par ses participants de l’époque.
Aucune décision fondamentale concernant l’extermination des Juifs n’est prise lors de cette conférence, de telles décisions ne dépendant que de Hitler, éventuellement en concertation avec ses principaux adjoints comme Göring et Himmler, et non avec de hauts fonctionnaires, comme le savent les personnes présentes à Wannsee. Elles savent également qu’une telle décision a déjà été prise et que Heydrich, en tant que représentant de Himmler, est là pour le leur faire savoir. De plus, la conférence ne débouche pas non plus sur l’élaboration d’une planification logistique détaillée, ce qui aurait été par ailleurs difficile en l’absence d’un représentant du ministère des Transports ou des chemins de fer.
Reinhard Heydrich en 1940.
Selon l’un des biographes d’Eichmann, David Cesarini, le but principal de la réunion est de permettre à Heydrich d’asseoir son autorité sur les différents ministères et institutions impliqués dans la politique à l’égard des Juifs, pour éviter la répétition des problèmes causés par l’assassinat de Juifs allemands à Riga en octobre 1941. « La manière la plus simple et la plus décisive par laquelle Heydrich pourrait assurer le flux régulier des déportations était d’affirmer son total contrôle sur le destin des Juifs du Reich et de l’Est en intimidant les autres parties concernées pour qu’elle suivent la ligne fixée par le RSHA». Cette analyse explique pour quelle raison la plus grande partie de la conférence se réduit à un long monologue de Heydrich, dont le contenu n’est pas nouveau pour la majorité des participants, et pourquoi si peu de temps est consacré aux questions pratiques. Un autre objectif consiste en l’obtention de l’accord des représentants des ministères des Affaires étrangères et du Plan de quatre ans, qui étaient les plus susceptibles de soulever des objections à l’assassinat en masse des Juifs, pour des raisons économiques ou diplomatiques
L’historien allemand Peter Longerich adhère à ces hypothèses, mais y ajoute un objectif supplémentaire : rendre les principaux ministères complices des projets de Heydrich. « Du point de vue de Heydrich, les principaux objectifs de la conférence étaient, premièrement, d’établir le contrôle total du programme de déportation par le RSHA sur de nombreuses et importantes autorités du Reich, et ensuite, de faire des hauts responsables de la bureaucratie des différents ministères des complices, des auxiliaires et des coresponsables du plan qu’il poursuivait. Pour rappel : le plan consistait à déporter les Juifs des zones sous contrôle allemand, vers l’Est, où ils seraient exposés à des conditions de vie extrêmement sévères et fatalement morts d’épuisement ou assassinés. Heydrich poursuivait ce plan depuis début 1941 ; en juillet 1941, Göring lui donna l’autorité nécessaire pour le mener à bien, et, avec les premières déportations de Juifs d’Europe centrale en octobre, la première phase de ce plan fut réalisée. Lors de la première invitation à la conférence, Heydrich avait attendu jusqu’à ce que la seconde vague de déportation vers Riga, Minsk et Kovno ait débuté. Il voulait clairement placer les représentants des plus hautes autorités du Reich devant un fait accompli.»
Source
Adolf Eichmann lors de son procès à Jérusalem, en 1961.
Le procès-verbal d'Adolf Eichmann, dont des copies sont envoyées par Eichmann à tous les participants après la réunion est le document sur lequel s'organise la réflexion à propos de la conférence. La plupart de ces exemplaires sont détruits à la fin de la Seconde Guerre mondiale quand les participants et d'autres responsables cherchent à dissimuler leurs actes. Ce n'est qu'en 1947 qu'une copie du procès-verbal, aussi connue comme le « Protocole de Wannsee », est retrouvée par Robert Kempner dans les archives de Martin Luther, mort en mai 1945. À ce moment, les participants les plus importants à la réunion, tels que Heydrich, Müller, Freisler, Meyer ou Eichmann sont morts ou disparus ; la plupart des autres participants nient avoir eu connaissance de l'évènement ou font valoir qu'ils ne peuvent pas se souvenir de ce qui s'est passé là-bas. Seul Kritzinger montrera de véritables remords pour son rôle dans la préparation de la Solution finale.
Selon l'historien Christopher Browning, Joseph Goebbels, dont les services n'assistaient pas à la conférence de Wannsee, ne reçut qu'une version expurgée du procès-verbal. En effet, il notait le 7 mars 1942 dans son journal : « Je lis un mémorandum détaillé du SD et de la police sur la solution finale de la question juive. […] Il reste encore 11 millions de juifs en Europe. Ils devront ultérieurement être concentrés dans un premier temps à l'Est ; on pourra éventuellement leur attribuer une île après la guerre, comme Madagascar. »
Le texte du procès-verbal, tel que découvert par Kempner, comporte d'importantes omissions, lesquelles ne furent mises en évidence qu'en 1962, au cours du procès d'Eichmann en Israël. Eichmann y affirme que, vers la fin de la réunion, du cognac a été servi, et la conversation est alors devenue moins retenue. Il explique : « Ces Messieurs étaient debout ensemble, ou assis, et discutaient du sujet sans mettre de gants, d'une manière très différente du langage que j'ai dû utiliser plus tard dans le rapport. […] Ils ont parlé de méthodes pour tuer, de liquidation, d'extermination. »
Eichmann souligne que Heydrich a été heureux de la façon dont se déroulait la réunion. Il exprima sa grande satisfaction, et s'est accordé à lui-même un verre de cognac, bien qu'il bût rarement. Il avait prévu des écueils et des difficultés, rappelle Eichmann, mais il avait trouvé un climat propice à l'accord de la part des participants, et plus que cela, l'accord a pris une forme inattendue. À l'issue de la réunion, Heydrich donne à Eichmann des instructions strictes sur ce qui doit figurer dans le procès-verbal, qui ne doit pas être un verbatim. Eichmann doit nettoyer le texte, afin que rien ne soit trop explicite. Il dit à son procès : « Comment aurais-je pu rendre dans le vocabulaire officiel qui était le mien, des conversations plus que franches et des expressions relevant du jargon». En conséquence, les vingt dernières minutes de la séance, durant lesquelles furent utilisés librement des mots comme « liquidation » et « extermination », sont résumées par la phrase : « En conclusion, les différents types de solutions possibles ont été discutés ». Ainsi, pour avoir une idée aussi proche que possible des propos réellement tenus, le procès-verbal doit être lu avec la connaissance du témoignage d'Eichmann à son procès.