Pierma a écrit :
Rémy N. a écrit :
Je prends note de la transposition du modèle des SAS au Vietnam et leurs échecs.
Je n'ai pas retrouvé l'article du colonel Goya, je lui ai laissé un message en espérant qu'il aura le temps de me donner le lien.
Le colonel Goya m'a répondu très rapidement, et transmis le texte de son article. Sympathique !
Au Vietnam, les SAS s'appelaient les CAP - Combined Action Platoons - et c'était une initiative du corps des Marines.
Je sais pas où héberger du texte et créer un lien, je vous donne le texte complet. (Désolé, c'est un peu long.)
Article du colonel Goya a écrit :
La guerre vraiment au milieu des populations
« La vraie guerre est parmi les gens et non parmi les montagnes »
Général (USMC) Victor Krulak
Les conflits de contre-guérilla laissent apparaître deux grands modes opératoires pour les forces régulières : des opérations de « va-et-vient » à partir de bases (reconnaissances en force, patrouilles, raids aéroterrestres, etc.) ou des opérations de présence permanente au sein de la population (postes en Indochine, GCMA, SAS en Algérie, etc.). Les actions militaires de la Coalition en Afghanistan relèvent actuellement presque entièrement du premier mode, en grande partie parce que celui-ci paraît plus sûr. L’Histoire militaire tend pourtant à montrer que le deuxième mode, sous certaines conditions, est non seulement plus efficace contre l’ennemi irrégulier mais également moins couteux en vie humaine et largement moins onéreux. A cet égard, l’expérience des Combined action platoons (CAP) durant la guerre du Vietnam est particulièrement intéressante car elle est une des seules, parmi ces opérations de présence, à avoir fait l’objet d’analyses scientifiques.
Naissance d’une innovation tactique
Dans les conflits au milieu des populations, il est important de bien analyser son ennemi. En 1964, lorsqu’il prend le commandement des forces américaines au Vietnam, le général Westmoreland, de l’US Army, considére le Viêt-cong (VC) comme un auxiliaire de l’armée nord-vietnamienne (ANV), à la manière des partisans soviétiques combattants en liaison avec l’Armée rouge. Il engage donc les forces américaines dans la recherche et la destruction de ces bandes armées sans se préoccuper du sort de la population sud-vietnamienne. De son côté, le Corps des Marines, qui prend en charge en 1965 la zone du Ier corps d’armée sud-vietnamien au Nord du pays, analyse le Viêt-cong comme un mouvement politique national qu’il faut couper de son soutien local. Tout en combattant les unités régulières VC-ANV, le général Walt du Corps des marines décide donc de s’intéresser aussi à la population et confie des zones de quadrillage à ses bataillons.
Les innovations militaires sont avant tout le fruit d’une forte incitation et de la possession d’informations pertinentes. En temps de paix, ce sont principalement les organes de réflexion institutionnels qui disposent de ces deux éléments. En temps de guerre et surtout de guerre d’un type nouveau comme au Vietnam, ce sont les unités qui ont des missions à remplir au contact de l’ennemi qui forment le moteur des évolutions. L’idée des Combined action platoons (CAP) naît ainsi du décalage entre les effectifs des bataillons de Marines déployés sur le terrain et la dimension de leurs zones de responsabilité. Un bataillon crée sa propre force de supplétifs volontaires, un autre entreprend d’entraîner plus efficacement les forces populaires (FP, milices villageoises sud-vietnamiennes) de son secteur. En s’inspirant surtout des méthodes utilisées par les Marines au Nicaragua de 1925 à 1933, le chef du 3e bataillon du 4e régiment propose de son côté d’injecter un groupe de combat (14 Marines et 1 infirmier de la Navy) dans chaque section des FP de son secteur (15 à 35 hommes au maximum).
Imprégné de la culture des « Banana wars » de l’entre deux-guerres, le commandement du Corps donne son accord à cette dernière idée et une première expérience débute en août 1965 dans la province de Phu Lai, près de la base de Danang, avec une section d’infanterie répartie dans quatre sections de FP. La mission de ces sections mixtes est triple :
- contrôler la zone peuplée et interdire son accès au Viet-cong,
- renseigner sur les besoins des populations et sur les activités de l’ennemi,
- former les forces populaires de manière à ce qu’elle puisse se passer des Américains
Cette première expérience permet de mettre en évidence les difficultés d’une telle « greffe » (langue, adéquation culturelle, décalage de combativité avec les FP) mais aussi des grandes potentialités de l’association des capacités tactiques américaines et de la connaissance du milieu des Vietnamiens.
Extension, transformation et blocage
Au début de 1966, le succès de ces premières CAP est tel qu’il est décidé d’en former quatre supplémentaires chaque mois avec des volontaires américains acceptant de passer au moins six mois dans un village vietnamien, quite à prolonger leur tour de service au Vietnam . Un premier bilan réalisé à la fin de l’année montre que la « zone CAP » est deux fois plus sécurisée que celle où les Américains ne pratiquent que du « search and destroy ». Le Viêt-cong n’y recrute pratiquement plus et ne peut plus y percevoir de taxes et de riz alors que l’administration du gouvernement républicain peut s’y exercer normalement. Le taux de désertion des FP y est resté pratiquement nul (contre plus de 15 % dans l’ensemble du Sud-Vietnam) et pour 6 Marines et 5 FP tués, 266 VC-ANV ont été éliminés. Il est vrai que les Communistes (entre 30 et 50 000 combattants dans la zone du Ier corps) ont été peu agressifs contre cette expérience, persuadés qu’elle échouerait d’elle-même par la maladresse des Américains.
En réalité ceux-ci sont très prudents et très progressifs dans leur insertion dans les villages (3 500 habitants en moyenne). Après deux semaines de stage dans l’école CAP, les Américains commencent par effectuer de pures opérations de sécurité en périphérie du village pour apprendre à communiquer avec les FP et connaître le milieu humain, physique et animal (le comportement des buffles par exemple). Ce n’est que dans un deuxième temps que les Américains pénètrent dans le village et y logent au milieu des habitants (en payant un loyer). Leur quotidien est fait de patrouilles-embuscades (la norme est de trois par jour dont deux de nuit), d’instruction mutuelle et de recueil de renseignements.
Une nouvelle évolution survient en octobre 1967 lorsque les CAP sont retirées du commandement des bataillons pour être intégrées dans une structure centralisée de compagnies (pour la coordination tactique) et de groupes (par le soutien logistique et la gestion des ressources humaines). L’ensemble est rattaché directement à l’état-major de la IIIe Marine amphibious force.
Lorsque débute l’offensive du Têt, fin janvier 1968, il existe plus de 80 CAP, fortes de presque 1 800 Américains et de plus de 3 000 Vietnamiens. A ce moment-là, les communistes ont compris la menace que celles-ci pouvait représenter et alors que les CAP ne protègent que 10 % de la population de la zone du Ier corps, ils concentrent contre elles près de 40 % de leurs attaques. Bien que leurs pertes soient lourdes (120 Marines tués en cinq mois ), aucune CAP n’est détruite grâce à la rapidité d’intervention des renforts et des appuis feux. A la fin de la bataille, pour éviter qu’elles ne constituent plus des cibles fixes à l’intérieur des villages, les CAP deviennent nomades. Leur vie est un peu plus rude et leur imprégnation dans le milieu humain un peu moins profond mais elles sont plus offensives et peuvent mieux utiliser la puissance de feu américaine en portant le combat hors des villages.
L’année 1969 est celle de la plus grande activité. Le nombre de CAP atteint la centaine répartie dans 14 compagnies et quatre groupes avec plus de 2 200 soldats américains et près du double de Vietnamiens. Chacune d’entre elles effectue dans l’année environ 1 500 patrouilles-embuscades pour éliminer en moyenne 24 ennemis, tués ou capturés, au prix d’un mort américain et d’un mort FP, soit un kill ratio identique aux sections composées de seuls Américains et cinq fois supérieur à celui des sections PF composées de seuls Vietnamiens. Un Américain inséré dans une CAP élimine donc deux fois plus d’ennemis (et pour un coût financier au moins trois fois inférieur) qu’un Américain agissant au sein d’une unité de combat purement nationale, tout en aidant la population et en instruisant les forces locales . Durant cette année 1969, les CAP représentent 1% des pertes totales américaines au cours de l’année 1969 pour environ 2 % des combattants. La protection invisible de la connaissance du milieu physique et du renseignement fourni par la population s’avère ainsi plus efficace que les murs des bases .
Grâce à cette protection, les pertes par mines et pièges sont marginales dans les CAP alors qu’elles représentent 30 % des pertes totales américaines. Grâce à elle encore, les CAP ont l’initiative des combats dans plus de 70 % des cas, ce qui suffit généralement à l’emporter, alors que la proportion est inverse avec les opérations de « va et vient » depuis les bases, ce que les bataillons américains sont obligés de compenser par une débauche de feux .
Le CAP décline très rapidement dans l’année 1970, en proportion du retrait militaire terrestre américain. La dernière est dissoute en mai 1971.
Il est intéressant de noter que malgré leur efficacité les CAP n’ont connu qu’une extension limitée en effectifs américains à l’équivalent de trois bataillons, exemple parfait d’innovation militaire performante étouffée par des considérations autres qu’opérationnelles. Par sa mixité de missions et de composition, les CAP se sont trouvées à la croisée de trois commandements hostiles : le commandement militaire sud-vietnamien qui n’aimait pas voir une partie de ses forces lui échapper, l’ambassadeur américain Robert Komer qui estimait avoir le monopole de tout ce qui relèvait de la pacification et le haut-commandement militaire américain au Vietnam qui dénonçait dans les CAP un gaspillage de moyens au détriment des opérations offensives de « recherche et destruction ». Plus profondément, comme le souligne Douglas Blaufarb dans The counterinsurgency era : US doctrine and performance (1977) : « Le commandement a été incapable d’admettre la conclusion implicite du succès du CAP qui était que les ressources immenses dont il disposait en équipement et technologie étaient inadaptées à ce type de guerre ».
L’idée des CAP a été reprise par les Marines lors de leur prise en compte de la province irakienne d’Anbar en avril 2004 avec un résultat d’abord très mitigé tant la situation était alors grave, le ressentiment anti-américain fort et les forces locales infiltrées. Mais l’expérience a été maintenue puis reprise par certaines grandes unités de l’US Army pour finir par s’imposer sous la forme de postes mixtes urbains permanents irako-américains. Cette proximité croissante, alors que parallèlement les djihadistes d’Al Qaïda devenaient de plus en plus odieux, a été un facteur essentiel du retournement sunnite de 2007 et du jugulement du chaos en Irak.
La méthode des unités mixtes ne suffit évidemment pas à vaincre une guérilla mais elle constitue, dans le système complet nécessaire à ce type de conflit, un instrument d’un rapport coût-efficacité remarquable autant qu’une aventure exaltante.