Darwin1859 a écrit :
La bourgeoisie a toujours été attirée par les idées socialistes. Vous ne découvrez sans doute pas que beaucoup de socialistes, et pas des moindres, sont, selon toute tentative de définition, des bourgeois. A commencer par Karl Marx, Jaurès (bourgeoisie de province), en passant par Léon Blum, jusqu'à Laurent Fabius, et pour rester dans la limite chronologique, les membres des gouvernements socialistes des années 80 (Jack Lang, Michel Rocard, Pierre Joxe, Martine Aubry, Roland Dumas, etc).
Il existe une bourgeoisie de droite et une bourgeoisie de gauche.
Ce qui est singulier à observer, c'est qu'elles ne s'auto-définissent pas du tout de la même manière, alors même que leurs comportements et leurs intérêts convergent en général.
Voici la définition de la bourgeoisie que donne l'historien des droites René Rémond:
Citer :
Un groupe intermédiaire entre la noblesse d'origine et ce qu'on appellerait les classes moyennes, qui est constitué au xve siècle ou au xvie siècle. (...) Ces familles sont presque toutes des dynasties provinciales dont l'ascension s'est tout entière accomplie dans leur région d'origine à laquelle elles sont généralement restées fidèles: aujourd'hui encore leurs descendants y sont présents. (...) Ces familles plongent leurs racines dans l'Ancien Régime. (...) Elles ont su assurer sur quatre ou cinq cents ans la transmission de leur héritage matériel comme de leur patrimoine de conviction et de valeur.
Voici à présent celle que donne Marc Bloch:
Citer :
J'appelle donc bourgeois de chez nous un Français qui ne doit pas ses ressources au travail de ses mains ; dont les revenus, quelle qu'en soit l'origine, comme la très variable ampleur, lui permettent une aisance de moyens et lui procurent une sécurité, dans ce niveau, très supérieures aux hasardeuses possibilités du salaire ouvrier ; dont l'instruction, tantôt reçue dès l'enfance, si la famille est d'établissement ancien, tantôt acquise au cours d'une ascension sociale exceptionnelle, dépasse par sa richesse, sa tonalité ou ses prétentions, la norme de culture tout à fait commune ; qui enfin se sent ou se croit appartenir à une classe vouée à tenir dans la nation un rôle directeur et par mille détails, du costume, de la langue, de la bienséance, marque, plus ou moins instinctivement, son attachement à cette originalité du groupe et à ce prestige collectif
On se frotte les yeux quand on pense que l'on est en train de définir le même mot, et dans une large mesure, caractériser les mêmes personnes.
Xavier de Montclos, qui a ré-édité les travaux de Rémond, a publié des études où il montre de très fortes continuités familiales bourgeoises du XVème au XXème siècle. C'est assez stupéfiant, pour tout dire. Et c'est le point commun aux deux définitions:
l'établissement ancienC'est pourquoi je pense que la date de 1945 choisie par Jérôme est excellente. Car je crois qu'il y a une cassure dans la deuxième moitié du XXème siècle. Le bourgeois d'après 1945 ne se targue plus du tout de l'établissement ancien de sa famille, qui était le premier motif de fierté chez ses prédécesseurs.
Imaginons un industriel des années 60 que l'on complimentait sur sa multinationale, il répondait fièrement: "oui, tout à commencé avec mon arrière-arrière-grand-père qui était charron au temps de Louis-Philippe".
Si l'on fait le même compliment aux grands propriétaires actuels du CAC 40, ils ne tiendront pas ce discours, alors même qu'un certain nombre sont d'authentiques rejetons de dynasties.
Et l'on revient à la question du
cultivé ou pas: qui dit culture dit exigence de la transmission. Avant 1945, les familles bourgeoises ont une forte pression dynastique. On transmet des parts de société, mais aussi des maisons, des valeurs, des réseaux, des stratégies matrimoniales, des savoir-être. La culture est un véhicule efficace pour transmettre ce corpus.
Avec l'individualisation des destinées, plus trop besoin de se cultiver.