Jerôme a écrit :
Le recours au bénévolat est une idée typiquement libérale - et même typiquement anglo-saxonne.
En France, progressistes et réactionnaires ont toujours défendu le recours à des professionnels bien organisés et financés sur fonds publics. Pour les réactionnaires, il s'agissait bien entendu de la fonction des congrégations religieuses. Pour les progressistes des mairies ou des organismes de sécurité sociale.
Heureusement non, ce n'est pas typiquement anglo-saxon, la France connait une très forte activité de bénévoles, qui n'a cessé de s'amplifier avec l'allongement de la durée de vie en bonne santé. (Pouzet souligne avec raison la forte proportion de retraités.)
Il y a cependant une différence marquée entre les pratiques sociales américaines et ce qui se fait en France, pour des raisons culturelles.
Les USA sont marqués par la culture protestante, qui crée une "obligation" d'aider son prochain, obligation qui naturellement s'étend aux plus fortunés, d'où le système juridique des fondations, par exemple. En revanche la culture américaine, qui valorise la capacité individuelle à s'en sortir, se montre très méfiante envers les aides sociales automatiques payées par l'impôt et par l'action de l'état fédéral en ce domaine. (Il suffit de voir le nombre d'Américains qui considère l'Obamacare comme un système communiste.)
La France, marquée par la culture catholique de la charité, ou encore par la solidarité mise en oeuvre à la base par le Parti communiste (Secours catholique / Secours populaire) se montre volontiers généreuse envers les associations, mais la majorité des Français considèrent que l'action sociale est un des devoirs de l'état. Nombreux sont ainsi les Français qui pensent que les Restos du Coeur sont une anomalie, pour une aide sociale dont l'état devrait normalement être responsable.
C'est à mon avis le résultat d'une histoire sociale où la charité catholique a longtemps fait office de "cache-misère" ou d'alibi à l'absence de lois sociales, à la grande fureur des politiques progressistes, qui n'ont fini par imposer la justice sociale pour tous, patronnée par l'Etat, qu'à l'occasion du gouvernement d'union nationale et du programme du CNR à la Libération, moment historique qui a durablement fixé l'idée qu'il n'y a pas de justice sociale sans état.
L'époque de la charité catholique et des dames patronnesses (au 19ème siècle spécialement) est restée dans les esprits comme une caricature d'action sociale, et l'on n'a pas oublié le cri de Victor Hugo : "Vous voulez la pauvreté secourue, je veux la misère supprimée".
A mon avis il fallait toute la popularité et le positionnement progressiste de Coluche pour faire accepter, et surtout pour susciter un tel engouement pour une action de solidarité publique basée sur l'initiative populaire. Plus qu'une évolution vers les pratiques américaines, je pense qu'il faut y voir une réconciliation de plus en plus marquée des Français avec les initiatives de solidarité individuelle, qui ont longtemps eu mauvaise presse pour leur côté "cureton". - Avec des exceptions telles que l'abbé Pierre.
(Pensez à Thérèse qui tricote des gants "pour les petits lépreux de Jakarta" : la charité peut encore être un sujet de plaisanterie.)
Cette époque est révolue, je pense, et si vous voulez voir un point commun avec les USA, Jérôme, je soulignerais le mouvement inverse, c'est à dire la méfiance de plus en plus marquée envers l'inefficacité de l'état, monstre froid et aveugle qui est jugé de plus en plus comme paperassier et "radin" - au point de s'abaisser à réduire de 5€ les aides au logement, une broutille choquante pour les ayant droit - et incapable de s'adapter rapidement à des besoins sociaux qui peuvent bouger très vite. (Par exemple, en ce moment, il ne viendrait à l'idée de personne de militer pour le vote de lois sociales spécifiques pour faire face aux "pauvretés Covid" : chacun sait que les associations seront efficaces beaucoup plus rapidement, auprès des étudiants dépourvus de mini-jobs, par exemple, et que c'est elles qu'il faut soutenir.)