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Que les diplômes soient signés par le souverain n'est pas étonnant. Sinon pourquoi maintenir la monarchie s'ils ne servent même pas à maintenir la fiction qu'ils règnent. Mais nul chroniqueur ne mentionne leur faits et gestes. Ce sont quasiment des ectoplasmes politiques dont le nom survit à peine.
Si les diplômes royaux ne suffisent plus à témoigner d'un pouvoir royal quelconque, autant dire que la qualification de Fainéant pourrait s'appliquer à n'importe lequel des souverains de notre histoire.
Les sources que nous possédons pour cette période sont essentiellement pro-carolingiennes et axent leur récit sur la montée en puissance de la famille des Pippinides, placée au sommet du pouvoir en nom et lieu des rois de pure souche mérovingienne. Leur contenu est, on s'en doute, largement relativisable puisque partial. Inutile de rappeler que la
Chronique du Pseudo-Frédégaire fut en partie rédigée (ou commandée) par Childebrand, propre demi-frère de Charles Martel.
La période Fainéante était autrefois répartie entre la fin du règne de Dagobert Ier et le dernier des Mérovingiens couronné, Childéric III. Le commencement de cette « ère de décadence » est aujourd'hui repoussé au troisième quart du VIIème siècle suite à une réhabilitation du rôle politique joué par certains rois de la « fin de race », Childéric II en tête. Or le fait que nous ne disposions d’aucune information (ou presque) sur ses successeurs ne saurait en rien prouver leur inexistence de la sphère politique, encore moins leur aliénation par des maires du Palais que les chroniques nous disent tous-puissants mais qui attendirent pourtant plus d’un siècle avant de s’emparer effectivement du pouvoir, au sens sacral du terme (rappelons que le coup d’Etat du pippinide Grimoald fut réduit à néant en 662 et sévèrement réprimé par les Mérovingiens, qui emprisonnèrent Childebert l’Adopté et persécutèrent sa sœur Wulfetrudis de Nivelles).
La conception d’un pouvoir accaparé intégralement par un parti dans l’attente d’une réelle intronisation semble plutôt anachronique et peu compatible avec ce que l’on sait de la mentalité de l’aristocratie médiévale de la période franque. On perçoit mal en effet les raisons politiques qui repoussèrent l’avènement des Carolingiens aux années 750 si le discrédit des descendants de Clovis remontait à plus de cent ans déjà. Leur éviction aurait dû se faire systématiquement, conformément aux traditions germaniques et comme ce fut d’ailleurs le cas aux siècles suivants avec les couronnements épisodiques des Robertiens puis des Capétiens du vivant même des descendants directs de Charlemagne.
Autre point d’importance pourtant négligé par bon nombre de nos manuels, celui de la perception symbolique que la famille parvenue des Carolingiens, issue des Maires du palais, pouvait entretenir et véhiculer à propos de ses prédécesseurs mérovingiens. Si Eginhard brosse un portrait peu flatteur des derniers rois chevelus, c’est bien parce qu’il met sa plume au service de son bienfaiteur, Charles le Grand, fils et neveu des usurpateurs Pépin le Bref et Carloman. Sa vision des choses, largement caricaturée du reste, ne doit cependant pas faire oublier que les Carolingiens se réclamaient eux-mêmes d’une ascendance mérovingienne, gage de légitimité et de continuité. Cette volonté de rattachement dynastique se retrouve notamment dans l’onomastique impériale, puisque certains noms purement mérovingiens furent récupérés et transmis à des rejetons carolingiens : Chlodovechus (Hludovicus, Louis), Chlothacharius (Hlotharius, Lothaire), etc. Par ailleurs certains liens interfamiliaux entre Pippinides et Mérovingiens semblent avoir existé depuis le VIIème siècle au moins. On sait ainsi que :
- la mère de Charlemagne, Berthe au Grand Pied (Bertrada de Laon), était la petite-fille de l’abbesse Bertrada de Prüm qui se rattachait très certainement à la dynastie mérovingienne.
-le roi Thierry III fut inhumé avec son épouse nommée Doda, un nom typiquement pippinide puisque déjà porté par la femme d’Arnulf de Metz (père d’Ansegisel et grand-père de Pépin de Herstal).
- l’épouse de Charles Martel, Rotrude (
Ruadtrud), était vraisemblablement une proche parente de la reine mérovingienne homonyme (
Rotrud) citée en 724 avec Thierry IV.
(cf. C. Settipani,
La Préhistoire des Capétiens, 1993.)
Au-delà de ces considérations généalogiques, notons que le fait de desservir l’autorité royale à certains membres de la très haute aristocratie ne témoigne certes pas d’une inertie personnelle proche de l’aliénation mentale, mais bien au contraire d’une volonté de co-partage du pouvoir qui reste difficilement interprétable, faute de sources impartiales.
L’Histoire, aussi stéréotypée soit-elle pour la période mérovingienne, ne saurait nous faire croire à plus de quatorze « ectoplasmes politiques » qui se seraient succédés sur plus d’un siècle (de 639 à 751) sans la moindre once de mouvement.