Sujet complété après le crash de Pâques.
vauvert a écrit :
Le problème de la définition de Marc Bloch, c'est qu'elle mêle deux choses, logiquement distinctes :
. le fait que le paysan doit du travail au seigneur, et non une part de sa production ou de l'argent.
. le fait que le seigneur est un vassal.
Pour le dire autrement, elle mêle le servage à la vassalité (ou féodalité). Dans un pays comme la France, les deux phénomènes ont été coïncidants. Mais ça n'a pas du tout été le cas dans le Centre et l'Est de l'Europe. En Russie par exemple, le servage a atteint son maximum de rigueur au XVIIIème siècle, en dehors de toute féodalité.
La cause de la régression de la féodalité est assez claire (c'est plutôt la cause de son apparation qui est difficile à comprendre). Disons qu'elle est un dépérissement extraordinaire de l'Etat central, et qu'on comprend assez bien comment celui-ci a repris le dessus, et comment le seigneur de Paris a pris l'ascendant sur le sire de Coucy.
La cause du dépérissement du servage, je la trouve mystérieuse. La cause de son apparition, pas très claire non plus.
Pour le dépérissement, je dirais que la cause est la même que celle du dépérissement de l'esclavage : un progrès de la conscience humaine. De même que c'était progressivement devenu moralement aberrant d'avoir des esclaves, c'est devenu progressivement moralement aberrant d'avoir des serfs.
Pour la coïncidence entre servage et féodalité, je dirais que le problème est celui-ci :
Dans la société traditionnelle, les paysans étaient profondément incapables de se coaliser dans des coalitions de grandes tailles. D'où la rareté de leurs révoltes, et la faiblesse de celles-ci (Jacquerie, Guerre des Paysans en Allemagne). Mais la seigneurie était un Etat (un quasi-Etat...) d'une taille exceptionnellement faible (quelques villages...). Comment se fait-il que les paysans n'arrivaient pas à imposer à leur seigneur un contrat qui leur fût plus favorable ? Comment se fait-il qu'ils aient été plus émancipés face à l'Etat que face à la seigneurie ?
Karolvs a écrit :
vauvert a écrit :
Comment se fait-il que les paysans n'arrivaient pas à imposer à leur seigneur un contrat qui leur fût plus favorable ?
Parce que le seigneur avait la force armée ?
Plantin-Moretus a écrit :
Citer :
Comment se fait-il que les paysans n'arrivaient pas à imposer à leur seigneur un contrat qui leur fût plus favorable ?
Parce qu’il y avait une solidarité du groupe des seigneurs face à leurs paysans ?
Citer :
Pour le dépérissement [du servage] , je dirais que la cause est la même que celle du dépérissement de l'esclavage : un progrès de la conscience humaine
Parce que cette solidarité s’est affaiblie quand certains seigneurs cherchaient à recruter de la main-d’oeuvre pour défricher, en les attirant par des franchises, et au besoin en accueillant les serfs fugitifs sans trop s’interroger sur leur statut ? Pour garder leurs paysans, serfs ou non, les autres seigneurs ont dû aussi alors affranchir les uns et limiter leurs exigences pour les autres.
Jean-Marc Labat a écrit :
Citer :
Pour le dépérissement [du servage] , je dirais que la cause est la même que celle du dépérissement de l'esclavage : un progrès de la conscience humaine
Cela me parait infiniment plus complexe que cela. Il y a d'abord le moteur des croisades, qui nécessite un besoin d'argent de la part des seigeurs, qui affranchissent leurs serfs contre espèces sonnantes et trébuchantes, et ce besoin est impérieux.
Il y a bien sur le phénomène des villes franches, où chacun essaie de débaucher le serf de son voisin, mais n'éxagérons pas le phénomène. Mais c'est le début du moins-disant fiscal, qui est toujours d'actualité de nos jours.
De plus, il ne faut pas éxagérer le statut du serf, popularisé par la IIIème république. Statut qui nous paraît inhumain aujourd'hui, mais qui était meilleur que le statut d'esclave ou de colon de l'empire romain. Les redevances sont en nature le plus souvent ou en travail. De plus, les communautés paysannes sont organisées et le serf n'est pas seul en face du seigneur, il y a tout un aspect de traditions, de négociations et d'echapatoires qui font pendant au puvoir absolu du seigneur. Il existe un équilibre dans tout cela.
D'ailleurs, les seigneurs ne connaissant pas le mécanisme de l'inflation, le redevances en azrgent se dévalueront au même rythme que la monnaie, ce qui entrainera les réactions féodales du XIVème siècle et les révoltes paysannes correspondantes.
Zunkir a écrit :
C'est plus l'expansion économique qui permet aux paysans de constituer un groupe plus solide, d'avoir plus de moyens pour subvenir à leurs besoins, de relativiser le poids seigneurial. Et aussi de constituer des communautés solides appuyés par les plus riches d'entre eux, qui ont les moyens d'intenter des procès à leurs seigneurs.
Mais cela reste vague, il faut prendre en compte les multiples différences régionales, qui impliquent des situations variées, et des évolutions tout aussi différentes. Plus on travaille ce sujet, plus on se rend compte qu'une seule explication ne peut être donnée, il n'y a pas une mais des féodalités. Il y a des traits communs, une vague évolution commune, mais de multiples situations différentes.