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 Sujet du message : Humbert de Moyenmoutier
Message Publié : 28 Fév 2009 16:31 
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Fustel de Coulanges
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Que sait-on réellement sur ce moine de plus que ce qu'en dit sa page wikipedia: http://fr.wikipedia.org/wiki/Humbert_de_Moyenmo%C3%BBtier ?

L'abbaye de Moyenmoutier était-elle si puissante autour de l'an Mil pour fournir à l'Eglise un cardinal-diplomate de cette envergure? Quelles sont ses origines?

Quel rôle exact a-t-il joué dans le Grand Schisme? Est-il seul responsable ou faut-il y voir un complot plus ou moins "lorrain"? (sachant qu'en plus d'Humbert de Moyenmoutier, la délégation comptait Frédéric de Lorraine, envoyés par le Pape Léon IX, lui-même lorrain ou alsacien c'est selon...).

Merci à tous ceux qui pourront m'en dire plus sur ce personnage curieux et finalement mal connu (sachant que je connais moi-même très mal cette période).

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"[Il] conpissa tous mes louviaus"

"Les bijoux du tanuki se balancent
Pourtant il n'y a pas le moindre vent."


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 Sujet du message : Re: Humbert de Moyenmoutier
Message Publié : 01 Mars 2009 16:23 
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Salluste
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Alfred Teckel a écrit :
L'abbaye de Moyenmoutier était-elle si puissante autour de l'an Mil pour fournir à l'Eglise un cardinal-diplomate de cette envergure? Quelles sont ses origines?

Pour commencer, une petite notice biographique, ça ne mange pas de pain (tirée de M.-C. Isaïa (dir.), Pouvoirs, Église et société (...), Paris, Atlande, 2009, p. 51, qui cite M. Parisse, "L'entourage de Léon IX", dans G. Bischoff et B.-M. Tock (dir.), Léon IX et son temps, Turnhout, Brepols, 2006) :

Humbert de Moyenmoutier ou de Silva Candida est né entre 1000 et 1005 environ. Originaire sans doute du diocèse de Lyon (royaume de Bourgogne), Humbert a été donné comme oblat à Moyenmoutier (Lotharingie) en 1015. On ignore tout de son activité jusqu'à son apparition, dans l'entourage proche du pape Léon IX, en 1049. Il porte alors le titre honorifique d'archevêque de Sicile, puis celui de cardinal de Silva Candida (évêché suburbicaire, à Rome). Il devient chancelier de la curie romaine. Parlant grec, il est chargé de transmettre au pape la lettre polémique que Léon évêque d'Achrida lui a adressée, ainsi que tout l'épiscopat franc : elle met en cause les pratiques liturgiques de l'Église latine. Léon IX confia à Humbert le soin de rédiger en son nom la réponse (Lettre In terra pax hominibus, "Sur la terre, paix aux hommes", 1053, qui n'a pas été reçue par ses destinataires prévus) puis lui demanda de prendre la tête de la légation envoyée auprès du patriarche de Constantinople Michel Cérulaire en 1054. Entre 1050 et 1058, il rédige son traité Libri tres adversus simoniacos (Trois livres contre les simoniaques). Il y développe l'idée que les sacrements délivrés par les simoniaques ne sont pas valides, reprise plus tard par la Pataria milanaise, puis par Grégoire VII. Humbert est mort le 5 mai 1061.

Alfred Teckel a écrit :
Quel rôle exact a-t-il joué dans le Grand Schisme? Est-il seul responsable ou faut-il y voir un complot plus ou moins "lorrain"? (sachant qu'en plus d'Humbert de Moyenmoutier, la délégation comptait Frédéric de Lorraine, envoyés par le Pape Léon IX, lui-même lorrain ou alsacien c'est selon...).

Pour comprendre le rôle respectif des uns et des autres, il faut replacer leur action dans le cadre du pontificat de Léon IX. Avant d'être le pape Léon IX, Brunon d'Eguisheim (1002-1054), né dans la famille des comtes d'Eguisheim (et dès son plus jeune âge confié à l'école épiscopale de l'évêque de Toul (Berchtold)) est un évêque (1026) profondément pénétré par les idées réformatrices du milieu ecclésiastique lotharingien, qui s'applique à rétablir la discipline religieuse (ainsi, selon Bonizon de Sutri, il n'aurait pas considéré la désignation de l'empereur Henri III comme constitutive de sa charge et se serait rendu à Rome en habit de simple pèlerin, n'acceptant de recevoir les insignes pontificaux qu'après avoir été acclamé pape par les Romains eux-mêmes (12 février 1049)). Dès son élection, décidé à engager une intense réflexion sur ce que devait être la réforme de l'Église, Léon IX s'entoure de ces prélats lotharingiens acquis aux idées réformatrices : Humbert de Moyenmoutier, Hugues Candide, Frédéric de Lotharingie (frère du duc de Lotharingie Godefroy le Barbu et archidiacre de l'Église de Liège, futur pape Étienne IX) ; et de deux moines italiens : Pierre Damien et Hildebrand (futur Grégoire VII). Il fait cardinaux ces clercs lotharingiens venus avec lui et ces Italiens qui ont rejoint sa cause (à l'origine, les cardinaux étaient seulement les clercs attachés aux différentes églises de Rome, ainsi que les évêques des églises des sept faubourgs de Rome que, pour cette raison, on appelle "évêques suburbicaires" et leur fonction était essentiellement liturgique ; les cardinaux vont désormais jouer un rôle prépondérant auprès du pape).

Ce pape a alors quatre fers au feu :
- des bandes de cadets normands, à l'étroit dans leur duché de Normandie, qui émigrent en Italie du Sud et créent des comtés reconnus par l'empereur Henri III (comtés d'Aversa, d'Apulie) mais empiétant sur le duché de Bénévent soumis au pape... Cette action dans le domaine temporel échoua ;
- l'hérésie de Bérenger en France, écolâtre de l'école épiscopale de Tours et archidiacre d'Angers reprenant des controverses eucharistiques ;
- la réforme de l'Église, gangrenée, aux yeux d'un certain nombre d'ecclésiastiques, par la simonie et le nicolaïsme;
- et les prétentions grandissantes du patriarche oecuménique Cérulaire

Concernant le dernier point, la mésentente cordiale entre Rome et Byzance va se transformer en rupture ouverte. Ulcérés par les liens de la papauté avec l'Empire ottonien et par la politique pontificale en Italie du Sud où ils avaient des intérêts, les Byzantins, sous le patriarcat de Michel Cérulaire (1043-1058), s'éloignent de plus en plus de Rome. Et les rancoeurs vont se cristalliser à l'occasion d'une controverse sur l'usage des azymes dans la communion (les Latins se servaient d'hosties non fermentées pour célébrer l'Eucharistie, contrairement à l'usage traditionnel conservé par les Grecs qui employaient du pain ordinaire). Léon IX fait entreprendre la réfutation des traités grecs sur ce problème, et sur l'ensemble du contentieux qui opposaient Romains et Byzantins : dans son Dialogus, Humbert de Moyenmoutier écarte les assertions des Grecs, condamne le mariage des prêtres en usage en Orient depuis l'Antiquité, accuse les Byzantins d'hérésie parce qu'ils n'admettent pas le Filioque et les menace d'excommunication... Ce dialogue mal engagé s'achève tout aussi mal lors de la légation romaine à Constantinople, malgré les efforts de l'empereur Constantin IX Monomaque : les légats Humbert, Frédéric et Pierre d'Amalfi excommunient le patriarche et ses partisans (16 juillet 1054) et repartent ; Cérulaire riposte par une excommunication générale des Latins. Cette rupture ne doit pas être exagérée : au départ, elle n'est pas plus grave que tant d'autres schismes (Acace, Phontius) ; mais du fait des circonstances, elle devient définitives et entraîne les autres patriarcats orientaux ainsi que les peuples convertis au christianisme par les Grecs (Serbes, Bulgares, Russes, Roumains)... C'est en quelque sorte un concours de circonstances malheureux qui consolide une des frontières religieuses les plus durables qui aient été.

Au moment où le schisme est consommé, Léon IX était déjà mort (19 avril 1054). Il s'était surtout impliqué dans la réforme de l'Église, s'en faisant lui-même le missionnaire. Dès son installation, un concile romain prononce l'anathème contre ceux qui avaient acheté ou vendu charges et sacrements. Et Léon IX va porter lui-même la réforme sur place : il tient des assises dans les grandes villes de la chrétienté (concile à Reims, qui dépose plusieurs prélats simoniaques et affirme l'indépendance du spirituel et la primauté du pontife romain ; à Mayence, où simonie et nicolaïsme sont condamnés ; il tient de tels conciles réformateurs encore à Pavie, à Vercel, à Salerne, à Siponte, à Mantoue, enfin, à Rome même). Si bien que le courant réformateur est lancé et que son entourage (Hildebrand, Humbert, Pierre Damien) peut le prolonger après sa mort (les papes sont alors Victor II, puis Étienne IX, Nicolas II, Alexandre II, Grégoire VII). Cet entourage de qualité de Léon IX a été le creuset où s'est imaginée la réforme, dont le programme n'était pas écrit d'avance (même si la finalité était assez claire, tous les réformateurs n'étaient pas forcément d'accord sur les moyens à utiliser pour y parvenir) et, en outre, c'est ce milieu pontifical qui a assuré la continuité de la réforme malgré la succession rapide des papes.

En somme, rien ne permet d'identifier dans cette rupture une action calculée d'Humbert de Moyenmoutier ou des Lotharingiens de l'entourage de Léon IX. Rien ne permet de l'infirmer, mais rien ne permet de le dire : est-ce qu'ils savaient où ils allaient (au schisme) ou est-ce que, parce qu'il était bilingue, Humbert s'est vu confiée une mission de dispute théologique (qu'il a menée avec application en conformité avec son engagement réformateur "intraitable") qui a dégénéré sans que, occupé à d'autres affaires vues comme plus urgentes (la réforme de l'Église : Humbert écrit son traité contre les simoniaques, etc.), on n'en ait perçu dès l'abord les conséquences ?

Et pour la question "l'abbaye de Moyenmoutier était-elle si puissante autour de l'an Mil pour fournir à l'Eglise un cardinal-diplomate de cette envergure", il faut en fait bien lier cette ascension au lien personnel, unissant l'Alsacien/Lorrain Brunon devenu pape aux clercs de qualité et lettrés de Lotharingie. Cette Lorraine connection aux affaires pontificales à cette époque fait que l'on parle souvent de Léon IX comme du "pape lorrain" et l'ouvrage cité précédemment, G. Bischoff et B.-M. Tock (dir.), Léon IX et son temps, Turnhout, Brepols, 2006 (table des matières), consacre une partie à "Alsace et Lorraine au temps de Léon IX" (mais je ne l'ai pas lu).

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« Que de choses ont été vécues sans avoir été dites ! » Paul Veyne.


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 Sujet du message : Re: Humbert de Moyenmoutier
Message Publié : 01 Mars 2009 16:39 
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Fustel de Coulanges
Fustel de Coulanges
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Localisation : Lorrain en exil à Paris
Merci de cette réponse de très grande qualité!

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