Narduccio a écrit :
Quant à la langue.... en fait, il semble que les élites parlaient le latin, un latin plus ou moins mâtiné de mots issus des divers dialectes présents sur les territoires concernés. Quant aux gens du peuple, ils devaient parler la langue de leur région d'origine.
Là, il faut faire une mise au point. Dès la fin de l'Empire romain, la langue parlée issue du latin se sépare entre ceux qui pratiquent et transmettent le latin classique (sénateurs, juristes, professeurs, peut être curiales, milieux qui fournissent les évêques et une part du clergé ) et ceux qui parlent un latin plus populaire la
lingua rustici, laquelle donnera naissance aux langues romanes. Les derniers représentants de la culture antique sont des hommes comme l'évêque Didier de Cahors au VIIe siècle. Après 700, cette culture est quasiment morte, même si des moines ou des chanoines en collectent les dernières manifestations comme les compilations de lettres, les formules juridiques, les textes de lois, etc.. Seuls les clercs et les notaires l'utilise couramment. Faire rédiger son testament en latin et le signer, ne veut certainement pas dire que le testateur est lui même usager du latin.
Avec la Renaissance carolingienne, le latin revient en faveur, on collecte les textes classiques, on les corrigent, les écoles épiscopales forment les clercs qui encadrent les populations des campagnes, ainsi que l'aristocratie. Laquelle utilise des langues véhiculaires (romanes, germaniques, celtiques, selon les régions).
Il faut vraiment attendre le milieu du XIe siècle, avec l'émergence des écoles de droits qui donneront naissance aux premières universités (Bologne, Paris, etc..) pour voir des laïcs (même s'ils ont reçu le premier grade dans la cléricature) utiliser le latin couramment, comme langue d'enseignement. Mais en général, ce sont des hommes nouveaux qui fréquentent ces écoles, pas des fils de nobles. Le noble écoute la messe en latin, sa femme lit les psaumes en latin et doit les comprendre, mais chacun converse en langue rustique, entre soit, avec les domestiques, les ministériaux, les paysans, le clergé, etc... Le latin étant réservé aux usages de l'écrit : enregistrement des donations, des testaments, des serments, des redevances, etc...
J'en ai retrouvé un exemple pour illustrer mon propos pour la période la plus ancienne. Elle porte sur l'évolution des noms propres entre le latin et la langue vulgaire. La bourgade d'Étampes, chef-lieu d'un
pagus de la cité de Sens s'écrit en latin classique
Stampas, comme l'atteste Grégoire de Tours à la fin du VIe siècle, forme confirmée dans des actes privées des VIe-VIIIe siècles et des monnaies. Un siècle après Grégoire, un noble francilien, fait rédiger une donation du côté de Chambly, sur les bords de l'Oise. Le notaire qui rédige l'acte ignore cette forme classique et brode une forme latine à partir du nom en langue vulgaire et écrit
Istampas (je vous fait grâce de la déclinaison). Cela signifie qu'autour de lui, le noble qui lui dicte ses volontés doit à l'oral utiliser une forme très proche, voire identique, donc assez proche de la forme vulgaire qui se stabilise vers le XIIIe siècle en Estampes. Vers la même époque et dans la même région, on observe le même glissement avec le nom Étienne,
Stephanus en latin et
Estianus en langue vulgaire, bien que retranscrit en latin, mais on a bien là encore latinisé une forme en proto-français, le scribe n'ayant pas eu le réflexe d'utiliser la forme latine, mais il a latinisé par la désinence en -us le nom d'usage. C'est bien la preuve que les nobles utilisent les langues vulgaires, le latin étant limité à la religion et aux administrations (royales et seigneuriales).
Il est vraisemblable que la disparition de l'ordre carolingien a cloisonné les horizons culturels et notamment linguistiques des grands seigneurs. Au temps où Bernard Plantavelue, comte de Toulouse, était chambrier du roi, il devait parler à la court dans un langage qui devait se rapprocher du protopicard, langue parlée autour du réseaux de palais royaux, et peut être même des rudiments de langue germanique. Deux siècles plus tard, l'isolement fait que les capacités langagières se sont appauvries et que hormis des rudiments de latins de messe, le seigneur du Midi ne connait que sa langue d'oc. Cela vaut aussi pour les hommes du nord de la France, même si culturellement, la "domination" se faisait du nord vers le sud.