Faget a écrit :
La théorie comme quoi ils tenaient leur ardeur guerrière grâce à la consommation de haschich, tient elle toujours
C'est ce que l'on disait dans le temps en le justifiant par la ressemblance des deux termes.
A priori non. Je vous colle l'article de Lewis dans l'Encyclopédie de l'Islam à ce sujet, car c'est compliqué à résumer.
Citer :
A l’origine, le mot semble avoir été employé au sens de «dévot» ou «zélateur» correspondant à fidāʾī [q.v.]. Dès le XIIe siècle, des poètes provençaux se comparent aux Assassins pour leur dévotion à leur dame allant jusqu’au sacrifice total (F. M. Chambers, The troubadours and the Assassins, dans Modem Language notes, LXIV (1949), 245 sqq.; D. Scheludko, Über die arabischen Lehnwörter im altprovenzalischen, dans Zeitschrift für romanische Philologie, XLVII (1927), 423). Mais bientôt, ce furent les pratiques meurtrières des Nizārites, plutôt que leur dévouement total, qui fascinèrent les Européens visitant l’Orient et donnèrent au mot un sens nouveau. Après avoir été le nom d’une secte mystérieuse en Syrie, «assassin» devient un nom commun signifiant meurtrier. Il est déjà employé par Dante («lo perfido assassin ... », Enfer, XIX, 49-50), et son commentateur Francesco da Buti l’explique, dans la deuxième moitié du XIVe siècle, par «celui qui tue autrui pour de l’argent».
Pendant les XVIIe et XVIIIe siècles, le nom d’assassin — et la secte qui s’appelait ainsi à l’origine —furent l’objet d’une grande attention de la part de savants européens qui émirent de nombreuses théories, la plupart extravagantes, pour expliquer son origine et sa signification. Le mystère fut enfin résolu par Silvestre de Sacy dans son Mémoire sur la dynastie des Assassins et sur l’origine de leur nom, lu à l’Institut en 1809 et publié dans Mémoires de l’Institut Royal, IV (1818), 1-85 ( = Mémoires d’histoire et de littérature orientales, Paris 1818, 322-403). Se servant de sources manuscrites arabes et notamment de la chronique d’Abū S̲h̲āma, il étudie et rejette les explications antérieures et démontre que le mot «assassin» est en relation avec l’arabe ḥas̲h̲īs̲h̲ [q.v.]; il propose de rattacher les différentes formes = Assassini, Assissini, Heyssissini, etc. attestées dans les sources relatives aux Croisades, aux formes arabes ḥas̲h̲īs̲h̲ī (pl ḥas̲h̲īs̲h̲iyya ou ḥas̲h̲īs̲h̲iyyīn) et ḥas̲h̲s̲h̲ās̲h̲ (pl ḥas̲h̲s̲h̲ās̲h̲īn); pour confirmer son hypothèse, il fut en mesure de produire plusieurs textes arabes dans lesquels les fidèles de la secte sont appelés ḥas̲h̲īs̲h̲ī, mais aucun dans lequel ils fussent nommés ḥas̲h̲s̲h̲ās̲h̲. Depuis lors, la forme ḥas̲h̲īs̲h̲ī a largement été confirmée par de nouveaux textes qui ont été mis au ¶ jour — mais l’on ne connaît toujours pas de textes dans lesquels les gens de la secte soient appelés ḥas̲h̲s̲h̲ās̲h̲. Il semblerait donc que cette partie de l’explication de S. de Sacy doive être abandonnée et qu’il faille considérer que toutes les variantes européennes dérivent de l’arabe ḥas̲h̲īs̲h̲ī.
Cette revision soulève de nouveau la question de la signification du terme, Ḥas̲h̲īs̲h̲ est certainement le nom arabe du chanvre indien — cannabis sativa — et ḥas̲h̲s̲h̲ās̲h̲ est le mot courant pour le fumeur de ḥas̲h̲īs̲h̲. Quoique n’acceptant pas l’opinion soutenue par de nombreux auteurs postérieurs selon laquelle les Assassins devaient leur nom au fait qu’ils fumaient du ḥas̲h̲īs̲h̲, S. de Sacy explique néanmoins le nom comme étant dû à l’usage secret de ḥas̲h̲īs̲h̲ par les chefs de la secte pour donner à leurs émissaires un avant-goût des délices paradisiaques qui les attendaient à l’accomplissement de leurs missions. Il associe cette interprétation à l’histoire racontée par Marco Polo, et que l’on trouve également dans d’autres sources orientales et occidentales, des «jardins du paradis» secrets dans lesquels les dévots drogués étaient introduits (Marco Polo, éd. A. C. Moule et P. Pelliot, Londres 1938, I, 40 sqq.; cf. Arnold de Lùbeck, Chronicon Slavorum, IV, 16; J. von Hammer, Sur le paradis du Vieux de la Montagne, dans Fundgruben des Orients, III (1813), 201-6 — citant un roman arabe dans lequel la drogue employée est appelée band̲j̲). Cette histoire remonte loin; sa plus ancienne version, celle d’Arnold de Lûbeck, doit dater de la fin du XIIe siècle. Leur chef, dit-il, leur donne lui-même les poignards qui sont, pour ainsi dire, consacrés à cette tâche, «et tune poculo eos quodam, quo in extasiam vel amentiam rapiantur, inebriat, et eis magicis suis quedam sompnia in fantastica, gaudiis et deliciis, immo nugis plena, ostendit, et hec eternaliter pro tali opère eos habere contendit» (Monumenta Germaniae historica, XXI, Hanovre 1869, 179). Cette histoire qui peut bien être la plus ancienne description des rêves de ḥas̲h̲īs̲h̲, est reprise avec des variantes par des écrivains postérieurs. C’est, toutefois, très certainement un conte populaire, peut-être même un résultat plutôt qu’une cause du nom de ḥas̲h̲īs̲h̲iyya. L’emploi et les effets du ḥas̲h̲īs̲h̲ étaient connus à l’époque et n’étaient pas secrets; l’usage de la drogue par les membres de la secte, avec ou sans jardins secrets, n’est attesté ni par des auteurs ismāʿīliens ni par des auteurs sunnites sérieux. Même le terme ḥas̲h̲īs̲h̲iyya est propre à la Syrie (cf. Houtsma, Recueil, I, 195; Ibn Muyassar, Annales, 68) et probablement abusif. Il n’était jamais employé par les contemporains des Ismāʿīliens persans ou autres non syriens; même en Syrie, il n’était pas employé par les Ismāʿīliens eux-mêmes (sauf dans un traité de polémique provenant du calife fāṭimide al-Āmir contre ses adversaires nizārites; A. A. A. Fyzee, al-Hidāyatu ‘l-āmirīya, Londres-Bombay 1938, 27), et rarement même par des écrivains non ismāʿīliens. Ainsi al-Maḳrīzī, dans une assez longue discussion sur les origines et l’emploi du ḥas̲h̲īs̲h̲, cite un mulḥid persan (probablement ismāʿīlien) qui viiit au Caire vers la fin du VIIIe/XIVe siècle, prépara et vendit son propre mélange de ḥas̲h̲īs̲h̲ — mais il n’appelle pas les Ismā’īliens ḥas̲h̲īs̲h̲iyya et n’établit aucun rapport entre la secte et la drogue (Ḵh̲iṭaṭ. Būlāḳ, II126-9). Ainsi donc, ḥas̲h̲īs̲h̲ī semblerait avoir été une épithète purement syrienne pour les Ismāʾīliens, probablement un terme de mépris, une critique de leur conduite plutôt qu’une description de leurs pratiques.