Bonjour et bienvenue chez nos trois princesses..
L'épisode conté par Edouard gachot l'a été dans la tradition du théatre romantique poularisé par la version d'Alexandre Dumas de 'la Tour de Nesle', pièce dans laquelle il mets en scène la légende des brus du roi. On pourra lire à ce sujet les "Mémoires d'Alexandre Dumas Père" dans laquelle il nous parle de la mort de Marguerite: " de cette prison on les transféra au Chateau Gaillard, forteresse de Normandie. La, par ordre de Louis X, Marguerite fut étranglée avec une serviette, selon les uns; avec ses propres cheveux, selon les autres.
Voila pour les cheveux de Marguerite!!
Reprenons le cours de notre étude:
Les Cordeliers de Vernon
Quelque fut la façon dont elle trouva la mort, il semble acquis que Marguerite mourut donc ce 30 Avril 1315. Qu’est il advenu de son corps, quelqu’un s’en est il émut, y a-t-il eu funérailles royales ?
Toutes les chroniques sont d’accord sur un point : le corps de Marguerite fut transporté dans la nuit du 30 au couvent des cordeliers (ou frères mineurs) de Vernon ou elle fut enterrée, vraisemblablement dans la chapelle même.
Voyons Geoffroi de Paris :
A Vernon fut enseveli
Son cors, chez les Frères Menors,
Qui li firent assez d’onnors ;
Sa sépulture noblement
Firent et molt devotement.
Dans les Grandes Chroniques de France :
Et à Vernon en l’église des frères meneurs fu enterrée
Chez le Père Anselme
Son corps fut enterré dans l’église des cordeliers de Vernon, selon le continuateur de Nangis
Pourquoi fut elle enterrée à Vernon, dans ce couvent des Cordeliers ?
Ce couvent, ou reposa un temps son père Robert II de Bourgogne, avant d’être déplacé à Citeaux, est un endroit appréciée de Marguerite, qui ne l’oublions pas, s’est mariée à quelques pas de la, dans la chapelle du Château. L’historien de la ville de Vernon Edmond Meyer fait référence aux liens qui liaient Saint Louis et son aïeule au couvent des Cordeliers et au château de Vernon :
« Saint Louis se plaisait à venir assister dans ce monastère à la célébration de l’office divin. Il s’y rendait du Château, en traversant la rue Etoupée qui longeait les Cordeliers (voir le plan de Vernon dans les illustrations), a l’exemple sans doute de son aïeule Marguerite de Bourgogne qui dans ses longs séjours aux château, se rendit maintes fois aux Cordeliers »
En outre, une Reine même en disgrâce, ne pouvait qu’être enterrée dans une abbaye ou un couvent. Or celui des Cordeliers de Vernon en est le plus proche. On peut aussi imaginer que sentant sa fin venir, Marguerite ait réclamée à être inhumée dans ce couvent . Que sait on de ce couvent ?
Il faut ici de nouveau lire Emond Meyer qui nous en parle dans son Histoire de Vernon et de sa chatellerie
« Saint François d’Assise avait institué l’ordre des Franciscains, dits Frères Mineurs, qui fut approuvé en 1223 par le pape Honorius iii. Ces moines étaient encore appelés Cordeliers à cause de la corde dont ils se ceignaient la taille.
Les Frères mineurs s’établirent à Vernon au commencement du règne de Saint Louis, et y bâtirent un beau couvent qui semble avoir été tout d’abord destiné à l’ordre entier. Jean de Surci, écuyer, renonça en leur faveur à la rente de 60 s. p. qu’il percevait, dans le municipe de Vernon, sur la maison qui avait appartenu au « maître des sarcophages » et dans laquelle les frères s’étaient logés.
Matthieu de Crèvecoeur ‘illustre héros et célèbre chevalier’ pour accroître l’aumône faite par sa mère, abandonna en 1248 un joug de terre. Jean de Portmort, bourgeois de Vernon, donna une maison en 1260. Philippe le Hardi confirma ces diverses donations et y ajouta de nouvelles concessions. Des privilèges assez grands furent accordés par les rois et confirmés par les papes. L’église du couvent fut placée sous le vocable de Saint Eloi, pontife, et le pape Alexandre IV , à la prière sans doute de Louis IX, accorda cent jours d’indulgence à tous ceux qui visiteraient cette église aux fêtes de l’ordre. Ce fut l’origine des pèlerinages qui s’y firent depuis cette époque. »
Si nous reprenons le plan de Vernon on voit que l’on peut localiser le couvent le long des murs de la ville, avec un accès à la chapelle par la rue des cordeliers et la rue Etoupée . Son emplacement est précisé dans les notes de l’article de Jean Baboux sur le Matrologue de la Charité du Saint Sacrement dans les Cahiers Vernonnais :
Les Cordeliers étaient un Couvent urbain dont l’église occupait l’emplacement du parking du garage Seat au 11 de la rue Ricquier.(voir photo) La nef était parallèle à la rue des Cordeliers, qui a été élargie sous le Second Empire pour donner la rue d’Albuféra. Le Chevet de l’église conventuelle touchait la rue Etoupée. A la fin du XVIIIeme Siècle les édiles abattirent les rempart pour donner naissance à la rue Riquier Une rue pavée, donnant dur la rue des Cordeliers, permettait d’entrer dans l’église sans passer par le couvent.
Maintenant que nous avons localisé le couvent, que sait on de ce que l’on pouvait y voir, et surtout, à t’on retrouvé la sépulture de Marguerite ?
Edmond Meyer nous fait visiter le couvent et note plusieurs sépultures intéressantes « Celle de Marc Antoine Segizzo, Sr de Bouges, dont le tombeau était placé dans le chœur, à la droite de l’autel. A coté de cette tombe on pouvait aussi voir une plaque de marbre portant les armes des familles Jubert et Maignart, qui indiquait qu’ici reposait le cœur de marie Maignart, décédée en 1610 »
La sépulture la plus remarquable, selon Millin qui parle du couvent dans ses antiquités nationales était celle de Montmorenci du Hallot et de sa femme.
Voici ce qu’il dit sur le couvent qu’il visite en 1792 :
« Les Cordeliers de Vernon etoient une fondation fort ancienne : on y voit plusieurs épitaphes de 1400. L’église n’avoit rien d’extraordinaire : il n’ y avait qu’un tombeau remarquable, celui de François de Montmorenci et son épouse »
Meyer nous dit encore : « Millin recueillit dans cette église quelques épitaphes peu remarquables »
On ne peut donc que s’étonner que dans aucunes des visites de Millin ou aucune des descriptions recueillies par Meyer on ne trouve la mention de la sépulture de Marguerite de Bourgogne. De tous les personnages enterrés dans cette église, c’est elle qui de loin était la plus importante, car Reine de France. Or pas la plus petite épitaphe, pas de buste, pas de statue.
Y aurait il eu une crypte, que Millin n’aurait pas visité ? On peut en douter, il en aurait fait mention. Marguerite fut elle enterrée à la sauvette, en dehors de l’église, son statut de prisonnière et d’adultère la condamnant à ne pas avoir de sépulture ?
Millin parle d’épitaphes datant de 1400, mais pas plus tôt. Or Marguerite fut inhumée en 1315.
Il existait il un petit cimetière attenant, pour y ensevelir les frères eux-mêmes, et que Marguerite du fait de son statut de Reine adultère, n’ai pas eu droit à être enterrée dans l’église ?
Geoffroi de Paris dit pourtant que :
Sa sépulture noblement
Firent et molt dévotement
Ce qui semble indiquer une sépulture décente. Un fait pourtant est en mesure de nous éclairer. Comme nous le verrons plus loin, Blanche, peu avant sa mort, est autorisée à se retirer à l’abbaye de Maubuisson. Elle y meurt en 1326 et on retrouve sa tombe non dans l’église ou sont enterrés son mari Charles IV et sa fille Jeanne, mais dans la salle du chapitre, avec les autres religieuses.
On peut donc raisonnablement en déduire qu’il en fut de même pour Marguerite, et que leur statut de Reines adultères ne leur donna pas droit à une sépulture dans l’église conventuelle. Il est donc possible qu’elle fut elle aussi enterrée dans la salle du chapitre du couvent.
Nous en sommes malheureusement réduits aux conjectures, en l’absence de toute preuve formelle. Ce qui est sur c’est que, pour citer Meyer , vers 1790, les frères quittèrent définitivement le couvent. Celui-ci servi d’atelier pour la fabrication du salpetre et que le propriétaire des lieux mit à la disposition du gouvernement les bâtiments et terrains qui pouvaient lui être utiles.
Enfin, tout ceci, monastère, église, tombeaux, fut détruit quelques années plus tard.
Marguerite de Bourgogne et le Château de Couches
Une autre hypothèse sur la fin de Marguerite est développée par des historiens locaux Bourguignons, et mérite d’être mentionnée. Nous retrouvons dans l’ouvrage de J Taupenot « Les Marguerite de Bourgogne », la thèse suivant laquelle Marguerite ne serait pas morte à Château Gaillard, mais aurait été recueillie au Château de Couches en Bourgogne, chez sa cousine Marie de Beauffrémont. Cette thèse aurait été développée par l’Abbé Berthollet, qui la mentionne en effet dans son livret sur le Chateau de Couches.
« , Marguerite de Bourgogne ne serait pas morte en 1315 à Château-Gaillard comme nous l'apprend l'histoire, mais elle aurait été recueillie par sa cousine Marie de Couches et tenue secrètement prisonnière au château.
Certains documents attesteraient de sa mort en 1333 »
Il est vrai que Marie de Beauffrémont était bien cousine de Marguerite (au 10eme degré…voir arbre de parenté), mais un transfert de Marguerite vers Couches parait assez improbable, est en tout cas n’a pas laissé de trace chez les chroniqueurs de l’époque.
Une légende étonnante du pays de Couches: la Vivre de Couches prend pour fondement la présence supposée de Marguerite de Bourgogne à Couches et vaut la peine d’être contée . La Vivre de Couches était une bête apocalyptique, ayant des allures de serpent et de monstre de la préhistoire. Se méfaits auraient été innombrables, elle aurait dévoré de enfants et semé la terreur dans toute la région.
Des battues auraient été organisées pour traquer la bête, mais à chaque fois celles-ci auraient échoué. La population fit alors appel à un magicien nommé « Yoata » qui réussit à envoûter le monstre par le son de sa flûte et à le conduire vers un four spécialement construit pour lui.
Depuis la tradition se perpétue à travers les siècles et une fête grandiose est organisée tous les 20 ans.
Cette légende aurait pu prendre corps avec le fait que Marguerite, selon les locaux, vécut au château de Couches en 1315 et 1333. Si en effet Marguerite vécu cachée au château, le secret de son existence devait être bien gardée et de multiples précautions devait être prises. La Reine côtoie en effet chaque jour les Couchois employés au château. La nouvelle se répand à travers le village, mais gare à celui qui en parlera. En 1333 Marguerite de Bourgogne s’éteint. Sa mort ne doit pas être connue mais les Couchois, fiers d’avoir en leurs murs un personnage de ce rang, avaient pris Marguerite en pitié et désiraient perpétuer son souvenir. Chacun à leur façon, les seigneurs du Château et le peuple de Couches entendent témoigner de sa présence par un symbole, qui sera Sainte Marguerite. En effet celle-ci vit le démon sous la forme d’un dragon qu’elle mit en fuite en faisant le signe de croix.
Ainsi la Vivre aurait été l’incarnation des malheurs de Marguerite.
J Taupenot, dans ses « Marguerite de Bourgogne » va au bout de la démarche et se mets à la recherche d’une sépulture royale pour Marguerite.
« Il existe dans la région de Couches un Saint Denis local, ancien Prieuré dépendant du Val des Choux , nommé prieuré du Val Saint Benoit, située dans la foret des battées, à proximité d’Epinac, lieu d’inhumation des seigneurs de Couches. Celui-ci est flanqué d’une chapelle du XVeme dont la richesse monumentale contraste avec l’ascétique austérité du reste du vaisseau. Peut être parmi les nombreux gisants dispersés au Val saint Benoit se trouvait autrefois celui de cette Reine au destin tragique »
En conclusion, il est quand même étonnant de voir qu’il existe une version « non historique » du destin de Marguerite liée à la ville de Couches et ses environs. On peut se demander comment est née cette version des faits et de quoi elle s’est nourrie. L’abbé Berthollet, qui a le premier officialisé cette version ne s’est il appuyé que sur cette tradition orale ou bien a-t-il retrouvé des preuves plus concrètes ? Nous n’en savons rien. Il est probable que Marguerite de Bourgogne, étant enfant, ait séjourné au Château de Couches chez sa cousine Marie de Beauffrémont. Ceci a sûrement constitué un élément en faveur de cette version des faits.
A lundi pour la conclusion!!