Le roi se trouvait à cette heure dans sa chambre, en grande compagnie de comtes, barons et chevaliers. Il apprit alors que ceux de Calais arrivaient dans la tenue qu'il avait expressément prescrite; il sortit donc et parut sur la place, devant son logis, avec tous ses seigneurs derrière lui; il y vint en outre une grande foule, pour voir les gens de Calais et comment les choses allaient tourner pour eux. Et la reine d'Angleterre en personne suivit le roi son seigneur. Or voici venir monseigneur Gautier de Mauni et avec lui les bourgeois qui le suivaient; il descendit de cheval sur la place, s'en vint vers le roi et lui dit: «Monseigneur, voici la délégation de la ville de Calais, selon votre volonté.» Le roi ne dit pas un mot mais jeta sur eux un regard plein de fureur, car il haïssait terriblement les habitants de Calais pour les grands dommages et les contrariétés que, par le passé, ils lui avaient causé sur mer.
Nos six bourgeois se mirent sur-le-champ à genoux devant le roi et parlèrent ainsi en joignant les mains: «Noble sire et noble roi, nous voici tous les six, d'ancienne bourgeoisie de Calais et importants négociants. Nous vous apportons les clés de la ville et du château de Calais et vous les rendons pour en user à votre volonté; nous-mêmes nous nous remettons, en l'état que vous voyez, à votre entière discrétion, pour sauver le reste de la population de Calais; veuillez donc avoir de nous pitié et merci dans votre haute magnanimité.»
Certes il n'y eut alors sur la place seigneur, chevalier ni homme de cœur qui se pût retenir de pleurer de franche pitié, ou qui pût parler d'un long moment. Le roi fixa sur eux un regard très irrité, car il avait le cœur si dur et en proie à un si grand courroux qu'il ne pouvait parler; et quand il parla, ce fut pour ordonner qu'on leur coupât la tête sur-le-champ. Tous les barons et chevaliers présents priaient le roi en pleurant, et aussi instamment qu'ils le pouvaient, de vouloir bien avoir d'eux pitié et merci; mais il ne voulut rien entendre.
Alors parla messire Gautier de Mauni, disant: «Ah! noble sire, veuillez refréner votre ressentiment. Vous avez renom et réputation de souveraine noblesse et magnanimité. Gardez-vous donc à présent de faire chose par laquelle ce renom serait tant soit peu diminué; qu'on ne puisse rien dire de vous qui ne soit à votre honneur. Si vous n'avez pas pitié de ces gens, tout le monde dira que ce fut grande cruauté de faire périr ces honorables bourgeois qui, de leur propre volonté, se sont remis à votre merci pour sauver les autres.» Sur ce, le roi se mit en colère et dit: «Messire Gautier, n'insistez pas; il n'en sera point autrement: qu'on fasse venir le coupe-tête. Les gens de Calais ont fait mourir tant de mes hommes qu'il est équitable que ceux-ci meurent aussi.»
Alors la noble reine d'Angleterre intervint avec beaucoup d'humilité; et elle pleurait avec une si chaude pitié qu'on ne pouvait rester insensible. Elle se jeta à genoux devant le roi son seigneur et dit: «Ah! noble sire, depuis que j'ai fait la traversée en grand péril, vous le savez, je ne vous ai adressé aucune prière ni demandé aucune faveur. Mais à présent je vous prie humblement et vous demande comme une faveur personnelle, pour l'amour du Fils de Sainte Marie et pour l'amour de moi, de bien vouloir prendre ces hommes en pitié.»
Le roi attendit un instant avant de parler et regarda la bonne dame, sa femme, qui, toujours à genoux, pleurait à chaudes larmes. Son cœur en fut touché, car il eût été peiné de la chagriner. Il dit donc: «Ah! Madame, j'eusse mieux aimé que vous fussiez ailleurs qu'ici. Vous me priez si instamment que je n'ose vous opposer un refus, et, quoique cela me soit très dur, tenez, je vous les donne: faites-en ce qu'il vous plaira». La bonne dame dit: «Monseigneur, très grand merci.»
Gentilhomme chargé par Édouard III de faire connaître ses conditions aux habitants de Calais. Alors la reine se leva, fit lever les six bourgeois, leur fit ôter la corde du cou et les emmena avec elle dans sa chambre; elle leur fit donner des vêtements et servir à dîner, bien à leur aise; ensuite elle donna six nobles à chacun et les fit reconduire hors du camp sains et saufs.
Source : http://ebooks.unibuc.ro/lls/MihaelaVoic ... ISSART.htmQue savez-vous sur le contexte des faits relatés ? Avez-vous identifié les personnages ? Que vous montre sur le contexte social et politique de l'époque ?
Et le contexte de l'écriture ? A votre avis, les faits relatés sont-ils fidèles à la réalité, ont-ils été retouchés dans un but de propagande (pour qui ?) ? Savez-vous s'il existe d'autres textes ou témoignages concernant cet événement, et quelle est leur version ?
On peut prendre ce texte sous bien des angles différents. Pour trouver votre problématique, demandez-vous quel est votre but en analysant ce texte ? Que cherchez-vous à étudier ?