La disparition du servage en Europe Occidentale est un sujet colossal en importance, sur lequel à ma connaissance très peu est écrit. Par exemple La part d’ange en nous, de Steven Pinker, survol de l’histoire universelle du point de vue de l’adoucissement des mœurs, est muet sur le sujet comme sur celui de la disparition de l’esclavage antique. Par exemple, dans wikipedia français, à l’article « servage » la bibliographie ne renvoie à aucun ouvrage consacré à l’abolition du servage, ni même au sujet plus général du servage, mais renvoie simplement à un article du Dictionnaire du Moyen-Âge. Dans les notes, je ne vois qu’un seul ouvrage pouvant concerner le sujet, de Mathieu Arnoux, Le temps des laboureurs. Travail, ordre social et croissance en Europe (XIème-XIVème siècle), dont je trouve par ailleurs sur internet une critique assez dure.
La cause probable de la disparition du servage donnée par l’article de wikipedia : la concurrence pour attirer les paysans, à un moment où ils étaient rares. Elle me semble un peu limitée. Si c’est seulement cela, pourquoi, quand les paysans sont devenus abondants, le servage n’at-il pas été réintroduit ? Par ailleurs, dans des pays comme l’Est de l’Europe et la Russie, on donne en général au servage une explication inverse : les hommes étaient rares, ils avaient tendance à s’enfuir, le servage les clouait sur place. Dans wikipedia anglais Histoire de l’esclavage, je vois un livre sur le sujet, d’un Allemand (le livre étant lui-même en anglais). Jürgen Backhaus, The Liberation of the Serfs : The economics of unfree labor (2012). Je vois ailleurs sur internet que le livre soutient la thèse que le travail servile ne peut jamais être efficace et tend à disparaître de soi-même, le processus de cette disparition pouvant prendre du temps… Et qu’il s’intéresse aux cas des E.-U. (esclavage), de la Prusse, de la Westphalie et de l’Autriche (des XVIIIème et XIXème siècles apparemment), de l’Argentine et de l’Empire britannique. Et qu’il est disponible pour 72 euros… Je dirai que c’est un des deux grands types d’explication auquel on peut penser. Le progrès de la rationalité dans l’économie, le développement, ferait progresser le travail libre. L’autre grand type d’explication étant que « l’histoire universelle est le progrès dans la conscience de la liberté » (Hegel). L’esclavage, le servage, se mettent à répugner, deviennent perçus comme contraires à la civilisation. En ce qui concerne l’Occident chrétien, ils deviennent perçus comme contraires au christianisme. La logique du christianisme leur est contraire et, progressivement, cela se découvre. Les dominés veulent de moins en moins rester dominés, et les dominants ont de moins en moins la passion de continuer la domination. On dira, cela déplace la question : pourquoi une religion plus respectueuse de la personne s’est-elle implantée ? Pourquoi pas au contraire, une religion qui l’est moins ? Pourquoi n’est-on pas passé de la religion de Caton à une religion de sacrifices humains massifs, à la manière aztèque ? Je dirai que le changement technique est favorable à l’universalisation. En particulier, la diffusion de l’écriture. Un écrit s’adresse potentiellement à tous. Il s’adresse à chaque conscience. Une civilisation de l’écrit établit dans l’universel.
Les deux types d’explications n’étant pas contradictoires, d’ailleurs.
Je vois qu’ici aussi le sujet n’a pas tellement suscité la passion des foules…
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