D'abord, il est à noter que les décrets de limpieza de sangre concernaient aussi les musulmans, pas seulement les juifs.
Les problèmes des juifs en Espagne auraient du en principe être résolus par leur conversion au catholicisme, et pour nombre d'entre eux ils le furent, car beaucoup s'assimilèrent dans la société espagnole, pénétrant dans différents milieux, différentes professions y compris les plus prestigieuses, et même dans les familles de la noblesse.
Leurs difficultés commencèrent commençèrent lorsque des autorités religieuses (un évêque de Tolède, si je ne me trompe) s'avisèrent que la conversion de certains juifs pourrait bien n'être que de façade et que ceux-ci continuaient à pratiquer secrètement la religion de leurs pères. Ces juifs faussement convertis étaient appelés les marannes, ils étaient un sujet d'effroi parmi les chrétiens, on leur attribuait de noirs desseins envers les catholiques (voir ci dessous).
Mais ces décrets de limpieza de sangre pris en conséquence établissaient une distinction qui était de nature purement religieuse, ils posaient que les individus appartenant aux religions juive et musulmane ne pourraient jamais devenir d'authentiques chrétiens: non pour des raisons biologiques mais parce que leur conversion apparente ne faisait que dissimuler un refus radical du catholicisme, ils étaient donc vus comme inassimilables.
Et corrélativement --et c'est ce qui ne permet pas d'y voir du racialisme--dans les décrets de limpieza de sangre, la définition d'un juif (ou d'un musulman) était uniquement religieuse: un juif , c'était quelqu'un qui pratiquait la religion juive. Dans cette approche, un espagnol converti au judaisme était juif.
D'ailleurs, dans la littérature de l'époque, les tares physiques que l'on attribuait aux juifs--odeur fétide, plaies, difformités monstrueuses--disparassaient miraculeusement si le juif se convertissait (sincèrement) au catholicisme. On ne peut donc parler de fondement génétique inaltérable de la judéité dans cette approche.
Plus grave, ces convertis de fraîche date corrompaient la foi chrétienne des anciens chrétiens et les éloignaient de Dieu:
Demande d'expulsion des juifs accordée par Sixte IV à la reine d'Espagne:
"La raisonnable demande qui vient de nous être présentée de votre part expose qu'en différentes lieux, terres et villes des royaumes espagnols de votre juridiction, nombre de personnes, alors qu'elles ont été régénérées dans le Christ par le saint baptême sans y avoir été contraintes, se sont permis de prendre l'apparence des chrétiens pour retourner aux rites et coutumes des juifs, de suivre les dogmes et préceptes de la perfide superstition judaique et d'abandonner la vraie foi.
Et non seulement, ils persévèrent dans leur aveuglement ...mais ils infectent leurs enfants et ceux qui vivent avec eux et leur nombre va croissant. Et à cause de leurs péchés et de notre tolérance... la piété porte à croire qu'il y a dans ces royaumes guerres, meurtres et autres calamités permises par Dieu, en grave offense de la divine majesté, au mépris de la foi, au péril des âmes et au scandale de tous".
Extrait du décret d'expulsion de 1492:
" Nous avons été informés qu'il y avait dans nos royaumes certains mauvais chrétiens qui judaisaient et apostasiaient notre sainte foi, ce qui se devait au fait que les juifs communiquaient avec les chrétiens. Or il appert que pour les chrétiens, un grand dommage s'en est suivi de la fréquentation ... avec les juifs, qui comme il est avéré, tentent toujours et par tous les moyens de subvertir et de soustraire à notre sainte foi catholique les fidèles, de les éloigner, de les attirer et de les pervertir en les amenant à partager leurs croyances et opinions corrompues".
En clair, ce que craignait la hiérarchie catholique et les autorités politiques, c'est que les anciens chrétiens en contact avec les juifs faussement convertis ne soient convertis par eux au judaisme et que cette religion se répande dans tout le royaume .
Voir à se sujet ce livre qui aborde en détail la question:
http://books.google.fr/books?id=r9iR_dJ ... ngre+juif+"+"&source=bl&ots=RM5nMLCQIF&sig=QJTcNhWJHmY6urXiSQImbcUCjVA&hl=fr&e
Qu'il y ait eu en Espagne à une époque plus ou moins tardive des approches préfigurant une évolution vers une définition racialiste de la judéité, c'est bien possible. Mais voir de l'antisémitisme dans les textes ci-dessus, c'est de la surinterprétation projective.
Non seulement vous projetez sur des périodes lointaines des catégories de pensée , voire des obsessions, modernes mais vous opérez dans une complète confusion conceptuelle: une discrimination religieuse ou culturelle n'est pas du racisme, et une étape vers le racialisme n'est pas du racialisme, qui est lui même à distinguer du racisme.
Ces distinctions sont fondamentales dans le champ étudié--celui de l'histoire du concept de racisme--et conditionnent une approche historienne de ces questions, par opposition à leur instrumentalisation dans un but de démonstration de thèses parfaitement anachroniques.