Alcibiade Didascaux a écrit :
A propos de villes, pourriez-vous m'expliquer la différence entre "ville", "cité" et "bourg" au Moyen Age?
A ce sujet, comment ne pas vous renvoyer vers ce très bel article qui a fait date en 1972(mais toujours utilisé par les historiens) de Anne Jourdan Lombard intitulé oppidum et banlieue :sur l’origine et les dimensions du territoire urbain »dans la revue Annales,Économies, Sociétés, Civilisations, 27e année,N2 pp 373 394 .Eh oui, c’est bien celle de Marc Bloch.
Dans cet article passionnant, avant d’expliquer la continuité et l’éventuelle rupture entre l’oppidum romain (Et du haut moyen âge)et la banlieue qui prend le relais, elle nous fait une sorte de passage en revue des différents termes appliqués à la ville.
Un mot sur oppidum et banlieue avant de vous répondre. Il est intéressant de voir comme, même dans un même texte comme la guerre des Gaules de César l’oppidum peut recouvrir plusieurs réalités ; ou-même, il emploie deux vocables différents pour la même ville selon la situation par exemple Urbs lorsqu’il va l’incendier ou oppidum lorsqu’il veut décrire une belle ville (pour les gaulois bien sûr). Donc, ce qu’il va saccager, alors que c’est la même agglomération , il lui donne un vocable à consonance méliorative alors que quand il veut dire que c’est une belle ville il l’appelle oppidum, qu’en déduire ? Je ne sais pas. Peut-être qu’un oppidum c’est bien pour les gaulois…
Une chose est sûre c’est que les noms attribués ont fluctués tant dans le temps que dans l’espace. Plusieurs manières de délimiter l’influence du village par exemple : un aller-retour entre son lieu d’habitation et le champ, ou alors une certaine distance à partir du centre de l’agglomérationou le diocèse où l’espace sur lequel s’exerce un privilège. Pour la ville, c’est encore plus compliqué. On ne peut réduire la ville à l’enceinte Il faut aussi considérer que les campagnes alentours servant à la nourrir tombe sous son escarcelle. L’influence peut s’exercer, selon les lieux et selon les époques, par des biais religieux, militaire, administratif ou /et judiciaire.il faut bien se représenter que, contrairement au XIXe siècle, le bourgeois n’est pas un statut social mais un statut juridique : le bourgeois est celui qui bénéficie des privilèges de la ville, dont bien souvent l’habitant des faubourgs fait partie.Mais attention, un marchand ont un étudiant étranger ne bénéficie pas des privilèges car il habite la ville. Plus tard,ils pourront se réunir en ce que l’on appelle des « nations ».Dans le saint empire traîne ce bon vieil adage : « l’air de la ville rend libre». Comme quoi, c’est un peu plus compliqué que cela. C’est en ce sens que l’on ne peut pas dire que le statut de «commune » est une révolution. C’est juste un changement de seigneur, l’apparition des communes – même insurrectionnelles – n’a jamais fait trembler le système féodal. Au contraire, la commune , qui n’a rien de démocratique comme certains aiment à nous le faire croire c’est bien plus une oligarchie où toutes les institutions sont propices à laisser le pouvoir dans les mêmes mains,est un seigneur à part entière. Je pourrais vous retrouver quelque chose sur le contado se Siene illustrant bien cela.
Bon, revenons à nos moutons, on observe quand même une certaine continuité entre l’oppidum et la banlieue. Bien sûr, vous n’ignorez pas que la banlieue est la lieue sur laquelle s’exerce le droit de ban seigneurial. Ce qui est intéressant c’est de voir comment une lieue correspond à trois milles romaines ce qui est précisément la distance sur laquelle s’exercait bien souvent l’influence de l’oppidum.
En ce qui concerne la terminologie urbaine au Moyen Âge il y a de quoi se taper la tête contre les murs. Définir une ville est strictement impossible !Elle ne recouvre jamais ni nulle part (ou presque) les mêmes réalités . L’un des grands spécialistes de la question, Patrick Boucheron,s’y est attelé :il a renoncé. Il a fini par dire que la ville est un« état d’esprit ».
Je ne prendrai qu’un exemple : Vicus,vient de la racine indo-européenne weik qui correspond à l’unité sociale juste au-dessus du chef de famille. Le mot sert à désigner un groupement d’habitation ;un bourg, un village mais aussi dès l’époque romaine, il peut prendre le sens d’un quartier d’une ville, d’une rue .Et là, je reste dans le mot en lui-même, parce que si je rentre dans ses innombrables dérivés, on n’est pas sorti du foin…
Prenez aussi en compte que ce genre de développement on peut le faire pour des mots comme civitas, burgus, castellum, j’en passe et des meilleurs.
Le seul conseil que je puis vous donner c’est que,lorsque vous entendez ville au Moyen Âge, vous acquiescez et écoutez la suite . Peut-être la suite du discours va-t-elle vous éclairer, mais jamais le mot en lui-même. C’est un ovni médiéval comme il y en a beaucoup d’autres. Ne cherchons pas à arrêter de définition dans ce genre de domaines. En plus, cela limiterai constamment les champs de recherche mais de toute façon on trouverait toujours quelque part au fond du Gers une agglomération qui dérogerait à votre définition initiale.
Vous et bien à vous.