Voltaire fut le premier écrivain à parler de ce mystère, dans son livre Le Siècle de Louis XIV. Je vous donne les quelques documents qu'il a relatés dans son livre :
"Quelques mois après la mort de ce ministre (Mazarin), il arriva un évènement qui n'a point d'exemples ; et, ce qui est non moins étrange, c'est que tous les historiens l'ont ignoré. On envoya dans le plus grand secret au château de l'île Sainte-Marguerite, dans la mer de Provence, un prisonnier inconnu, d'une taille au-dessus de l'ordinaire, jeune et de la figure la plus belle et la plus noble. Ce prisonnier, dans la route, portait un masque dont la mentonnière avait des ressorts d'acier qui lui laissaient la liberté de manger avec le masque sur son visage : on avait ordre de le tuer s'il se découvrait. Il resta dans l'île jusqu'à ce qu'un officier de confiance, nommé Saint-Mars, gouverneur de Pignerol, ayant été fait gouverneur de la Bastille l'an 1690, l'alla prendre dans l'île Sainte-Marguerite, et le conduisit à la Bastille toujours masqué. Le marquis de Louvois alla le voir dans cette île avant la translation, et lui parla debout et avec une considération qui tenait du respect. Cet inconnu fut mené à la Bastille, où il fut logé aussi bien qu'on peut l'être dans le château : on ne lui refusait rien de ce qu'il demandait ; son plus grand gout était pour le linge d'une finesse extraordinaire, et pour les dentelle. On lui faisait la plus grande chère, et le gouverneur s'asseyait rarement devant lui. Un vieux médecin de la Bastille, qui avait souvent traité cet homme singulier dans ces maladies, a dit qu'il n'avait jamais vu son visage, quoiqu'il eût souvent examiné sa langue et le reste de son corps. Il était admirablement bien fait, disait ce médecin ; sa peau était un peu brune ; il interessait par le seul ton de sa voix, ne se plaignant jamais de son état, et ne laissant point entrevoir ce qu'il pouvait être. Un fameux chirurgien, gendre du médecin dont je parle, est témoin dont je parle, est témoin de ce que j'avance ; et monsieur de Bernaville, successeur de Saint-Mars, l'a souvent confirmé.
Cet inconnu mourut en 1704, et fut enterré la nuit, à la paroisse de Saint-Paul. Ce qui redouble l'étonnement, c'est que, quand l'on envoya aux îles Sainte-Marguerite, il ne disparut dans l'Europe aucun homme considérable. * Ce prisonnier l'était sans doute ; car voici ce qui arriva les premier jours qu'il était dans l'île. Le gouverneur mettait lui-même les plats sur la table, et ensuite se retirait après l'avoir enfermé. Un jour le prisonnier écrivit avec un couteau sur une assiette d'argent, et jeta l'assiette par la fenêtre vers un bateau qui était au rivage, presque au pied de la tour ; un pêcheur, à qui ce bateau appartenait, ramassa l'assiette et la porta au gouverneur. Celui-ci, étonné, demanda au pêcheur : "Avez-vous lu ce qui est écrit sur cette assiette, et quelqu'un l'at-il vue entre les mains ? Je ne sais pas lire, répondis le pêcheur : je viens de la trouver, personne ne l'a vue.
Ce paysan fut retenu jusqu'à ce que le gouverneur fut informé qu'il n'avait jamais lu, et que l'assiette n'avait été vue de personne. "Allez, lui dit-il, vous êtes bien heureux de ne savoir pas lire." Parmi les personnes qui ont eu connaissance immédiate de ce fait, il y en a une qui vit encore (1760)(cette personne est Riousse, ancien commissaire des guerres à Cannes)* . M. de Chamillart fut le dernier ministre qui eu cet étrange secret : le second maréchal de La Feuillade, son gendre, m'a dit qu'à la mort de son beau-père il le conjura à genoux de lui apprendre ce que c'était cet homme qu'on ne connut jamais que sous le nom de l'homme au masque de fer; Chamillart lui répondit que c'était le secret de l'Etat, et qu'il avait fait serment de ne le réveler jamais. Enfin il reste encore beaucoup de mes contemporains qui déposent de la vérité de ce que j'avance, et je ne connais point de faits ni plus extraordinaires ni mieux constaté. "
L'édition que je viens de vous donner est celle de la première édition, hormis les lignes encadrées par deux étoiles qui sont de la dernière et définitive édition.
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