Le bonapartiste a écrit :
Vous voulez parler des mémoires de Fouché, ou de ce passage très précis "Suivant un illustre historien, qui s'en est rapporté sur ce point au témoignage de Talleyrand..." ... que voulez vous qu'on dise de plus, il n'y a aucune matière...
Si je m'étais permis de tels commentaires sur les sources qu'on m'avait données à étudier pendant mes études d'histoire à l'université, il y a peu de chances que j'eusse décroché mon diplôme. Pourtant, dans certains cas, la matière était encore plus limitée que celle qui se trouve dans les textes que j'ai cités, sans les commenter jusqu'à présent. Mais comme j'en étais déjà convaincu, collecter et citer des sources, ce n'est que la moitié du travail de l'historien. Sans commentaire et sans interprétation, cela reste apparemment peu compréhensible pour la majorité des gens.
Contrairement à ce que vous avancez, ces deux textes contiennent des éléments qui ne sont pas dépourvus d'intérêt si l'on veut en comprendre davantage sur ce qui s'est passé à l'occasion de cette affaire un peu étrange.
Le premier texte, malgré ses limites (je n'ai pas pu identifier "l'illustre historien" dont parlait Ernouf, parce que je n'ai pu consulter le livre dont ce texte est extrait qu'à partir de "Google Livres" qui présente la particularité de ne mettre à la disposition des internautes que certaines pages des livres et non l'intégralité du texte, or pour identifier l'illustre auteur, il aurait fallu pouvoir consulter la note où son nom était peut-être mentionné, mais qui se trouvait sur une page non accessible du livre), apporte un élément neuf que personne n'avait mentionné jusqu'à présent. Je suis d'ailleurs un peu étonné que vous ne soyez pas emparé de ce passage, puisqu'il va plutôt dans le sens de ce que vous avez avancé. Le fait que Napoléon aurait supposé que Fouché avait pris langue avec les Anglais en vue d'envisager leurs dispositions après sa chute et non pour aboutir à une paix dont il serait le bénéficiaire est en effet un élément qui éclaire sous un autre jour le limogeage de Fouché. Est-ce, parce que c'est moi qui ai fourni ce texte et que vous avez considéré sans examiner plus à fond les choses qu'un texte que je fournirais ne pouvait être utilisé pour appuyer votre opinion, que vous n'avez pas vu ce que vous auriez pu en tirer ? Si c'est le cas, je ne peux que vous inviter à lire plus attentivement les textes sans a priori qui vous empêche d'en comprendre le sens.
Si ce premier texte contenait effectivement une matière limitée et d'ailleurs pas forcément juste, étant donné qu'on ne sait pas d'où l'auteur tient son information sur les soupçons qu'aurait eu Napoléon, il n'en va pas de même pour le texte de Fouché (ou de l'auteur des mémoires de Fouché, si l'on n'est pas certain que c'est lui qui tenait la plume). Il s'agit en effet du témoignage d'un des acteurs (et les informations données laissent penser que si ce n'est pas Fouché lui-même qui a rédigé ce texte, c'est quand même quelqu'un qui a eu d'une manière ou d'une autre des informations de Fouché, à moins d'être un faussaire de génie) et l'on ne peut se permettre si l'on veut faire un travail de recherche sérieux d'écarter un tel témoignage sous le prétexte mal avisé qu'il ne contiendrait aucune matière, ce qui est de toute évidence faux, les renseignements qu'il fournit étant au contraire assez détaillé, précis et à la différence des textes fournis précédemment, d'une grande clarté. Ce témoignage peut évidemment être mensonger, mais même comme cela, il est d'un grand intérêt, ne serait-ce que pour comprendre comment un homme aussi intelligent que Fouché peut s'être embarqué dans une entreprise en apparence aussi folle.
Parmi les points importants à retenir du témoignage de Fouché, il y a tout d'abord l'affirmation qui est loin d'avoir une importance négligeable, selon laquelle Fouché aurait entrepris ces négociations sans savoir que Napoléon en menait également de son côté. On n'est évidemment pas obligé de croire Fouché quand il raconte qu'il serait indirectement à l'origine des négociations entreprises par Napoléon. Cela n'a d'ailleurs pas beaucoup d'importance. On peut également trouver qu'il pousse le bouchon un peu loin quand il inverse les rôles en accusant Napoléon d'être responsable de l'échec pour ne pas l'avoir informé. Mais pour le reste, la version selon laquelle deux négociations menées en parallèle dans l'ignorance l'une de l'autre auraient provoqué leur échec paraît avoir plus de sens que la reprise par Fouché de négociations initiées par Napoléon qui n'avaient rien donné, Fouché n'étant pas un lointain ancêtre de Gaston Lagaffe dont on célèbre cette année le soixantième anniversaire.
Un autre élément intéressant du témoignage de Fouché, c'est sa conclusion. "J'aurais pu prédire, sans me tromper, que dans moins de quatre ans l'Empire de Napoléon n'existerait plus." Cyril Drouet demandait quel historien avait dit que Napoléon avait fait une erreur en mettant un terme aux négociations de Fouché avec l'Angleterre et en le virant de son ministère. Voici la réponse : ce n'est pas un historien, mais Fouché lui-même (ou l'auteur de ses mémoires, si ce n'est pas Fouché).
Le bonapartiste a écrit :
Non je pensais plutôt à ses manigances avec Talleyrand lorsque Napoléon était en Espagne, mais aussi ses manœuvres contre le consulat à vie en 1802. Mais même le fonctionnement de son ministère, qui fût il est vrai efficace mais aussi vue comme dangereux d'une certaine mesure par Napoléon. Il faudrait que je retrouve le passage dans un tome III de Nouvelle Histoire du Premier Empire, mais il me semble que l'Empereur avait mis en place sa propre police, ne relevant que de lui même, à vérifier.
Si vous aviez lu attentivement le texte des mémoires de Fouché que j'ai cité, vous ne diriez pas que l'existence de cette police est à vérifier.
Voici ce qu'écrivait Fouché :
Citer :
L'empereur, surpris d'une conclusion si brusque et si inattendue, employa, pour en découvrir la cause, sa contre-police et ses limiers des affaires étrangères.
Vous auriez pu également reprendre le texte d'Ernoulf pour illustrer ce que Napoléon pouvait reprocher à Fouché, même si de telles manigances avaient sans doute davantage lieu d'être à l'époque de Marengo qu'en 1810, une des rares années où Napoléon n'était pas occupé par une campagne militaire :
Citer :
Celui-ci, moins optimiste, supposa que l'on avait voulu plutôt savoir à quelles conditions la paix serait immédiatement possible avec l'Angleterre ; si d'une façon quelconque, lui-même venait à disparaître. Il se trompait sans doute ; comment douter de l'innocence de Fouché, garantie par Talleyrand ?
Le bonapartiste a écrit :
Je n'ai pas justifié le renvoi par cette action. Mais reprenant Tulard dans son "Joseph Fouché" cela transforma "en complète disgrâce une simple mise à l'écart". Étonnant que Fouché détruise tant de documents pour un type aussi intègre et ne s'intéressant qu'au bien être de la France n'est ce pas ?
Cette anecdote est l'une des plus comiques de la période. Malheureusement, tout le monde ne semble pas s'en amuser. Il semble même qu'il y ait des gens qui préfèrent s'en indigner. Je me demande bien pourquoi.
Et qui a dit que Fouché était un type intègre qui ne s'intéressait qu'au bien-être de la France ? Pour ma part, je n'ai jamais entendu dire une chose pareille. En revanche, de nombreuses personnes répètent régulièrement que Napoléon se préoccupait du bien de la France. C'est presque aussi étrange que la proposition précédente, mais celle-là, on la dit souvent sans rire.