J'ose penser que la jeunesse est souvent accompagnée d'idéaux d'absolu sous toutes formes.
Ensuite les échanges se font entre mêmes lignes de pensée. Puis vient le débat face à des contradicteurs.
Chacun essaie de faire valoir sa vérité et alors tout est bon pour trouver chez l'autre le biais quel qu'il soit pour démontrer faits à l'appui que l'idéal de l'autre est forcément moins beau, moins digne, moins pur (nous sommes très proche des romantiques).
Lorsque l'on tient enfin la tribune, nous devenons moins regardant au comment nos idées sont appliquées. Dans un contexte comme la Révolution "la fin justifie les moyens" lorsque l'on est du côté du "bien" et que l'on se fait tuteur de la masse qui comprendra une fois dégrossie. En attendant on ne peut faire sans elle, alors rien n'a changé depuis la nuit des temps. On lui offre ce qu'elle souhaite, ce que souhaite la majorité : du pain, des jeux, des têtes, une idée de pouvoir dans l'action (la masse ne pense pas à long terme, on pense pour elle...). On lui jette en pâture les héros d'hier qui sont soudain la caution de notre survie et ainsi va la surenchère.
Le temps passe dans ce contexte exceptionnel et fait aussi que les idéaux fuient plus vite qu'à l'accoutumée devant une réalité bien navrante. On devient cynique, blasé, soucieux non seulement de n'être point de la prochaine fournée mais aussi lorsque l'on est tout en haut soucieux de s'accorder un éventuel futur douillet après une telle traversée.
Tout ceci est humain, démultiplié par les peurs qui nous enserrent face à l'angoisse d'une délation, de la mort. Pour avoir utilisé certaines ficelles afin de faire tomber le voisin, on connait le jeu : "...donnez-moi trois mots de l'écriture d'un homme et je vous en fait un assassin..." alors en plus des mots, il reste les paroles, les actes et arrive le moment où le but n'est pas de se montrer plus blanc que blanc (on le voit avec Talleyrand et Fouché devant Louis XVIII) mais plus gris que noir et la politique fait le reste.
Les idéaux ont fait comme le café... ils sont passés. L'aspiration désormais va vers une vie de normalité, l'âge est là, on s'étonne des têtes qui sont passées par le fameux panier, on s'étonne encore plus d'y avoir échappé en se prononçant contre l'ami d'hier (le vent à tourné), contre celui qui depuis fort longtemps pouvait nous incommoder attirant les lumières, tout est bon pour éviter l'étroite échelle de l'échafaud.
Je ne dirai pas que c'est "normal", c'est simplement humain. Il en va de même pour les actions de Fouché ou Carrier à une époque où il est bon de se montrer plus révolutionnaire que la révolution.
Les mêmes exactions seront vues, ordonnées par des commissaires du peuple lors que la RR. Une évidence est présente, lorsque l'on ne peut s'élever par la parole alors les actes relaient ceux qui la possède. Il y a les penseurs et les acteurs, plus pragmatiques car la Révolution n'attend pas et ceci jusqu'à la banalisation puis l'écoeurement, alors on aspire à un changement, bien oublieux d'avoir fait partie de ceux qui souhaitaient haut et fort le changement d'avant. C'est tellement humain.
Je sais qu'Alain G sera effrayé mais je pense que le Fouché dans l'effervescence de la révolution -l'âge ne nous attribuant rien de matériel, nous ne sommes pas accrochés- n'est plus le Fouché de Thermidor, pas plus que celui de Brumaire ou le ministre de Napoléon. La pensée s'est affinée, le fond reste brutal mais soudain on se trouve "placé" ; on craint pour "sa position", pour un peu on passerait pour modéré : c'est un luxe que l'on peut s'offrir car on ne semble pas être, on est toujours incontournable.
A cette époque qui n'a pas peu ou prou de sang sur les mains ? Après avoir séché, il s'est effacé au contact des billets, des dossiers. L'âge mûr amène à défaut de sérénité, calcul et établissement ce qui ne se fait point sans donation, il faut plaire, on se retrouve courtisan puis on trahit -vieille habitude devenue seconde nature-.
Je n'ai pas à l'esprit beaucoup de personnes -dans l'histoire de ces temps troublés- qui soient mortes "pour leurs idéaux" à moins d'avoir été fauchées jeunes ou s'être placées à contre courant et le revendiquant par les armes puisqu'il est rare d'écouter une minorité dans une action d'ensemble qu'est une révolution. On commence par faire table rase du passé et ensuite par besoin d'espace et de champ, on culbute les minorités. Ce sont de simples grains qui ne vont tout de même pas enrayer une tant belle machine en forme de rouleau compresseur. Un "Napoléon" est donc dans la suite logique car pour faire fonctionner le rouleau auquel on s'habitue résolument, il faut que le moins fol du moment soit aux commandes.
Chaque Révolution connaitra ses extrémistes, vite passés à la trappe pour faire place à un autre discours plus policé mais n'ayant pas de temps à perdre en disputes. On est toujours l'extrémiste ou le mou d'un régime, on est ce que ceux qui ont décidé votre perte veulent que vous soyez.
Staline trouvait Boukharine trop extrémiste, alors il ira vers Zinoviev et sa clique, plus modérés. Une fois Boukharie hors jeu, il trouvera Zinoviev et consorts trop mous et exit... Même jeu mené par un Krouchtchev outsider devant Malenkov et Béria. Chacun sait qui sera le vainqueur de cette politique vieille comme le monde. Les alliances sont établies pour être défaites au gré de la politique qui contrairement aux hommes n'attend pas.