J’avais dans ce post
viewtopic.php?f=55&t=2297&p=394347#p394347 parlé assez négativement de la proposition de loi de 2007 relative à la reconnaissance du génocide.
Le 6 mars 2012, une nouvelle proposition portant sur le même objet fut à nouveau enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale :
« PROPOSITION DE LOI visant à reconnaître officiellement le génocide vendéen de 1793-1794,
(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs Dominique SOUCHET, Véronique BESSE, Bernard CARAYON, Hervé De CHARETTE, Nicolas DHUICQ, Marc LE FUR, Lionnel LUCA, Jacques REMILLER et Jean UEBERSCHLAG, députés.
EXPOSÉ DES MOTIFSMesdames, Messieurs,
Pourquoi, après avoir légiféré sur les génocides juif et arménien, devons-nous impérativement nous prononcer sur le génocide vendéen ?
Parce que les faits sont désormais clairement établis.
Le travail des historiensLa recherche universitaire a longtemps été verrouillée idéologiquement et quasi muette sur les événements de Vendée. Mais, à partir de 1986, elle commence à leur consacrer des travaux importants, auxquels le colloque de 1993 « La Vendée dans l’histoire » donnera une impulsion décisive. Études monographiques, synthèses démographiques, analyse serrée des correspondances du Comité de salut public avec les représentants en mission, dépouillement minutieux des comptes rendus des opérations militaires menés par les généraux républicains, l’ensemble de ces travaux révèle, sans aucune contestation possible désormais, que les évènements de Vendée de 1793-1794 réunissent toutes les composantes d’un génocide :
– une volonté politique de destruction systématique d’une population stigmatisée ;
– une extermination planifiée et organisée ;
– un bilan humain équivalent, en proportion de population, à celui du génocide cambodgien.
Les chercheurs nous montrent comment la répression d’un soulèvement déclenché pour préserver une liberté fondamentale, la liberté de conscience, va se muer très rapidement en politique d’extermination d’une Vendée érigée en objet idéologique voué à la détestation nationale.
La volonté exterminatrice apparaît très tôt. Dès les premiers jours du soulèvement, Goupilleau, député de la Vendée, refuse l’idée même d’échange de prisonniers, au motif qu’on ne rend pas des esclaves (les Vendéens) contre des hommes libres (les citoyens). Dès lors que l’on déshumanise son adversaire, qu’on lui dénie sa condition humaine, la porte est ouverte à la justification de son extermination.
Le 19 mars 1793, les députés de la Convention créent la catégorie juridique de « hors la loi », qui va s’appliquer aux Vendéens, qui désormais ne sont plus des citoyens. Le 12 juin, les représentants Mazade, député de Haute-Garonne, et Garnier, député de Charente-Inférieure, recommandent au Comité de salut public la déportation de la population.
Par la loi du 1er août, les députés de la Convention décident, pour mieux exterminer les rebelles, de déporter les femmes, les enfants et les vieillards et d’enlever les bestiaux et les récoltes pour affamer le pays.
Très tôt également l’idée est née de tout incendier sur cette « terre maudite ». Dès le 24 mars les représentants Auguis, député des Deux-Sèvres et Carra, député de Saône-et-Loire, proposent de brûler tous les villages insurgés. Plus tard, le représentant Merlin, député de la Moselle, exige la destruction du bocage : « C’est le sol lui-même qu’il faut combattre aujourd’hui ». Le 7 novembre, Fayau, député de la Vendée, réclame l’envoi d’une armée incendiaire.
La machine infernale est lancée. Elle va être alimentée par un véritable délire idéologique. Députés de la Convention, membres du Comité de salut public et députés envoyés sur place comme représentants en mission vont se livrer à une surenchère permanente et c’est à qui inventera les méthodes et les moyens les plus sûrs et les plus effroyables pour que l’extermination soit la plus efficace et la plus totale possible. Non seulement cette rhétorique meurtrière rend possible le crime, mais elle le justifie par avance.
Le 5 septembre, le dispositif législatif s’affine encore. Une nouvelle loi stipule que les « brigands » doivent être exterminés, après avoir précisé que tous les Vendéens de dix à soixante ans sont des « brigands » et que les femmes sont « complices ».
La visée exterminatrice apparaît également dans la conduite même des opérations militaires. Il est acquis très tôt qu’on ne fera pas de prisonniers du côté républicain. Lors des batailles décisives du Mans et de Savenay, on ne distingue pas entre les combattants et la population civile qui les accompagne. Les charniers des Jacobins confirment que les enfants, les adolescents, les femmes et les vieillards ont été sabrés, tout comme les combattants.
Enfin, la phase la plus caractérisée du génocide intervient une fois la Vendée militairement vaincue, alors que le massacre systématique ne peut plus s’abriter derrière la moindre justification militaire.
C’est après l’écrasement complet de ce qui restait des armées vendéennes à Savenay, que Carrier, député du Cantal, procède à Nantes aux grandes noyades et aux fusillades massives de prisonniers vendéens, qui seront qualifiées par Babeuf de « système de dépopulation ». C’est alors qu’il lance sa terrible sentence : « C’est par principe d’humanité que je purge la terre de la liberté de ces monstres ». Ce qui guide la main du bourreau, c’est l’amour pour le genre humain : c’est à un « massacre humanitaire » qu’il procède.
C’est au lendemain de Savenay que Turreau demande au Comité de salut public d’approuver son plan de colonnes incendiaires destinées à « traverser la Vendée pour assurer l’anéantissement total des rebelles ». En janvier 1794, c’est sur une Vendée vaincue, prostrée, désarmée, exsangue que Turreau lance ses douze colonnes vite qualifiées d’« infernales » qui vont inscrire sur le sol vendéen autant de routes de sang et de feu.
Pour stimuler l’ardeur des généraux génocidaires, Carrier intime à Cordelier, celui-là même qui massacrera aux Lucs-sur-Boulogne 110 enfant de moins de sept ans, de « mettre au nom de la loi le feu partout et de n’épargner personne, ni femmes, ni enfants, de tout fusiller. Rien n’est plus beau que de savoir sacrifier tous sentiments humains à la vengeance nationale ».
Les représentants Hentz, député de la Moselle, et Garrau, député de la Gironde, leur rappellent que « la guerre de Vendée ne sera complètement terminée que quand il n’y aura plus un habitant dans la Vendée ». Le député de la Mayenne, Dubois-Crancé, tient un langage clair : « Les révolutionnaires ne pourront se reposer que lorsque ce pays sera désert ».
Les résultats sont au rendez-vous.
« On a vu, rapporte Lequinio, député du Morbihan, des militaires républicains violer des femmes rebelles sur les pierres amoncelées le long des grandes routes et les fusiller ou les poignarder en sortant de leurs bras. On en a vu d’autres porter des enfants à la mamelle au bout de la baïonnette ou de la pique qui avait percé du même coup et la mère et l’enfant ».
Le capitaine Dupuy, du bataillon de la Liberté, témoigne en toute bonne conscience : « Partout où nous passons, nous portons la flamme et la mort. L’âge, le sexe, rien n’est respecté. C’est atroce, mais le salut de la République l’exige impérieusement ».
Les députés Hentz, Garrau, Prieur, député de la Marne, et Francastel, député de l’Eure, rapportent le 4 mars au Comité de salut public : « La Vendée offre le spectacle du carnage et de la désolation ; partout le silence et l’horreur. Cette guerre ne finira que par la mort du dernier Vendéen, et tous auront mérité leur sort ». Toujours la bonne conscience.
Les députés Hentz et Francastel écrivent encore : « Nous les tuons en détail en faisant périr tout ce qui se trouve dans le pays. Quand la guerre de la Vendée sera complètement terminée, il n’y restera point d’habitant, puisqu’on y aura tout détruit ».
Ces correspondances permettent d’approcher l’univers mental des génocidaires, en montrant comment la volonté idéologique de faire le bonheur de l’humanité en général peut conduire à la massacrer en détail, sans pour autant engendrer un quelconque sentiment de culpabilité.
***
Le devoir des parlementairesÀ partir de ces faits, désormais solidement établis, pourquoi la représentation nationale doit-elle aujourd’hui prendre position ?
Parce que l’injustice de l’histoire officielle s’est nourrie du silence entretenu par tous les pouvoirs et régimes successifs, qui semblent s’être conjurés pour cacher à la France le prix qu’elle a payé à la Terreur, particulièrement en Vendée. La quasi-totalité des bourreaux de la Vendée a été blanchie et l’État n’a engagé aucune réflexion de fond sur sa responsabilité dans le déclenchement du processus d’extermination. Jamais encore, pourtant, un État n’avait entrepris une telle exécution collective en la justifiant au nom du bonheur du peuple. Ce long silence officiel doit être rompu. Ce déni doit cesser, car qu’est-il d’autre que la poursuite dans le présent de l’acte génocidaire ?
Parce que l’ampleur des recherches effectuées depuis le début des années 1980 sur les évènements de Vendée a permis d’établir clairement l’intention exterminatrice et permet aujourd’hui de regarder en face cette page majeure de notre histoire et de mettre fin à une longue période de déni officiel.
Parce que ces recherches font apparaître l’écrasante responsabilité de la représentation nationale dans la conception et la mise en œuvre du génocide vendéen. Notre Parlement doit aux victimes et à leurs descendants une réparation morale qui doit se traduire par la reconnaissance de l’épreuve atroce qui leur fut infligée par les autorités légales de notre pays, dans le cadre d’un corpus législatif élaboré et voté par les députés de la Convention. Le fait d’opérer dans un cadre législatif a donné bonne conscience aux bourreaux. Le terrorisme d’État et la politique d’extermination dont les Vendéens ont été l’objet doivent être à la fois clairement reconnus et profondément regrettés.
Parce que malgré l’ampleur de leurs recherches, les historiens constatent que leurs travaux n’ont pas suffi à rompre le silence et à briser le déni. L’un d’eux déclarait en janvier 2012 : « Le sacrifice des Vendéens n’a jamais été vraiment intégré dans l’histoire globale de la nation. Pour combien de temps encore ? » Ce constat appelle une démarche proprement politique de la part de la représentation nationale.
Parce que le pays de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne peut plus garder le silence et persister dans la non-reconnaissance officielle. Il ne peut plus taire que, quelques années seulement après sa proclamation, cette déclaration a été outrageusement violée en Vendée par ceux là même qui s’en prévalaient.
Parce qu’aucune revendication fractionnelle n’a jamais animé les rescapés de l’extermination et leurs descendants. La reconnaissance par la nation de l’épreuve inouïe qu’elle a infligé à la Vendée est d’autant plus justifiée que celle-ci n’a pas basculé dans le séparatisme. Alors qu’ils avaient été désignés comme objet de la « vengeance nationale », les Vendéens ont résisté à la tentation de nourrir des aspirations anti-nationales. La Vendée n’a pas retourné contre la nation « l’élection de haine » dont elle a été l’objet. Non seulement il n’y a pas eu d’attentats contre les fonctionnaires, mais 120 ans après les massacres de masse dont ils ont été les victimes, les Vendéens ont versé leur sang pour la patrie, au cours de la guerre 1914-1918, comme aucun autre département ne l’a fait. La Vendée a donné à la France les héros de deux guerres mondiales : Georges Clemenceau et Jean de Lattre de Tassigny. La présente démarche n’a donc strictement rien à voir avec l’exaltation identitaire d’un groupe mémoriel qui chercherait à se faire reconnaître au détriment de l’unité nationale.
Parce qu’il nous appartient de mettre en lumière non seulement le processus d’extermination dont furent victimes les Vendéens, mais aussi la volonté de ces derniers de surmonter le ressentiment qu’engendre naturellement toute entreprise génocidaire. Il nous appartient d’inclure dans le récit national cette page de notre histoire politique avec sa part d’ombre et sa part de lumière.
La réception de leur propre génocide par les Vendéens contient l’antidote au poison que tout processus d’extermination suscite naturellement. Au lieu de s’enfermer dans le ressassement morbide et sans fin du malheur, le « Souvenir vendéen » préféra exalter les exemples d’humanité que les Vendéens surent opposer à la logique déshumanisante des grands massacres. Ainsi des libérations massives de prisonniers que leur inspirèrent leurs convictions religieuses et que le « Grâce aux prisonniers ! » de Bonchamps, immortalisé par David d’Angers, résume. Face à l’emballement idéologique qui a nourri le processus génocidaire et l’a emporté vers toujours plus de radicalité, nous devons mettre en évidence la recherche réaliste par les Vendéens d’une canalisation de la violence.
***
« Depuis deux-cents ans, déclarait en 1994 François Furet, la République a laissé la Vendée seule avec son malheur ». Le temps ne serait-il pas venu de répondre à l’appel en faveur de « l’union sacrée de la mémoire » lancé par Alain Decaux depuis le village martyr des Lucs-sur-Boulogne le 25 septembre 1993 ?
« Reconnaître ce qui a été et le regretter publiquement, voilà qui doit contribuer à apaiser une douleur qui, deux siècles après, vit toujours ici derrière toutes les haies et sous les pierres de tous les chemins ». Alain Decaux, qui regrettait que dans le manuel scolaire de son enfance, les massacres de Vendée n’aient droit qu’à deux lignes, avait aussi déclaré : « J’ai cru que la République se grandirait dès lors qu’un historien républicain viendrait publiquement affirmer que les droits de l’homme ont été bafoués en Vendée ».
C’est dans cette perspective tracée par notre grand historien que s’inscrit la présente proposition de loi. Elle n’a pas pour objectif de diviser, mais au contraire de réconcilier la France avec elle-même, en intégrant pleinement dans sa mémoire officielle cette page à la fois obscure et lumineuse : celle d’une extermination qui n’a pas débouché sur un désir inextinguible de vengeance. Mais aux victimes et à leurs descendants, dépourvus de haine, il faut rendre justice.
C’est pourquoi la proposition de loi prévoit une reconnaissance, qui témoigne d’un regret profond, mais non la pénalisation d’un négationnisme qui n’a plus de raison d’être.
En reconnaissant officiellement le génocide vendéen, « premier génocide contemporain » comme l’a souligné Gilles-William Goldnadel, notre pays réaffirmera sa condamnation de tous les génocides, et contribuera à éviter que de tels processus barbares ne se reproduisent à l’avenir.
PROPOSITION DE LOI
Article unique
La République Française reconnaît le génocide vendéen de 1793-1794. »
http://www.assemblee-nationale.fr/13/pr ... on4441.aspLa dernière proposition sur le sujet date du le 16 janvier 2013. La voici :
« PROPOSITION DE LOI relative à la reconnaissance du génocide vendéen de 1793-1794,
(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs Lionnel LUCA, Véronique BESSE, Jacques BOMPARD, Alain LEBOEUF, Marion MARÉCHAL-LE PEN, Alain MARLEIX et Yannick MOREAU,
députés.
EXPOSÉ DES MOTIFSMesdames, Messieurs,
Le 23 janvier 2012 dernier le Parlement français adoptait une proposition de loi portant transposition du droit communautaire sur la lutte contre le racisme et réprimant la contestation de l’existence du génocide arménien.
La définition du terme « génocide » établie par le tribunal international de Nuremberg est la suivante : « On appelle crime de génocide la conception ou la réalisation partielle ou totale, ou la complicité dans la conception ou la réalisation de l’extermination d’un groupe humain de type ethnique, racial ou religieux ».
La préoccupation du génocide d’une communauté importante qui vit en France justifie s’il en était besoin de se préoccuper des génocides que la France a connus et de reconnaître enfin le génocide vendéen commis sous la période révolutionnaire de la Terreur.
Notre code pénal (art. L. 211-1) en donne quant à lui la définition suivante : « constitue un génocide le fait, en exécution d’un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou d’un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire, de commettre ou de faire commettre, à l’encontre de membres de ce groupe, l’un des actes suivants : atteinte volontaire à la vie ; atteinte grave à l’intégrité physique ou psychique ; soumission à des conditions d’existence de nature à entraîner la destruction totale ou partielle du groupe ; mesures visant à entraver les naissances ; transfert forcé d’enfants. »
Ces définitions correspondent parfaitement aux actions menées par la Convention à partir du 1er août 1793 et doivent donc, au regard de la loi de 2012, être reconnues.
À ceux qui ne manqueront pas de rétorquer que la population de la Vendée militaire ne constituait pas à proprement parler un groupe ethnique, signalons que l’adjudant général Hector Legros considérait en l’an III que « le pays que nous appelons Vendée est formé de la presque totalité de la Vendée, de la moitié des Deux-Sèvres et du Maine-et-Loire et d’une grande partie de la Loire-Inférieure » (1).
Deux lois furent votées par la Convention en préparation du « génocide vendéen » : celle du 1er août 1793 : « Anéantissement de tous les biens… » et celle du 1er octobre 1793 : « Il faut que tous les brigands de la Vendée soient exterminés avant la fin du mois d’octobre : le salut de la Patrie l’exige ; l’impatience du peuple français le commande ; mon courage doit l’accomplir ».
Le point de départ du génocide est le décret du 1er août 1793 voté sur proposition de Barrère de Vieuzac après un discours incendiaire : « Ici, le Comité, d’après votre autorisation, a préparé des mesures qui tendent à exterminer cette race rebelle, à faire disparaître leurs repaires, à incendier leurs forêts, à couper leurs récoltes et à les combattre autant par des ouvriers et des pionniers que par des soldats. C’est dans les plaies gangreneuses que la médecine porte le fer et le feu, c’est à Mortagne, à Cholet, à Chemillé que la médecine politique doit employer les mêmes moyens et les mêmes remèdes. L’humanité ne se plaindra pas ; les vieillards, les femmes et les enfants seront traités avec les égards exigés par la nature. L’humanité ne se plaindra pas ; c’est faire son bien que d’extirper le mal ; c’est être bienfaisant pour la patrie que de punir les rebelles. Qui pourrait demander grâce pour des parricides… Nous vous proposons de décréter les mesures que le comité a prises contre les rebelles de la Vendée ; et c’est ainsi que l’autorité nationale, sanctionnant de violentes mesures militaires portera l’effroi dans les repaires de brigands et dans les demeures des royalistes. » (2)
Le décret du 1er août 1793 relatif aux mesures à prendre contre les rebelles de la Vendée stipulait dans son article 1er que : « Le ministre de la guerre donnera sur le champ les ordres nécessaires pour que la garnison de Mayence soit transportée en poste dans la Vendée… » Article VI : « Il sera envoyé par le ministre de la guerre des matières combustibles de toute espèce pour incendier les bois, les taillis et les genêts. » Article VII : « Les forêts seront abattues ; les repaires des rebelles seront détruits ; les récoltes seront coupées par les compagnies d’ouvriers, pour être portées sur les derrières de l’armée et les bestiaux seront saisis. » Article VIII : « Les femmes, les enfants et les vieillards seront conduits dans l’intérieur. Il sera pourvu à leur subsistance et à leur sûreté, avec tous les égards dus à l’humanité. » Article XIV : « Les biens des rebelles de la Vendée sont déclarés appartenir à la République ; il en sera distrait une portion pour indemniser les citoyens qui seront demeurés fidèles à la patrie, des pertes qu’ils auraient souffertes. » (3)
Ce décret, malgré une déclaration de bonne conduite (« avec tous les égards dus à l’humanité »), était un véritable appel au meurtre, au vol institutionnalisé et à la déportation des non-combattants, ce que l’on pourrait qualifier de nos jours d’« épuration ethnique ».
Ce décret sera suivi par celui du 1er octobre 1793 – décliné sur le mode du discours de Caton auprès du Sénat romain (« delenda est Carthago ») : « Détruisez la Vendée, Valenciennes et Condé ne sont plus au pouvoir de l’Autrichien. […] Enfin chaque coup que vous porterez à la Vendée retentira dans les villes rebelles, dans les départements fédéralistes. La Vendée et encore la Vendée, voilà le charbon politique qui dévore le cœur de la République française ; c’est là qu’il faut frapper. » (4)
Après la prise de Laval le 23 octobre, et la défaite républicaine d’Entrammes, le 26 octobre 1793, un nouveau décret daté du onzième jour du deuxième mois, portera que « toute ville de la République qui recevra dans son sein les brigands ou qui leur donnera des secours sera punie comme ville rebelle. En conséquence, elle sera rasée et les biens des habitants seront confisqués au profit de la république. » (5)
Les mesures préconisées furent appliquées à la lettre par les représentants en mission auprès des armées et dans les départements.
Le 9 frimaire an II (29 novembre 1793), le représentant Fayau écrit aux administrateurs du département de la Vendée : « Vous savez comme moi citoyens que les brigands appelés de la Vendée existent encore quoique on les aie tués plusieurs fois à la tribune de la Convention. […] Je vous engage à prendre les mesures les plus promptes et les plus énergiques pour que les armées catholiques et royales dans le cas où elles rentreraient dans la Vendée n’y trouvent plus qu’un désert. […] Il serait bon, citoyens, que des commissaires nommés par vous se transportassent de suite dans toutes les parties de votre département pour en faire retirer toutes les subsistances et pour faire arrêter tous les citoyens qui ont pris part directement ou indirectement aux troubles de la Vendée. Il faut purger la Patrie… » (6)
Le représentant Francastel n’est pas en reste. Le 25 décembre 1793, il écrit au Comité de salut public : « Je fais débarrasser les prisons de tous les infâmes fanatiques qui s’étaient échappés de l’armée catholique. Pas de mollesse, que le torrent révolutionnaire entraîne tout ce qui lui résiste scandaleusement. Purgeons, saignons jusqu’au blanc. Il ne faut pas qu’il reste aucun germe de rébellion… » (7)
En novembre 1793, le général Turreau est nommé commandant en chef de l’armée de l’Ouest avec la charge de faire appliquer le décret du 1er août. L’ordre de départ est donné le 21 janvier 1794, cette première phase sera appelée « la promenade militaire » alors qu’à cette date la Grande Armée catholique et royale n’est plus qu’un nom. Turreau divise l’armée en six divisions de deux colonnes chacune, qui ont pour mission de ratisser le territoire et d’exterminer la population. Ce sont les « colonnes infernales » qui vont se livrer au génocide des Vendéens. L’ordre du jour du général Grignon, commandant la 2e division est très clair : « Je vous donne l’ordre de livrer aux flammes tout ce qui est susceptible d’être brûlé et de passer au fil de l’épée tout ce que vous rencontrerez d’habitants. » Les rapports des généraux républicains commandant les Colonnes sont aussi particulièrement explicites : « Nous en tuons près de 2 000 par jour. […] J’ai fais tué (sic) ce matin 53 femmes, autant d’enfants. […] J’ai brûlé toutes les maisons et égorgé tous les habitants que j’ai trouvés. Je préfère égorger pour économiser mes munitions… »
Le général Westermann, dans sa lettre à la Convention du 23 décembre 1793, suite à l’extermination des Vendéens ayant survécu à la virée de galerne à Savenay, précisait que : « Il n’y a plus de Vendée, citoyens républicains, elle est morte sous notre sabre libre, avec ses femmes et ses enfants. Je viens de l’enterrer dans les bois et les marais de Savenay. Suivant les ordres que vous m’avez donnés, j’ai écrasé les enfants sous les pieds des chevaux, et massacré les femmes qui, au moins pour celles-là, n’enfanteront plus de brigands. Je n’ai pas un prisonnier à me reprocher. J’ai tout exterminé. »
Lequinio, représentant du peuple dans la Charente et la Charente-Inférieure, est encore plus explicite dans sa lettre du 8 ventôse an II (26 février 1794) : « Je crois que par séduction, argent, violence ou autrement, on avait pu s’emparer des chefs, il serait possible de n’exterminer que les étrangers, car quoique l’on puisse en croire, ce sont les hommes du pays même qui sont le moins dangereux ; ils seraient réduits à l’instant s’ils s’étaient laissés à eux-mêmes; mais ce sont les prêtres, les nobles, les étrangers et les déserteurs mêlés au milieu de nous qui rendent leur réduction impossible. Il faut donc nécessairement les égorger tous. C’est le parti que facilite l’arrêté que mes collègues Garrau, Hentz et Francastel viennent de prendre, en faisant retirer dans l’intérieur de la république tous les réfugiés de ce pays, réduits au désespoir, ainsi que le sont les habitants de se pays pervertis par les scélérats étrangers qui sont au milieu d’eux et qu’il n’eut pas été possible d’en séparer. Il est impossible maintenant qu’on use envers eux des moyens que l’on pouvait employer autrefois de concert avec la poursuite des étrangers. Il faut donc se décider à tout massacrer. » (8)
Le décret du 2 ventôse an II (20 février 1794) ordonnait la déportation des innocents et des bons citoyens de manière à ne plus laisser dans les pays révoltés que « les rebelles que l’on pourra plus aisément détruire ». (9)
*
La République française reconnaît, à travers plusieurs lois, les différents événements qui ont marqué l’histoire internationale : Shoah, esclavage, génocide arménien... Ces lois mémorielles permettent de mettre en exergue les souffrances subies par des peuples.
Les exemples cités supra montrent la volonté incontestable de la Convention d’anéantir une population ; ce qu’explique en 1794 Gracchus Babeuf dans un pamphlet, Du système de dépopulation ou La vie et les crimes de Carrier, dans lequel il dénonce les exactions commises par Jean-Baptiste Carrier lors de sa mission à Nantes, dont il affirme qu’elles renvoient à un système de dépopulation qu’il nomme « populicide ».
Comme le mot « génocide », forgé par Lemkin en 1944, il est employé pour désigner une forme de crime dont l’appréhension est inédite, le meurtre de masse visant un peuple dont le seul tort est son origine ethnique, raciale, religieuse ou politique. Pierre Chaunu, historien et membre de l’Académie des sciences morales et politiques depuis 1982, n’a pas hésité à parler de génocide franco-français dans l’avant-propos du livre de Reynald Secher (10) qu’il a signé : « Nous n’avons jamais eu l’ordre écrit de Hitler concernant le génocide juif, nous possédons ceux de Barrère et de Carnot relatifs à la Vendée. »
Les moyens utilisés pour ce faire, rapportés notamment par Reynald Secher (cf. ouvrage cité supra), ou par Michel Ragon (1793, L’insurrection vendéenne et les malentendus de la liberté, Albin Michel, Paris, 1992), ont été nombreux : épuration par mutilation sexuelle, création du premier camp d’extermination de l’histoire moderne à Noirmoutier, premiers essais de gazage de masse (insuccès, dû au gaz employé et à l’absence de confinement), premières crémations avec les fours à pain et les églises (exemple de l’église des Lucs-sur-Boulogne où furent brûlés vifs 563 villageois), noyades collectives avec les « noyades des galiotes » ou en couples avec les « mariages républicains dans la Loire, création au Ponts-de-Cé d’ateliers de tannage de peau humaine – peau dont se vêtissent les officiers républicains – et d’extraction de graisse par carbonisation des corps des villageois massacrés à Clisson. À force de tueries, des municipalités, pourtant républicaines, et des représentants du Comité de salut public finissent par s’émouvoir. Turreau est relevé de ses fonctions en mai 1794, puis décrété d’arrestation en septembre. Jugé en décembre 1795, il est acquitté à l’unanimité.
La République sera d’autant plus forte qu’elle saura reconnaître ses faiblesses, ses erreurs et ses fautes. Elle ne peut continuer de taire ce qui est une tâche dans son histoire. Elle doit pour cela reconnaître le génocide vendéen de 1793-1794, et témoigner à cette région – qui dépasse l’actuel département de la Vendée – dont la population a été victime de cette extermination, sa compassion et sa reconnaissance pour avoir surmonté sa douleur et sa vengeance en lui donnant des hommes aussi prestigieux que Georges Clemenceau ou Jean de Lattre de Tassigny qui servirent la Patrie et défendirent la République.
PROPOSITION DE LOI
Article unique
La République française reconnaît le génocide vendéen de 1793-1794.1 () Mes rêves dans mon exil, BM de la Rochelle, cote 27628 C/13.
2 () Gazette nationale ou le Moniteur universel du vendredi 9 août 1793.
3 () L 28-AD85.
4 () Moniteur universel du 16 du premier mois de l’an II, n° 280.
5 () L 31-AD85.
6 () L 380-AD85.
7 () Fonds Uzureau, 2F14 37-AD49.
8 () Archives nationales AA 53.
9 () Lettre de Hentz et Francastel du 7 ventôse an II, L 475-AD35.
10 () Le génocide franco-français : la Vendée Vengée, Réédition Perrin 2006. »
http://www.assemblee-nationale.fr/14/pr ... on0607.aspDans le même ordre d’idée, on peut aussi cité la proposition de loi déposée au Sénat le 23 février 2012 tendant à abroger les décrets du 1er août et du 1er octobre 1793 :
« PROPOSITION DE LOI tendant à abroger les décrets du 1er août et du 1er octobre 1793,
PRÉSENTÉE Par MM. Bruno RETAILLEAU, René BEAUMONT, Michel BÉCOT, Claude BELOT, Jean BIZET, François-Noël BUFFET, Christian CAMBON, Jean-Noël CARDOUX, Marcel-Pierre CLÉACH, Raymond COUDERC, Francis DELATTRE, Robert del PICCHIA, Mmes Catherine DEROCHE, Marie-Hélène DES ESGAULX, MM. Éric DOLIGÉ, Michel DOUBLET, André DULAIT, André FERRAND, Bernard FOURNIER, Christophe-André FRASSA, Francis GRIGNON, François GROSDIDIER, Michel HOUEL, Alain HOUPERT, Mme Christiane HUMMEL, MM. Benoît HURÉ, Jean-Jacques HYEST, Marc LAMÉNIE, Daniel LAURENT, Jean-René LECERF, Jacques LEGENDRE, Dominique de LEGGE, Jean-Pierre LELEUX, Claude LÉONARD, Philippe LEROY, Jean-Louis LORRAIN, Roland du LUART, Michel MAGRAS, Philippe MARINI, Pierre MARTIN, Alain MILON, Albéric de MONTGOLFIER, Jackie PIERRE, Hugues PORTELLI, Charles REVET, André TRILLARD, François TRUCY, Pierre BERNARD-REYMOND, Philippe DARNICHE, Jean-Paul AMOUDRY, Joël GUERRIAU et Jean-Claude MERCERON,
Sénateurs
(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFSMesdames, Messieurs,
Les guerres de Vendée constituent un épisode dramatique de notre Histoire nationale.
Alors que les Vendéens accueillent favorablement les idéaux de 1789, ils sont heurtés par la constitution civile du clergé, la conscription de 1793 et l'arrogance d'une certaine bourgeoisie de la ville qui s'approprie de nouveaux privilèges. Commencée comme une révolte spontanée en mars 1793 contre la levée en masse, elle tourne vite à l'insurrection sur un territoire qui déborde largement du département et que l'on définira du nom de « Vendée militaire ».
Ne comprenant pas qu'une insurrection populaire se dresse contre la révolution du peuple, la Convention y verra un complot aristocratique, symbole de la contre-révolution. Cette lecture idéologique du conflit, à laquelle viendront s'ajouter les premiers succès remportés par l'armée vendéenne vont radicaliser rapidement la nature même des affrontements.
C'est alors qu'une logique d'escalade, puis une « rhétorique d'extermination » pour reprendre l'expression de François Furet, s'installent. Elles déboucheront sur une issue tragique.
La Convention vote le 1er août 1793 un premier décret dit d'anéantissement de la Vendée qui prévoit l'exécution des hommes « pris les armes à la main » mais surtout la déportation des femmes, des enfants et des vieillards. Deux mois plus tard, la Convention adopte le 1er octobre 1793 un décret modificateur qui ajoute à l'anéantissement matériel de la Vendée, l'extermination de ses habitants.
Sur le terrain, la guerre de Vendée s'achève avec la défaite de Cholet le 17 octobre 1793, la Virée de Galerne et l'écrasement de ce qui reste de l'armée vendéenne dans les marais de Savenay juste avant Noël de la même année.
La Vendée est vaincue. Une oeuvre de pacification aurait pu consolider la paix civile et préparer la réconciliation. Pourtant, la violence va atteindre son paroxysme dans les premiers mois de l'année 1794 avec l'application rigoureuse des deux décrets d'anéantissement et d'extermination des 1er août et 1er octobre.
Les historiens ont désormais établi les faits. Le territoire de la Vendée militaire est alors soumis à une entreprise systématique d'extermination de masse. Carrier à Nantes trouve la guillotine trop lente et lui substitue les noyades expéditives dans la Loire de milliers de suspects, tandis que Turreau déchaîne ses colonnes infernales sur ce qui reste de population civile, blanche et bleue confondues.
Ce déchainement de violence est d'autant plus inexcusable comme le dit François Furet qu'il s'agit « d'une violence révolutionnaire, la plus inexcusable au regard même du « salut public » qui lui sert d'excuse, puisque c'est une violence de vainqueurs, exercée punitivement après la liquidation de l'armée vendéenne ».
Ce massacre collectif trouve son fondement légal dans les deux décrets du 1er août et du 1er octobre 1793. Deux armistices furent signés après Thermidor mais, depuis lors, ces deux textes n'ont fait l'objet d'aucune abrogation. Ainsi, bien qu'ils ne portent plus aujourd'hui et depuis longtemps aucun effet juridique, ils font toujours partie de notre corpus de loi.
La présente proposition de loi a donc pour objet d'abroger ces deux décrets qui ont servi de base légale à de nombreuses atrocités et à l'extermination des vendéens aujourd'hui avérées.
Cette proposition de loi n'a pas pour objet d'inciter la représentation nationale à faire acte de repentance. Elle entend simplement rompre symboliquement avec cette législation contraire aux principes initiaux de la Révolution française contenus dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, au premier rang desquels figure le respect de la dignité humaine.
PROPOSITION DE LOI
Article unique
Le décret du 1er août 1793 relatif aux mesures à prendre contre les rebelles de la Vendée et le décret du 1er octobre 1793 contenant une nouvelle organisation de l'armée destinée à combattre les rebelles de la Vendée, sous le nom d'Armée de l'Ouest, sont abrogés. »http://www.senat.fr/leg/ppl11-426.html