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Message Publié : 28 Juin 2012 12:29 
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Philippe de Commines
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Drouet Cyril a écrit :
La méfiance était donc de mise vis-à-vis du nouvel allié et si « l’air de Tilsit » laissait entrevoir chez Alexandre la réponse à ses rêves orientaux, du côté de Paris (autre colosse…), on pensait (carte polonaise également en main) bien différemment…

Pourquoi les mots "rêves orientaux" ? Les demandes étaient-elles à ce point ahurissantes, inadéquates ou impossible dans l'aboutissement ?
Le côté "oriental" est celui qui m'apparait le plus opaque quant aux désirs d'Alexandre, à vrai dire je ne comprends pas bien... :oops:

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"... Et si je te semble avoir agi follement, peut-être suis-je accusée de folie par un insensé." (Sophocle)


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Message Publié : 28 Juin 2012 12:42 
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Fustel de Coulanges
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Les projets orientaux du Tsar évoqués à Tilsit, puis repris logiquement par la suite, devaient dans le même temps aller dans le même sens que les desseins de l'Empereur qui ne voyait pas vraiment les choses de manière similaire.
Les premiers accrochages diplomatiques concernèrent d'ailleurs les provinces danubiennes.

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Message Publié : 09 Juil 2012 10:13 
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Fustel de Coulanges
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Je reprends ici la discussion entamée sur le duché d’Oldenbourg :

gaete59 a écrit :
L'annexion du duché d'Oldenburg voit la Cour pousser les hauts cris et là encore par sa volonté de ne pas céder aux provocations de l'Empereur, Alexandre ne bouge pas.


Avaler une telle couleuvre, sans bouger ?
Même si les réactions furent modérées, Alexandre n’allait tout de même pas laisser passer une telle occasion de faire entendre son mécontentement et tenter de faire avancer la question polonaise.

La première protestation fut reçue par Caulaincourt qui la retranscrit dans son rapport du 27 janvier 1811 :
« Il est évident que c'est à dessein de faire une chose offensante pour la Russie. Est-ce pour me forcer à changer de route ? On se trompe bien : d'autres circonstances aussi peu agréables pour mon empire ne m'ont pas fait dévier du système et de mes principes : celle-ci ne me fera pas donner plus à gauche que les autres. Si la tranquillité du monde est troublée, on ne pourra m'en accuser, car j'ai tout fait et je ferai tout pour la conserver.»

Puis vint la note adressée à toutes les chancelleries européennes :
« « S. M. I. de toutes les Russies a appris avec surprise que S. M. l'empereur des Français, roi d'Italie, son allié, donnant, par un sénatus-consulte, de nouvelles limites à son empire, y a compris le duché d'Oldenbourg. S. M. a exposé à l'attention de l'empereur, son allié, comme elle le fait à celle de l'Europe entière, que nommément le traité de Tilsit assure la paisible possession de ce duché à son légitime souverain (1).
S. M. a rappelé à ce monarque , et le fait à toutes les puissances, que la Russie, par le traité provisoire de 1766 et par celui de 1773, abandonna au roi de Danemark tout ce qu'elle possédait dans le duché de Holstein, et reçut en échange les comtés d'Oldenbourg et de Dekenhorst, qui, par des transactions connues, auxquelles plusieurs puissances durent nécessairement prendre part, furent érigés en duché souverain en faveur d'une branche cadette de cette même maison de Holstein-Gottorp, à laquelle S.M. I. appartient par le lien du sang le plus direct.
L'empereur juge que cet état, créé par la générosité de son empire, ne peut être annulé sans blesser toute justice et ses droits. Il se voit par conséquent obligé d'user du droit de réservation , et de mettre à couvert, comme il le fait par le présent office, en son propre nom et celui de ses héritiers au trône à perpétuité, tous les droits et obligations qui dérivent des traités ci-dessus mentionnés.
Quel prix pourraient conserver les alliances, si les traités qui les fondent ne conservaient pas le leur. Mais S. M., afin de ne point donner sujet à aucune méprise, déclare ici qu'un grand intérêt politique a produit son alliance avec S. M. l'empereur des Français ; que cet intérêt subsiste, et qu'elle se propose par conséquent de veiller à la conservation de cette alliance, et s'attend à un soin pareil et réciproque de la part d'un monarque à l'amitié duquel elle a des droits.
Cette union de l'intérêt de deux empires, conçue par Pierre-le-Grand, qui, dès lors et depuis, rencontra tant d'obstacles, a déjà procuré des avantages à l'empire de S. M., et la France de même en a recueilli de son côté.
Il paraît donc de l'utilité des deux empires, de s'appliquer à conserver cette alliance, et S. M. y consacrera tous ses soins. »


(1) article 12 du traité de Tilsit :
« LL. AA. SS. les Ducs de Saxe-Cobourg, d'Oldenburg et de Mecklenburg-Schwerin, seront remis chacun dans la pleine et paisible possession de ses États. »
Alexandre tout en se référant ici au traité, « oublie » que, lui-même, ignorant alors les affaires du duché d’Oldenbourg, avait, par son oukase du 31 décembre 1810 sur les droits de douanes, contrevenu audit texte :
« Les relations de commerce entre l'Empire Français, le Royaume d'Italie, les Royaumes de Naples et de Hollande, et les États confédérés du Rhin, d'une part, et d'autre part, l'Empire de Russie, seront rétablies sur le même pied qu'avant la guerre. »
(Article 27)



La protestation était modérée.
Le Tsar, préparant la guerre, ne fermait pas pour autant la porte aux possibilités de négociations que lui offraient cette nouvelle montée fièvre.

La perte d’Oldenbourg exigeait des compensations. Napoléon en convenait bien évidemment, et proposait Erfurt. Le refus de l’offre par le duc et le Tsar offrait à ce dernier la possibilité d’ouvrir à nouveau et par une nouvelle porte l’épineux dossier de la question polonaise.
Alexandre s’en ouvrit (mais en taisant toute références explicites au duché de Varsovie) en ces termes auprès de Napoléon dans sa lettre du 25 mars 1811 :
« Votre Majesté m'accuse d'avoir protesté contre l'affaire d'Oldenbourg (1). Mais pouvais-je ne pas le faire ? Un petit coin de terre que possédait l'unique individu qui appartient à ma famille, qui a passé par toutes les formalités qu'on a exigées de lui, membre de la Confédération, et par là sous la protection de Votre Majesté, dont les possessions se trouvent garanties par un article du traité de Tilsit, s'en trouve dépossédé sans que Votre Majesté m'en ait dit un mot préalablement ! De quelle importance ce coin de terre pouvait-il être pour la France? Et ce procédé prouvait-il à l'Europe l'amitié de Votre Majesté pour moi ? Aussi toutes les lettres écrites de partout à cette époque prouvent qu'on l'a envisagé comme un désir que Votre Majesté a eu de me blesser. Quant à ma protestation, la manière dont elle est rédigée sert de preuve irrécusable que je mets l'alliance de la France au-dessus de toute autre considération, et j'y énonce clairement qu'on se tromperait beaucoup si on en déduisait que mon union avec Votre Majesté se trouve relâchée.
[…]
Mon amour-propre est attaché au système d'union avec la France. L ayant établi comme un principe de politique pour la Russie, ayant dû combattre assez longtemps les anciennes opinions qui y étaient contraires, il n'est pas raisonnable de me supposer l'envie de détruire mon ouvrage et de faire la guerre à Votre Majesté, et si elle la désire aussi peu que moi, très certainement elle ne se fera pas.
Pour lui en donner encore une preuve, j'offre à Votre Majesté de m’en remettre à elle-même sur la réparation dans l'affaire d’Oldenbourg ; qu'elle se mette à ma place et que Votre Majesté fixe elle-même ce qu'elle aurait désiré en pareil cas. Votre Majesté a tous les moyens d'arranger les choses de manière à unir encore plus étroitement les deux empires et à rendre la rupture impossible pour toujours. De mon côté, je suis prêt à la seconder dans une intention pareille. Je répète que si la guerre a lieu c'est que Votre Majesté l'aura voulue et ayant tout fait pour l'éviter, je saurai alors combattre et vendre chèrement mon existence. Veut-elle, au lieu de cela, reconnaître en moi un ami et un allié ? Elle me retrouvera avec les mêmes sentiments d'attachement et d'amitié qu'elle m'a toujours connus. Je prie Votre Majesté de lire pareillement cette lettre dans un bon esprit et de n'y voir qu'un désir très prononcé à concilier les choses. »



(1) Alexandre faisait ici référence à la lettre impériale du 28 février précédent :
« Je charge le comte de Czernitchef de parler à Votre Majesté de mes sentiments pour elle. Ces sentiments ne changeront pas, quoique je ne puisse me dissimuler que Votre Majesté n'a plus d'amitié pour moi. Elle me fait faire des protestations et toutes espèces de difficultés pour l'Oldenburg, lorsque je ne me refuse pas à donner une indemnité équivalente et que la situation de ce pays, qui a toujours été le centre de la contrebande avec l'Angleterre, me fait un devoir indispensable, pour l'intérêt de mon Empire et pour le succès de la lutte où je suis engagé, de la réunion d'Oldenburg à mes Etats. »


Tchernitchef fut chargé d’aborder la délicate question.
Il rencontra l’Empereur le 10 avril.
Voici, le rapport que l’envoyé russe formula (Tchernitchef répond ici aux interrogations de l’Empereur vis-à-vis des désirs du Tsar relativement aux compensations)
« Je répondis que Votre Majesté ne m’ayant pas fait connaître ses intentions à cet égard, il me serait impossible de donner moi-même une réponse satisfaisante à la question et croyant le moment favorable pour exécuter l’ordre que m’avait donné S.E. le chancelier à mon départ, j’ajoutais que tout ce que pouvait encore faire connaître à Sa Majesté à ce sujet se bornait à ce que pendant mon séjour Saint-Pétersbourg, M. le comte de Romianzoff m’avait fait répéter deux ou trois fois, ce qui avait rapport à la convention générale que Sa Majesté m’avait chargé de proposer à Votre Majesté Impériale et dans laquelle elle manifestait le désir de faire entrer les affaires d’Oldenbourg et de Pologne, ainsi qu’un nouveau traité de commerce entre la Russie et la France ; disant que comme Monsieur le chancelier m’a constamment témoigné beaucoup de bonté et de confiance j’oserai si Sa Majesté le permettait lui rapporter le discours qu’il me tint à cet égard, en conservant les mêmes expressions, qui était, si l’on pouvait parvenir à mettre les affaires de la Pologne ainsi que celles d’Oldenbourg, dans un même sac, les y bien mêler ensemble, puis le vider, M. le comte était fermement persuadé que l’alliance entre les deux empires en deviendrait bien solide, plus intime et plus sincère qu’autrefois et cela en dépit des Anglais et même des Allemands.
A peine avais-je achevé que Napoléon se mit à marcher à grands pas, avec beaucoup d’agitation, en me disant avec emportement :
« Non, Monsieur, heureusement nous ne sommes pas réduits à cette extrémité ; abandonner le duché de Varsovie pour l’Oldenbourg serait le comble de la démence, quel effet produirait sur les Polonais la cession d’un pouce de leur territoire, au moment où la Russie nous menace, tous les jours, Monsieur, l’on me répète de toutes parts, que votre projet est d’envahir le duché.
Eh bien ! nous ne sommes pas encore morts ; je ne suis pas plus fanfaron qu’un autre, je sais que vos moyens sont grands, que votre armée est aussi belle que brave et j’ai trop livré de batailles pour ne pas connaître à combien peu de chose tient leur sort ; mais comme les chances seront égales, dans le cas que le Dieu de la victoire se range de notre côté, je ferai repentir la Russie de sa démarche et c’est alors qu’Elle pourra perdre non seulement ses provinces polonaises, mais aussi la Crimée. »
Dès que j’au pu trouver jour à placer un mot ; je lui ai dit que j’avais peut-être eu très grand tort de rapporter à Sa Majesté une simple réflexion de M. le chancelier, adressé à une personne en qui il avait de la confiance ; qu’au surplus, il était possible aussi qu’ayant mal compris l’idée de M. le comte, j’avais encore à me reprocher de l’avoir mal exprimée ; là-dessus Napoléon, qui d’abord après son mouvement de colère se calma, me dit avec douceur :
« A présent, je vous devine : c'est Dantzig que vous désirez avoir en échange ; il y a de cela un an. Seulement six mois, je vous l'aurais donné ; maintenant que j'ai de la méfiance, que je suis menacé, comment voulez-vous que je vous livre l'unique place sur laquelle je puisse, dans le cas d'une guerre contre vous, appuyer toutes mes opérations sur la Vistule ; il faudrait donc que je les reporte volontairement sur l’Oder, dans le cas que je sois provoqué postérieurement.»


Toute avancée sur ce point apparaissait donc impossible.
Le 15 août suivant, Kourakine en eut confirmation auprès de l’Empereur par une nouvelle volée de bois vert :
« Je ne suis pas assez bête pour croire que ce soit l’Oldenbourg qui vous occupe : je vois clairement qu'il s'agit de la Pologne, Vous me supposez des projets en faveur de la Pologne ; moi, je commence à croire que c'est vous qui voulez vous en emparer, pensant peut-être qu'il n'y a pas d'autre moyen d'assurer de ce côté vos frontières.
Ne vous flattez pas que je dédommage jamais le duc du côté de Varsovie. Non, quand même vos armées camperaient sur les hauteurs de Montmartre, je ne céderai pas un pouce du territoire varsovien : j'en ai garanti l’intégrité. Demandez un dédommagement pour l’Oldenbourg, mais ne demandez pas cent mille âmes pour cinquante mille, et surtout ne demandez rien du grand-duché. Vous n'en aurez pas un village, vous n'en aurez pas un moulin. Je ne pense pas à reconstituer la Pologne ; l’intérêt de mes peuples n'est pas lié à ce pays. Mais si vous me forcez à la guerre, je me servirai de la Pologne comme d'un moyen contre vous. Je vous déclare que je ne veux pas la guerre et que je ne vous la ferai pas cette année, à moins que vous ne m'attaquiez. Je n'ai pas de goût à faire la guerre dans le Nord; mais si la crise n'est point passée au mois de novembre, je lèverai cent vingt mille hommes de plus : je continuerai ainsi deux ou trois ans, et si je vois que ce système est plus fatigant que la guerre, je vous la ferai et vous perdrez toutes vos provinces polonaises.»

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Message Publié : 09 Juil 2012 19:23 
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Philippe de Commines
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Drouet Cyril a écrit :
Même si les réactions furent modérées, Alexandre n’allait tout de même pas laisser passer une telle occasion de faire entendre son mécontentement et tenter de faire avancer la question polonaise.

Antérieurement vous avez démontré les plans d'Alexandre quant à une guerre offensive exportée soit en Prusse soit en Pologne. Le terrain prussien ayant été écarté, reste la Pologne. Czartoryski envoyé pour sonder les humeurs polonaises. Les conditions sont difficiles car il faudrait au Tsar la main sur Dantzig :
restauration de la constitution du 3 mai 1791
réunification des terres polonaises
bénéfice d'un accès à la mer

L'idée est abandonnée, la guerre -si l'on doit s'y résoudre- sera défensive.

Revenons après Wagram où le traité mettait Alexandre en obligation de porter aide à Napoléon contre l'Autriche.
"Monsieur l'Ambassadeur, L'Empereur ne veut pas que je vous cache que les dernières circonstances lui ont fait beaucoup perdre de la confiance que lui inspirait l'alliance de la Russie et qu'elles sont pour lui des indices de la mauvaise foi de ce cabinet. On n'avait jamais vu prétendre garder l'ambassadeur de la puissance à laquelle on déclarait la guerre... Six semaines sont écoulées et l'armée russe n'a pas fait un mouvement et l'armée autrichienne occupe le grand duché comme une de ses provinces. […] Le coeur de l'Empereur est blessé ; il n'écrit pas à cause de cela à l'empereur Alexandre ; il ne peut pas lui témoigner une confiance qu'il n'éprouve plus. Il ne dit rien, il ne se plaint pas, il renferme en lui-même son déplaisir mais il n'apprécie plus l'alliance de la Russie... 40 000 hommes que la Russie aurait fait entrer dans le grand duché auraient rendu un véritable service et auraient au moins entretenu quelque illusion sur un fantôme d'alliance […] Que la cour de Russie soit toujours contente de vous autant que vous paraissez l'être d'elle ; par cela même que l'Empereur ne croit plus à l'alliance de la Russie, il lui importe davantage que cette croyance, dont il est désabusé soit partagée par toute l'Europe." (Champigny à Caulaincourt, le 2 juin 1809).
Les territoires de Galicie enlevés à l'Autriche abondent le duché de Varsovie. Ce n'est pas tant une Pologne indépendante qui inquiète Alexandre, c'est une Pologne "sous tutelle française". Le Tsar se serait parfaitement vu accorder une constitution à la Pologne tout en coiffant le titre de roi. Saint Petersbourg cabale toujours autant et toujours dans le sens francophobe espérant voir enfin la mèche du conflit allumée, le bellicisme est de tous les salons : "L'Empereur est bon mais bête et Roumiantsev un imbécile. Ils ne savent jamais prendre eur parti : en faisant la guerre, ils n'avaient qu'à la commencer en s'emparant de la Galicie, les Polonais ne seraient pas venus nous la disputer. Il faut faire l'Empereur moine : il entretiendra la paix du couvent, la Narychkine, religieuse, elle servira à l'aumônier et au jardinier surtout qu'ils sont Polonais... Quant à Roumantsiev, il faut le faire marchand de kvass."
Les diplomates sont à l'effort de paix pendant que les militaires préparent la guerre, ceci des deux côtés.
La suite est un enchaînement de prises de position de part et d'autre qui vont conduire au choc final.
Il est à noter qu'à Erfurt, on pourrait encore négocier mais Napoléon est toujours sur l'idée du Tsar de Tilsit et compte sur la "naïveté" (il n'a toujours rien compris...) de son interlocuteur. Il va même jusqu'à se mettre en scène, jetant son chapeau à terre en le piétinant dans l'attente qu'Alexandre se baisse, le ramasse et le lui tende. Sourire et calme du Tsar : "Vous êtes violent, moi je suis entêté. Avec moi la colère ne gagne donc rien. Causons, raisonnons ou je pars." Voici Napoléon contraint de ramasser lui-même le fameux chapeau... ;)
Ce manque de psychologie -qui peut paraître cocasse- sera un des paramètres de la Bérézina finale. A contrario, Alexandre essaie de comprendre, de deviner, d'analyser la force et les faiblesses de Napoléon. C'est ce qui fera la différence. Au début de la campagne de Russie, aucun plan militaire n'est arrêté côté russe mais le personnage est cerné et là encore faisant front à ceux qui parlent d'honneur et autres fadaises, Alexandre sait qu'il ne peut que se dérober : ce qu'il fera.

Concernant Oldenbourg, Napoléon se montre agressif et insultant : "Vous venez d'être battus près de Routschouk parce-que vous manquiez de troupes et vous en manquiez parce-que vous avez retiré cinq divisions à votre armée du Danube pour les transporter en Pologne. Je ne suis pas assez bête pour croire que ce soit l’Oldenbourg qui vous occupe : je vois clairement qu'il s'agit de la Pologne […] je ne sais pas si je vous battrai mais nous nous battrons... J'ai 800 000 hommes et chaque année j'en aurai 250 000 de plus. […] Vous comptez sur des alliés. Où sont-ils ? L'Autriche à qui vous avez ravi 200 000 âmes en Galicie ? La Prusse à qui vous avez enlevé le district de Byalistock ? La Suède que vous avez mutilée en lui prenant la Finlande ? Tous ces griefs ne sauraient s'oublier ; vous aurez l'Europe entière contre vous ! […] Vous ressemblez à un lièvre qui a reçu du plomb dans la tête et qui tourne et qui tourne sans savoir quelle direction suivre." (Napoléon à Kourakine, le 15 août 1811)
Napoléon là encore fait une faute récurrente, le manque d'analyse psychologique de l'homme qu'il s'apprête à combattre et pourtant : "A l'égard de ce prince, il me semble que l'on ne le juge pas pour ce qu'il est. On le croit faible ; on se trompe. Sans doute il peut supporter beaucoup de contrariétés et dissimuler son mécontentement mais c'est parce-qu'il a un but dans la paix générale et qu'il espère l'atteindre sans crise violente. Mais cette facilité de caractère est circonscrite : il n'ira pas au-delà du cercle qu'il s'est tracé ; celui-là est de fer et ne prêtera pas car il y a au fond de ce caractère de bienveillance, de franchise et de loyauté naturelle ainsi que d'élévation de sentiments et de principes, un acquis de dissimulation souveraine qui marque une opiniâtreté que rien ne saurait vaincre... C'est donc deviner cette limite, car l'Empereur ne la passera pas" (Caulaincourt, le 19 septembre 1810).
Dans cette opiniâtreté de l'homme assimilée par Napoléon à l'expression "tête de mûle" réside toute sa force et certaines de ses faiblesses.

Citer :
Alexandre tout en se référant ici au traité, « oublie » que, lui-même, ignorant alors les affaires du duché d’Oldenbourg, avait, par son oukase du 31 décembre 1810 sur les droits de douanes, contrevenu audit texte

"Ni mes sentiments ni ma politique n'ont changé et je ne désire que le maintien et la consolidation de notre alliance. Ne m'est-il pas plutôt permis de supposer que c'est VM qui a changé à mon égard ? […] VM m'accuse d'avoir protesté contre l'affaire d'Oldenbourg […] Toutes les lettres écrites de partout à cette époque prouvent qu'on l'a envisagé comme un désir que VM a eu de nous blesser […] VM suppose que mon oukase sur le tarif est dirigé contre la France. Je dois combattre cette opinion comme gratuite et peu juste. Ce tarif a été impérieusement commandé par la gêne extrême du commerce maritime, par l'importation énorme par terre comme la plus désavantageuse pour notre balance du commerce. […] Je crois pouvoir dire à juste titre que la Russie a observé plus scrupuleusement le traité de Tilsit que la France […] La convention d'Erfurt m'assure la possession de la Moldavie et de la Valachie, par conséquent je me trouve entièrement en règle. Quant à la conquête de la Finlande, elle n'était pas dans ma politique et VM doit se rappeler que je n'ai entrepris la guerre contre la Suède qu'à la suite du système continental. Le succès de mes armes m'a valu la possession de la Finlande. […] Mais si VM cite les avantages que la Russie a retirés de son alliance avec la France, ne puis-je citer à mon tour ceux retirés par la France et les nombreuses réunions qu'elle a faite d'une partie de l'Italie, du Nord de l'Allemagne, de la Hollande etc. […] Tel est l'état exact des choses. VM si elle veut être juste reconnaitra qu'on ne peut pas être des plus scrupuleux que je l'ai été dans le maintien du système que j'ai embrassé. […] Au reste, ne convoitant rien à mes voisins, aimant la France, quel intérêt aurais-je à vouloir la guerre ? La Russie n'a pas besoin de conquêtes et peut être ne possède que trop de terrain. Le génie si supérieur que je reconnais à VM pour la guerre ne me laisse aucune illusion sur la difficulté de la lutte qui pourrait s'élever entre nous. […] D'ailleurs mon amour-propre est attaché au système d'union de la France. L'ayant établi comme un principe de politique pour la Russie, ayant dû combattre assez longtemps les anciennes opinions qui y étaient contraires, il n'est pas raisonnable de me supposer l'envie de détruire mon ouvrage et de faire la guerre à VM, et si Elle le désire aussi peu que moi, très certainement elle ne se fera pas. […] Mais si la guerre doit éclater, je saurais alors combattre et vendre chèrement mon existence." (Alexandre à Napoléon, 1er mars 1811)

Vous avez cité cet échange. On peut le trouver modéré, je le trouve courtois mais ferme et en adéquation avec l'homme.
Alexandre ne veut plus jouer le rôle qui lui est imposé. Il est certes francophile de culture mais Napoléon représente la désillusion des idées nouvelles qui lui ont été enseignées ; idées qu'il souhaiterait mais ne peut appliquer à la Russie en l'état ; cependant il déplore la situation.
"... Jamais encore je n'ai mené une vie de chien pareille. Très souvent dans la semaine je me lève de mon lit pour m'assoir à mon bureau et je ne le quitte que pour manger un morceau tout seul et m'y replace de nouveau jusqu'au moment d'aller au lit. […] voilà ma journée. […] Nous sommes sur un qui-vive continuel : toutes les circonstances sont si épineuses, les choses sont si tendues que les hostilités peuvent commencer d'un moment à l'autre [...]" (Alexandre à sa soeur Catherine, 10 novembre 1811.)

En mars 1812, le tsar obtient un accord secret avec Metternich en violation de l'accord franco-autrichien qui vient d'être signé. Le rapprochement avec la Suède est d'autant aisé que la Poméranie suédoise est occupée, blocus oblige. Bernadotte assure de sa neutralité par traité le 28 mars 1812. L'Empire Ottoman signe la paix de Bucarest en l8 mai 1812.

Un mot sur l'annexion de la Finlande par la Russie. "...Le 20 janvier 1809, Alexandre Ier convoque à Porvoo les états finlandais : noblesse, clergé, bourgeoisie et paysannerie -il n'y a pas de servage en Finlande- constitués en diète devant laquelle le tsar déclare :
"...J'ai promis de maintenir votre constitution, vos lois fondamentales : votre réunion ici garantit ma promesse. Cette réunion fera époque dans votre existence politique.". En 1811, alors qu'il est sur le point d'abonder la Finlande de territoires acquis par la Russie sous Pierre le Grand, il confie au général Armfelt :
"Je vous jure que ces formes me plaisent bien davantage que cet exercice d'un libre arbitre qui n'a pour base que ma volonté et qui admet un principe de perfection chez le souverain qui n'est pas, hélas, dans l'humanité.".
Je retrouve là encore une cohérence chez l'homme et sa ligne de pensée. A Sainte-Hélène, Napoléon confiera à Las Cases concernant les échanges de Tilsit :
"Toutefois n'est-il pas sans idéologie réelle ou jouée […] teintes de son éducation et de son précepteur. Croira-t-on jamais ce que j'ai eu à débattre avec lui : il me soutenait que l'hérédité était un abus dans la souveraineté et j'ai dû passer plus d'une heure à user de toute mon éloquence et ma logique à lui prouver que cette hérédité était le repos et le bonheur des peuples"
Je ne pense pas que cette idéologie soit affectée et là encore, je retrouve l'homme.

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L'idée est abandonnée, la guerre -si l'on doit s'y résoudre- sera défensive.


La condition principale à une offensive en Pologne n’était en effet pas remplie.
Ainsi, Alexandre écrivait le 31 janvier 1811 à Czartoryski :
« Tant que je ne puis être sûr de la coopération des Polonais, je suis décidé à ne pas commencer de guerre avec la France. Si cette coopération des Polonais avec la Russie doit avoir lieu, il faut que j'en reçoive des assurances et des preuves indubitables ; ce n'est qu'alors que je puis agir de la manière précitée. »

Alexandre ne devait réécrire à Czartoryski qu’un an plus tard, le 1er avril 1812.

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Drouet Cyril a écrit :
« Tant que je ne puis être sûr de la coopération des Polonais, je suis décidé à ne pas commencer de guerre avec la France. Si cette coopération des Polonais avec la Russie doit avoir lieu, il faut que j'en reçoive des assurances et des preuves indubitables ; ce n'est qu'alors que je puis agir de la manière précitée. »

"... Si les Polonais me secondent, le succès n'est pas douteux car il est fondé, non sur un espoir de contrebalancer les talents de Napoléon mais uniquement sur le manque de forces dans lequel il se trouvera, joint à l'exaspération qui fermente contre lui dans toute l'Allemagne."
Dans un échange avec Czartoryski, Alexandre est ouvert à une Pologne autonome dotée d'une armée nationale mais refuse la cession de la Biélorussie et des terres situées à l'Est du Dienpr et de la Dvina.
"Il est hors de doute que Napoléon tâche de provoquer la Russie à une rupture avec lui, espérant que je ferais la faute d'être l'agresseur. Cela en serait une dans les circonstances actuelles et je suis décidé à ne pas la commettre. Tout change de face si les Polonais veulent se réunir à moi. Renforcé par les 50 000 hommes que je leur devrais, par les 50 000 Prussiens qui, alors peuvent sans risquer s'y joindre de même et par la révolution morale qui en sera le résultat immanquable en Europe, je puis me porter sur l'Oder sans coup férir [...] Tant que je ne puis être sûr de la coopération avec les Polonais, je suis décidé à ne pas commencer la guerre avec la France."

Czartoryski lui apporte son avis sur l'évolution des mentalités en Pologne, un avis d'ami proche -ce que ne pourra jamais avoir Napoléon- qui sera écouté -ce dont Napoléon est dans l'incapacité-.
Barclay pense que les paramètres sont trop fluctuant et par là s'aliène une partie de l'Etat major, méprisant l'avis d'un russe "germanophobe et luthérien". Alexandre devra affronter ses ministres, sa famille et la Cour, la noblesse de salon, tous excessivement bellicistes. Là encore, le tsar ne varie pas sa position d'un iota. La guerre sera défensive, le traumatisme d'Austerlitz est encore présent.
Nous sommes tout de même assez loin de la caricature de benêt mystique ou sanguinaire souvent présentée.

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Message Publié : 09 Juil 2012 23:56 
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Fustel de Coulanges
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Nous sommes tout de même assez loin de la caricature de benêt mystique ou sanguinaire souvent présentée.


Par qui ?

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Message Publié : 10 Juil 2012 1:11 
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Philippe de Commines
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Drouet Cyril a écrit :
Par qui ?

Une caricature est un genre littéraire. Ce peut être aussi une image qui répétée colle à un personnage.
Napoléon lui-même écrira à Joséphine : "... Il a de l'esprit plus qu'on ne le pense communément.", je retiens le "communément".
Quant au parricide qui semble tant effaroucher, le mot de Talleyrand concernant les apoplexies répétitives des souverains russes ramène la chose en son contexte, contexte certainement connu à ce moment.

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Message Publié : 10 Juil 2012 7:36 
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Une caricature est un genre littéraire. Ce peut être aussi une image qui répétée colle à un personnage.


"Répétée" au point de lui coller à la peau ? Encore une fois j'aimerais bien savoir par qui...
Car pour ce personnage fort complexe aux multiples facettes ("le sphinx du nord"), le qualificatif de "benêt" me paraît bien inapproprié.

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Message Publié : 10 Juil 2012 10:45 
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Drouet Cyril a écrit :
Car pour ce personnage fort complexe aux multiples facettes ("le sphinx du nord")

Je n'irai pas non plus dans le sens inverse avec le mot "sphinx" qui me semble là encore "gênant".
Paul Ier, dans un premier temps et par rejet, ira à l'encontre des positions maternelles pour finir dans les mêmes rails.
Pour d'autres raisons, Alexandre Ier fera de même : un début prometteur, des idées de réformes et puis une coupure qui engendre un conservatisme presque despotique.
S'il n'y avait eu les décabristes, je pense que Nicolas Ier aurait suivi le même chemin avec un début ouvert.
La mort violente d'Alexandre II entraînera là-aussi un renforcement d'autorité se traduisant par une autocratie lourde chez Alexandre III.
Alexandre Ier, comme beaucoup, voudrait réformer en douceur mais l'étendue du pays, la multiplicité des peuples, des langues, des croyances et les opinions des multiples coteries feront qu'au final seule une révolution ne donnant pas dans la dentelle pouvait imposer des réformes plus ou moins bien choisies mais assénées et surtout pragmatiques.
Je trouve la personnalité d'Alexandre Ier plus "compréhensible" que celle de Napoléon.
Sa vie privée est "normale" : il s'en octroie une, parallèle à celle de la vitrine (le mot "sphinx" aurait-il été repris pour ceci ? ;) car nous avons aussi eu notre "sphinx"), est proche de sa famille, pleure la mort de ses enfants, de ses proches. Il l'écrit, en parle, autant de démonstrations de sentiments auxquels nous ne sommes pas habitués avec Napoléon (on verra la réaction lors du décès de l'aîné d'Hortense).
Par les temps qui courent où la "normalité" est de mise, je trouve un homme "normal".
Je ne l'appréhende plus comme une personne "aux multiples facettes" mais plutôt avec une personnalité en strates.
Napoléon écrira que "... si Alexandre était une femme, j'en ferais mon amoureuse...". Il est vrai que l'homme est attachant, très attachant.

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Message Publié : 10 Juil 2012 11:05 
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Je n'irai pas non plus dans le sens inverse avec le mot "sphinx" qui me semble là encore "gênant".


Je reprenais ici une expression chère à son biographe Henri Troyat (qui semble pour l'occasion s'être inspiré de Pouchkine) pour évoquer une personnalité complexe difficile à cerner, comme on peut le lire dans ce passage de l'Histoire de Sainte-Alliance de Bourquin :
« La difficulté est de saisir en une fois cet être mobile et compliqué, avec ses contrastes, ses lumières et ses ombres, ses générosités et ses calculs, ses rêves humanitaires et ses vanités de comédien, son modernisme audacieux, presque révolutionnaire, et ses sueurs froides de conservateur apeuré ; figure déroutante où rien n'est jamais en parfait équilibre »

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Message Publié : 10 Juil 2012 12:42 
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Drouet Cyril a écrit :
« La difficulté est de saisir en une fois cet être mobile et compliqué, avec ses contrastes, ses lumières et ses ombres, ses générosités et ses calculs, ses rêves humanitaires et ses vanités de comédien, son modernisme audacieux, presque révolutionnaire, et ses sueurs froides de conservateur apeuré ; figure déroutante où rien n'est jamais en parfait équilibre »

Je ne le trouve pas "compliqué" : ses opinions évoluent avec les ans et surtout face aux réalités. Elles engendrent alors des attitudes très pragmatiques.
Je ne le sens pas non plus en "ombres et lumières", il s'accorde toujours à être lui-même dans la marge laissée mais ne superpose pas des masques comme autant d'ombres. Si en politique il est obligé de feindre, il l'écrit mais possède la distinction de ne pas faire porter à son entourage la part de culpabilité qui parfois le submerge dans ce jeu de dupes. Et puis ce qui est "ombre" pour certains peut être "lumière" pour d'autres. Les critères sont bien proches et le jugement humain -comme nous le montre maintes fois La Fontaine- bien faible et obligé.
Une même chose peut être faite par amour ou par devoir ; l'un prend-t-il le pas sur l'autre ?
Je ne le vois pas non plus comédien mais observateur de la comédie des autres.
"Les sueurs froides de conservateur apeuré" ne sont que la triste constatation, venue avec l'âge que la tâche est non seulement trop ample mais de plus constamment à reprendre. Tout un chacun n'a pas la constance de faire, défaire, refaire. Il arrive un moment (l'âge aidant) où les illusions sur l'humanité tombent. On ne peut faire le bonheur des personnes contre leur gré.
Lorsque sa politique va prendre un nouveau tournant, ce ne sera sans sueurs froides et sans apeurement. Le simple constat qu'il est temps de remiser au placard certaines idées car la Russie n'est pas prête à les comprendre.
Certes il en conservera une grande amertume et se sentant comme dépossédé face à un peuple dont il se veut le Prométhée, il se donne alors entier sur une autre voie. S'il n'a pas su convaincre, c'est qu'il n'était pas convaincu lui-même : cette culpabilité ajoutée à d'autres l'engage sur le terrain mystique.
Cette réaction n'est pas rare. A l'heure des bilans, beaucoup se tournent vers la religion, vaste accueil des âmes perdues et prometteuse d'une rédemption dans ce monde ou dans un autre associée à une miséricorde pour peu qu'elle soit profondément, humblement sollicitée. Alexandre s'engagera sur ce chemin.
Il ne sera pas le seul que la culpabilité rendra mystique au sein de la Cour russe des années à venir.
La grande-duchesse Hélène, soeur aînée de la tsarine, reine des nuits de Saint Pétersbourg se fera religieuse après le décès de son époux.
Sa cadette Alix se tournera vers cette orientation, consciente que la maladie de son seul fils lui est imputable.
Pour en revenir à Alexandre, le terrain est prêt à toute extrémité, le psychisme est fragile : père et aïeul n'étaient pas des parangons de stabilité mentale. L'orientation vers la religion est ce qui fut à défaut du meilleur, le moins pire.
Pour en revenir à la "Sainte Alliance", ceci aurait pu être une simple alliance mais impulsée par Alexandre elle ne peut être précédée que du mot "Sainte" comme un bouclier à toute tentation de dérive. Malheureusement, il est le seul à qui l'adjectif provoque de telles réticences à la transgression. Là encore le constat est amer, une illusion de plus au gouffre des autres.
Comme il croit en l'homme, il s'interroge : qu'a-t-il donc fait pour que tout ce qui soit au-dessus du commun soit voué à l'échec ? Aurait-il offensé le divin ? Et là, évidemment point besoin de chercher loin...
J'ai du mal en lisant Troyat à reconnaitre les errances de l'âme russe : Dostoïevski et Tourgueniev me semblent plus imprégnés.
Il peut être le prince Mychkine de "L'idiot" ou "Les Frères Kazamarov" tous à la fois : Dimitri, Aliocha, Ivan et Alexis ; chacun étant une parcelle du meilleur comme du pire chez l'homme mais je trouve tout de même une unité à cet éparpillement : le besoin viscéral d'explorer le plus profond de soi et d'agir en accord avec les différentes surprises, bonnes ou mauvaises et de se positionner dans une société où beaucoup souhaitent occulter. Alors évidemment Alexandre se trouve dans la position de souffrir pour les autres, les autres dépendant de lui il ne s'en sent que plus coupable encore.

J'ai toujours pensé que la littérature aidait à comprendre un peuple, il m'a été rétorqué que ce n'était là que billevesées. Je n'en crois rien. Le mouvement nihiliste bien inhérent à la Russie ne pouvait prendre racine et éclore ailleurs. Il en est ainsi pour l'histoire de chaque peuple, en tous temps.
Lors même de la tradition orale : les rajouts aux contes existants montrent l'évolution et la volonté de l'être humain à creuser et chaque découverte allonge le conte, l'étoffe, le rend plus puissant.

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Message Publié : 10 Juil 2012 20:24 
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ses opinions évoluent avec les ans


Metternich, dans ses Mémoires, retient des périodes de cinq années :

« Une longue étude des qualités morales du Czar et de sa conduite politique m'a amené à découvrir ce que j'ai désigné plus haut comme les évolutions périodiques de son esprit. Chaque période embrassait à peu près un espace de cinq ans; je ne saurais rendre plus exactement le résultat de mes observations.
L'Empereur s'emparait d'une idée et ne tardait pas à suivre le courant où elle l'entraînait. L'idée mettait environ deux ans à se développer, de sorte qu'elle prenait insensiblement à ses yeux la valeur d'un système. Pendant la troisième année, il restait fidèle au système adopté, s'y attachait, écoutait avec une véritable ferveur ceux qui le patronnaient; quant à calculer la valeur de l'opinion qui le captivait et les conséquences funestes qu'elle pouvait entraîner, il était incapable d'y songer. Dans la quatrième année, à la vue de ces conséquences, ses yeux commençaient à se dessiller ; la cinquième année n'offrait plus qu'un mélange informe du système en train de disparaître et de l'idée nouvelle qui commençait à germer dans son esprit. Cette idée était souvent diamétralement opposée à celle qu'il venait d'abandonner. »



Citer :
Pour en revenir à la "Sainte Alliance", ceci aurait pu être une simple alliance mais impulsée par Alexandre elle ne peut être précédée que du mot "Sainte" comme un bouclier à toute tentation de dérive.


Quelques mots d’Alexandre au pasteur Eylert :
« L’incendie de Moscou a éclairé mon âme. C’est alors que j’ai connu Dieu… Le jugement de Dieu sur les champs de bataille glacés a rempli mon cœur d’une chaleur de foi qu’il n’avait pas ressentie auparavant. »

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Message Publié : 13 Juil 2012 16:33 
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Drouet Cyril a écrit :
« Une longue étude des qualités morales du Czar et de sa conduite politique m'a amené à découvrir ce que j'ai désigné plus haut comme les évolutions périodiques de son esprit. Chaque période embrassait à peu près un espace de cinq ans; je ne saurais rendre plus exactement le résultat de mes observations.

L'analyse de Metternich est très juste. Le livre « Alexandre 1er » de M-P Rey divise son règne en décennies, subdivisées en périodes de 3 à 5 ans.
1) Le tsarévitch à la cour de Paul (1796-1801)
2) 1801-1805 : l'esprit de réforme et la scène internationale (pacifisme en Europe, expansionnisme au sud)
3) 1805-1815 : les guerres napoléoniennes
Personnellement, j'aurai fait -dans les guerres napoléoniennes des sous-parties :
:arrow: Austerlitz – Tilsit/Erfurt
:arrow: Tilsit/Erfurt – 1812
:arrow: 1813 – 1815
Le plan est reprit :
4) 1815 – 1820 : exaltation mystique, volonté de réforme et pratique conservatrice
5) 1820 -1825 : le détachement progressif, le pouvoir est tenu par Araktchéiev, le désir d'abdiquer

Il est à noter qu'à chaque décision irréversible d'Alexandre correspond la perte d'un être cher (éloignement de sa soeur, froid avec sa mère, perte d'un enfant, éloignement d'un ministre etc.).
En 1812, Alexandre met toute son énergie à regagner la confiance de ses peuples pour l'affrontement. Quelques mois auparavant, il a dû se défaire -politique oblige- de Spéranski :
"Si on te tranchait un bras, tu crierais et te plaindrais sans doute de ta souffrance ; la nuit dernière on m'a privé de Spéranski or il était mon bras droit..." (Alexandre à Golytsine)
Le tsar semble raisonner plus dans l'émotion et par intuition que Napoléon.
On verra la latitude offerte à Arakchtéïev et lors de la démission de celui-ci le désintéressement du tsar pour les affaires de l'Etat et il avoue lui-même : "Je ne sors plus, je ne me montre plus"
L'analyse de Metternich est donc extraordinaire et c'est bien dommage qu'il ne semble pas s'être penché sur le cas "Napoléon". :'(

Citer :
« L’incendie de Moscou a éclairé mon âme. C’est alors que j’ai connu Dieu… »

L'explication donnée au pasteur Eylert est postérieure. Le cheminement a fait son oeuvre et l'on retrouve le mythe de l'étincelle extérieure entraînant la lumière intérieure. Cette image est renvoyée dans toutes les religions. La religion orthodoxe, très empreinte de symboles est propice à ce genre d'interprétation.

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Message Publié : 13 Juil 2012 21:48 
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Citer :
L'explication donnée au pasteur Eylert est postérieure. Le cheminement a fait son oeuvre et l'on retrouve le mythe de l'étincelle extérieure entraînant la lumière intérieure. Cette image est renvoyée dans toutes les religions. La religion orthodoxe, très empreinte de symboles est propice à ce genre d'interprétation.


Sans doute, mais il convient tout de même de rappeler qu’en apprenant l’incendie de Moscou par le messager de Koutouzov, le colonel Michaud de Beauretour, le Tsar fut profondément affecté et, dans le même temps, rejetant les rumeurs de paix, semblait déjà quelque peu «habité », comme l’a écrit Michaud au colonel Danilewski :
« Dites à nos braves, dites à tous mes sujets, partout où vous passerez, que quand je n'aurai plus aucun soldat, je me mettrai moi-même à la tête de ma chère noblesse, de mes bons paysans, et j'userai ainsi jusqu'à la dernière ressource de mon empire. Il m'en offre encore plus que mes ennemis ne pensent. Mais s'il était écrit dans les décrets de la divine providence que ma dynastie dût cesser de régner sur le trône de mes ancêtres, alors, après avoir épuisé tous les moyens qui sont en mon pouvoir, je me laisserai croître la barbe jusqu'ici (l'empereur porta la main sous sa poitrine) et j'irai manger des pommes de terre avec le dernier de mes paysans, plutôt que de signer la honte de ma patrie et de ma chère nation, dont je sais apprécier les sacrifices faits pour moi. »

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