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Message Publié : 26 Avr 2011 7:34 
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Jean Mabillon
Jean Mabillon

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Nous dispons de nombreuses analyses des débats et manoeuvres autour du mariage impérial de 1810 : Napoléon allait il obtenir la main d'une grande-duchesse (russe) ou d'une archiduchesse (aurichienne) ? derrière ce mariage se profilait évidemment une aliance stratégique.

Mais je crois que le débat sur le choix du partenaire privilégié de l'empereur des Français a duré plus longtemps. Talleyrand s'était par exemple prononcé en faveur du choix autrichien dès avant Austerlitz.

Je vois bien les justifications de l'alliance russe : populations équivalentes (une trentaine de millions), absence de contentieux fontalier, invincibilité de la Russie (due à l'immensité), capacité russe de nuire à l'Angleterre en cessant de lui fournir des matières premières stratégiques (pour la Royal Navy).

Je vois mal les motifs d'une alliance autrichienne. Il devait pourtant y en avoir puisque ce fut le choix de Choiseul et de Talleyrand. L'Autriche aurait elle pu être le "brillant second" de la France - comme elle le fut plus tard du Reich allemand (le second) ?


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Message Publié : 27 Avr 2011 13:05 
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Fustel de Coulanges
Fustel de Coulanges
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Je vois mal les motifs d'une alliance autrichienne.


On peut à ce sujet se référer aux arguments que présenta Talleyrand (Mémoires) lors du conseil extraordinaire du début de l’année 1810 où fut discuté le mariage à venir :
« Je m’adressai à l’Empereur, et comme Français, en lui demandant qu’une princesse autrichienne apparût au milieu de nous pour absoudre la France aux yeux de l’Europe et à ses propres yeux d’un crime qui n’était pas le sien et qui appartenait tout entier à une faction. Le mot de réconciliation européenne que j’employai plusieurs fois, plaisait à plusieurs membres du conseil, qui en avaient assez de la guerre. Malgré quelques objections que me fit l’Empereur, je vis bien que mon avis lui convenait. M. Mollien parla après moi, et soutint la même opinion avec l’esprit juste et fin qui le distinguait. »

Voici ce que ce dernier rapporte dans ses Mémoires :
« Enfin, ne pouvait-on pas craindre que la nièce de Marie-Antoinette ne repoussât la couronne portée par cette infortunée princesse, lorsque le cabinet de Londres, dont l'opposition était assez d'accord avec le vœu secret de plusieurs autres cabinets de l'Europe, proclamait encore que le règne de Napoléon n'était qu'une des phases de la révolution dont la reine Marie-Antoinette avait été si déplorablement la victime ?
Et cependant, je l'avouerai, c'était dans cette catastrophe elle-même que je puisais mes motifs pour désirer que la nouvelle souveraine de la France pût être une princesse du sang d'Autriche : il me semblait qu'un tel crime ne pouvait pas trouver une plus digne expiation ; le trône de la France paraissait n'avoir pas alors de rival en gloire dans chaque nation prise séparément ; et sans croire que l'union de Napoléon avec une archiduchesse put opérer une réconciliation sincère entre le peuple français et les autres peuples, je la regardais du moins comme un moyen de réconcilier la France avec elle-même, et d'adoucir un de ses plus amers regrets. L'empereur d'Autriche pouvait-il en effet mieux prouver que par une telle marque de confiance, qu'il ne regardait pas la France comme complice de l'attentat de quelques forcenés qui avaient été ses tyrans ? Et plus ce prince aurait pu trouver, dans ses seuls scrupules de bienséance et de famille, de considérations à opposer à la proposition de Napoléon (qui, à cette époque, n'était plus une condition de paix), plus, en l'acceptant, il donnait à son consentement le caractère d'un acte libre, et plus aussi la justice qu'il rendait au peuple français se proclamait avec éclat. »



Citer :
Talleyrand s'était par exemple prononcé en faveur du choix autrichien dès avant Austerlitz.


Il rédigea en effet, à Strasbourg, le 17 octobre 1805, un mémoire allant en ce sens.
Dans le cadre établi par le ministre des Affaires étrangères, l’Autriche devait servir de boulevard contre les visées expansionnistes de la menaçante Russie. En échange de l’abandon de Venise, du Tyrol et de la Souabe (qui permettait d’éloigner les sources de conflits entre Paris et Vienne), Talleyrand proposait d’offrir à l’Autriche, la Valachie, la Bessarabie, la Moldavie et le nord de la Bulgarie ; autant de provinces plaçant du coup l’Autriche en ennemie naturel de la Russie.

Les choses avaient changé depuis cette date en 1810, mais le mariage autrichien s’inscrivait également dans le cadre d’une réévaluation des relations internationales de l’Empire face aux doutes émis relativement aux accords de Tilsit.

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Message Publié : 27 Avr 2011 19:12 
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Jean Mabillon
Jean Mabillon

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Merci Cyril de votre réponse. Elle ne me semble pourtant pas entièrement convainquante : le mariage autrichien vise certes à stabiliser le régime impérial en le réconciliant avec le réseau des monarchies européennes - mais ce n'est pas là un élément géopolitique. la craintede la puissance russe relève certes de la géopolitique mais n'est-elle pas exagérée ? en 1800, la Russie n'a pas une population très supérieure à celle de la France.

En outre la disparition de la Pologne crée un antagonisme naturel entre la Russie et les puissances d'Europe centrale (Autriche d'abord), lesquelles sont les rivales naturelles de la France ...


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Message Publié : 27 Avr 2011 23:23 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

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Si les unions dynastiques avaient suffi à lever un long contentieux entre 2 Etats rivaux, l'Histoire en aurait donné de plus nombreux exemples. L'intérêt principal d'une alliance autrichienne était géopolitique : reprendre le fil de la politique adoptée sous l'égide de Choiseul. L'Autriche était une puissance stabilisatrice, contrairement à la Russie et a Prusse qui étaient expansionnistes. Une alliance franco-autrichienne solide aurait permis de tenir en respect la Russie et la Prusse. Elle aurait à mon avis pu être scellée de manière irrévocable si on avait rendu à l'Autriche la Silésie enlevée par la Prusse lors de la guerre de Succession d'Autriche. La Prusse aurait alors été brisée et sa réconciliation avec l'Autriche impossible.

Quant à l'alliance franco-russe, si elle était in abstracto souhaitable pour lutter contre l'Angleterre, elle était in concreto absurde et impossible. Plus encore qu'aujourd'hui, la Russie vivait de ses exportations de matières premières, et l'Angleterre était son 1er client. C'est comme si on demandait à l'Arabie Saoudite de diminuer de moitié ses exportations de pétrole jusqu'à une date indéfinie.

Selon moi, la 2ème grande erreur stratégique de Napoléon (outre la guerre d'Espagne) a été de ne pas rétablir une grande Pologne très rapidement et de ne pas faire payer à la Russie le prix de la défaite de Friedland. Ne rien enlever au vaincu, celui-ci en particulier, c'était lui donner le signe que l'hostilité à la France ne coûtait pas cher et le pousser à nouveau au conflit.

Une alliance Paris-Vienne-Varsovie aurait dominé l'Europe durablement.


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Message Publié : 27 Avr 2011 23:38 
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Fustel de Coulanges
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la craintede la puissance russe relève certes de la géopolitique mais n'est-elle pas exagérée ?


La puissance de l’« allié » »russe n’était en rien négligeable.
Cambacérès, qui défendit le mariage russe, confia d’ailleurs à Pasquier (Mémoires) :
« Je suis moralement sûr qu'avant deux ans nous aurons la guerre avec celle des deux puissances dont l'Empereur n'aura pas épousé la fille. Or, une guerre avec l'Autriche ne me cause aucune inquiétude, et je tremble d'une guerre avec la Russie ; les conséquences en sont incalculables. »

De plus, la puissance russe s’accompagnait d’ambitions bien réelles et l’union avec l’Autriche (dont la politique suscitait plus de confiance sur le long terme que celle pouvant être menée au gré des changements de règne à Saint-Pétersbourg) pouvait être un atout pour la France concernant les problématiques polonaise ou ottomane.


Deux témoignages supplémentaires : celui de Champagny (Souvenirs) et celui de Maret (cité par Ernouf) :

« Ce mariage me semblait le plus propre à maintenir la paix de la France, et à établir la barrière qui devait garantir l'Europe de l'envahissement de cette puissance colossale, qui s'étend à la fois de tous les côtés, sans s'affaiblir d'aucun. L'empereur penchait pour ce parti qui flattait davantage son amour propre en l'alliant à la plus ancienne famille souveraine de l'Europe ; c'était une victoire plus signalée sur les préjugés qui s'opposaient à son élévation ; c'était le plus haut degré de légitimation qu'il pût recevoir, quoiqu'il fût très loin d'avouer qu'il en avait besoin. »

« Les considérations que je fis valoir se rapportaient à la paix intérieure et à la paix extérieure. Au-dedans, cette alliance effaçait le douloureux souvenir, qui pesait encore sur la conscience d’hommes encore vivants, dont quelques-uns n’étaient pas étrangers aux affaires. Au dehors, la défiance de l’Autriche sur nos intentions à son égard, qui la tenait toujours disposée à prêter l’oreille aux suggestions de nos ennemis, serait détruite par un acte qui deviendrait pour elle la plus éclatante des garanties. Cette alliance paraissait un gage assuré de la paix du continent. »

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Message Publié : 28 Avr 2011 7:04 
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Salluste
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Caesar Scipio a écrit :
Une alliance Paris-Vienne-Varsovie aurait dominé l'Europe durablement.


La maison de Habsbourg était catholique - comme 90% des Polonais (et 100% de la noblesse polonaise). A-t-elle envisagé de reconstituer le royaume de Pologne à son profit ? aurait on pu imaginer que l'alliance que vous évoquez ait pu passer par l'installation d'un archiduc sur le trône de Varsovie ?

D'un autre côté, le partage de la Pologne mettait face à face Autriche et Russie - qui étaient déjà rivaux potentiels dans les Balkans. La Prusse marginalisée à Tilsit, il était géographiquement logique que la France et la Russie qui se situent aux deux extremités de l'Europe s'accordent pour contrôler les Etats situés entre eux, n'est-ce pas ? Reconstituer la Pologne aurait créé automatiquement une alliance austro-russe contre l'axe franco-polonais. Or la Pologne aurait été pour Napoléon un bien faible allié eu égard à la pauvreté de ce pays.

La question économique était elle si importante avant la révolution industrielle ?


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Message Publié : 28 Avr 2011 7:35 
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Fustel de Coulanges
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Citer :
Reconstituer la Pologne aurait créé automatiquement une alliance austro-russe contre l'axe franco-polonais. Or la Pologne aurait été pour Napoléon un bien faible allié eu égard à la pauvreté de ce pays.


Plus exactement, la possible reconstitution de la Pologne s’inscrivait dans le cadre (effectif) de l’alliance franco-autrichienne et dans celui (plus que probable) d’une guerre franco-russe.

Voir à ce sujet les articles secrets du traité d’alliance franco-autrichien de Paris, du 14 mars 1812 :

« Art.7 : Dans le cas où, par suite de la guerre entre la France et la Russie, le Royaume de Pologne viendrait à être rétabli, S. M. l’Empereur des Français garantira spécialement, comme elle garantit dès à présent à l’Autriche, la possession de la Galicie.

Art.8 : Si, le cas arrivant, il entre dans les convenances de S. M. l’Empereur d’Autriche de céder, pour être réunie au royaume de Pologne, une partie de la Galicie en échange des Provinces Illyriennes, S. M. l’Empereur des Français s’engage dès à présent à consentir à cet échange. La partie de la Galicie à céder sera déterminée d’après la base combinée de la population, de l’étendue et des revenus, de sorte que l’estimation des deux objets de l’échange ne soit pas réglée par l’étendue du territoire seulement, mais par sa valeur réelle. »

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Message Publié : 28 Avr 2011 8:51 
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Philippe de Commines
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Un archiduc autrichien sur le trône d'un royaume de Pologne reconstitué ? C'eut été pousser le bouchon trop loin. ;)

Quant à Cambacérès, je n'ai pas lu une biographie fouillée du personnage, mais son propos me paraît relever d'une méconnaissance des questions diplomatiques. L'alliance franco-russe n'a pas attendu le mariage autrichien pour se déliter puisque dès 1808, le congrès d'Erfurt témoigne qu'elle est déjà morte. D'ailleurs, cette alliance n'a jamais été qu'une coquille vide, un péché d'orgueil de Napoléon qui a cru qu'une relation personnelle de souverains suffisait à cimenter une alliance entre Etats.

Un souverain, même amical, ne peut pas durablement contre les intérêts fondamentaux de son royaume comme l'illustrait l'exemple tout frais de Paul 1er. La Russie était depuis Pierre le grand une puissance expansionniste et déstabilisante qui voulait avancer vers l'ouest et le sud. La France n'était pas prête à lui offrir ce qui aurait permis de souder l'alliance et lui demandait de s'asphyxier économiquement pour lutter contre l'Angleterre. S'allier avec l'Autriche dès 1806/1807, plutôt 1807 car il est douteux que l'Autriche aurait voulu s'engager dans une alliance française avant Iena et Friedland, aurait au contraire eu un puissant effet dissuasif sur la Russie.

Ce qui me paraît regrettable, c'est que Napoléon n'ait jamais envisagé de mener une guerre de libération en Pologne. La Russie, il fallait la refouler vers l'est, la menace ultérieure aurait été de lui retirer son accès à la Baltique.

A mon avis, si cette stratégie avait été appliquée en 1807 (une grande Pologne reconstituée pas seulement au détriment de la Prusse mais aussi au détriment de la Russie), là les anglais auraient eu beaucoup plus de mal à trouver le moindre partenaire à stipendier pour une nouvelle coalition.


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Message Publié : 28 Avr 2011 11:35 
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Fustel de Coulanges
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Quant à Cambacérès, je n'ai pas lu une biographie fouillée du personnage, mais son propos me paraît relever d'une méconnaissance des questions diplomatiques.


Cambacérès de par ses confidences à Pasquier envisageait bien, malgré l’alliance de Tilsit, un conflit entre Paris et Saint-Pétersbourg. Il était donc bien conscient que les embrassades du Niémen étaient bien loin.
Cependant, il parait étonnant de pouvoir penser qu’un mariage russe aurait pu balayer, ou tout du moins édulcorer les sujets de mécontentements entre les deux pays. Comme vous le dites : « L'alliance franco-russe n'a pas attendu le mariage autrichien pour se déliter puisque dès 1808 », et il aurait fallu bien plus qu’un mariage pour rapprocher (mais était-ce véritablement possible ?) les deux souverains.
Nous avions discuté des accords de Tilsit et de la marche à la guerre ici :
viewtopic.php?f=55&t=26661


Pour mémoire, voici comment Thiers (Histoire du Consulat et de l’Empire) nous décrit l’intervention de Cambacérés lors du conseil extraordinaire du 21 janvier 1810 :
« A la chaleur du roi de Naples succéda la froide prudence de l'archichancelier Cambacérès, s'énonçant en un langage simple, clair, modéré, mais positif. Il dit que le premier intérêt à consulter était celui de procurer des héritiers à l'Empire, et qu'il fallait savoir si la princesse russe était capable d'en donner; que, si elle était dans ce cas, il n'y avait pas à hésiter ; que, pour ce qui regardait la religion, on obtiendrait certainement, en s'y appliquant, que la cour de Russie renonçât à des exigences qui pourraient choquer les esprits en France ; que, relativement à la politique, il n'y avait pas un doute à concevoir; que l'Autriche, privée à la fois dans ce siècle des Pays-Bas, de la Souabe, de l'Italie, de l'Illyrie, et enfin de la couronne impériale, serait une ennemie à jamais irréconciliable ; que de plus ses penchants naturels la rendaient incompatible avec une monarchie d'origine nouvelle ; que la Russie, au contraire, avait sous ce dernier rapport moins de préjugés qu'aucune autre cour (ce qui était vrai alors) ; qu'elle avait dans son territoire, dans son éloignement, des raisons de tout genre d'être l'alliée de la France, aucune d'être son ennemie; que repoussée elle ne pourrait pas manquer de devenir hostile, que la guerre avec elle serait infiniment plus chanceuse qu'avec l'Autriche, et qu'en la négligeant on abandonnerait une alliance possible et facile pour une alliance menteuse et impossible. Il conclut donc de la manière la plus formelle en faveur du mariage avec la princesse russe. »

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Message Publié : 28 Avr 2011 13:28 
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Jean Mabillon
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Je pense que Thiers décalque les mémoires de Cambacérès. Cela étant,la question du mariage n'est qu'un aspect secondaire du débat plus large sur la stratégie française entre 1807 et 1812. Je considèrerais plutôt que les partisans du mariage autrichien étaient animés par des considérations de politique intérieure (réconcilier Napoléon et la noblesse, l'Empire et l'ancien régime) plus que que par une vision géopolitique.

Une vision géopolitique intéressante est d'ailleurs celle de Lebrun qui s'était exprimé pour une princesse saxonne ...renforçant ainsi les liens avec la confédération du Rhin !


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Message Publié : 28 Avr 2011 18:09 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

Inscription : 17 Mars 2004 23:16
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La Saxe n'était à mon sens pas une assez grande puissance pour donner une épouse à Napoléon. Enfin, même si je ne conteste pas que le problème de la légitimité de Napoléon au regard des cours souveraines d'Europe était un des aspects de la stabilisation de l'Europe et de l'acceptation d'un ordre diplomatique favorable à la France, je pense par ailleurs que Talleyrand était avant tout un diplomate formé à l'école du 18ème siècle.

Il serait intéressant de disposer d'une exégèse de son adresse, mais on peut émettre l'hypothèse que la question des purs rapports de forces, des alliances et des équilibres en Europe était forcément les préoccupations premières de Talleyrand.
S'est-il gardé de coucher par écrit une stratégie par crainte qu'elle le compromette dans un avenir incertain ? L'a-t-il fait par pure tactique, connaissant le plaisir que prenait Napoléon à prendre le contrepieds des mesures proposées par son ministre et à l'obliger à défendre des positions qui contrariaient ses idées diplomatiques ?

Ce qui est étonnant avec l'analyse de Cambacérès, c'est de constater à quel point lui et d'autres décideurs français me semblent formuler des analyses incohérentes qui ne sont plus suffisamment étayées sur des faits concrêts et reconnus. Comme s'ils étaient en lévitation. Un effet des excès de la puissance qui saisit Napoléon en 1807 une fois que la France écrase de sa domination l'essentiel du continent européen ? La conséquence d'un système où trop de décisions sont prises par le seul chef suprème ? A voir.

Je refais rapidement le lien entre l'analyse prêtée à Cambacérès par Thiers et celle que je développais dans mon précédent message.

l'Autriche, privée à la fois dans ce siècle des Pays-Bas, de la Souabe, de l'Italie, de l'Illyrie, et enfin de la couronne impériale, serait une ennemie à jamais irréconciliable ? Etonnant que ne soit pas envisagée la restitution de certains gages à l'Autriche (l'Illyrie par exemple, voire une partie des territoires héréditaires Habsbourg en échange d'autres compensations pour la Bavière), voire des échanges. Quelques mois plus tard, c'est ce qui sera pourtant envisagé dans le traité secret conclu quelques mois plus tard dans le cadre du mariage avec Marie-Louise.

la Russie, au contraire, avait sous ce dernier rapport moins de préjugés qu'aucune autre cour ? J'avais plutôt cru comprendre que l'aristocratie russe était plus virulente envers la France napoléonienne et son empereur que les autres monarchies continentales. Et je suppose plutôt que Napoléon en était arrivé au stade où lui et ses proches prenaient leurs désirs pour des réalités.

qu'elle avait dans son territoire, dans son éloignement, des raisons de tout genre d'être l'alliée de la France, aucune d'être son ennemie; que repoussée elle ne pourrait pas manquer de devenir hostile, que la guerre avec elle serait infiniment plus chanceuse qu'avec l'Autriche, et qu'en la négligeant on abandonnerait une alliance possible et facile pour une alliance menteuse et impossible ? Etonnant de voir non seulement un tel déni de réalité, mais même une inversion des réalités.
En 1807, il me semble qu'il s'en est fallu de peu que la Russie envisage déjà, après Friedland, la stratégie de retraite/terre brûlée qu'elle mettra finalement en oeuvre en 1812.
Et d'ailleurs, on pourrait plus justement inverser les dispositions et les attitudes que Cambacérès prête respectivement à la Russie et à l'Autriche.
Quel était le moyen de pression susceptible de conduire la Russie à fonder une alliance durable sur des intérêts communs (les seuls qui fassent une alliance durable entre anciens ennemis) ? Sûrement pas le blocus continental qui était viscéralement contraire aux intérêts économiques vitaux de la Russie et en particulier de son aristocratie. Sûrement pas le fait de ne pas avoir retiré de territoires à la Russie puisqu'au contraire celle-ci avait le sentiment que plus elle était dure sur le fond (quitte à le cajoler sur la forme) en négociations avec un empereur français qui s'illusionnait plus elle en obtenait de sa part.
Quelle prise Napoléon pouvait-il d'ailleurs avoir sur un pays aussi lointain, aussi étendu ? Quel intérêt avait-il à affaiblir davantage l'empire ottoman qui était l'homme malade de l'Europe au bénéfice de la Russie alors que ça aurait forcément braqué Vienne qui était bien plus affaiblie.
A contrario, l'Autriche était beaucoup moins libre de ses mouvements parce que beaucoup plus proche de la France, plus affaiblie, dotée de moins de ressources, et mieux encerclée par des alliées fiables pour la France (les Etats de la confédération du Rhin et l'Italie). Et d'ailleurs, l'Autriche s'avérera un allié raisonnablement loyal jusqu'à la catastrophe de la retraite de Russie jusqu'à ce que la défaite française semble quasiment inéluctable et que le refus de tout nouveau compromis par Napoléon la conduire à changer de camp (avec ce qu'il se passait en Espagne en plus de l'arrivée de l'armée russe et du soulèvement prussien, il eut été bien hasardeux pour l'Autriche de ne pas bouger, et stupide de sa part de ne pas chercher à obtenir un bon prix en échange du maintien de l'alliance).

la guerre avec elle serait infiniment plus chanceuse qu'avec l'Autriche ? No comment. Ca fait sourire 2 siècles après avoir fait beaucoup pleurer.

en la négligeant on abandonnerait une alliance possible et facile pour une alliance menteuse et impossible ? Comme précédemment évoqué, l'alliance russe s'était déjà révélée menteuse et impossible moins d'1 an après sa conclusion.


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Message Publié : 29 Avr 2011 8:13 
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Fustel de Coulanges
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Il serait intéressant de disposer d'une exégèse de son adresse, mais on peut émettre l'hypothèse que la question des purs rapports de forces, des alliances et des équilibres en Europe était forcément les préoccupations premières de Talleyrand.


C’est certain, mais à cette date, le déséquilibre (que Talleyrand, fidèle à ses principes, combattit vainement avant Austerlitz dans son mémoire du 17 octobre 1805 où il défendait déjà l’union franco-autrichienne) était déjà patent et Talleyrand n’était plus vraiment en position de force pour empoigner la consultation du mariage pour faire véritablement valoir sa vison de la France au sein de l’Europe.
Pour ce qui est des propos tenus ce jour là, outre les Mémoires de Talleyrand (retranscrits plus haut), on peut se référer à ceux de Pasquier (Mémoires) :
« On sut aussi que M. de Talleyrand, qui s'était déclaré pour l'Autriche, avait tenu dans cette discussion une place fort importante; la raison de sa décision avait été principalement tirée de la solidité qui se rencontrait ordinairement dans les résolutions et la politique de l'Autriche. « Cette puissance, dit-il, est la seule qui ait en Europe un cabinet dont l'influence survive à la durée de chaque règne, qui soit par conséquent en état de concevoir, d'adopter et de suivre persévéramment un plan de conduite. Par la proposition qu'il fait aujourd'hui, ce cabinet prouve qu'il veut s'associer à la fortune de la dynastie impériale qui règne aujourd'hui sur la France; il reconnaît l'iniquité, la folie du système contraire dans lequel il a marché depuis dix ans et dans lequel il vient de faire son dernier effort. Puisqu'il a pris cette résolution, il y persistera, si elle est accueillie comme elle me parait mériter de l'être, et l'empereur Napoléon léguera à sa descendance tous les avantages de l'union qu'il aura contractée aujourd'hui. Je sais bien qu'on peut me dire que la Russie est dans les mêmes intentions; mais voici la différence dans ce pays tout tient à la volonté d'un homme; il n'y a de politique que la sienne; tout finit avec la durée d'un règne, tout prend sous le règne suivant un aspect nouveau. Je suppose donc que l'empereur Napoléon épouse la grande-duchesse et que nous sommes, au bout d'une année, assemblés dans ce cabinet autour de cette même table; la porte s'ouvre, on annonce l'arrivée d'un courrier, et ce courrier apporte la nouvelle de la mort de l'empereur Alexandre. Avec cette mort, tout a changé de face, plus d'alliance assurée avec la Russie; l'Autriche, la Prusse, l'Angleterre prennent le dessus à Saint-Pétersbourg, et tous les avantages du mariage sont évanouis. Prenons l'hypothèse contraire. L'Empereur a épousé une archiduchesse, et, au bout d'une année, on apprend la mort de l'empereur François; c'est un grand deuil de famille et rien de plus. Les intérêts politiques sont noués de part et d'autre et ne changent pas; le cabinet d'Autriche met à conserver l'alliance autant de soin que le cabinet de France en peut apporter lui-même. Cette considération est si puissante à mes yeux qu'elle ne me permet pas la moindre hésitation dans le conseil que je suis appelé à donner. »

A noter que Pasquier n’était pas présent.

Waresquiel dans son Talleyrand, le prince immobile, écrit ceci :
« Ses biographes ont beaucoup trop insisté sur le rôle décisif qu’il aurait eu dans la résolution prise par Napoléon de se remarier avec une princesse autrichienne plutôt qu’avec une princesse russe. Dans ses Mémoires, Talleyrand prend bien soin d’insister lourdement sur son rôle au cours du conseil privé du 21 janvier 1810 convoqué par Napoléon afin de prendre les avis des princes (Murat et Eugène), des grands dignitaires du régime et de ses principaux ministres. Il aurait, dit-il, longuement plaidé pour la solidité de l’alliance autrichienne. On ne peut mettre en doute la sincérité ni la pertinence de ses arguments. En opinant pour le mariage autrichien, il est logique avec lui-même. Depuis longtemps, il est le principal avocat du bien-fondé d’un rapprochement avec l’Autriche. A Erfurt, il a tout fait pour torpiller le projet de mariage russe caressé par Napoléon. Mais cela ne l’empêche pas d’avoir délibérément chercher à se donner de l’importance aux yeux de postérité. La version de Cambacérès est certainement plus conforme à la vérité. Le 21 janvier Talleyrand opine pour le mariage autrichien, sans faire plus de commentaires et surtout sans risque. D’une part, il est déjà très bien informé par la femme de Metternich restée à Paris alors que son mari, remplacé par le prince de Schwarzenberg, dirige maintenant le ministère des Affaires étrangères à Vienne, des dispositions favorables de l’Autriche, prête à « livrer » l’archiduchesse Marie-Louise. D’autre part, Napoléon est trop en froid avec lui pour lui avoir demandé de se mettre en première ligne dans cette affaire dont il ne tirera d’ailleurs aucun bénéfice. »

Citer :
l'Autriche, privée à la fois dans ce siècle des Pays-Bas, de la Souabe, de l'Italie, de l'Illyrie, et enfin de la couronne impériale, serait une ennemie à jamais irréconciliable ? Etonnant que ne soit pas envisagée la restitution de certains gages à l'Autriche (l'Illyrie par exemple, voire une partie des territoires héréditaires Habsbourg en échange d'autres compensations pour la Bavière), voire des échanges. Quelques mois plus tard, c'est ce qui sera pourtant envisagé dans le traité secret conclu quelques mois plus tard dans le cadre du mariage avec Marie-Louise.


A quel traité faites-vous référence s’il vous plait ?

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Message Publié : 31 Mai 2011 21:48 
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Fustel de Coulanges
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Pas de réponse à ma question ?
Comme ça, je vois plutôt de traité du 14 mars 1812 ; mais on ne situe plus vraiment dans le cadre du mariage.

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Message Publié : 01 Juin 2011 8:55 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

Inscription : 17 Mars 2004 23:16
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Vous avez raison. J'ai opéré un raccourci de 2 ans.


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Message Publié : 01 Juin 2011 12:06 
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Fustel de Coulanges
Fustel de Coulanges
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Inscription : 06 Fév 2004 7:08
Message(s) : 3532
Nous nous trouvons ici dans le cadre d'une guerre éventuelle avec la Russie.
Le traité du 14 mars 1812 émettait l'hypothèse de la restitution des provinces illyriennes. Mais ce n'était pas ici pour amoindrir l'effet des traités de Presbourg et de Vienne, mais pour servir de compensation à l'offre de la Galicie dans le cas du rétablissement du royaume de Pologne.
Néanmoins, promesse était faite à l'Autriche d'indemnités et d'agrandissements de territoire en dédommagement de l'effort de guerre à consentir et afin d'affermir l'alliance entre les deux pays.

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