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j'avais lu jadis une autre interprétation : Napoléon en fonçant à travers les Alpes voulait surprendre les royalistes qui allaient sans réfléchir l'attendre dans la vallée du Rhône...
J’ai bien du mal à suivre cette interprétation.
Pour les troupes royales tombassent dans le panneau de l’attente dans la vallée du Rhône, il aurait fallu que ces dernières soient bien mal renseignées. Le débarquement de l’Empereur représentait une nouvelle extraordinaire et on imagine mal les royalistes ne pas chercher à en savoir plus le plus rapidement possible. Un rideau de troupes aurait peut-être pu permettre à Napoléon de leurrer l’ennemi sur la direction réellement prise, mais l’Empereur ne disposait pas suffisamment de troupes pour se lancer dans un tel stratagème.
Dans les faits, les royalistes n’attendirent jamais Napoléon sur le Rhône et surent que la route prise était celle de Digne avec comme points de mire Grenoble et Lyon.
L’Empereur débarqua en milieu d’après-midi le 1er mars. Dès 17 heures, le brigadier de gendarmerie de Cannes filait sur Fréjus afin d’y avertir le maire aux alentours de minuit. La nouvelle parvint deux heures plus tard à Draguignan au maréchal de camp Morangiès, commandant de l’arrondissement, qui en fit part par lettre, à six heures du matin, à son supérieur : le lieutenant général Abbé, commandant les départements des Bases Alpes et du Var, alors à Toulon. A cette date, tout était loin d’être clair et Morangiès ne parlait que du débarquement d’une cinquantaine d’hommes de la garde d’Elbe à Golfe-Juan. Prudent, il fit cependant partir cinquante soldats du 87e pour Muy.
Abbé ordonna à Morangiès de réunir les brigades de gendarmerie de son ressort et les troupes nécessaires et de filer sur l’Estérel ; et il écrivit à Masséna, gouverneur de la 8e division militaire, alors à Marseille.
Ce dernier reçut la lettre d’Abbé le 3 mars à neuf heures du matin et envoya un aide de camp auprès de celui-ci afin de lui notifier de se déplacer sur les lieux afin d’en savoir plus. Il écrivit également au ministre de la Guerre relayant l’information d’un simple débarquement de quelques hommes ennuyés de rester à Elbe.
Au même moment, les nouvelles se précisaient. Ainsi, Masséna, alors que sa dépêche allait être envoyée, reçut de plus amples informations de la part de Vincent, colonel de la 23e légion, lui-même averti par la lettre (2 mars, 3 h 30 du matin) écrite par le chef du 45e escadron servant sous Morangiès par laquelle il était dit que l’on craignait que Napoléon ne soit à la tête du débarquement.
Cette précision n’alerta pas plus que de mesure Masséna. Il fallut attendre 21 heures pour que l’on en sache véritablement bien plus grâce à la lettre écrite le même par le préfet du Var, le comte de Bouthillier.
Celui-ci avait été averti dans la nuit du 1er au 2 mars en même temps que Morangiès et l’avait accompagné dans sa marche vers le Muy et Fréjus. Là, il mit en réquisition les gardes nationaux du Muy, de Roquebrune et du Puget afin de renforcer les cent hommes de Morangiès. De Fréjus, Bouthillier ne disposait encore que peu de renseignements : il évaluait l’ennemi à 2 à 300 hommes, mais rapportait bien les rumeurs disant Bonaparte à la tête de l’opération et notifiait que ladite troupe se dirigeait par Grasse vers les Basses-Alpes. Ces informations furent transmises à Paris, à Marseille et à Lyon le 2 au soir.
La missive n’atteignit cependant Masséna qu’après la seconde lettre de Bouthillier ; celle-ci écrite le 3 et arrivée à Marseille, comme dit plus haut, à 21 heures. Là, les informations étaient plus précises et bien plus alarmantes. Le préfet du Var y confirmait la présence de l’Empereur, la marche sur Digne, Grenoble et Lyon, et montait le nombre d’hommes à mille. Paris et Lyon était logiquement avertis.
A 22 heures, le 83e et les six compagnies d’élite du 58e recevaient l’ordre de quitter Marseille et de se diriger sur Aix puis sur Sisteron afin de bloquer l’ennemi dans sa marche sur Grenoble.
Comme on peut le voir, dans les faits, Napoléon ne put pas longtemps cacher la route prise par sa petite armée elboise. Mais son aura, le temps gagné dès le départ et la vitesse de sa marche firent le reste.