La modération vis-à-vis de la France se retrouve également du côté de la Russie :
Mémorandum de Capo d’Istria (28 juillet 1815) : « Les Puissances alliées, en prenant les armes contre Bonaparte et ses adhérents, n'ont point considéré la France comme un pays ennemi. Maintenant qu'elles occupent le royaume de la France, elles ne peuvent donc y exercer le droit de conquête. Le motif de la guerre a été le maintien du Traité de Paris comme base des stipulations du Congrès de Vienne. La fin de la guerre ne saurait donc exiger la modification du Traité de Paris, et celles qui s’en suivront nécessairement pour toutes les transactions subséquentes. Conséquemment, si les Puissances alliées devaient, dans les circonstances, exercer en France le droit de conquête, il faudrait nécessairement qu’un nouveau Traité déterminât au préalable les motifs de ce changement de système, et en fixât les principes; mais ces motifs et ces principes seraient en contradiction avec ceux qui ont été consacrés par le Traité de Paris et par toutes les stipulations de Vienne. Ces stipulations, en effet, ont eu pour but de reconstruire les États respectifs sur une échelle propre à rétablir un juste équilibre en Europe. En portant atteinte à l'intégrité de la France, il faudrait revenir sur toutes les stipulations de Vienne, procéder a de nouvelles stipulations territoriales, combiner un nouveau système d'équilibre. Cette opération difficile et peu analogue aux principes libéraux qui caractérisent la politique des grandes Puissances, provoquerait une divergence dans la conduite uniforme qu'elles ont suivie jusqu'ici, et de laquelle seule les peuples attendent le repos. »
Autre son de cloche de la part de la Prusse :
Mémorandum d’Hardenberg (4 août 1815) : « Lorsqu'une nation a surpassé sa défensive marquée par la nature ou par l'art, elle devient offensive et menaçante par ce pas même; son activité, sa force, sa politique, ses institutions, son esprit national, son opinion publique, tout prend alors la direction de sa situation géographique, et elle conservera cet esprit aussi longtemps que sa situation géographique restera la même. La France se trouve dans ce cas depuis Louis XIV; par une ambition démesurée et quelques campagnes heureuses, elle parvint à ôter aux pays voisins la défensive que leurs ancêtres avaient établie, savoir: dans les Pays-Bas et sur la Meuse, les forteresses qui forment a présent la première et la deuxième ligne des forteresses françaises, et vers l’Allemagne, en ôtant a cet empire l’Alsace et les places fortes de la Moselle et de la Sarre. Dès ce moment, l'histoire nous montre l’inclination de la France de pousser ses conquêtes plus loin et de subjuguer les autres États. Pourquoi ? Puisque la France voyait la facilité qui existait pour elle et la difficulté que les États voisins avaient de lui résister, puisque son offensive se trouvait dans sa situation géographique, et que cette situation l'y poussait et l'y induisait a chaque moment. Veut-on donc une paix durable et solide, on l'a annoncé et prononcé tant de fois ! La France elle-même veut-elle une telle paix avec ses voisins, la défensive qu’elle leur a ôtée, c’est-à-dire l’Alsace et les forteresses des Pays-Bas, de la Meuse et de la Sarre. Ce ne sera qu'alors que la France se verra dans une vraie ligne défensive, savoir : dans les Vosges et dans les deux lignes de forteresses depuis la Meuse jusqu'à la mer, et seulement alors elle restera tranquille. Si on ne la fait pas rentrer dans ces limites, marquées plus spécialement encore sur la carte ci-jointe, les nations voisines n'auront pas recouvré leur défensive contre la France, et l'avantage de la situation géographique et militaire de cet empire et la facilité qu'il gardera d'aller plus loin influeront tellement sur sa politique, sur l'ambition et sur le caractère de la nation, enfin sur son opinion publique et sur son Cabinet, qu'il est a prévoir qu'aux premières circonstances favorables qui se présenteront, la France tâchera derechef d'étendre ses frontières jusqu'au Rhin, et des lors, plus de bornes, puisque dès ce moment son influence sur l'Allemagne sera si grande, qu’elle sera entraînée malgré elle à troubler le repos de l'Europe. Pour le bien de l'Europe, pour le bien de la France, ne laissons pas échapper le moment favorable qui se présente à nous pour statuer une paix solide et durable. »
Un ton en dessous : l’Autriche :
Mémorandum de Metternich : « La guerre de 1815 n'est pas une guerre de conquête. Elle n’a été entreprise que dans le double but d'abattre l'usurpation de Napoléon Bonaparte et d'asseoir un gouvernement en France sur des bases assez solides pour qu'il puisse offrir des garanties de tranquillité à la France et à l'Europe. Cette guerre ne doit pas dégénérer en guerre de conquête, parce que les déclarations des Puissances et les termes des Traités seraient en opposition à un pareil but. Une saine politique ne doit pas moins retenir les Puissances de la laisser dégénérer de conquête, parce qu'une altération notable dans l'état de possession, tel qu'il se trouve établi par le Congrès de Vienne, entraînerait un revirement général dans lequel le but de la guerre, l’urgente nécessité de mettre un frein aux principes subversifs de l'ordre social, sur lesquels Bonaparte a fondé son usurpation, quelque courte qu’elle ait été, a donne les plus dangereux développements, se perdrait incessamment dans la foule des nouveaux intérêts qui résulteraient de pareils revirements. […] L’Europe, et surtout les Puissances limitrophes de la France, ont le droit de demander que cet État ne demeure pas dans une attitude offensive. L'altitude offensive de la France se fonde sur des positions offensives qu'elle a trouvé moyen de se ménager depuis le règne de Louis XIV, par l'établissement de grandes places d'armes et de forteresses placées à des postes assez avancés pour empêcher la formation et le déplacement d'armées qui n'auraient d'autre but que la défense de leur propre territoire. […] Il me paraît donc que l'intérêt permanent de l'Europe exige : A. Que la France perde les points offensifs que lui a laissés le Traité de Paris. B. Que des forteresses de la première ligne ou passent sous la domination étrangère et servent dorénavant à la défense des frontières des États voisins, ou que pour le moins elles soient rasées. »
_________________ " Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)
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