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Citer : - Le 14 juillet 1800, la Garde consulaire défila des Tuileries au Champ de Mars. Premier 14 juillet du Consulat. Si les festivités continuèrent par la suite, elles finirent par disparaître au profit d’autres dates plus en phase avec le nouveau régime comme le 2 décembre ou le 15 août. Petit retour sur ce 14 juillet de l’année 1800. Ce jour là, Bonaparte se rendit aux Invalides escorté par un détachement de la garde consulaire, arrivée d’Italie le matin même. Là, dans l’église, Lucien Bonaparte, ministre de l’Intérieur, prononça un discours dont voici quelques extraits : « Citoyens, l'expérience des siècles nous apprend combien les révolutions sont redoutables. Leur action se compose de toutes les passions humaines ; la violence en est toujours l'élément principal, et jusqu'à la fin de ces crises terribles nul ne peut affirmer si leur commencement fut un bien, ou s'il ne fut pas le plus grand de tous les maux. Ce caractère est commun à toutes les révolutions : soit qu'une cause méprisable interrompe l'ordre accoutumé des empires, ou que cette interruption soit due à l'excès de la tyrannie et à l'élan de la liberté, la tempête n'en est pas moins effrayante ; elle n'en menace pas moins toutes les classes de la société. Ce qu'apprend l'histoire des siècles, l'expérience de quelques années vient de nous le confirmer. La vieillesse d'un corps politique ne peut se mouvoir sans un grand péril : celte profonde vérité est écrite aujourd'hui par le malheur sur le chaume de nos cabanes comme sur les voûtes de nos palais. En parlant au premier peuple de la terre, ma voix provoque cette réflexion conservatrice, parce qu'elle offre des idées dignes d'être émises : l'anniversaire du quatorze juillet 1789. La première de ces idées est que les annales du monde ne retracent point de révolution plus louable dans son but, plus nécessaire aux hommes, plus auguste par la réunion rapide de tant de volontés, de tant de bras ; aussi les philosophes qui ont illustré la fin de ce siècle ont-ils appelé par leurs vœux un changement de système. L'injustice et l’oppression, l'ignorance et le fanatisme, le désordre et l'immoralité régnaient encore dans le pays le plus éclairé de l'Europe : c'était la médiocrité qui planait sur le génie, les ténèbres qui dominaient sur une région de lumières. Un pareil état ne pouvait pas subsister davantage[…] La révolution, qui devait marquer la fin du siècle, approchait tous les jours. Déjà les idées hardies, d'abord renfermées dans quelques têtes, saisissent toutes les têtes; les opprimés songent à leurs forces, et comptent les oppresseurs. Soudain le feu sacré jaillit, et parcourt toutes les veines du corps politique ; des millions de bras se lèvent ; le mot de liberté résonne de toutes parts... La Bastille est conquise ! Je ne retracerai point tous les détails de ce jour à jamais mémorable, qui fit germer dans tous les coeurs le même enthousiasme; de ce jour où les habitants les plus éloignés vinrent célébrer au milieu de la plaine voisine la même solennité qui nous réunit dans le temple de la valeur. Cette grande époque de la confédération nationale rassemble pour la onzième fois le peuple français sous les auspices de la liberté victorieuse. Les plus nobles pensées, les sentiments les plus élevés, les vœux les plus unanimes consacrèrent la fondation de cette fête, et doivent accompagner son retour. Nulle image funèbre ne se mêle à son premier souvenir, car elle fut instituée au milieu de la joie, de la concorde, et de l'espérance universelle. Alors les enfants de cette grande famille, placés entre les deux mers, le Rhin, les Alpes et les Pyrénées, se trouvèrent en présence pour la première fois ; alors, devant le monde et le ciel, ils jurèrent tous ensemble de vivre et de mourir libres : ils ne jurèrent point en vain, et les trois parties de la terre, aujourd'hui couvertes de leur sang et de leurs trophées, savent comme ils tiennent leurs promesses![…] Mais pourquoi faut-il que l'esprit humain, en déployant toute sa force, ne sache pas toujours la retenir ! La philosophie, qui avait prévu la révolution, voulut la diriger : que peut le pilote contre tous les vents déchaînés à la fois ? Souvent les amis de la patrie posèrent une digue qu'ils croyaient insurmontable, et que le torrent bientôt après entraînait dans son cours. Découragés, les uns cédèrent à l'orage; d'autres expirèrent victimes de sa fureur, et la liberté, travestie, défigurée, devint tour à tour le jouet et l'idole des factions assassines. Alors les jours de deuil, alors les années funestes, alors les guerres intestines !... Ce temps appartient à l'histoire des fureurs humaines; qu'il reste loin de nos souvenirs ![…] Si la révolution la plus nécessaire, la plus favorable aux hommes a tant vu d'événements déplorables, combien cette grande leçon doit nous pénétrer d'un sentiment conservateur ! Elle nous a coûté bien cher !.... Dans les siècles à venir qu'elle arrête le bras de quiconque pourrait encore penser sans frémir à des révolutions nouvelles ! Ainsi, en observant la marche des événernents qui séparent ce jour de celui dont nous célébrons l'anniversaire, nous trouvons à chaque pas des motifs pour nous défier des secousses politiques ; l'expérience de nos maux nous répète qu'on ne peut pas en prévoir le terme, et cette observation nous ramène au sentiment de la concorde, dont nous célébrons aussi la fête. Si le peuple le meilleur, le plus éclairé, fut entraîné par le tourbillon révolutionnaire, faut-il s'étonner que les hommes soient aussi faibles que les peuples ! Au milieu de ces tourmentes, où tous les yeux sont couverts de ténèbres, sur cette mer orageuse qu'agitent de toutes parts des vents contraires, quelle main peut tenir le gouvernail avec fermeté? Ni le vaisseau , ni les passagers, ni les pilotes eux-mêmes ne reconnaissent la route qu'ils doivent parcourir ; on se rapproche, on s'éloigne, on se heurte au sein des tempêtes et de la nuit; chacun s'arme , et frappe au hasard ; on méconnaît quelquefois son allié le plus fidèle pour marcher sous l'étendard de son ennemi; on ne s'aperçoit de ses méprises qu'au moment où les signaux salutaires se montrent à la clarté du jour, et tous alors s'étonnant d'être si éloignés du port qu'ils voulaient tous atteindre. Dans ces époques de délire, les erreurs, les fautes, les fureurs mêmes n'appartiennent qu'à la démence du temps ; démence dont les individus ne sont point coupables, et dont nulle révolution ne fut, ne sera jamais exempte. Aujourd'hui !e règne des erreurs et des divisions est passé; que sa mémoire périsse, et que le sentiment philosophique et religieux de la concorde, qui fait le bonheur des états comme le charme de la vie privée, achève de remplir tous les cœurs ![…] Ne conservons de la révolution que la mémoire des grandes choses : c'est à l'excès des maux que nous devons ses premiers élans ; c'est au désordre inséparable de toutes les révolutions que nous devons attribuer les crimes et les malheurs; et ces crimes, ces malheurs, ayant enfin rendu la nation à elle-même, c'est encore à leur excès que nous devons notre retour à la philosophie, qui depuis si longtemps demandait l'ordre de choses qu'elle vient d'obtenir. Ainsi, après des obstacles sans cesse renaissants, nous nous retrouvons aujourd'hui au point que depuis dix années nous voulions atteindre ; aujourd'hui la nation a repris les sentiments patriotiques et généreux des premiers jours de son éveil : un acte, sanctionné par son vœu unanime, a affermi sur des bases solides la liberté, l'égalité, conquises le 14 juillet 1789. L'Ouest pacifié est redevenu français. La liberté civile, le premier de tous les biens, garantie par un pouvoir judiciaire indépendant, donne,à tous les citoyens le repos et la sûreté, sans lesquels il n'est point de patrie. Et comme si le retour au véritable patriotisme et à la concorde n'était pas encore assez pour le triomphe d'un si beau jour ; il semble que pour mieux l'embellir la victoire ait voulu multiplier ses prodiges. La renommée les redit du haut des Alpes, et ses cent voix, prolongées du Rhin à l'Eridan, et du Danube jusqu'au Nil, reviennent retentir avec plus de force sous ce dôme majestueux qui rassemble les chefs de l'Etat et les plus fameux de nos guerriers.[…] O France! République cimentée par le sang des héros et des victimes ! que la liberté , d'autant plus précieuse qu'elle l'a coûté plus cher ; que la concorde , réparatrice de tous les maux, soient à jamais tes divinités tutélaires ! Le 18 brumaire a achevé l'ouvrage du 14 juillet ; tout ce que le premier a détruit ne doit plus reparaître ; tout ce que le dernier édifie ne doit plus se détruire. Et nous, sachons conserver l'es biens dont nous jouissons ! Tous les écueils nous sont aujourd'hui connus; la maîtresse de tous les siècles et de toutes les nations, celle qui ne se trompe jamais, et que l'on ne dédaigne jamais impunément, l'expérience a placé tous ses flambeaux sur le chemin que nous venons de parcourir : que leur clarté nous dirige sans cesse! Français, portons avec orgueil le nom du grand peuple ; que ce nom soit l'objet de l'amour et de l'admiration du monde; que dans les siècles les plus reculés les héros du 14 juillet, les défenseurs et les soutiens de l'empire soient offerts aux respects de nos derniers neveux, et que la République, fondée par leurs travaux, soit impérissable aussi bien que leur gloire ! »Suite à la cérémonie, le Premier Consul se fit présenter cinq invalides par Berruyer, commandant des Invalides et Carnot, ministre de la Guerre. Les cinq braves furent décorés d’une médaille. Bonaparte prit ensuite la route du Champs de Mars où il passa en en revue les troupes qui s’y étaient amassées. Nombreux furent les drapeaux ennemis que l’on présenta à Bonaparte pour l’occasion. Lannes apporta ceux de la bataille de Marengo et prononça ces mots : « Vous n’avez cherché dans les combats, citoyen consul, que ces résultats seuls véritablement grands qui consolent l’humanité des maux de la guerre. Elles attestent vos vertus les réclamations universelles qui nous suivent en tous lieux. La paix doit affermir les destinées des Français. »Le chef d’escadron Burthe, aide de camp de Masséna, portant les drapeaux pris par l’armée d’Italie, vint ensuite conter le siège de Gênes. Wadelen et Grometry déposèrent enfin les drapeaux pris par l’armée du Rhin sur cette allocution : « Ces drapeaux ne sont pas les seuls gages de valeur ni le seul hommage que l’armée du Rhin peut présenter à un gouvernement honoré et chéri d’elle ; 50 pièces de canon, 18 000 prisonniers de guerre, des trésors pour payer les troupes, de riches magasins pour les nourrir, des faits d’armes que la postérité aura peine à croire ; tels sont les autres trophées que depuis deux mois elle élève à la gloire immortelle du nom de Français. »Bonaparte répondit en ces termes : « Les drapeaux présentés au gouvernement devant le peuple de cette immense capitale attestent le génie des généraux en chef Moreau, Masséna et Berthier ; les talons militaires des généraux leurs lieutenants, et la bravoure du soldat français. De retour dans les camps, dites aux soldats que, pour l'époque du premier vendémiaire, où nous célébrerons l'anniversaire de la République, le peuple français attend ou la publication de la paix, ou, si l'ennemi y mettait des obstacles invincibles, de nouveaux drapeaux, fruit de nouvelles victoires.»Un dîner fut offert aux Tuileries. Trois carrosses du gouvernement vinrent y déposer les invalides honorés le matin même ainsi que quelques officiers de l’hôtel. A la fin du repas, six toasts furent proposés. Bonaparte : « Au 14 juillet et au peuple français, notre souverain. »Cambacérès : « A nos armées, et aux vainqueurs de l’Italie et du Danube. »Lebrun : « A la paix, qui sera le fruit de nos victoires. »Roger-Ducos : « A la constitution, qui a rallié tous les Français. »Jard-Panvilliers : « A la liberté, et à la liberté civile. »Berthier : « Au gouvernement, au sénat conservateur, au corps législatif et au tribunat. » Le soir, les Champs-Élysées et les Tuileries furent illuminés et des bals se prolongèrent fort tard dans la nuit.
_________________ " Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)
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