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 Sujet du message : L'agonie de Lannes
Message Publié : 22 Mars 2014 11:21 
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Fustel de Coulanges
Fustel de Coulanges
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Je me permets de reprendre ici l’échange entamé dans le fil « 1814 » :

Le bonapartiste a écrit :
Biographie de Lannes (Damamme) :

"Napoléon restera une demi-heure au chevet de son ami, d'abord en compagnie de Larrey, d'Yvan, de Paulet, de Lannefranque, puis seul, à la demande de Lannes. Certains (notamment Constant) ont affirmé qu'au cours de cet ultime entretien, le maréchal aurait lancé au visage de l'Empereur de violents reproches sur son ambition. Une ambition qui le faisait mourir, lui, Lannes, et conduisait la France à sa perte. Suprême lucidité ou paroles décousues d'un agonisant ? Accusations forgées de toutes pièces au cours de la première Restauration par quelques personnes désireuses de s'allier les bonnes grâces du nouveau régime? Nous nous en tiendrons au témoignage d'un homme peu suspect d'arrières pensées politiques, l'attachant et sympathique docteur Lannefranque. Celui-ci se trouvait dans l'antichambre en compagnie des aides de camp du maréchal et de ceux de l'Empereur, lorsque ce dernier sortit de la chambre où gisait Lannes "Le maréchal a voulu me parler et n'a rien pu me dire de suivi". Ce qui laisse le champ libre à toutes les suppositions." Dans le même ouvrage, un peu plus loin, Damamme rapporte les propos que l'Empereur aurait tenus à Metternich: "Lannes, après avoir été blessé a crié après moi; il m'a fait recommander sa femme et ses enfants; cet homme était mon plus grand ennemi; je me suis dit sur le champ: Lannes est donc un homme mort, car il crie après moi comme un impie après le Bon Dieu sans qu'il y ait cru pendant sa vie". Cette rencontre entre Napoléon et Lannes a eu d'autres témoins: Pelet, Marbot, Lejeune et Montesquiou-Fezensac. Ils s'accordent tous à dire que Napoléon était très affecté et montra son amitié avec Lannes avec force, et que le maréchal, en dépit de l'état de choc dans lequel il se trouvait, essaya d'assurer l'Empereur qu'il reprendrait bientôt du service. Les témoins s'accordent également pour dire que les propos rapportés par de Gassicourt (sur la vanité de l'Empereur, et l'inutilité des pertes humaines qu'elle provoquait) sont pure fantaisie. C'est le cas en particulier de Pelet, pour qui les Mémoires de de Gassicourt sont un tissus d'erreurs. Pelet souligne que cette rencontre eut lieu à Kaiser-Ebersdorf (et non dans la Lobau), et que de Gassicourt n'était même pas dans le voisinage. De Gassicourt dit lui même qu'il tenait ces propos d'une "source sûre".


Le premier long témoignage de l’agonie de Lannes fut de celui de Larrey (Mémoires de chirurgie militaire, et campagne) publié en 1812 :
« La nouvelle de cet accident m’étant aussitôt parvenue, je me rendis précipitamment au lieu même où le maréchal avait reçu sa blessure, et je le fis transporter à mon ambulance. Il avait le visage décoloré, les lèvres pâles, les yeux tristes, larmoyants, la voix faible, et son pouls était à peine sensible. Ses facultés morales étaient dérangées au point qu’il ne connaissait pas son danger. Combien ma situation n’était-elle pas pénible ! J’étais réduit à l’impossibilité de fonder une espérance certaine sur les secours de mon art, et cependant je ne pouvais, dans un cas aussi grave, dans une conjoncture aussi importante, abandonner le blessé aux seules ressources de la nature. Comment résister aussi à l’impression vive et sensible que la position déjà presque désespérée de ce grand capitaine produisait particulièrement sur moi qui étais honoré de son amitié, et qui avais eu le bonheur de lui porter des secours efficaces pour d’autre blessures qu’il avait reçues en Syrie et en Egypte ? J’avoue que ce fut une des les plus difficiles de ma vie : mais je recueillis toutes mes forces, et je réclamai l’assistance de plusieurs chirurgien-majors expérimentés. Nous examinâmes d’abord avec le plus grand soin les deux blessures. Celle de la cuisse droite fut pansée la première avec un appareil fort simple, parce qu’elle ne nous offrit aucun accident grave. Celle du genou gauche était effrayante par le fracas des os, la déchirure des ligaments, la rupture des tendons et de l’artère poplitée. Tous mes camarades reconnaissaient la nécessité de faire sur-le-champ l’amputation de ce membre ; mais personne n’aurait osé l’entreprendre à cause du peu d’espérance de succès que présentait cette opération, et d’après l’état de stupeur et de prostration extrême où était le blessé. Cependant, encouragé par plusieurs exemples de réussite, dans des cas analogues ; éclairé par une lueur d’espérance, et soutenu par le désir formel que manifestait le malade de subir l’opération, je me déterminai à la faire : elle fut pratiquée en moins de deux minutes, et le maréchal donna très peu de signes de douleur. J’appliquai l’appareil usité ; et, après avoir conduit M. le duc jusqu’à l’île de Lobau, où l’Empereur le rencontra, je le confiai aux soins du chirurgien-major, M. Paulet. Ce ne fut pas sans regret que je quittai cet illustre guerrier; mais j'étais seul des inspecteurs généraux aux ambulances du champ de bataille, et un très grand nombre de blessés attendaient des secours, dans la grande île, où ils avaient été successivement transportés et réunis.
[…]
Après y avoir organisé mon service, je m’empressai d’aller visiter S. E. le duc de Montebello, qu’on avait placé dans une maison d’un brasseur à Ebersdorf : il occupait une chambre fort petite, répondait d’un côté à la brasserie, et de l’autre à une cour humide et assez malsaine. La saison était variable et très orageuse.
Je trouvai M. le duc extrêmement faible, dans une tristesse profonde et avec la pâleur de la mort. Ses idées étaient incohérentes et sa voix entrecoupée ; il se plaignait d’une pesanteur à la tête ; il était inquiet, éprouvait de l’oppression, et poussait de fréquents soupirs ; il ne pouvait supporter le poids des couvertures de son lit, quoiqu’elles fussent très légères. Jusqu’alors il avait fait usage de boissons à la glace et acidulées. Ma présence parut lui faire une douce impression.
La température avait baissé tout-à-coup cause du passage momentané des vents, du sud au nord, et par l’effet des pluies d’orage qui avaient eu lieu la veille. Je proposai en conséquence aux médecins de flanelle, de lui donner fréquemment de bon bouillon, de bon vin, et de supprimer les boissons glaciales. Ses forces se ranimèrent un peu, et son sommeil fut plus calme. Le lendemain, les plaies furent pansées à fond pour la première fois : les appareils étaient imbibés d’une sérosité purulente ; la plaie du moignon avait un aspect favorable, et celle de la cuisse droite ne laissait entrevoir aucun accident ; une partie de ses bords était déjà recollée. Nous couvrîmes les premiers plumaceaux d’un digestif simple, et nous imbibâmes les compresses de vin chaud sucré. Les première vingt-quatre heures se passèrent assez bien. Je me faisais même illusion, et j’espérais, contre l’opinion malheureusement bien fondée de mes collègues, voir arriver la guérison. Mais dans la nuit du sixième au septième jour de l’accident, il se manifesta un accès de fièvre pernicieuse qui fut d’abord reconnu par M. le docteur Lanfranc, médecin de S. M. Nous nous réunîmes en consultation, M.M. les docteurs Yvan, Lanfranc, Paulet et moi. Il fut convenu qu’on administrait le quinquina à forte dose, et qu’on y ajouterait l’éther sulfurique : ces moyens furent mis en usage, et modifiés selon les circonstances. Un deuxième accès, moins effrayant cependant que le premier, se déclara douze heures après ; un troisième se montra dans la journée, avec délire, et fut suivi de la prostration presque absolue des forces vitales. Le danger devenait de plus en plus imminent. Les plaies néanmoins n’offraient encore aucun symptôme gangréneux ; seulement, la suppuration en était considérablement diminuée.
Sa Majesté, informée du danger où était son brave lieutenant-général, vint le visiter sur son lit de douleur. M. le docteur Franck, de Vienne, médecin justement célèbre, fut appelé en consultation : il donna son approbation au traitement mis en usage, et voulut rester avec nous auprès du malade dont les forces déclinaient progressivement. Enfin, le maréchal entra dans un délire complet qui fut de courte durée, et il mourut peu d’heures après dans un état assez calme. C’était à la fin du neuvième jour de l’accident et de la bataille.
Nous fûmes tous consternés de cette mort; j’en fus surtout vivement affecté. Je perdais, dans cet honorable compagnon d’Egypte, un protecteur puissant, qui m’avait donné plus d’une fois des marques d’un véritable attachement.»


Rien donc sur les supposées et fameuses paroles de Lannes.

Celles-ci apparaissent pour la première fois en 1818, sous la plume de Cadet de Gassicourt (Voyage en Autriche, en Moravie et en Bavière fait à la suite de l’armée française, pendant la campagne de 1809) :
« On désespère de pouvoir sauver le maréchal Lannes. Il a soutenu avec beaucoup de force et de courage l'amputation de la cuisse droite, mais le boulet a touché le genou gauche et brisé la rotule : une seconde amputation deviendra peut-être nécessaire. Le duc éprouve un violent chagrin, une fièvre d'un mauvais caractère s'est déclarée. On a placé le maréchal chez Un brasseur d'Ebersdorff, dans un entresol au-dessus d'une écurie. La maison est environnée de cadavres d'hommes et de chevaux. L'air qu'on y respire est infect, la chaleur y est étouffante: c'est cependant ce qu'on a trouvé de mieux. L'Empereur témoigne le plus tendre intérêt au malade. Par ses ordres, le célèbre Franck a été appelé avec MM. Larrey, Yvan, Paulet et Lannefranque qui soignent alternativement le maréchal. Napoléon lui a déjà fait deux visites. Dans la dernière entrevue le duc a demandé que tout le monde se retirât dans la pièce voisine, dont la porte est restée ouverte. Quand il s'est vu seul avec l'Empereur, il lui a rappelé tous les services qu'il lui a rendus, toutes les preuves d'attachement qu'il lui a données ; puis élevant la voix : « Ce n'est pas, a-t-il dit, pour t'intéresser à ma femme et à mes enfants que je te parle ainsi. Quand je meurs pour toi, je n'ai pas besoin de te les recommander, ta gloire te fait un devoir de les protéger, et je ne crains pas de changer tes dispositions à leur égard en t'adressant les derniers reproches de l'amitié. Tu viens de faire une grande faute, elle te prive de ton meilleur ami, mais elle ne te corrigera pas. Ton ambition insatiable te perdra ; tu sacrifies sans nécessité, sans ménagement, sans regrets, les hommes qui te servent le mieux. Ton ingratitude éloigne de toi ceux-mêmes qui t'admirent ; tu n'as plus autour de toi que des flatteurs; je ne vois pas un ami qui ose te dire la vérité. On te trahira, on t'abandonnera; hâte-toi de terminer cette guerre : c'est le vœu de tes généraux; c'est sans doute celui de ton peuple. Tu ne seras jamais plus puissant, tu peux être bien plus aimé ! Pardonne à un mourant ces vérités, ce mourant te chérit »
Le maréchal, en achevant, lui a tendu la main, et l'Empereur l'a embrassé en pleurant, mais sans lui répondre. Je tiens cette scène de plusieurs témoins auriculaires, qui me l'ont rapportée dans les mêmes termes, ou au moins dans le même sens. »

On cite très souvent à ce sujet les Mémoires de Constant :
« Les chirurgiens transportèrent le maréchal dans un petit village au bord du fleuve, appelé Ebersdorf, et voisin du champ de bataille. On trouva dans la maison d'un brasseur une chambre au dessus d'une écurie, dans laquelle il faisait une chaleur étouffante, que rendait plus insupportable encore l'odeur des cadavres dont la maison était entourée... Mais il n'y avait rien de mieux; il fallut s'en contenter. Le maréchal supporta l'amputation de la cuisse avec un courage héroïque; mais la fièvre qui se déclara ensuite fut si violente que, craignant de le voir mourir dans l'opération, les chirurgiens différèrent à couper l'autre jambe. Cette fièvre était en partie causée par l'épuisement; lorsqu'il fut blessé, le maréchal n'avait pas mangé depuis vingt-quatre heures. Enfin MM.Larrey, Yvan, Paulet et Lannefranque se décidèrent à la seconde amputation; et quand ils l'eurent faite, l'état de tranquillité du blessé leur donna l'espoir de sauver sa vie. Mais il ne devait pas en être ainsi. La fièvre augmenta; elle prit le caractère le plus alarmant; et, malgré les soins de ces habiles chirurgiens et ceux du docteur Frank, alors le plus célèbre médecin de l'Europe, le maréchal rendit le dernier soupir le 31 mai, à cinq heures du matin. Il avait à peine quarante ans.
Pendant ses huit jours d'agonie (car les souffrances qu'il éprouvait peuvent être appelées de ce nom), l'empereur vint le voir très souvent; il s'en allait toujours désolé. J'allais aussi voir le maréchal tous les jours de la part de l'empereur; j'admirais avec quelle patience il supportait son mal, et pourtant il n'avait pas d'espoir; car il se sentait mourir, et toutes les figures le lui disaient. Quelle chose touchante et terrible de voir autour de sa maison, à sa porte, dans sa chambre, ces vieux grenadiers de la garde, toujours impassibles jusqu'alors, pleurer et sangloter comme des enfants ! Que la guerre, dans ces moments-là, semble une chose atroce !
La veille de sa mort, le maréchal me dit: « Je vois bien, mon cher Constant, que je vais mourir; je désire que votre maître ait toujours auprès de lui des hommes aussi dévoués que moi; dites à l'empereur que je voudrais le voir. » Je me disposais à sortir, lorsque l'empereur parut. Alors il se fit un grand silence; tout le monde s'éloigna; mais la porte de la chambre étant restée entr'ouverte, nous pûmes saisir une partie de la conversation; elle fut longue et pénible : le maréchal rappela ses services à l'empereur, et termina par ces paroles prononcées d'une voix encore haute et ferme : « Ce n'est pas pour t'intéresser à ma famille que je te parle ainsi; je n'ai pas besoin de te recommander ma femme et mes enfants; puisque je meurs pour toi, la gloire t'ordonne de les protéger, et je ne crains pas, en t'adressant ces derniers reproches de l'amitié, de changer tes dispositions à leur égard. Tu viens de faire une grande faute, et, quoique elle te prive de ton meilleur ami, elle ne te corrigera pas : ton ambition est insatiable; elle te perdra; tu sacrifies sans ménagement, sans nécessité, les hommes qui te servent le mieux, et quand ils meurent, tu ne les regrettes pas. Tu n'as autour de toi que des flatteurs ; je ne vois pas un ami qui ose te dire la vérité. On te trahira, on t'abandonnera; hâte-toi de finir cette guerre; c'est le vœu général. Tu ne seras jamais plus puissant ; mais tu peux être bien plus aimé. Pardonne ces vérités à un mourant...; ce mourant te chérit... »
Le maréchal en finissant tendit la main à l'empereur, qui l'embrassa en pleurant et sans répondre. »


Lesdites mémoires ont été publiées douze ans après l’ouvrage de Cadet de Gassicourt, par divers rédacteurs à partir de notes de Constant. A la lecture de ce passage, j’ai bien du mal à voir là un appui supplémentaire à la prose de Gassicourt, puisqu’il ne s’agit sans doute ici que d’un simple recopiage.



A contrario, on peut citer deux autres témoignages qui rejettent en bloc les dires de Gassicourt :

Pelet (Mémoires sur la guerre de 1809, en Allemagne) :
« Le maréchal Lannes ne put passer, sur l'autre rive du Danube, que le 23 au matin. Il resta à Ebersdorf. Son premier soin fut de s'informer où un comte de Palfi, amputé comme lui, avait fait faire une cuisse mécanique, qui permettait de monter à cheval; tant le maréchal était plein du désir de servir son pays ! L'avant-veille, il avait même donné l'ordre de faire arrêter ses équipages sur la frontière d'Espagne, comptant rejoindre le corps qu'il y commandait, après la fin de la guerre d'Autriche, qu'on regardait comme prochaine. Il perdit toute connaissance, depuis le lendemain 24 jusqu'au 30, jour où se termina sa glorieuse vie. Dans ces tristes moments, sa grande âme se croyait encore sur le champ de bataille, bravant et maîtrisant les hasards. Il donnait des ordres à ses officiers ou implorait l'assistance de l'Empereur, qu'il ne pouvait plus reconnaître. Pendant ces sept journées, Napoléon alla constamment le visiter, soir et matin. Jamais il ne le vit en particulier; et jamais les paroles qu'on a prêtées au maréchal, n'ont été ni pu être prononcées (M. le pharmacien Cadet de Gassicourt, dans son Voyage d'Autriche en 1809, fait proférer au maréchal Lannes des imprécations qui étaient bien loin de son cœur. Le reste de son ouvrage n'est pas plus exact que cette partie.), d'après l'assertion des personnes qui ne le quittèrent pas un seul instant. »

Marbot (Mémoires) :
« Malgré les soins qu'il donnait aux travaux nécessaire pour ces importantes constructions, l'Empereur, accompagné du prince Berthier, venait soir et matin visiter Le maréchal Lannes, dont la situation fut aussi bonne que possible pendant les quatre premiers jours qui suivirent sa blessure. Il conservait toute sa présence d'esprit et causait avec beaucoup de calme. Il était si loin de renoncer à servir son pays, ainsi que l'ont annoncé quelques écrivains, que faisant des projets pour l'avenir, et sachant que le célèbre mécanicien viennois Mesler avait fait pour le général autrichien, comte de Palfi, une jambe artificielle, avec laquelle celui-ci marchait et montait à cheval comme s'il n'eût éprouvé aucun accident, le maréchal me chargea d'écrire à cet artiste pour l'inviter à venir lui prendre la mesure d'une jambe. Mais les fortes chaleurs qui nous accablaient depuis quelque temps redoublèrent d'intensité, et leur effet produisit un bien fâcheux résultat sur le blessé. Une fièvre ardente s'empara de lui, et bientôt survint un délire affreux. Le maréchal, toujours préoccupé de la situation critique dans laquelle il avait laissé l'armée, se croyait encore sur le champ de bataille; il appelait à haute voix ses aides de camp, ordonnant à l'un de faire charger les cuirassiers, à l'autre de conduire l'artillerie sur tel point, etc., etc.. En vain le docteur Yvan et moi cherchions-nous à le calmer, il ne nous comprenait plus ; sa surexcitation allait toujours croissant; il ne reconnaissait même plus l'Empereur ! . . . Cet état dura plusieurs jours sans que le maréchal dormît un seul instant, ou cessât de combattre imaginairement... Enfin, dans la nuit du 29 au 30, il s'abstint de donner des ordres de combat; un grand affaissement succéda au délire; il reprit toutes ses facultés mentales, me reconnut, me serra la main, parla de sa femme et de ses cinq enfants, de son père... et, comme j'étais très près de son chevet, il appuya sa tête sur mon épaule, parut sommeiller, et rendit le dernier soupir... C'était le 30 mai au point du
jour.
Peu d'instants après ce fatal événement, l'Empereur arrivant pour sa visite du matin, je crus devoir aller au devant de Sa Majesté, pour lui annoncer la malheureuse catastrophe et l’engager à ne pas entrer dans l'appartement infecté de miasmes putrides ; mais Napoléon m’écartant de la main, s'avança vers Le corps du maréchal, qu'il embrassa en le baignant de larmes, disant à plusieurs reprises : Quelle perte pour la France et pour moi !... »
En vain le prince Berthier voulait éloigner l'Empereur de ce triste spectacle ; il résista pendant plus d'une heure et ne céda que lorsque Berthier lui fit observer que le général Bertrand et les officiers du génie l'attendaient pour l'exécution d'un travail important, dont il avait lui-même fixé le moment.
[…]
Quelques personnes malintentionnées ont écrit que le maréchal Lannes, adressant des reproches à l'Empereur, le conjura de ne plus faire la guerre; mais moi, qui soutenais en ce moment le haut du corps du maréchal et entendais tout ce qu'il disait, je déclare que le fait est inexact. Le maréchal fut, au contraire, très sensible aux marques d'intérêt qu'il reçut de l'Empereur, et lorsque celui-ci, forcé d'aller donner des ordres pour le salut de l'armée, s'éloigna en lui disant : « Vous vivrez, mon ami, vous vivrez!... » le maréchal lui répondit en lui pressant les mains : « Je le désire, si je puis encore être utile à la France et à Votre Majesté! »



Godlewski, dans la Revue du Souvenir Napoléonien, a enfoncé le clou en révélant que le mansucrit de 1812 sur lequel Gassicourt s’était basé pour rédigé six ans plus tard son ouvrage ne comportait aucune allusion aux paroles de Lannes.





Cependant, avant la sortie du livre de Gassicourt, des rumeurs circulaient déjà.

Le Mémorial de Sainte-Hélène s’en fait l’écho :
« Quelqu'un observa alors que le bruit des salons avait été bien différent, qu'on y avait répandu que Lannes était mort en furieux, maudissant l'Empereur, contre lequel il se montrait enragé ; et on ajoutait qu'il avait toujours eu de l'éloignement pour lui, et le lui avait souvent témoigné avec insolence. »
A quoi, Napoléon répondit :
« Quelle absurdité ! a repris l'Empereur ; Lannes m'adorait, au contraire. C'était assurément un des hommes au monde sur lequel je pouvais le plus compter. Il est bien vrai que, dans son humeur fougueuse il eût pu laisser échapper quelques paroles contre moi; mais il était homme à casser la tête de celui de qui il les aurait entendues. »




Mais on peut aussi citer cet extrait de la lettre que Metternich écrivit à la duchesse Wilhelmine de Sagan, au début de l’année 1814 :
« Napoléon me dit un jour, en me parlant de la campagne de 1809 : « Lannes, après avoir été blessé, a crié contre moi ; il m’a fait recommander sa femme et ses enfants ; cet homme était mon plus grand ennemi ; je me suis dit sur-le-champ : Lannes est donc un homme mort, car il crie après moi comme un impie après le Bon Dieu sans qu'il y eût cru pendant sa vie !»

Thiry balaya cette lettre de manière péremptoire mais aussi (à mon avis) de façon assez légère :
« La duchesse de Sagan n’aimait pas l’Empereur, et c’est sans doute pour lui plaire que Metternich a inventé une phrase que Napoléon n’a jamais prononcée. »





Je termine ici par la correspondance de Lanefranque (là encore rien sur les mots de Lannes) :
Lettre à Corvisart, 11 juin 1809 :

« J'étais à Schœnbrunn, à trois lieues d'Ebersdorf, lorsque j'appris le malheur de M. le maréchal. J'accourus aussitôt chez lui où je trouvai M. Paulet, chirurgien de la garde impériale. Je lui exposai mes titres et les motifs particuliers qui me conduisaient auprès de M. le maréchal. MM. Yvan et Larrey arrivèrent au même instant, et ils trouvèrent convenable que je restasse chez le malade pour me concerter avec eux sur la situation.
Le moment d'après, je fis de tout cela mon premier bulletin que je portai moi-même à Vienne chez M. Boulanger, afin d'assurer mes communications avec vous. C'est ce premier bulletin, indiquant en outre l'état du moment de M. le maréchal, qui vous manquait lorsque vous avez répondu à mon second. M. Boulanger en est surpris et tout aussi mortifié que moi. La fièvre, la suppuration, les plaies, tout présentait un caractère favorable jusqu'au cinquième jour de la maladie. Alors survint, vers les deux heures de l'après-midi, un redoublement de fièvre, qui continua pendant une grande partie de la nuit.
Le lendemain, un pareil accès se manifesta à la même heure. Il n'était point terminé lorsqu'un nouvel accès précédé d'un très léger frisson survint : Celui-ci fut marqué par le délire et l'agitation, etc. Mes bulletins vous ont dit le reste et fait connaître la marche de la maladie.
Dès les premiers redoublements, nous fûmes divisés d'opinion ; cette opposition augmenta avec les accidents, de sorte que, vers la fin du septième jour, M. Paulet et moi jugeâmes qu'une fièvre subintrante pernicieuse venait compliquer la maladie primitive; MM. Yvan et Larrey furent tout à fait opposés à cette idée; ils regardèrent chaque accès de fièvre comme excitatif et un moyen favorable à l'entretien de la suppuration et le délire sans danger, parce que le visage paraissait dans un état presque naturel. Cependant ils consentirent à l'usage du quinquina, plutôt comme tonique que comme fébrifuge. L'admission du quinquina fît cesser toute discussion; il fut administré, ainsi que vous l'avez vu dans les bulletins, et chacun resta dans sa croyance.
M. Paulet et moi ne quittâmes pas le malade ; nous étions à portée de tout voir. M. Yvan transmettait chaque jour à l'Empereur son opinion; M. Larrey, de son côté, en faisait autant, parmi les officiers supérieurs.
Tout le monde, excepté M. Paulet et moi, vivait ici dans la sécurité et l’espérance... La veille de la mort du malade, la périodicité des deux accès disparut : ils furent confondus et le malade resta dans un délire continuel. MM. Yvan et Larrey ne doutèrent plus des dangers de la maladie ; vers les trois heures de l'après-midi de ce jour, M. le maréchal me demanda de faire venir l'Empereur; qu'il voulait lui parler. Une heure après, il revint à la même demande ; il la fit à ses aides de camp. Alors seul avec M. Paulet je proposai la question de savoir si la présence de l'Empereur pouvait être nuisible ou favorable à la situation de M. le maréchal. M. Paulet n'eut point de réponse décisive; j'engageai aussitôt M. Saint-Mars, premier aide de camp de M. le maréchal de faire parvenir à l'empereur la demande de M. le maréchal avec l'incertitude dans laquelle nous étions restés à cet égard.
M. Saint-Mars partit sur-le-champ, rencontra l’Empereur et lui dit tout. L'Empereur répondit qu'il allait se rendre chez le maréchal. Dans cet intervalle M. le maréchal éprouva une faiblesse de cinq ou six minutes avec perte absolue de connaissance. MM. Larrey et Yvan arrivèrent ; nous nous empressâmes de ranimer ses sens, je promenais un flacon d'ammoniaque sous ses narines lorsqu'il se ranima brusquement. Il m'aperçut tenant le flacon et aussitôt il s'écria avec fureur : « Comment, drôle ! mettre sous le nez d'un maréchal d'empire des cochonneries ! Mes aides de camp, quarante grenadiers, qu'on traîne cet homme dehors par les cheveux ! » A l'instant je me montrai docile, je sortis. M. le maréchal parut se calmer; une demi-heure après l'Empereur arriva. Il aborda, avec toute l'expression de la plus profonde douleur, le lit de M. le maréchal, et M. le maréchal s'écria : « Ah ! voilà l'Empereur. » Et au même moment il lui dit : « Ce drôle qui m'a empoisonné, Sire ! qu'il ne rentre plus chez moi ! » L’Empereur demanda à M. Paulet les motifs de ce propos, on les lui rapporta.
L'Empereur resta une demi-heure avec MM. Paulet, Larrey et Yvan auprès de M. le maréchal, dont le délire ne discontinua pas. Il demanda à être seul avec l'Empereur. MM. les chirurgiens se retirèrent et l'Empereur passa encore une demi-heure avec le maréchal, après quoi il sortit. MM. Larrey et Yvan retournèrent auprès du malade. L'Empereur était dans l'antichambre, avec ses aides de camp et ceux de M. le maréchal, où je me trouvais aussi avec M. Paulet. « Le maréchal, dit-il, a voulu me parler et n'a rien pu me dire de suivi. » Il s'adressa ensuite à M. Paulet en lui demandant ce qu'était cette maladie. M. Paulet lui répondit: « Sire, une fièvre pernicieuse très grave. » M'apercevant derrière M. Saint- Mars, qui me pressait pour me porter en avant, il demanda qui j'étais. M. Paulet lui répondit que j'étais un des médecins de sa maison, celui dont se plaignait M. le maréchal. Alors il me dit : « Ce n'est rien... Que pensez- vous de cette maladie ? — Sire, c'est une fièvre pernicieuse, mortelle par sa nature. » Il manifesta un mouvement de peine et de surprise et partit au même instant.
A minuit, un officier vint nous prévenir que le docteur Franck se rendait auprès de M. le maréchal par ordre de l'Empereur. Il arriva à une heure et demie. Nous lui contâmes ce qui s'était passé ; il observa le malade et il dit que M. le maréchal périssait d'une fièvre pernicieuse contre laquelle on avait tout employé ; il passa le reste de la nuit avec nous et jusqu'après la mort de M. le maréchal.
Le 31 mai, à six heures du matin, M. le maréchal n'existait plus. Un quart d'heure après l'Empereur se présenta à cheval à la porte de l’habitation de M. le maréchal. Le général Frère accourut annoncer à l'Empereur la mort de M. le maréchal. L'Empereur resta à cheval; il parut consterné; quatre ou cinq minutes après il demanda à quelle heure était mort M. le maréchal, s'il avait été très agité. Le général Frère répondit qu'il avait été très agité la veille et auparavant. — L'Empereur: « Mais comment donc, Yvan ! pourquoi ne pas m'avoir averti avant son délire ? — Sire, le délire n'a paru qu'hier quelques instants avant votre arrivée auprès de M. le maréchal. » Personne n'osa démentir cette assertion. L'Empereur demanda ensuite le docteur Franck : il se présenta : « Eh bien ! de quoi est mort le maréchal? — Sire, d'une fièvre pernicieuse contre laquelle on a tout employé... » L'Empereur parut frappé d'une profonde douleur, il ordonna que le corps de M. le maréchal fût embaumé, il resta quelques instants dans le silence, qu'il rompit ensuite en disant : Au surplus, tout finit comme ça ! » Il partit aussitôt.


Lettre à l’épouse de Lannes, 24 juin 1809.
« Le jour de la maladie de M. le maréchal, où je me rendis auprès de lui, je crus reconnaître sur sa physionomie et dans différents soupirs, les caractères d'une affection morale très profonde. L'entretien qui avait eu lieu entre nous quelques jours auparavant reparut à mon imagination, et je ne doutai pas que M. le maréchal ne fût douloureusement occupé de sa famille, dont cependant il ne disait pas un mot. Je crus pendant quatre jours devoir respecter cet état, après quoi je hasardai de lui dire que j'envoyais chaque jour le bulletin de sa santé à Corvisart. Il me répondit aussitôt: « Écrivez-lui qu'il recommande à ma femme, si elle vient, de ne point s'inquiéter... Elle viendra !... Votre bulletin est-il fait ? Voulez-vous me le montrer? » Il était fait; je courus le chercher parce qu'il était rassurant; je le mis sous ses yeux, il en suivit chaque mot avec une avide attention.
« Lanfranc vous croyez que je conserverai ma jambe ?» Le lendemain il me demanda s'il y avait des lettres de sa femme ; il me fît la même question à trois ou quatre reprises pendant le reste de sa maladie; il y en avait une, mais nous crûmes nécessaire de n'en point convenir.
Enfin la fièvre nerveuse se manifesta; alors toutes mes observations sur la situation d'esprit et de corps de M. le maréchal fixèrent plus particulièrement mon attention et me donnèrent de grandes craintes que je m'empressai de communiquer à mes confrères. Dans l'histoire des faits que je présentai au docteur Franck, je ne manquai pas de lui citer les impressions morales que j'avais reconnues, même en santé. Le docteur Franck déclara qu'il était convaincu qu'il existait avant la maladie, c'est-à-dire les blessures, un état particulier du cerveau qui avait eu une grande part à la fièvre dont périssait M. le maréchal. Si, comme je le présume, Corvisart a reçu ma lettre, vous connaissez, madame, tout ce qui est relatif aux visites de l'Empereur; cependant aux paroles : « Il n'a rien dit de suivi » il faut ajouter celles-ci : « Il a prononcé « ma femme, » mais il n'a rien pu dire. »
Le prince Berthier, les aides de camp de Sa Majesté, les généraux et tous les officiers supérieurs de l'armée sont venus chez M. le maréchal pendant tout le temps de sa maladie avec un extrême empressement. Je n'entreprendrai pas de vous parler de la douleur et des regrets d'aucun d'eux : tout ce que je pourrais vous dire serait insuffisant. Combien de fois ils ont répété que l'armée française perdait le général le plus dangereux pour les Autrichiens ! J'avais la plus haute idée de la bravoure de M. le maréchal, mais tout ce que j'ai entendu prononcer sur ses grands talents militaires, par le prince, les généraux Dumas, Rapp, les officiers de tous grades, ceux de la garde impériale, m'a frappé d'une étonnante admiration.
Il n'y a pas eu d'instant, pendant tout le cours de la maladie de M. le maréchal, qui n’ait été marqué par tous les sentiments que le mérite le plus éminent peut seul inspirer... »

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 Sujet du message : Re: L'agonie de Lannes
Message Publié : 22 Mars 2014 11:43 
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Pierre de L'Estoile
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Dans mes souvenirs de lecture chez Marbot, il se vante même d'avoir imaginé un drain pour filtrer l'eau fraîche du Danube et étancher la soif du blessé !

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il pleuvait, en cette Nuit de Noël 1914, où les Rois Mages apportaient des Minenwerfer


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 Sujet du message : Re: L'agonie de Lannes
Message Publié : 22 Mars 2014 14:19 
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Fustel de Coulanges
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Il s’agit de ce passage :
« Nous manquions de tout et n'avions même pas de bonne eau à donner au maréchal, qu'une soif ardente dévorait. On lui offrit de celle du Danube; mais la crue du fleuve l'avait rendue tellement bourbeuse qu'il ne put en boire et dit avec résignation : « Nous voilà comme ces marins qui meurent de soif, bien qu'environnée par les flots ! » Le vif désir que j'avais de calmer ses souffrances me fit employer un filtre d'un nouveau genre. Un des valets que le maréchal avait laissés dans l'île, en allant au combat, portait constamment un petit portemanteau contenant du linge. J'y fis prendre une chemise du maréchal : elle était très fine ; on ferma avec de la ficelle toutes les ouvertures, à l’exception d'une, et plongeant cette espèce d'outre dans le Danube, on la retira pleine, puis on la suspendit sur des piquets au-dessous desquels on plaça un gros bidon pour recevoir l'eau, qui filtrant à travers la toile, se débarrassa de presque toutes les parties terreuses. Le pauvre maréchal qui avait suivi toute mon opération avec des yeux avides, put enfin avoir une boisson, sinon parfaite, au moins fraîche et limpide : il me sut très bon gré de cette invention. »

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 Sujet du message : Re: L'agonie de Lannes
Message Publié : 29 Mars 2014 10:43 
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Fustel de Coulanges
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Je reviens sur Gassicourt.
Le fait que le passage sur les mots tenus par Lannes face à l’Empereur n’apparaisse pas dans le manuscrit de 1812 jette un très gros doute sur l’ouvrage finalement publié six ans plus tard.

D’autres arguments me paraissent cependant bien plus légers.
Ainsi, il est souvent opposé au livre de Gassicourt les Mémoires de Pelet et de Marbot. Or ces derniers, pour mieux rejeter Gassicourt, avancent respectivement ceci :
« Jamais [Napoléon] ne […] vit [Lannes] en particulier; et jamais les paroles qu'on a prêtées au maréchal, n'ont été ni pu être prononcées, d'après l'assertion des personnes qui ne le quittèrent pas un seul instant. »

« Quelques personnes malintentionnées ont écrit que le maréchal Lannes, adressant des reproches à l'Empereur, le conjura de ne plus faire la guerre; mais moi, qui soutenais en ce moment le haut du corps du maréchal et entendais tout ce qu'il disait, je déclare que le fait est inexact. »

Or ces passages sont contredits par la lettre écrite quelques jours après les faits par Lanefranque :
« [Lannes] demanda à être seul avec l'Empereur. MM. les chirurgiens se retirèrent et l'Empereur passa encore une demi-heure avec le maréchal »




Godlewski (Revue du Souvenir napoléonien, n°297) émet trois hypothèses pour expliquer le rajout de 1818 :
« -Première hypothèse : il n'était pas facile d'obtenir de la censure royale, dans les premières années de la seconde Restauration, l'autorisation de publier un ouvrage sur l'Empire, à moins qu'il ne s'agisse d'un pamphlet anti-bonapartiste. Il est donc fort possible qu'il l'ait commis afin de se faire délivrer l'imprimatur. A moins que ce geste conciliant ne lui ait été suggéré par la police, ce qui revient au même.
-Seconde hypothèse : il a peut-être monnayé la Légion d'honneur, dont il vient d'être décoré, en échange de cette concession peu honorable.
-Troisième hypothèse : qui n'est d'ailleurs pas incompatible avec les précédentes : il a simplement exploité les rumeurs qui couraient déjà sous l'Empire sur la diatribe de Lannes. »


De la même manière qu’il va bien vite en besogne (pour ne pas dire plus…) en citant Pelet et Marbot, sans prendre le soin de rappeler la lettre de Lanefranque, je pense que certains propos ne sont pas non plus ici très solides.
Pourquoi ne pas préciser que Gassicourt faisait partie de l’opposition lors de la Restauration et qu’il fut entendu comme témoin lors du procès contre la Société des amis de la liberté dont il était membre ?
Pourquoi enfin parler de « pamphlet anti-bonapartiste » dans une évocation de son ouvrage Voyage en Autriche, en Moravie et en Bavière fait à la suite de l’armée française, pendant la campagne de 1809 ?
Un pamphlétaire anti-bonapartiste aurait-il, comme le fait Gassicourt, contredit le brûlot anglais de Wilson sur les pestiférés et les massacrés de Jaffa ? Aurait-il pareillement dépeint la venue des enfants de Mme Aquet de Férolles :
« Une femme de qualité, propriétaire fort riche près de Caen, madame de Combray, prêtait son château aune troupe de royalistes normands qui allaient sur les routes dévaliser les diligences : elle recevait les fonds volés et les faisait passer à un prétendu trésorier de S. M. Louis XVIII. Sa fille, madame Acquêt qui faisait partie de cette troupe, habillée en homme, fut condamnée à mort avec ses complices, elle prétexta une grossesse, et obtint le sursis d'usage. Au bout de huit mois de vaines sollicitations, elle se décida à envoyer ses enfants en Allemagne pour demander sa grâce à l'Empereur. Son médecin, sa sœur et ses deux filles arrivent à Schoenbrunn le jour où Napoléon était allé visiter le champ de bataille de Wagram, dont le colonel Lejeune leva le plan en sa présence. Cette famille vêtue de crêpes attendit toute la journée, sur le perron du palais, le retour de l'Empereur. Les deux jeunes personnes, âgées l'une de dix ans,
l'autre de douze inspiraient beaucoup d'intérêt, mais le crime de leur mère révoltait (En matière politique les opinions, quelles qu elles soient ne sont jamais coupables. La plus grave erreur ne peut être un délit. Mais, lorsque par opinion l’on se décide à se faire brigand, on doit être puni sous tous les gouvernements possibles.)
L'Empereur arrive. Les enfants se jettent à ses pieds en criant : Sire, rendez-nous notre mère !
Sa Majesté les relève avec bonté, prend des mains de la tante la pétition, la lit toute entière avec attention, fait quelques questions au médecin, regarde les enfants. Il s’émeut visiblement, il hésite ; mais au moment où tout le monde croit qu'il va prononcer la grâce, il s'échappe en disant : Je n'en ai pas la puissance ! Témoin du combat intérieur qu'il a éprouvé, j'ai trouvé son refus sublime. Je l’ai vu changer deux fois de couleur, des larmes roulaient dans ses yeux et sa voix était altérée. »

Pour mémoire, Caroline Aquet de Férolles fut guillotinée le 7 octobre 1809. Sa mère, la marquise de Combray, condamnée à l’exposition du pilori et à 22 ans de fers, fut acquittée à la Restauration et fut reçue en audience particulière par Louis XVIII.

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 Sujet du message : Re: L'agonie de Lannes
Message Publié : 29 Mars 2014 16:57 
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Fustel de Coulanges
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Un petit tour de passe-passe tiré de l’ouvrage de Gassicourt :

« On porta des toasts. Je bois, dit un officier à notre moderne Podalyre, au brave et bon Larrey.... Vous ignorez peut-être, Messieurs, le nouveau service qu'il vient de rendre à l'armée. Dans un rapport que M. Heurteloup fit remettre à l'Empereur, sur l'état des blessés entrés dans les hôpitaux, après la bataille d'Essling, ce chirurgien observe que beaucoup de jeunes soldats sont blessés à la main droite et de la même manière ; que cette blessure, quoique légère, les met hors d’état de servir, et qu'il les soupçonne fort de s'être blessés eux-mêmes pour quitter l'armée. A la lecture de ce rapport, l'Empereur entre en colère, traite ces soldats de lâches, et ordonne que vingt-quatre soient à l'instant livrés à un conseil de guerre. Larrey était présent : Sire, lui dit-il, un conseil de guerre ne peut pas juger sur un pareil rapport, sur une simple conjecture. Au lieu d'avoir mérité une punition, ces blessés ont peut-être droit à une récompense. Sire, veuillez vous faire faire un rapport spécial.
— Eh bien ! je vous en charge, dit l'Empereur; prenez des renseignements exacts, examinez ces hommes, donnez-moi votre avis motivé.
Larrey n'a pas perdu une minute ; son enquête a été prompte et sévère. Il a prouvé que la même blessure pouvait et même devait avoir lieu dans certaines circonstances communes à l’armée. Son opinion, confirmée par celle de plusieurs chirurgiens, a sauvé l’honneur et la vie aux vingt-quatre soldats qui ont obtenu les invalides. Vous voyez bien, Messieurs, que la santé que je propose est d'obligation. — Et de cœur, disent tous les officiers. »



L’auteur situe la scène quelques jours avant Wagram. Or l’affaire ici contée ne se passa pas lors de l’été 1809, mais quatre ans plus tard en 1813.

Voici ce qu’en dit le principal intéressé, Larrey, dans ses Mémoires de chirurgie militaire :
« Pour diminuer aux yeux de Napoléon le nombre considérable de blessés qu'avaient donnés les batailles de Lutzen, Bautzen et Wurchen, quelques personnes accoutumées à voiler les vérités, lui firent entendre que beaucoup de ces blessés s'étaient mutilés volontairement pour se soustraire au service, et l'on rangeait dans cette classe tous ceux qui avaient les doigts tronqués ou les mains traversées par des balles. Sur ces assertions, on donna l'ordre de les réunir tous et de les enfermer dans le camp retranché établi pour la douane, à un quart de lieue de la ville, sur la grande route de Bautzen. Il y en avait près de trois mille.
Interrogé par le chef de l'armée lui-même sur la différence que présentaient les blessures résultant d'une cause mise en mouvement par l'individu blessé, d'avec celles qui sont l'effet d'une puissance étrangère, je répondis que, toutes choses égales d'ailleurs, nul médecin ne pouvait établir la moindre différence entre ces deux sortes de blessures. Mon opinion ne se trouvait pas d'accord avec celle de quelques-uns de mes collègues : elle ne prévalut point, et l'ordre de former un jury chirurgical, que je devais présider, me fut aussitôt intimé. Ce jury était chargé de désigner ceux de ces individus qu'il aurait reconnus coupables de ces délits, pour qu'ils fussent mis ensuite à la disposition du général, grand-prévôt de l'armée. Je ne transcrirai pas ici ce que m'écrivit à ce sujet cet officier genéral ; sa lettre contenait le détail des mesures à prendre pour la police du camp, pendant la durée de nos opérations. Pénétré de l'importance de la décision que j'étais appelé à donner dans ce cas remarquable de chirurgie légale, je persistai dans mon premier jugement ; les autres membres du jury partagèrent mon opinion; et, après avoir examiné avec soin tous les blessés, nous fîmes le rapport suivant :
«Le jury chirurgical […] s'est réuni, le 16 du même mois, à 5 heures du matin, au lieu désigné, à l'effet de procéder à la visite de 235O soldats, et de 282 ramenés des ambulances de retraite, ce qui faisait en tout 2632 militaires de toute arme, blessés aux mains et aux doigts.
[…]
Le jury déclare qu'il n'est point de signes certains qui fassent connaître la différence qui peut exister entre deux plaies d'armes à feu reçues même à brûle-pourpoint, et produites, l'une par l'effet de la volonté de l'individu, et l'autre par celui d'une puissance étrangère à sa volonté.
Le jury, en se résumant, proteste qu'il est physiquement impossible d'établir la moindre preuve qu'aucun des militaires visités par lui se soit mutilé volontairement, et il pense que la lecture des états circonstanciés, qu'il a fait dresser de tous les blessés soumis à sa visite, en expliquant les motifs du nombre si grand en apparence des mutilations, contribuera à dissiper l'opinion défavorable répandue sur le compte de ceux qui les ont éprouvées. »
[…]
Je présentai ce rapport au chef de l'armée, et lui déclarai que l'inculpation portée contre ces 2632 soldats était totalement fausse, et qu'il me paraissait équitable que tous les sujets fussent renvoyés à leurs corps respectifs, où, d'après nos indications sur leur invalidité, ils recevraient une destination ultérieure.
Le rapport fut accueilli, et mes propositions adoptées ; en conséquence, il fut établi un nouvel ordre du jour, pour que l'opération faite par le jury fût étendue à tous les blessés de l'armée, à l'effet de statuer sur leur invalidité. »



Las Cases a conté l’affaire dans le Mémorial :
« Après les batailles de Lutzen, Wurschen et Bautzen, Napoléon, victorieux, fit appeler le chirurgien Larrey pour connaître, suivant sa coutume, l'état et le nombre des blessés. Or, ils se trouvaient dans cet instant en proportion extraordinairement supérieure à d'autres temps et à d'autres actions. L'Empereur en fut surpris, et cherchait à en expliquer la cause. M. Larrey la trouvait, indépendamment des circonstances locales, dans la masse des soldats qui, voyant le feu pour la première fois, se trouvaient plus gauches dans leurs mouvements et moins adroits contre le péril. L'Empereur, peu satisfait et fort préoccupé de cette circonstance, questionna ailleurs ; et comme il se trouvait en ce moment bien des personnes fort lasses de la guerre, qui eussent désiré la paix à tout prix, et n'eussent été nullement fâchées d'y voir l'Empereur amené par force, soit calcul, soit conviction, il lui fut répondu que l'immensité des blessés ne devait point étonner ; que la grande partie l'était à la main, et que la blessure était de leur propre fait et pour n'a voir plus à se battre. Ce fut un coup de foudre pour l'Empereur ; il répéta ses informations, et reçut le même résultat ; il en était au désespoir. « S'il en était ainsi, s'écriait-il, malgré nos succès, notre position serait sans remède ; elle livrerait la France pieds et poings liés aux barbares. » Et cherchant dans son esprit comment arrêter une telle contagion, il fit mettre à l'écart tous les blessés d'une certaine nature, nomma une commission de chirurgiens présidée par Larrey, pour constater leurs blessures, résolu de sévir d'une manière exemplaire contre ceux qui auraient eu la lâcheté de se mutiler eux-mêmes. M. Larrey, toujours opposé à l'idée de mutilation volontaire qui, selon lui, compromettait l'honneur de l'armée et celui de la nation, se présenta devant l'Empereur pour renouveler ses observations. Napoléon, irrité de son obstination, qu’on avait eu soin de faire ressortir encore, lui dit d'un front sévère : «Monsieur,vous me ferez vos observations officiellement, allez remplir votre devoir.»
Le baron Larrey se mit aussitôt au travail, mais avec solennité; et poursuivant les plus petits détails, il avançait lentement, tandis que divers motifs rendaient bien des gens impatients ; on savait que l'Empereur l'était beaucoup. On ne manqua pas même d'aller jusqu'à faire observer à M. Larrey que sa position était des plus délicates, périlleuse même : il demeura sourd et imperturbable. Enfin, au bout de quelques jours, il se rendit auprès de l'Empereur, insistant pour remettre lui-même son travail en personne. « Eh bien, Monsieur, lui dit l'Empereur, persistez-vous toujours dans votre opinion ? — Je fais plus, Sire, je viens la prouver à Votre Majesté : cette brave jeunesse était indignement calomniée; je viens de passer beaucoup de temps à l'examen le plus rigoureux, et je n'ai pas trouvé un coupable ; il n'y a pas un de ces blessés qui n'ait son procès-verbal individuel ; des ballots me suivent. Votre Majesté peut en ordonner l'examen. » Cependant l'Empereur le considérait avec des regards sombres. « C'est bien, Monsieur, lui dit-il en saisissant son rapport avec une espèce de contraction ; je vais m'en occuper. Et il se mit à marcher à grands pas dans son appartement d'un air agité et combattu; puis, revenant bientôt à M. Larrey avec un visage tout à fait dégagé, il lui prend affectueusement la main, et lui dit d'une voix émue : « Adieu, monsieur Larrey, un souverain est bien heureux d'avoir affaire à un homme tel que vous ! On vous portera mes ordres. » Et M. Larrey reçut le soir même, de la part de Napoléon, son portrait enrichi de diamants, 6000 francs en or et une pension sur l'État de 3000 francs, sans exclusion, est-il dit au décret, de toute autre récompense méritée par ses grades, son ancienneté et ses services futurs.
Un pareil trait est précieux pour l'histoire, en ce qu'il fait connaître un homme de bien qui n'hésite pas à défendre la vérité contre un monarque prévenu, irrité; et en ce qu'il fait ressortir toute la grande âme de celui-ci, dans le bonheur, la reconnaissance qu'il témoigne de se voir détrompé. »


Larrey commenta ce passage en ces termes :
« M. de Las Cases a rendu, avec une exacte vérité, dans Mémorial de Sainte-Hélène, tout ce qui s’est passé à Dresde, en 1813, entre l’Empereur Napoléon et le baron Larrey, à l’occasion des mutilés des doigts. »


On voit ici que Cadet de Gassicourt a agrémenté son manuscrit de 1812 d’un évènement postérieur, n’hésitant pas à l’occasion à tordre le coup à la vérité.
Je ne suis pas loin de penser que Gassicourt a usé du même procédé pour évoquer la fameuse tirade de Lannes lors de son agonie.
Reste à connaître ses sources. L’auteur est peu prolixe sur ce point ; le lecteur devant se contenter d’un laconique et bien peu satisfaisant : « Je tiens cette scène de plusieurs témoins auriculaires, qui me l'ont rapportée dans les mêmes termes, ou au moins dans le même sens »

Comme déjà dit (voir la correspondance de Metternich et le Mémorial), avant même la sortie du livre de Gassicourt, on parlait déjà de propos très durs tenus par Lannes sur son lit de mort. Peut-être faut-il voir là l’origine du rajout de 1818 par rapport au premier jet de 1812 ?...

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Message Publié : 01 Avr 2014 17:38 
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Fustel de Coulanges
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J'ai évoqué plus haut la condamnation à mort de Caroline Aquet de Férolles.
Voici l'affaire dans laquelle elle fut impliquée, celle de l'attaque de la voiture des contributions d’Alençon et d'Argentan, le 7 juin 1807, par un petit groupe de Chouans :


L’attaque eut lieu le soir du dimanche 7 juin 1807, sur la route de Falaise à Caen. Côté Blanc : six Chouans menés par Allain, dit le général Antonio, et Flierlé, dit Marchand. Côté Bleu : Le voiturier Gousset et, pour escorte : un seul gendarme !

L’embuscade fut rondement menée et le malheureux gendarme, blessé au bras gauche, bien que renforcé par deux de ses collègues accourus au bruit de la fusillade ( l'un d'eux fut touché à la jambe et son cheval fut tué), ne put guère opposer de résistance. Le voiturier Gousset fut alors contraint de faire entrer sa charrette dans un chemin couvert, où celle-ci put être vidée. Les yeux bandés, il dut ensuite conduire l'un des trois chevaux transportant le butin. Les Chouans l'abandonnèrent avant d'entrer à Donnay, où l'argent fut confié aux frères Buquet. La petite bande se dispersa de suite.

Le butin était tout à fait honorable : un peu plus de 60 000 francs.

L’affaire fit grand bruit et les arrestations dans les milieux royalistes, et même révolutionnaires, se multiplièrent.
Le promoteur de l’opération, Armand-Victor Le Chevalier, fut pris à Caen et enfermé en la prison du Temple, à Paris. Il s’en évada le 14 décembre et se constitua prisonnier, le 9 janvier suivant, après que l’on ait donné l’ordre d’arrêter sa fille et sa belle-sœur. Repris à 8 heures, passé devant une commission militaire à 9, il fut fusillé à 16 à la barrière de Grenelles.

Caroline Aquet de Férolles, maîtresse d’Armand-Victor, qui avait caché et nourri les Chouans d’Allain, et repéré les lieux de l’embuscade, malgré toutes ses précautions, finit par être arrêtée et traduite avec d’autres suspects devant la cour de Rouen.

Dix accusés, dont Caroline, furent condamnés à mort :
-Joseph Flierlé, dit Le Marchand, dit Tesch, dit Deitscher, vivant de son bien : participation à l’embuscade du 7 juin comme chef de bande ;
-Harel, tisserand : participation à l’embuscade du 7 juin ;
-Charles François Michel, dit Le grand Charles, charpentier : participation à l’embuscade du 7 juin
-Le Héricey, dit Gros Pierre, dit La Sagesse, charpentier : participation à l’embuscade du 7 juin ;
-Lefebvre, notaire : fourniment en armes ;
-Gauthier, dit Boismale, garçon d’écurie : transmission d’informations sur le convoi ;
-Le Marchand, aubergiste : recel des Chouans ;
-Alexandre Buquet, cordonnier : recel des fonds volés ;
-Le Brée, dit La Chesnée, dit Fleur-d’Epine, charpentier : participation à l’embuscade du 7 juin ;
-Caroline Aquet de Férolles : hébergement des Chouans et repérage des lieux de l’embuscade.

L’exécution eut lieu le jour même de leur condamnation, le 30 décembre 1808.



Les autres impliqués dans l'affaire :

Condamnés aux travaux forcés ou à la réclusion et au pilori :

-Bornet, dit Le Rouge, artisan : recel des Chouans ;
-Bureau de Placène, dit Pascal : recel des fonds volés ;
-Vasnier de La Chauvinière, avoué : recel des fonds volés ;
-Geneviève Hélie de Combray : recel des fonds volés.


Acquittés :

-Gousset, voiturier : lenteur volontaire dans le convoiement ;
-Halbout : recel des fonds volés ;
-Langelley : recel des fonds volés ;
-Chauvin, gendarme : d'intelligence avec madame Aquet ;
-Mallet, gendarme : d'intelligence avec madame Aquet ;
-Lanoë, garde-chasse : d'intelligence avec madame Aquet.


D’autres échappèrent aux recherches :

-Allain, dit général Antonio : participation à l’embuscade du 7 juin comme chef de bande ;
-Grenthe, dit Cœur de Roi : participation à l’embuscade du 7 juin ;
-Le Lorault, dit La Jeunesse : participation à l’embuscade du 7 juin ;
-Courmaceul : fourniment en armes ;
-Joseph Buquet, cordonnier : recel des fonds volés ;
-Révérend, médecin : fourniment en armes ;
-du Saussay : transmission d’informations sur le convoi ;
-La fille Pons, dite Dupont : d'intelligence avec madame Aquet.




La venue des enfants de Caroline Aquet de Férolles pour tenter d'obtenir la grâce de leur mère contée dans l'ouvrage de Gassicourt, apparaît également dans les Mémoires du duc de Rovigo :

« L’empereur rentrait un jour d’une course à cheval ; il trouva dans la cour du château [de Schönbrunn] une dame d’un extérieur respectable accompagnée de deux petits enfants ; tous trois étaient en noir. L’empereur crut un instant que ce fut la preuve de quelque officier tué à la bataille. Il s’approcha d’eux avec intérêt. Sa contenance changea quand il apprit qu’elle amenait ces enfants de Caen en Normandie pour solliciter de l’empereur la grâce de leur mère, condamnée à mort par le tribunal criminel de cette ville.
L’empereur n’avait, pour le moment, aucun souvenir d’avoir entendu parler de cette affaire ; il voyait cependant qu’elle devait être bien sérieuse pour que l’on fût venu de si loin pour lui demander la grâce d’une condamnée. Cette dame n’était munie d’aucune lettre de recommandation ; elle venait absolument surprendre un mouvement de sensibilité à l’empereur, qui lui demanda le nom de la personne en faveur de laquelle elle intercédait. C’est alors qu’elle nomma madame de D… ; ce nom rappela à l’empereur toute l’affaire, et il répondit à cette dame qu’il était fâché de ne pouvoir la dédommager d’un aussi pénible voyage que celui qu’elle venait de faire, mais qu’il ne pouvait lui répondre sans connaître l’opinion du conseil, surtout sur un cas comme celui dont il était question, parce qu’il rappelait à son esprit des circonstances tellement graves, qu’il ne croyait pas pouvoir user du droit de faire grâce dans cette occasion.
J’ai vu le moment où il allait l’accorder ; son cœur avait déjà prononcé, mais d’autres considérations lui parlaient plus haut que la sensibilité ; il était fort en colère contre le ministre de la police, qui, après avoir fait grand éclat de cette affaire et s’en être fait un mérite, donnait ensuite des passeports pour que l’on vînt lui demander grâce de l’exécution d’un jugement sur lequel il ne lui avait rien écrit ; il disait avec raison : « si c’est un cas graciable, pourquoi ne me l’avoir pas écrit ? et s’il ne l’est pas, pourquoi avoir donné des passeports à une famille que je suis obligé de renvoyer désolée ? » Il se plaignit beaucoup de ce manque de tact de la part du ministre de la police. »

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 Sujet du message : Re: L'agonie de Lannes
Message Publié : 02 Avr 2014 10:08 
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Eginhard
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Merci pour ces précieuses informations, je vous lis toujours avec intérêt (et vous engage à continuer) même si je réponds rarement car je ne vous apprendrais rien que vous ne sachiez déjà.


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 Sujet du message : Re: L'agonie de Lannes
Message Publié : 02 Avr 2014 10:48 
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Fustel de Coulanges
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Merci, c'est gentil. :wink:

Le bonapartiste a écrit :
je réponds rarement car je ne vous apprendrais rien que vous ne sachiez déjà.


Détrompez-vous.

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 Sujet du message : Re: L'agonie de Lannes
Message Publié : 02 Avr 2014 11:01 
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Hérodote
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Je me joins à Bonapartiste - merci pour vos interventions. C'est un plaisir de vous lire.


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 Sujet du message : Re: L'agonie de Lannes
Message Publié : 04 Avr 2014 20:38 
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Fustel de Coulanges
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Comme dit plus haut, Metternich s’est fait l’écho, en 1814, de propos qu’aurait tenus Napoléon concernant l’agonie de Lannes et les mots très durs prononcés par ce dernier.

Metternich étant pour certains bien trop sulfureux, on peut parallèlement, mais pour une autre affaire, citer Caulaincourt (En traîneau avec l’Empereur) :
« L'Empereur ajouta que [Lannes] avait dans le caractère un esprit d'opposition et de censure qui l'aveuglait et l'emportait sur son attachement pour lui. Il était indiscret et n'avait pas de mesure. A l'appui de ces réflexions, il me dit tenir d'une personne, à qui le maréchal s'en était vanté, peu avant la dernière guerre d'Autriche, qu'il avait dit à l'empereur de Russie, au-devant duquel il avait été envoyé par lui, lors de l'entrevue d'Erfurt, et avec lequel il voyageait tête à tête, que l'empereur Napoléon voulait le tromper, que son ambition n'avait pas de bornes, qu'il ne respirait que la guerre comme le moyen de parvenir à son but et qu'il ne saurait trop s'en méfier, il se vanta même d'avoir ajouté quelques détails intérieurs et cité des faits pour éclairer, soi-disant, Alexandre et empêcher qu'il fût sa dupe.
Cette confidence, ajouta l'Empereur, m'a expliqué la méfiance et la conduite d'Alexandre à Erfurt.
[…]
[Lannes] est mort en héros, quoiqu'il eût tenu la conduite d'un traître, puisqu'il n'était pas même appelé par sa mission de courtoisie à émettre une opinion sur moi et sur les affaires. Il n'aura pu résister aux paroles flatteuses, la confiance simulée d'Alexandre et, encore moins, à un vieux ressentiment pour je ne sais quoi, car il était aussi violent, dans ses sentiments qu'ardent sur le champ de bataille. »


« Son ambition n'avait pas de bornes, qu'il ne respirait que la guerre comme le moyen de parvenir à son but » n’est pas sans rappeler les mots rapportés par Gassicourt : « Ton ambition insatiable te perdra ; tu sacrifies sans nécessité, sans ménagement, sans regrets, les hommes qui te servent le mieux. »

Mais là encore, il n’est pas possible de se faire un avis à partir de ces rapprochements ; d’une part au regard des doutes pesant sur l’ouvrage de Cadet de Gassicourt, et d’autre part parce que l’on ne sait pas d’où Napoléon tire de telles informations, alors qu’au moment où il fait ces révélations à Caulaincourt, le poids des menées de Talleyrand dans l’échec d’Erfurt lui est encore étranger.
Il n’est cependant pas le seul à avoir associé Lannes à la défiance du Tsar. Ainsi, le 30 octobre 1808, Joseph de Maistre écrivait au chevalier de Rossi :
« On s'est dit à Erfurt beaucoup de choses que nous ne savons pas, mais qui nous serons dites une fois, suivant les apparences, au moins par les événements. Tenez dès à présent pour très certain que les premiers serviteurs de Napoléon ne peuvent pas le souffrir, et qu'ils ne peuvent se souffrir mutuellement. Voici un fait particulier qui m'a été donné comme également certain, et que les circonstances rendent seules très probable. Talleyrand,Berthier et Lannes ont dit au Grand Maréchal, ou lui ont fait entendre, qu'ils étaient passablement ennuyés de leur cher Maître, et que si jamais il leur convenait de faire demi-tour à droite, ils seraient bien flattés de pouvoir passer sous le sceptre d'Alexandre. Un illustre boudeur, de qui je tiens le fait, ricanait beaucoup de ce qu'il appelait une des plus grandes mystifications possibles. Je lui dis :« Mais, Monsieur le Comte, êtes-vous bien sur de ne pas vous mystifier vous-même ? Qui vous a dit que ces trois Messieurs ne parlaient pas sérieusement ? — Allons donc, allons donc ! » Je n'en sais rien : sûrement on a vu beaucoup de mécontentement, et les idées qu'on a acquises là germeront un jour. »


Même si on peut trouver quelque ressemblance avec ce qu’à pu dire Napoléon au retour de la campagne de Russie, je ne vous cache pas que je ne crois pas du tout Lannes capable d’une telle trahison.
Propos tenus, inventés, déformés ; difficile d’y voir clair dans ces bruits de couloir et autres révélations sur le tard qui ont essaimé jusqu’à Sainte-Hélène et qui ont pu (ou pas) inspirer Gassicourt en 1818 dans la réécriture de son manuscrit de 1812…

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" Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)


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 Sujet du message : Re: L'agonie de Lannes
Message Publié : 03 Mai 2020 16:17 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile
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Inscription : 05 Oct 2005 20:39
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Localisation : Lyon-Vénissieux
Je me permets de faire remonter ce vieux sujet passionnant

Parmi la masse des biographies qui ont été consacrées au maréchal Lannes, quelle est celle que vous recommanderiez le plus, qui est la mieux écrite ou qui a la plus grande réputation ?

Merci

_________________
Le souvenir ne disparait pas, il s'endort seulement.
Epitaphe trouvée dans un cimetière des Alpes

La science de l'histoire est une digue qui s'oppose au torrent du temps.
Anne Comnène, princesse byzantine (1083-1148)

Le passé fait plus de mal que le présent
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