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Message Publié : 26 Oct 2015 20:48 
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Fustel de Coulanges
Fustel de Coulanges
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Lordblackadder a écrit :
Drouet Cyril a écrit :
Théodare a écrit :
Lorsque Ney ordonne de tirer personne n'ose obéir si je ne m'abuse...


Attention, vous pensez sans doute au film Waterloo de Bondartchouk, ou à la série Napoléon avec Clavier, où Ney est faussement placé à Laffrey.



C'était le général Bedoyère qui dirigeait le 5e à Laffrey. Il sera fusillé pour ça d'ailleurs.


Non, le bataillon du 5e était commandé par Delessart. La Bédoyère, lui, dirigeait le 7e et n'était pas présent à Laffrey.

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" Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)


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Message Publié : 28 Oct 2015 10:48 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

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Un type que j'admire est le gantier Grenoblois Dumoulin; il se rallie à Napoléon pendant ces journées là, lui amène sa fortune et s'engage (sauf erreur) dans les rangs du 5eme de Ligne
Souvenez vous que cette unité se bat à Plancenoit avec Lobau lors des funestes heures (peut être pas pour tout le monde sur ce forum ;) et relire la belle page de Chateaubriand là-dessus) de la fin d'après midi du 18 juin

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il pleuvait, en cette Nuit de Noël 1914, où les Rois Mages apportaient des Minenwerfer


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Message Publié : 15 Nov 2015 23:50 
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Polybe
Polybe

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CNE_EMB a écrit :
l'Empereur ait réussi à reconquérir son trône sans tirer un coup de feu ?

N'exagérons tout de meme pas: https://fr.wikipedia.org/wiki/Combat_de_Loriol


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Message Publié : 16 Nov 2015 7:45 
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Marc Bloch
Marc Bloch

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Loriol est il un bon exemple ? Le combat est livré le 2 avril : Napoléon est remonte sur son trône depuis douze jours. Du 1 er au 20 mars, il n'y a pas eu un coup de feu et pas un mort ...ce qui en dit long sur la non résistance des royalistes !


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Message Publié : 16 Nov 2015 12:17 
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Fustel de Coulanges
Fustel de Coulanges
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Il n'est pas en effet faux de dire que Napoléon a reconquis le pouvoir en France sans une victime.
Il ne faut cependant pas oublier, comme il a été dit plus haut, la tentative infructueuse du duc d'Angoulême, ni surtout la guerre civile qui, à nouveau (la quatrième guerre ; mais sans commune mesure avec celle de 1793), toucha l'Ouest.

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Message Publié : 16 Nov 2015 12:34 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

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c'est une affaire de date (comme pour les trahisons :))
De mémoire, pas de tués ni combats entre Golfe Juan et Paris (donc 20 mars)
Par contre, les noyés de Pont/Yonne le 18 ou 19 la nuit, mais c'est tragiquement accidentel.
C'est seulement dans les jours/semaines qui suivront que cela dégénère en pertes

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il pleuvait, en cette Nuit de Noël 1914, où les Rois Mages apportaient des Minenwerfer


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Message Publié : 16 Nov 2015 12:57 
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Fustel de Coulanges
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Inscription : 06 Fév 2004 7:08
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La Vendée aurait pu se soulever dès le 24 mars suite à cette proclamation :

« Nous, Louis-Henri-Joseph de Bourbon, prince de sang, pair de France, grand-maître de la maison du Roi, en survivance, chevalier de ses ordres et de la Toison d’Or, gouverneur général des 12e, 13e, 20e, 21e et 22e divisions militaires.

La trahison de quelques chefs de l’armée et un vertige passager des soldats ont forcé votre Roi de quitter Paris. Cette capitale et la France avaient cependant joui de plus de bonheur depuis une année que dans les vingt-cinq précédentes. Nos dangers demandent du courage et de l’énergie. La guerre la plus cruelle est un état plus supportable que le gouvernement sous lequel l’usurpateur vient de nouveau vous subjuguer. Armez-vous donc ! Du moins vous le faites pour la cause de votre Roi, de vos lois et de tous les hommes honnêtes de votre malheureuse patrie. »

A cette date, la Vendée n'était pas encore prête...

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Message Publié : 16 Nov 2015 21:53 
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Polybe
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En toute franchise, je n'avais pas du tout fait attention aux dates. Au temps pour moi.


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Message Publié : 09 Juin 2020 9:04 
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Polybe
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De memoire, un detail pour l'explication du revirement de Ney apres sa promesse de ramener Napoleon dans une cage de fer, elle tient a cela, sa femme c'etait faite serieusement disputé par la noblesse qui ne lui pardonnait pas au fond son rang de parvenu, Ney outré par cet incident, compris qu'il ne serait jamais accepté parmi eux, dès lors, son choix était fait en ce mettant au service de Napoleon.


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Message Publié : 09 Juin 2020 10:40 
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Marc Bloch
Marc Bloch

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Nathan8 a écrit :
De memoire, un detail pour l'explication du revirement de Ney apres sa promesse de ramener Napoleon dans une cage de fer, elle tient a cela, sa femme c'etait faite serieusement disputé par la noblesse qui ne lui pardonnait pas au fond son rang de parvenu, Ney outré par cet incident, compris qu'il ne serait jamais accepté parmi eux, dès lors, son choix était fait en ce mettant au service de Napoleon.


Oui c'est bien expliqué par la Comtesse de Boigne dans ses souvenirs - excellente source sur l'époque !

Quant à La Bedoyère il n'était pas à Laffrey mais quelques kilomètres plus loin, à Brié-Angonne.


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Message Publié : 09 Juin 2020 10:43 
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Tite-Live
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En parcourant les messages échangés tout au long de cette discussion, je me suis souvenu d'une conférence d'Emmanuel de Waresquiel, que j'avais entendue à l'époque où il avait publiée son ouvrage sur les Cent Jours. Cela remonte maintenant à quelques années et je me souviens seulement du point de vue qu'il avait alors développé : le retour de l'île d'Elbe a, selon lui, plongé une bonne partie des notables et de l'administration dans une grande perplexité : convenait-il de se rallier ou n'était-il pas plus prudent de temporiser et de voir venir avant de prendre parti ? Les sujets de mécontentement qui ont été listés sont avérés et frappaient, en effet, plus particulièrement le monde militaire.
Je croyais avoir dans ma bibliothèque l'ouvrage en question, mais je vois que c'est celui de Dominique de Villepin.

Je ne résiste pas à la tentation de vous transcrire ci-dessous un texte de 1836, qui décrit admirablement, dans une première partie, l'état d'esprit de la génération d'après : la confession d'un enfant du siècle, d'Alfred Musset. La suite m'a laissé de marbre, mais cette première partie, c'est autre chose !

Pendant les guerres de l’empire, tandis que les maris et les frères étaient en Allemagne, les mères inquiètes avaient mis au monde une génération ardente, pâle, nerveuse. Conçus entre deux batailles, élevés dans les collèges aux roulements des tambours, des milliers d’enfants se regardaient entre eux d’un œil sombre, en essayant leurs muscles chétifs. De temps en temps, leurs pères ensanglantés apparaissaient, les soulevaient sur leurs poitrines chamarrées d’or, puis les posaient à terre et remontaient à cheval.
Un seul homme était en vie alors en Europe ; le reste des êtres tâchait de se remplir les poumons de l’air qu’il avait respiré. Chaque année, la France faisait présent à cet homme de trois cents mille jeunes gens ; et lui, prenant avec un sourire cette fibre nouvelle arrachée au cœur de l’humanité, il la tordait entre ses mains et en faisait une corde neuve à son arc ; puis il posait sur cet arc une de ces flèches qui traversèrent le monde, et s’en furent tomber dans une petite vallée d’un île déserte, sous un saule pleureur.

Jamais il n’y eut tant de nuits sans sommeil que du temps de cet homme ; jamais on ne vit se pencher sur les remparts des villes un tel peuple de mères désolées ; jamais il n’y eut un tel silence autour de ceux qui parlaient de mort. Et pourtant, jamais il n’y eut tant de joie, tant de vie, tant de fanfares guerrières dans tous les cœurs ; jamais il n’y eut de soleils si purs que ceux qui séchèrent tout ce sang. On disait que Dieu les faisait pour cet homme et on les appelait ses soleils d’Austerlitz. Mais il les faisait bien lui-même avec ses canons toujours tonnants et qui ne laissaient de nuages qu’aux lendemains de ses batailles.
C’était l’air de ce ciel sans tache, où brillait tant de gloire, où resplendissait tant d’acier, que les enfants respiraient alors. Ils savaient bien qu’ils étaient destinés aux hécatombes ; mais ils croyaient Murat invulnérable et on avait vu passer l’empereur sur un pont où sifflaient tant de balles, qu’on ne savait s’il pouvait mourir. Et quand même on aurait dû mourir, qu’était-ce que cela ? La mort elle-même était si belle alors, si grande, si magnifique dans sa pourpre fumante ! Elle ressemblait si bien à l’espérance, elle fauchait de si verts épis qu’elle en était devenue comme jeune et qu’on ne croyait plus à la vieillesse. Tous les berceaux de France étaient des boucliers ; tous les cercueils en étaient aussi ; il n’y avait vraiment plus de vieillards ; il n’y avait que des cadavres ou des demi-dieux.
Cependant l’immortel empereur était un jour sur une colline à regarder sept peuples s’égorger ; comme il ne savait pas encore s’il serait le maître du monde ou seulement de la moitié, Azraël passa sur la route ; il l’effleura du bout de l’aile et le poussa dans l’Océan. Au bruit de sa chute, les vielles croyances moribondes se redressèrent sur leurs lits de douleurs et avançant leurs pattes crochues, toutes les royales araignées découpèrent l’Europe, et de la pourpre de César se firent un habit d’Arlequin.

De même qu’un voyageur, tant qu’il est sur le chemin, court nuit et jour par la pluie et le soleil, sans s’apercevoir de ses veilles ni des dangers ; mais dès qu’il est arrivé au milieu de sa famille et qu’il s’assoit devant le feu, il éprouve une lassitude sans bornes et peut à peine se traîner à son lit ; ainsi la France, veuve de César, sentit tout à coup sa blessure. Elle tomba en défaillance et s’endormit d’un si profond sommeil que ses vieux rois, la croyant morte, l’enveloppèrent d’un linceul blanc. La vieille armée en cheveux gris rentra épuisée de fatigue et les foyers des châteaux déserts se rallumèrent tristement.

Alors ces hommes de l’empire, qui avaient tant couru et tant égorgé, embrassèrent leurs femmes amaigries et parlèrent de leurs premières amours ; ils se regardèrent dans les fontaines de leurs prairies natales et ils s’y virent si vieux, si mutilés, qu’ils se souvinrent de leurs fils, afin qu’on leur fermât les yeux. Ils demandèrent où ils étaient ; les enfants sortirent des collèges et, ne voyant plus ni sabres, ni cuirasses, ni fantassins, ni cavaliers, ils demandèrent à leur tour où étaient leurs pères. Mais on leur répondit que la guerre était finie que César était mort, et que les portraits de Wellington et de Blücher étaient suspendus dans les antichambres des consulats et des ambassades, avec ces deux mots au bas : Salvatoribus mundi.

Alors il s’assit sur un monde en ruines une jeunesse soucieuse. Tous ces enfants étaient d’un sang brûlant qui avait inondé la terre ; ils étaient nés au sein de la guerre, pour la guerre. Ils avaient rêvé pendant quinze ans des neiges de Moscou et du soleil des Pyramides ; on les avait trempés dans le mépris de la vie comme de jeunes épées. Ils n’étaient pas sortis de leurs villes, mais on leur avait dit que par chaque barrière de ces villes on allait à une capitale d’Europe. Ils avaient dans la tête tout un monde ; ils regardaient la terre, le ciel, les rues et les chemins ; tout cela était vide, et les cloches de leurs paroisses résonnaient seules dans le lointain.
De pâles fantômes, couverts de robes noires, traversaient lentement les campagnes ; d’autres frappaient aux portes des maisons, et dès qu’on leur avait ouvert, ils tiraient de leurs poches de grands parchemins tout usés, avec lesquels ils chassaient les habitants. De tous côtés arrivaient des hommes encore tout tremblants de la peur qui leur avait pris à leur départ, vingt ans auparavant. Tous réclamaient, disputaient et criaient ; on s’étonnait qu’une seule mort pût appeler tant de corbeaux.
Le roi de France était sur son trône, regardant çà et là s’il ne voyait pas une abeille dans ses tapisseries. Les uns lui tendaient leur chapeau, et il leur donnait de l’argent ; les autres lui montraient un crucifix, et il le baisait ; d’autres se contentaient de lui crier aux oreilles de grands noms retentissants, et il répondait à ceux-là d’aller dans sa grand’salle, que les échos en étaient sonores ; d’autres encore lui montraient leurs vieux manteaux, comme ils avaient bien effacé les abeilles, et à ceux-là il donnait un habit neuf.
Les enfants regardaient tout cela, pensant toujours que l’ombre de César allait débarquer à Cannes et souffler sur ces larves ; mais le silence continuait toujours, et l’on ne voyait flotter dans le ciel que la pâleur des lis. Quand les enfants parlaient de gloire, on leur disait : Faites-vous prêtres ; quand ils parlaient d’ambition : Faites-vous prêtres ; d’espérance, d’amour, de force, de vie : Faites-vous prêtres.

Cependant il monta à la tribune aux harangues un homme qui tenait à la main un contrat entre le roi et le peuple ; il commença à dire que la gloire était une belle chose, et l’ambition et la guerre aussi ; mais qu’il y en avait une plus belle, qui s’appelait la liberté.
Les enfants relevèrent la tête et se souvinrent de leurs grands-pères, qui en avaient aussi parlé. Ils se souvinrent d’avoir rencontré, dans les coins obscurs de la maison paternelle, des bustes mystérieux avec de longs cheveux de marbre et une inscription romaine ; ils se souvinrent d’avoir vu le soir, à la veillée, leurs aïeules branler la tête et parler d’un fleuve de sang bien plus terrible encore que celui de l’empereur. Il y avait pour eux dans ce mot de liberté quelque chose qui leur faisait battre le cœur à la fois comme un lointain et terrible souvenir et comme une chère espérance, plus lointaine encore.
Ils tressaillirent en l’entendant ; mais en rentrant au logis ils virent trois paniers qu’on portait à Clamart : c’étaient trois jeunes gens qui avaient prononcé trop haut de mot de liberté. Un étrange sourire leur passa sur les lèvres à cette triste vue ; mais d’autres harangueurs, montant à la tribune, commencèrent à calculer publiquement ce que coûtait l’ambition, et que la gloire était bien chère ; ils firent voir l’horreur de la guerre et appelèrent boucherie les hécatombes. Et ils parlèrent tant et si longtemps, que toutes les illusions humaines, comme des arbres en automnes, tombaient feuille à feuille autour d’eux, et que ceux qui les écoutaient passaient leur main sur leur front, comme des fiévreux qui s’éveillent.

Les uns disaient : ce qui a causé la chute de l’empereur, c’est que le peuple n’en voulait plus ; les autres : le peuple voulait le roi ; non, la liberté ; non, la raison ; non, la religion ; non, la constitution anglaise ; non, l’absolutisme ; un dernier ajouta : Non ! rien de tout cela, mais le repos. Et ils continuèrent ainsi, tantôt raillant, tantôt disputant, pendant nombre d’années et, sous prétexte de bâtir, démolissant pierre à pierre, si bien qu’il ne passait plus rien de vivant dans l’atmosphère de leurs paroles, et que les hommes de la veille devenaient tout à coup des vieillards.
Tris éléments partageaient donc la vie qui s’offrait alors aux jeunes gens ; derrière eux un passé à jamais détruit, s’agitant encore sur les ruines, avec tous les fossiles des siècles de l’absolutisme ; devant eux l’aurore d’un immense horizon, les premières clartés de l’avenir ; et entre ces deux mondes…. Quelque chose de semblable à l’océan qui sépare le vieux continent de la jeune Amérique, je ne sais quoi de vague et de flottant, une mer houleuse et pleine de naufrages, traversée de temps en temps par quelque blanche voile lointaine ou par quelque navire soufflant une lourde vapeur ; le siècle présent, en un mot, qui sépare le passé de l’avenir, qui n’est ni l’un ni l’autre et qui ressemble à tous les deux à la fois, et où l’on ne sait, à chaque pas qu’on fait, si on marche sur une semence ou sur un débris.
Voilà dans quel chaos il fallut choisir alors ; voilà ce qui se présentait à des enfants pleins de force et d’audace, fils de l’empire et petits-fils de la révolution.

Or, du passé ils n’en voulaient plus, car la foi en rien ne se donne ; l’avenir, ils l’aimaient, mais quoi ? comme Pygmalion Galathée ; c’était pour eux comme une amante de marbre, et ils attendaient qu’elle s’animât, que le sang colorât ses veines.
Il leur restait donc le présent, l’esprit du siècle, ange du crépuscule, qui n’est ni la nuit ni le jour ; ils le trouvèrent assis sur un sac de chaux plein d’ossements, et grelottant dans un froid terrible. L’angoisse de la mort leur entra dans l’âme à la vue de ce spectre moitié momie et moitié fœtus ; ils s’en approchèrent comme le voyageur à qui l’on montre à Strasbourg la fille d’un vieux comte de Saverden, embaumée dans sa parure de fiancée. Ce squelette enfantin fait frémir, car ses mains fluettes et livides portent l’anneau des épousées, et sa tête tombe en poussière au milieu des fleurs d’oranger.

Comme à l’approche d’une tempête, il passe dans les forêts un vent terrible qui fait frissonner tous les arbres, à quoi succède un profond silence ; ainsi Napoléon avait tout ébranlé en passant sur le monde ; les rois avaient senti vaciller leur couronne et, portant leur main à leur tête, ils n’y avaient trouvé que leurs cheveux hérissés de terreur. Le pape avait fait trois cents lieues pour le bénir au nom de Dieu et lui poser son diadème ; mais il le lui avait pris des mains. Ainsi tout avait tremblé dans cette forêt lugubre des puissances de la vieille Europe ; puis le silence avait succédé.
On dit que, lorsqu’on rencontre un chien furieux, si l’on a le courage de marcher gravement, sans se retourner, et d’une manière régulière, le chien se contente de vous suivre pendant un certain temps, en grommelant entre ses dents ; tandis que si on laisse échapper un geste de terreur, si on fait un pas trop vite, il se jette sur vous et vous dévore ; car une fois la première morsure faite, il n’y a plus moyen de lui échapper.
Or, dans l’histoire européenne, il était arrivé souvent qu’un souverain eût fait ce geste de terreur et que son peuple l’eût dévoré ; mais si un l’avait fait, tous ne l’avaient pas fait en même temps, c’est qu’un roi avait disparu, mais non la majesté royale. Devant Napoléon la majesté royale l’avait fait ce geste qui perd tout, et non seulement la majesté, mais la religion, mais le noblesse, mais toute puissance divine et humaine.
Napoléon mort, les puissances divines et humaines étaient bien rétablies de fait ; mais la croyance en elles n’existait plus. Il y a un danger terrible à savoir ce qui est possible, car l’esprit va toujours plus loin. Autre chose est de se dire : Ceci pourrait être, ou de se dire : Ceci a été ; c’est la première morsure du chien.

Napoléon despote fut la dernière lueur de la lampe du despotisme ; il détruisit et parodia les rois, comme Voltaire les livres saints. Et après lui on entendit un grand bruit ; c’était la pierre de Sainte-Hélène qui venait de tomber sur l’ancien monde. Aussitôt parut dans le ciel l’astre glacial de la raison ; et ses rayons, pareils à ceux de la froide déesse des nuits, versant de la lumière sans chaleur, enveloppèrent le monde d’un suaire livide.
On avait bien vu jusqu’alors des gens qui haïssaient les nobles, qui déclamaient contre les prêtres, qui conspiraient contre les rois ; on avait bien crié contre les abus et les préjugés ; mais ce fut une grande nouveauté que de voir le peuple en sourire. S’il passait un noble, ou un prêtre, ou un souverain, les paysans qui avaient fait la guerre commençaient à hocher la tête et à dire : « Ah ! celui-là, nous l’avons vu en temps et lieu ; il avait un autre visage ». Et quand on parlait du trône et de l’autel, ils répondaient : « Ce sont quatre ais de bois ; nous les avons cloués et décloués ». Et quand on leur disait : « Peuple, tu es revenu des erreurs qui t’avaient égaré ; tu as rappelé tes rois et tes prêtres », ils répondaient : « Ce n’est pas nous ; ce sont ces bavards-là ». Et quand on leur disait : « Peuple, oublie le passé, laboure et obéis », ils se redressaient sur leurs sièges et on entendait un sourd retentissement. C’était un sabre rouillé et ébréché qui avait remué dans un coin de la chaumière. Alors on ajoutait aussitôt : « Reste en repos du moins ; si on ne te nuit pas, ne cherche pas à nuire ». Hélas ! ils se contentaient de cela.

Mais la jeunesse ne s’en contentait pas. Il est certain qu’il y a dans l’homme deux puissances occultes qui combattent jusqu’à la mort : l’une, clairvoyante et froide, s’attache surtout à la réalité, la calcule, la pèse, et juge le passé ; l’autre a soif de l’avenir et s’élance vers l’inconnu. Quand la passion emporte l’homme, la raison le suit en pleurant et en l’avertissant du danger ; mais dès que l’homme s’est arrêté à la voix de la raison, dès qu’il s’est dit : C’est vrai, je suis un fou ; où allais-je ? la passion lui crie : Et moi, je vais donc mourir ?


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Message Publié : 09 Juin 2020 11:05 
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Pierre de L'Estoile
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Quel texte magnifique, mais quel texte magnifique !
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Le souvenir ne disparait pas, il s'endort seulement.
Epitaphe trouvée dans un cimetière des Alpes

La science de l'histoire est une digue qui s'oppose au torrent du temps.
Anne Comnène, princesse byzantine (1083-1148)

Le passé fait plus de mal que le présent
Proverbe Albanais


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Message Publié : 09 Juin 2020 12:35 
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Marc Bloch
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Localisation : Versailles
Alfred de Musset est un grand écrivain romantique, certes. Mais il écrit 20 ans après les Cent Jours. Est il parfaitement fiable pour exprimer les sentiments des Français de 1815 ?

La comtesse de Boigne souligne pour sa part non seulement les maladresses de détail de la monarchie restaurée mais surtout l'écart massif entre l'énergie napoléonienne, pesante, autoritaire, presque inhumaine mais qui faisait avancer le pays comme un grand ensemble soudé et efficace par rapport à un nouveau régime semi parlementaire qui cumulait les vices du parlementarisme et ceux de la cour d'Ancien régime. Bref une monarchie sans charisme ni efficacité à la légitimité bancale. Même si elle était infiniment plus respectueuse des personnes et des opinions que l'Empire.

Un autre élément que j'ajoute à titre personnel : rares étaient ceux qui croyaient à la sincérité du Roi. Ils avaient tort mais l'ignoraient et pensaient que la charte n'était qu'une manœuvre devant déboucher sur le retour de l'Ancien régime !


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Message Publié : 09 Juin 2020 12:41 
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Marc Bloch
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Localisation : Versailles
Pour compléter nos informations, le témoignage d'un observateur plus froid mais qui avait une formation d'historien : Guizot , qui écrivait en 1856.

"On a beaucoup agité la question de savoir quels complots et quels conspirateurs avaient, le 20 mars 1815, renversé les Bourbons et ramené Napoléon. Débat subalterne et qui n'a qu'un intérêt de curiosité historique. A coup sûr, il y eut de 1814 à 1815, et dans l'armée et dans la Révolution, parmi les généraux et parmi les conventionnels, bien des plans et bien des menées contre la Restauration et pour un gouvernement nouveau, l'Empire, la Régence, le duc d'Orléans, la République. Le maréchal Davoust promettait au parti impérial son concours et Fouché offrait à tous le sien.

Mais si Napoléon fût resté immobile à l'île d'Elbe, tous ces projets de révolution auraient probablement avorté ou échoué bien des fois, comme échoua celui des généraux d'Erlon, Lallemand et Lefèvre Desnouettes, à l'entrée même du mois de mars. La fatuité des faiseurs de conspirations est infinie, et quand l'événement semble leur avoir donné raison, ils s'attribuent à eux-mêmes ce qui a été le résultat de causes bien plus grandes et bien plus complexes que leurs machinations.

Ce fut Napoléon seul qui renversa en 1815 les Bourbons en évoquant, de sa personne, le dévouement fanatique de l'armée et les instincts révolutionnaires des masses populaires. Quelque chancelante que fût la monarchie naguère restaurée, il fallait ce grand homme et ces grandes forces sociales pour l'abattre. Stupéfaite, la France laissa, sans résistance comme sans confiance, l'événement s'accomplir. Napoléon en jugea lui-même ainsi avec un bon sens admirable: «Ils m'ont laissé arriver, dit-il au comte Mollien, comme ils les ont laissé partir.»

Quatre fois en moins d'un demi-siècle, nous avons vu les rois partir et traverser en fugitifs leur royaume. Leurs ennemis divers ont peint avec complaisance leur inertie et leur délaissement dans leur fuite. Basse et imprudente satisfaction que personne de nos jours n'a droit de se donner. La retraite de Napoléon, en 1814 et en 1815, n'a pas été plus brillante ni moins amère que celle de Louis XVIII au 20 mars, de Charles X en 1830, et de Louis-Philippe en 1848. La détresse a été égale pour toutes les grandeurs. Tous les partis ont le même besoin de modestie et de respect mutuel.

Autant que personne, je fus frappé, au 20 mars 1815, des aveuglements, des hésitations, des impuissances, des misères de toute sorte que cette terrible épreuve fit éclater. Je ne prendrais nul plaisir et je ne vois nulle utilité à les redire; les peuples ne sont maintenant que trop enclins à cacher leurs propres faiblesses sous l'étalage des faiblesses royales. J'aime mieux rappeler que ni la dignité de la royauté, ni celle du pays ne manquèrent, à cette triste époque, de nobles représentants. Madame la duchesse d'Angoulême, à Bordeaux, éleva son courage au niveau de son malheur; et M. Laîné, comme président de la Chambre des députés, protesta avec éclat, le 28 mars, au nom du droit et de la liberté, contre l'événement alors accompli, qui ne rencontrait plus en France d'autre résistance que ces solitaires accents de sa voix."


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Message Publié : 09 Juin 2020 14:57 
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Je ne sais pas si le texte de Musset dépeint les sentiments des Français de 1815, c'est plutôt un texte allégorique, que je trouve magnifique, comme Pouzet.

Mais il est certain qu'il contient au moins un sentiment presque universel en France dans les années suivant la Révolution et l'Empire :
Citer :
S’il passait un noble, ou un prêtre, ou un souverain, les paysans qui avaient fait la guerre commençaient à hocher la tête et à dire : « Ah ! celui-là, nous l’avons vu en temps et lieu ; il avait un autre visage »

Restaurer, après Napoléon, le prestige de la noblesse d'Ancien Régime était chose impossible. Et Musset souligne bien les chutes de trône qui ont suivi, en 1830 et 1848. Rien à dire, la France et même le monde avaient changé. Le retour en arrière était impossible.

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Les raisonnables ont duré, les passionnés ont vécu. (Chamfort)


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