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Message Publié : 13 Nov 2018 17:35 
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Fustel de Coulanges
Fustel de Coulanges
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On peut citer aussi l'affaire des mutilés de 1813.
A ce titre, un ordre du jour fut rendu le 11 juin 1813 :


"1.Tous les blessés qui existent à Dresde et dans les hôpitaux des autres villes en deçà du Rhin, et qui sont blessés aux doigts ou à la main, seront sur-le-champ dirigés sur leurs corps respectifs.

2.L'état nominatif de tous les hommes blessés aux doigts ou à la main, qui sont à Dresde, sera dressé dans la journée d'aujourd'hui et demain.

3.Il sera formé autant de colonnes, composées de gendarmes et de flanqueurs de la garde, qu'il y a de corps d'armée. Chacune de ces colonnes sera commandée par un officier d'état-major, et un chirurgien principal y sera attaché. Elles ramasseront tous ces hommes, dont il sera formé un contrôle, indiquant leurs noms, compagnies, bataillons et régiments.

4.Les blessés ainsi ramassés seront conduits à la maison de la Douane retranchée, sur la route de Bautzen, où ils seront campés. Dès que cent hommes appartenant à un même corps d'armée seront réunis, ils seront mis en marche pour ce corps d'armée, sous une escorte suffisante. Ils seront accompagnés de leur contrôle nominatif et d'un chirurgien pour les panser.

5.A leur arrivée aux corps, ils seront distribués dans leurs régiments, où ils seront traités par les chirurgiens-majors, et sous la surveillance spéciale des officiers. Ils seront chargés de faire toutes les corvées de la compagnie et du régiment.

6.Tout soldat blessé aux doigts ou à la main, qui sera conduit à son corps de la manière dont il vient d'être dit, qui s'écarterait en route de son escorte, soit pour marauder, soit pour déserter, ou qui déserterait après son arrivée au régiment, sera puni de mort.

7.Un jury, formé du chirurgien en chef de l'armée et de quatre chirurgiens principaux, sera réuni à la susdite maison de la Douane, pour visiter les blessés qui y seront amenés. Il fera choix de deux hommes par chaque corps d'armée, de ceux qui, par la nature de leurs blessures, paraîtront le plus évidemment avoir été blessés par eux-mêmes, lesquels seront sur-le-champ arrêtés et conduits devant le grand prévôt de l'armée, pour y être examinés et interrogés.

8.Tout soldat qui serait convaincu de s'être blessé volontairement pour se soustraire au service sera condamné à mort.

9.Le présent ordre du jour sera tenu secret, et sera adressé seulement aux maréchaux et généraux commandant des corps d'armée; mais, au moment du départ des hommes blessés aux doigts ou à la main, reconduits à leur corps, il leur sera donné connaissance, par l'officier d'état-major commandant la colonne, de la disposition qui condamne à mort ceux qui déserteraient ou marauderaient pendant la route.

10.Le major général de notre grande armée est « chargé de l'exécution du présent ordre."


Voici ce qu'écrit Larrey sur l'affaire dans ses Mémoires de chirurgie militaire :
« Pour diminuer aux yeux de Napoléon le nombre considérable de blessés qu'avaient donnés les batailles de Lutzen, Bautzen et Wurchen, quelques personnes accoutumées à voiler les vérités, lui firent entendre que beaucoup de ces blessés s'étaient mutilés volontairement pour se soustraire au service, et l'on rangeait dans cette classe tous ceux qui avaient les doigts tronqués ou les mains traversées par des balles. Sur ces assertions, on donna l'ordre de les réunir tous et de les enfermer dans le camp retranché établi pour la douane, à un quart de lieue de la ville, sur la grande route de Bautzen. Il y en avait près de trois mille.
Interrogé par le chef de l'armée lui-même sur la différence que présentaient les blessures résultant d'une cause mise en mouvement par l'individu blessé, d'avec celles qui sont l'effet d'une puissance étrangère, je répondis que, toutes choses égales d'ailleurs, nul médecin ne pouvait établir la moindre différence entre ces deux sortes de blessures. Mon opinion ne se trouvait pas d'accord avec celle de quelques-uns de mes collègues : elle ne prévalut point, et l'ordre de former un jury chirurgical, que je devais présider, me fut aussitôt intimé. Ce jury était chargé de désigner ceux de ces individus qu'il aurait reconnus coupables de ces délits, pour qu'ils fussent mis ensuite à la disposition du général, grand-prévôt de l'armée. Je ne transcrirai pas ici ce que m'écrivit à ce sujet cet officier général ; sa lettre contenait le détail des mesures à prendre pour la police du camp, pendant la durée de nos opérations. Pénétré de l'importance de la décision que j'étais appelé à donner dans ce cas remarquable de chirurgie légale, je persistai dans mon premier jugement ; les autres membres du jury partagèrent mon opinion; et, après avoir examiné avec soin tous les blessés, nous fîmes le rapport suivant :
«Le jury chirurgical […] s'est réuni, le 16 du même mois, à 5 heures du matin, au lieu désigné, à l'effet de procéder à la visite de 2350 soldats, et de 282 ramenés des ambulances de retraite, ce qui faisait en tout 2632 militaires de toute arme, blessés aux mains et aux doigts.
[…]
Le jury déclare qu'il n'est point de signes certains qui fassent connaître la différence qui peut exister entre deux plaies d'armes à feu reçues même à brûle-pourpoint, et produites, l'une par l'effet de la volonté de l'individu, et l'autre par celui d'une puissance étrangère à sa volonté.
Le jury, en se résumant, proteste qu'il est physiquement impossible d'établir la moindre preuve qu'aucun des militaires visités par lui se soit mutilé volontairement, et il pense que la lecture des états circonstanciés, qu'il a fait dresser de tous les blessés soumis à sa visite, en expliquant les motifs du nombre si grand en apparence des mutilations, contribuera à dissiper l'opinion défavorable répandue sur le compte de ceux qui les ont éprouvées. »
[…]
Je présentai ce rapport au chef de l'armée, et lui déclarai que l'inculpation portée contre ces 2632 soldats était totalement fausse, et qu'il me paraissait équitable que tous les sujets fussent renvoyés à leurs corps respectifs, où, d'après nos indications sur leur invalidité, ils recevraient une destination ultérieure.
Le rapport fut accueilli, et mes propositions adoptées ; en conséquence, il fut établi un nouvel ordre du jour, pour que l'opération faite par le jury fût étendue à tous les blessés de l'armée, à l'effet de statuer sur leur invalidité. »



Las Cases a conté l’affaire dans le Mémorial :
« Après les batailles de Lutzen, Wurschen et Bautzen, Napoléon, victorieux, fit appeler le chirurgien Larrey pour connaître, suivant sa coutume, l'état et le nombre des blessés. Or, ils se trouvaient dans cet instant en proportion extraordinairement supérieure à d'autres temps et à d'autres actions. L'Empereur en fut surpris, et cherchait à en expliquer la cause. M. Larrey la trouvait, indépendamment des circonstances locales, dans la masse des soldats qui, voyant le feu pour la première fois, se trouvaient plus gauches dans leurs mouvements et moins adroits contre le péril. L'Empereur, peu satisfait et fort préoccupé de cette circonstance, questionna ailleurs ; et comme il se trouvait en ce moment bien des personnes fort lasses de la guerre, qui eussent désiré la paix à tout prix, et n'eussent été nullement fâchées d'y voir l'Empereur amené par force, soit calcul, soit conviction, il lui fut répondu que l'immensité des blessés ne devait point étonner ; que la grande partie l'était à la main, et que la blessure était de leur propre fait et pour n'a voir plus à se battre. Ce fut un coup de foudre pour l'Empereur ; il répéta ses informations, et reçut le même résultat ; il en était au désespoir. « S'il en était ainsi, s'écriait-il, malgré nos succès, notre position serait sans remède ; elle livrerait la France pieds et poings liés aux barbares. » Et cherchant dans son esprit comment arrêter une telle contagion, il fit mettre à l'écart tous les blessés d'une certaine nature, nomma une commission de chirurgiens présidée par Larrey, pour constater leurs blessures, résolu de sévir d'une manière exemplaire contre ceux qui auraient eu la lâcheté de se mutiler eux-mêmes. M. Larrey, toujours opposé à l'idée de mutilation volontaire qui, selon lui, compromettait l'honneur de l'armée et celui de la nation, se présenta devant l'Empereur pour renouveler ses observations. Napoléon, irrité de son obstination, qu’on avait eu soin de faire ressortir encore, lui dit d'un front sévère : «Monsieur, vous me ferez vos observations officiellement, allez remplir votre devoir.»
Le baron Larrey se mit aussitôt au travail, mais avec solennité; et poursuivant les plus petits détails, il avançait lentement, tandis que divers motifs rendaient bien des gens impatients ; on savait que l'Empereur l'était beaucoup. On ne manqua pas même d'aller jusqu'à faire observer à M. Larrey que sa position était des plus délicates, périlleuse même : il demeura sourd et imperturbable. Enfin, au bout de quelques jours, il se rendit auprès de l'Empereur, insistant pour remettre lui-même son travail en personne. « Eh bien, Monsieur, lui dit l'Empereur, persistez-vous toujours dans votre opinion ? — Je fais plus, Sire, je viens la prouver à Votre Majesté : cette brave jeunesse était indignement calomniée; je viens de passer beaucoup de temps à l'examen le plus rigoureux, et je n'ai pas trouvé un coupable ; il n'y a pas un de ces blessés qui n'ait son procès-verbal individuel ; des ballots me suivent. Votre Majesté peut en ordonner l'examen. » Cependant l'Empereur le considérait avec des regards sombres. « C'est bien, Monsieur, lui dit-il en saisissant son rapport avec une espèce de contraction ; je vais m'en occuper. Et il se mit à marcher à grands pas dans son appartement d'un air agité et combattu; puis, revenant bientôt à M. Larrey avec un visage tout à fait dégagé, il lui prend affectueusement la main, et lui dit d'une voix émue : « Adieu, monsieur Larrey, un souverain est bien heureux d'avoir affaire à un homme tel que vous ! On vous portera mes ordres. » Et M. Larrey reçut le soir même, de la part de Napoléon, son portrait enrichi de diamants, 6000 francs en or et une pension sur l'État de 3000 francs, sans exclusion, est-il dit au décret, de toute autre récompense méritée par ses grades, son ancienneté et ses services futurs.
Un pareil trait est précieux pour l'histoire, en ce qu'il fait connaître un homme de bien qui n'hésite pas à défendre la vérité contre un monarque prévenu, irrité; et en ce qu'il fait ressortir toute la grande âme de celui-ci, dans le bonheur, la reconnaissance qu'il témoigne de se voir détrompé. »


Larrey commenta ce passage en ces termes :
« M. de Las Cases a rendu, avec une exacte vérité, dans Mémorial de Sainte-Hélène, tout ce qui s’est passé à Dresde, en 1813, entre l’Empereur Napoléon et le baron Larrey, à l’occasion des mutilés des doigts. »





Antérieurement à 1813, on peut citer différents textes sur les mutilations volontaires :


Décret du 8 fructidor an XIII (26 août 1805) :
« Art.17. Si le sous-préfet découvre d'une manière quelconque, mais certaine, qu'un conscrit se soit volontairement rendu incapable de servir par une mutilation ou quelque autre acte que ce soit, et s'il est réellement incapable de servir, il le fera inscrire pour être dénoncé au conseil de recrutement. Le sous-préfet se procurera, autant qu'il sera possible, les preuves de ce délit, qui seront transmises au conseil. Le conscrit sera immédiatement traduit en prison, son nom sera effacé de la liste.
[…]
Art. 34. S'il était reconnu que, depuis l'examen, un conscrit se fût volontairement rendu incapable de servir par une mutilation ou quelque autre acte que ce soit, il serait rayé des listes, traduit immédiatement en prison, et mis à la disposition du Gouvernement.
Il en sera usé de même à l'égard de tout conscrit, soit de l'armée active, de la réserve ou du dépôt, qui, avant d'être arrivé à un corps, se serait rendu coupable de ce délit.
Art. 35. Tout conscrit traduit en prison et mis à la disposition du Gouvernement, par décision du conseil de recrutement, pour l'un des cas prévus par le présent décret, sera conduit par la gendarmerie dans celui des ports qui sera destiné par le ministre de la marine, et y tiendra prison jusqu'au moment où il sera transporté aux colonies françaises, pour y être employé à un service militaire ou maritime quelconque, jusqu'au moment où sa classe sera congédiée. »


Décret du 12 mars 1806 :
« Art. 1er. Les conscrits mis à la disposition du ministre de la guerre, en exécution de l'article 35 du décret impérial du 8 fructidor an 13 seront réunis en compagnies de pionnier.
[…]
Art. 7. Les compagnies seront soumises à une discipline particulière, elles seront exclusivement destinées à être employées aux travaux des forts et places de guerre, et aux travaux publics. »


Décret du 6 janvier 1807 :
« Art. 4. Tout conscrit qui se sera volontairement mutilé avant ou après son arrivée au corps, et rendu incapable de servir dans la ligne par l'effet de sa mutilation, sera envoyé par l'inspecteur général à un corps de pionniers, pour y travailler pendant cinq ans. Si la mutilation est antérieure à son arrivée au corps, il sera remplacé ainsi qu'il est dit à l'article 1 [« Tout conscrit qui sera réformé par l'inspecteur général pour des vices d'organisation ou de conformation, ou pour des infirmités reconnues et constatées à son arrivée au corps, sera remplacé par son département, si ces vices ou ces infirmités existaient antérieurement au départ du conscrit de son département.
Le conscrit qui sera ainsi réformé sera, comme s'il eût été réformé dans son département, passible de l'indemnité, s'il y est soumis par ses contributions. »] »

Instructions ministérielles du 25 mars 1807 :
« Art. 29. Tout conscrit qui, ayant le départ, se sera rendu incapable de servir, soit par l'effet d'une mutilation, soit par l'application de caustiques, ou en se faisant arracher des dents, ou par tout autre moyen, sera envoyé à une des compagnies de pionniers créée par décret du 12 mars 1806.
Les conseils de recrutement sont chargés d'appliquer cette peine auxdits conscrits, et de les faire conduire par la gendarmerie à la compagnie de pionniers la plus voisine.
Art. 30. Les conscrits qui se seront mutilés pendant la route ou depuis leur incorporation, seront condamnés à la même peine par les généraux-inspecteurs ; sur le rapport des chefs de corps ; ils les dirigeront sur celle des compagnies qui se trouvera la plus voisine du corps.
Art. 31. Lorsque la mutilation du conscrit sera antérieure à son admission définitive, le général-inspecteur en donnera avis au directeur-général des revues et de la conscription militaire, afin qu'il puisse le faire remplacer par son département. »

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" Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)


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