Vers 10h30 du matin, et alors qu'au sud les combats s'intensifient, tout à coup, au centre du champ de bataille, un mouvement se crée.
L'ordre, inusité dans toutes les guerres de l'empire, a été de laisser au centre des unités leurs musiques régimentaires. Selon une tradition des régiments de l'ancien régime, les musiciens ne participent pas au combat : ils deviennent brancardiers et pourvoyeurs de cartouches.
Ce jour là, pour le 4ème corps du Maréchal Soult et le Ier corps du Maréchal Bernadotte qui suit en soutien, les musiciens restent dans les bataillons et se mettent à jouer.
Ils jouent, accompagnés des tambours de compagnies "la victoire en chantant". Certaines unités vont partir à la grande charge sur "Veillons au salut de l'empire". D'autres démarreront même sur "la Marseillaise" alors qu'elle est un peu ... passée de mode !
Toujours est-il que, d'un coup, près de 40 000 hommes démarrent un gigantesque mouvement d'attaque, et en musique.
Soult part plein centre, pour crever le front coalisé. Ses deux premières divisions se séparent très rapidement, l'une fonçant sur la charnière entre le centre russe et les colonnes d'attaque vers les étangs, et l'autre se concentrant sur le plateau proprement dit et le village de Pratzen.
La troisième division a été au dernier moment dérivée vers le sud pour soutenir Davout, et derrière arrivent les trois divisions du premier corps et la Garde avec son infanterie, sa cavalerie, et surtout son artillerie qui progresse rapidement pour venir épauler les artilleries des deux corps.
Le plateau devrait être vide de troupes.
Il en est rempli, parce que les retards cumulés et les erreurs de commandement austro-russes ont fait que plus de vingt mille hommes sont encore là. Sauf que leurs bataillons sont mal positionnés ...
Napoléon pensait faire charger ses divisions dans un vide, les régiments français foncent dans le plein.
Les premiers chocs sont terribles, mais limités : les unités russes prises de flanc par l'avance française se repositionnent rapidement et se battent bien.
Mais les français arrivent de partout, sont beaucoup plus nombreux à cet endroit du champ de bataille que leurs ennemis, et le front coalisé se met à craquer.
La particularité de la manoeuvre de bataille dite "napoléonienne" est d'être en sur-nombre à l'endroit essentiel du champ de bataille.
Ce calcul se vérifie ici de manière mathématique; cependant qu'à Telnitz, les austro-russes ne parviennent pas à passer les lignes françaises à un contre dix-sept, ce qui n'est pas glorieux en soi, sur le Pratzen, à certains endroits, les français arrivent en avalanche à cinquante contre un.
Nous sommes ici au coeur de la manoeuvre de bataille napoléonienne. On pense souvent que, tels des héros, les français gagnèrent leurs batailles en infériorité numérique. C'est exact. Mais c'est oublier qu'aux endroits de rupture, les divisions napoléoniennes étaient toujours concentrées de manière à être, à l'endroit précis du champ de bataille qui allait permettre la rupture, en très grande supériorité numérique. Et c'est ce ce qui va se passer sur le plateau.
Les divisionnaires de Soult, les généraux Vandamme et Saint-Hilaire, ne s'attendaient pas à une telle résistance. Ils ne s'attendaient pas non plus à ce que, derrière cette première résistance, il n'y ait rien.
Et d'un seul coup, les brigades d'infanterie française crèvent le front central des alliés, et se répandent vers le sud du champ de bataille, à la rescousse de Davout.
Pendant que les divisions de Soult, qui ont percé et trouvent le vide, déclenchent un mouvement rabattant vers le sud, Bernadotte et son premier corps prennent la suite sur le plateau; la Garde arrive avec l'empereur : ils ne seront pas venus pour rien car, dans le même temps, la Garde impériale russe monte en ligne en catastrophe pour combler la brèche.
_________________ "Notre époque, qui est celle des grands reniements idéologiques, est aussi pour les historiens celle des révisions minutieuses et de l'introduction de la nuance en toutes choses".
Yves Modéran
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