Tout est en effet affaire de circonstances. Et la position la Bavière entre la France et l’Autriche, à l’heure des choix, fut bien délicate. Plus haut, j’évoquais les tergiversations de Maximilien en 1805. On peut s’en rendre compte au travers de la correspondance entre ce dernier et, d’un côté l’empereur d’Autriche, et de l’autre Otto, ministre plénipotentiaire de la France à Munich.
Le 5 septembre, la tension était des plus vives et Maximilien en faisait part en ces termes à Otto : « Les Autrichiens ont déjà placé leurs pontons le long de l’Inn. Je m'attends, à chaque instant de les voir entrer en Bavière. Je ne doute pas non plus que Buol me fera demander si je veux être pour ou contre eux. Si je lui réponds que j‘ai fait un traité d'alliance avec la France, mes troupes et mon pays seront perdus. S’il me dit qu'on m'accorde la neutralité, à condition que je ne fasse pas bouger mes troupes et que je reste tranquille, quelle sera, dans ce cas, la réponse que vous me conseiller de faire ? Je suis prêt à tout sacrifier, même ma liberté, pour prouver à l’empereur que je veux remplir mes engagements. Si votre armée ne vient pas bientôt en Allemagne, tout est perdu. Les ennemis auront le temps de prendre les meilleures positions, et il en coûtera beaucoup d'hommes et de peine pour les déloger »
Ce jour-même, Schwarzenberg arrivait à Munich. Il était porteur de la lettre écrite par François trois jours plus tôt : « Les communications que je transmets à V. A. S. Électorale, par mon lieutenant général et vice-président de mon conseil de guerre, prince de Schwarzenberg, l’informeront en détail des motifs qui nous engagent, l’empereur de Russie et moi, à appuyer la négociation pacifique que nous désirons d’ouvrir avec la cour de France, par des armements éventuels. J’ai tout lieu d’appréhender que, malgré la pureté et la modération de nos sentiments, l‘empereur des Français ne se détermine incessamment à une agression de mes États, et je suis informé de plus que ce prince a conçu le projet de s’assurer d’avance du secours des troupes des États d’Allemagne situés entre sa frontière et la mienne, soit immédiatement, soit en leur concédant d’abord une neutralité qui n’aura de réalité qu’aussi longtemps qu’il la trouvera à sa convenance. Or, V. A S. E. est. trop éclairée pour ne pas sentir combien l’exécution d'un tel dessein, s’il s’étendait aussi à ses troupes, nous serait préjudiciable à S. M. l’empereur de Russie et à moi, et combien il nous importe qu’elle n’hésite pas à les réunir aux miennes. Il est tellement urgent de mettre obstacle aux mesures que le gouvernement français ne tardera probablement pas à prendre, pour obliger V. A. S. E. de consentir au dessein dont il s’agit, ou de l’exécuter malgré elle s’il le fallait, que je ne puis me permettre de perdre un instant pour les prévenir. Je sens parfaitement toute la délicatesse de votre position, monsieur mon frère, ainsi que les motifs qui peuvent vous faire désirer d’être dispensé de la détermination que je demande à V.A. S. E. Mais pressé par des motifs encore plus impérieux, vu l’impossibilité absolue qui résulte de la position de la Bavière, de maintenir la neutralité d’un pays dans lequel les armées belligérantes ne sauraient s’empêcher de pénétrer dans le cas d’une guerre, V. A. S. E. demeurera aussi convaincue que je ne puis me désister de ma demande, et que je me vois obligé, malgré moi, d’employer tous les moyens en mon pouvoir, pour en effectuer l’accomplissement, si je ne veux m’exposer à des conséquences très fâcheuses, sans que pour cela V. A. S. E. puisse obtenir le but d'une neutralité véritable. En me rapportant aux ouvertures du prince de Schwarzenberg sur les déterminations que cet état involontaire des choses me force d’adopter, je m‘empresse de prévenir tout doute sur la sincérité et l’amitié parfaite de mes intentions, en protestant ici de la manière la plus solennelle, que si V. A. S. E. défère au désir que je lui ai témoigné, je serai prêt à défendre et à garantir la sûreté et l’intégrité de ses États de toute atteinte quelconque, et que, quelle que soit l'issue de la guerre si elle avait lieu, je ne porterai jamais mes vues de dédommagement sur l’acquisition ou le troc de la moindre parcelle de son territoire, me proposant au contraire de saisir les occasions qui pourront se présenter pour lui prouver la parfaite estime et les sentiments aussi vrais qu’inaltérables avec lesquels je suis, etc. »
Maximilien fit connaître sa réponse à Schwarzenberg, le 7 septembre : « Je suis décidé, mon cher prince ; abouchez-vous demain matin avec le ministre baron de Montgelas. Il vous dira mes demandes. N'y soyez pas contraire; je compte sur votre ancienne amitié. »
Le lendemain, il écrivait à l’empereur d’Autriche : « J’ai ordonné à mon ministre de signer ce matin un traité avec le prince de Schwarzenberg, par lequel je joindrai mes troupes à celles de Votre Majesté. En le faisant, sire, j'ai voulu vous donner une preuve de mon inviolable attachement. Permettez actuellement que j’en appelle à votre cœur paternel. Mon fils, le prince électoral, est dans ce moment en France; ayant cru constamment à la paix, je l’ai fait voyager en Italie, puis dans les provinces méridionales françaises où il se trouve actuellement. Si je suis obligé de faire marcher mes troupes contre les Français, mon enfant est perdu; si au contraire je reste tranquillement dans mes États, j’ai le temps de le faire revenir. C’est à genoux que je supplie Votre Majesté Impériale et Royale de m'accorder la neutralité ; j’ose lui engager ma parole la plus sacrée, que mes troupes ne gêneront en rien les opérations de son armée, et que, ce qui n'est pas probable, si elle était obligée de se retirer, je prie et je promets de rester tranquille sans coup férir. C'est un père en proie au désespoir le plus affreux qui demande grâce en faveur de son enfant; que Votre Majesté Impériale et Royale ne me la refuse pas, j’ose me flatter que l'empereur de Russie ne s'y opposera pas. »
Parallèlement, ce même 8 septembre, il écrivait également à Otto : « Plaignez-moi, je suis le plus malheureux des hommes; ne m’en veuillez pas, Dieu sait que je ne suis pas faux. Ma situation est plus que pénible : vous savez que le prince de Schwarzenberg était autorisé à traiter. Je n'avais donc plus l'excuse d'envoyer quelqu’un à Vienne... Manquer de parole, paraître double aux yeux de l'empereur, de mon protecteur, est ce qui me mettra, j’espère, bientôt au tombeau... Les Autrichiens devaient entrer aujourd'hui en Bavière, mes troupes n‘étaient pas encore rassemblées... Je n‘étais pas sûr de pouvoir partir... ma tête n'y était plus... plus calme qu’hier, je sens toute l'horreur de ma situation. J'ai écrit ce matin à l’empereur d‘Allemagne : je lui ai dit que mon fils était en France, qu'il était perdu s‘il ne m'accordait la neutralité. Je la lui ai demandée à deux genoux... Si vous aviez pu voir ce que j'ai souffert ces deux jours... vous auriez pitié de moi. »
Comme il était dit dans cette dernière lettre, les Autrichiens venaient de pénétrer en Bavière. Dans la nuit, Maximilien quittait Munich.
Le 14 septembre suivant, François lui faisait part de sa surprise : « Je ne saurais dissimuler à V. A. S. E. ma surprise sur le changement subit qu’ont éprouvé ses déterminations. Sans faire mention ni des assurances verbales données à mon lieutenant général le prince de Schwarzenberg et par vous, monsieur mon frère, et par votre ministre, ni du billet que vous aviez bien voulu lui adresser, la lettre que m’a remise le général Nogarola portait l’engagement le plus formel de joindre vos troupes aux miennes; vous dites positivement dans cette lettre : « J’ai ordonné ce matin à mon ministre de signer un traité avec le prince de Schwarzenberg, par lequel je joindrai mes troupes à celles de V. M. I. et R. En le faisant, sire, j’ai voulu vous donner une preuve de mon inviolable attachement. » Et c’est au moment même que cette lettre m’est remise, que je suis dans le cas d’annoncer à celui qui en est porteur, que V. A. S. E. a sur-le-Champ changé d’avis, et qu’elle a quitté sa capitale et retiré la totalité de ses troupes. J’aurais consenti sans difficulté, et je suis prêt de consentir encore aux demandes de V. A. S. E., relativement à la ville de Munich, et au rayon qui comprendrait entre autres son château de Nymphembourg, lequel territoire serait fermé à mes troupes et uniquement confié à la garde de celles qu'elle a annoncé vouloir y tenir, quoique, dans mon opinion, il aurait été plus avantageux à ces troupes d’être entremêlées avec les miennes, pour éviter qu’elles puissent se plaindre qu'on les expose devant l’ennemi plus que les miennes, ou qu’on les traite moins bien quant à leur approvisionnement; il dépendrait cependant de V. A. S. E. de les laisser servir en corps, pourvu qu’elles soient sous le commandement général de mon armée : mais en suspendre la marche, lorsque les Français ont déjà annoncé leur prochaine entrée en Allemagne, et qu'ils se rassemblent sur le Rhin , aurait été trop nuisible à la cause commune pour que j’eusse pu y donner les mains, en même temps que la conduite récente de Napoléon avec les cours de Carlsruhe, Cassel et Stuttgart, fera juger à V. A. S. E. si la neutralité de la Bavière était une chose possible, et même si vous, monsieur mon frère et cousin, seriez resté maître de remplir votre promesse de ne jamais employer vos troupes contre moi. J’aurais été au désespoir d’exposer le prince électoral, auquel je suis personnellement attaché; mais un courrier qui lui eût été dépêché directement au moment même où le prince de Schwarzenberg recevait les assurances de V. A. S. E., l'aurait mis dans le cas de quitter la France avant qu’aucune mesure funeste eût pu être prise à son égard. Fidèle à remplir ce que j'ai une fois promis, je suis autorisé à exiger qu’on en use de même envers moi. Je réclame donc formellement de V. A. S. E. la promesse qu’elle m’a donnée de joindre ses troupes aux miennes, en même temps que je lui déclare que je suis prêt à consentir aux conditions susmentionnées. J’ai ordonné au comte de Buol de se rendre auprès d’elle pour lui remettre cette lettre, et je l’ai autorisé à convenir des arrangements à prendre à cet égard : il nous serait pénible à moi et à mon intime allié l'empereur de Russie, d’éprouver de votre part, monsieur mon frère et cousin, des dispositions qui nous empêcheraient de conserver les sentiments dont nous avions à cœur de vous donner des preuves efficaces. »
Maximilien, alors réfugié à Wurzbourg, répondait une semaine plus tard en ces termes : « Le comte de Buol-Schawenstein s'est acquitté de la commission dont V.M.I. a daigné l’honorer auprès de moi. J’ai éprouvé à cette occasion un mouvement de consolation bien sensible par les assurances toujours si précieuses de l’amitié de V. M. I. et R. dont il m’a réitéré les expressions. C’est ce sentiment, sire, et celui de votre grandeur d’âme que j’ose invoquer avec une pleine confiance. Je conserverai l’espoir qu'il portera V. M. I. et R. a épargner à des provinces malheureuses l’horreur d’une guerre dont elles n’ont déjà que trop souffert, au moment où les plaies des anciennes hostilités saignent encore. Je dois à mes infortunés sujets, je me dois à moi-même de ne pas prodiguer leur sang pour des discussions qui leur sont étrangères, et contre un gouvernement qui ne leur a fait aucune injure : c’était le motif originaire de la neutralité absolue et complète que j'avais réclamée auprès de V. M. I. et R. par la lettre que je pris la liberté de lui adresser le 8 du courant. Tout me porte d’adhérer inviolablement à ce parti. Je vous supplie de croire que je ne m’en écarterai jamais, et que les menaces de la France seront tout aussi peu capables de me détourner de cette résolution invariable. Je ne fatiguerai pas V. M. I. du détail des pourparlers qui ont eu lieu pendant le séjour du prince de Schwarzenberg à ma cour; elle daignera se rappeler qu'à cette époque il n’avait aucun pouvoir d’adhérer aux demandes que j’avais présentées, et que la retraite de mes troupes a été forcée par la nécessité de leur épargner la honte du désarmement, dont elles étaient hautement menacées. Je ne dis rien de ce qui s’est passé depuis. Le triste tableau de ces événements a percé mon cœur; ils n’affligeraient pas moins celui de V. M. I. s’ils lui étaient connus dans toute leur étendue. V. M. I. et. R. me rendra du reste une justice qui m’est certainement bien due, si elle veut être persuadée que, quel que puisse être le cours des événements, rien n’altérera jamais le dévouement respectueux avec lequel je suis, etc.
Le 27 septembre, Bernadotte entrait à Wurzbourg et poursuivait sa marche vers le Danube avec à ses côtés, les troupes bavaroises.
_________________ " Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)
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