letiers a écrit :
alors que la réalité du pouvoir est transversale ( stratégies d'alliances, procédures de captation d'héritage - cf décret de Constantin en 321-) et plus généralement juridiques ( question de l'adoption, du lévirat) liens de "lignages" avec un monastère ( question passionnante du "monastère héréditaire" dans l'Eglise britannique primitive); clientélisme lié aux grandes institutions ecclésiastiques.
La vraie question est que le cadre juridique est une coquille vide puisque le second ordre est à la disposition du roi ( par accès aux fonctions anoblissantes contre finances). Tout ce travail juridique d'une incroyable richesse compte infiniment plus que l'affirmation juridique tardive du système ternaire de la société qui sert à "couvrir" la réalité de la société depuis le bas moyen-âge :de cette réalité complexe émerge la question passionnante de la " mainmorte". L'acquisition des biens par l'Eglise qui met celle-ci en concurrence directe avec l'Etat par le biais des franchises fiscales. Longue guerre entre les monarchies européennes et les Eglises, conflits déclarés entre les conciles nationaux qui déclarent perpétuelles les donations faites à l'Eglise alors que la coutume les limitait à 3 ans. Problème d'autant plus important en Espagne qu'il façonna pour longtemps le paysage politique de ce pays. Au portugal, en France, dans les flandres, en Italie au milieu du XIe siècle plus de la moitié des terres était aux mains du clergé. L'acte de mainmorte réglemente les dons fonciers aux maisons religieuses mais aussi les biens meubles. Il faut se souvenir que ce sont les cours ecclésiastiques qui tranchent en matière de testament validant même le testament oral ( nuncupatif) chuchoté à l'oreille du prêtre dans les derniers moments. Ce la va si loin que PhilippeV tente de négocier un règlement de mainmorte avec la papauté. Il n résulta une désorganisation des liens sociaux intra-familiaux et un appauvrissement des lignages.
Comment ne pas parler aussi de la question des degrés prohibés : ce qu'on appelle les " empêchements de parenté" qui jouent un rôle primordial dans la vie de l'Eglise. La complexité devint telle que le commerce des dispenses devint une source importante de revenus fonciers et financiers au Xe siècle. En 1059 le pape Nicolas II prit une encyclique ordonnant que " tout homme ayant pris femme dans les limites du 7e degré serait astreint par son évêque à la renvoyer sous peine d'excommunication ( ce qui entrainait la batardisation des enfants issus de ces mariages et l'impossibilité de venir à la succession). La complexité du cacul des degrés devint telle qu'elle connu un effet pervers assez inéressant : en 1497 le cardinal Ximenez tenta de freiner le scandale croissant des divorces en masse , déguisés en décrets de nullité en prétextant une alliance spirituelle contractée au baptème entre baptisé et sa parenté ou entre les parrains et la leur ( en effet les interdits frappaient les consanguins ( apparentés par le sang)les affins ( par le mariage) et les parentés spirituelles.
Ainsi que nous l voyons ce régime qui fournissait à l'Eglise un puissant instrument d'autorité ( faiseur de droit par décisions papales ou conciliaires et seuls possesseurs de la capacité de l'interprêter par la compétence unique des cours ecclésiastiques) régissant l'économie d'une famille, d'un lignage donnant aux plus riches le moyen de se débarasser d'une épouse indésirable).
La vérité de la division de la société en "ordres" est tout entière dans cet immense pouvoir beaucoup plus que dans les affirmations juridiques tardives XVI , XVIIe s. La réalité est que l'Eglise en tension perpétuelle avec la monarchie est le seul "ordre" qui tient la société ( rois compris) sous la menace d'excommunications rachetables en terres, en fortune. On comprend alors la difficulté qu'ont les médiévistes. Dans son excellent article " Moyen Age" ( in dictionnaire du Moyen Age sous la direction de Claude Gauvard) on lit bien que le système ( dans ce petit espace européocentriste) se réduit à un régime de production défini par une paysannerie libre ou semi-libre controlée par une aristocratie militaire qui prélève une rente et par une Eglise impliquée à la fois dans la domination culturelle des populations et dans la structure foncière. Le reste n'est que littérature...juridique
Relisez ce que j'ai écris
Ce que j'ai mis en gras dans vos propos sont les éléments dont je vous parle depuis le début ! C'est ce que je me tue à vous dire !
Oui, les trois ordres sont une coquille vide à la fin de l'Ancien Régime et même avant, mais la coquille... existe ! Je suis ravis de vous l'entendre dire.
Pour ce qui est du clergé et des immunités obtenues depuis des lustres, bien sûr que vous avez raison, cela a un rôle dans la constitution du modèle des trois ordres, puisqu'il est clair que le droit ecclésiastique, c'est-à-dire celui qui est propre à l'Eglise (et visible surtout en Espagne comme vous le dites très bien) a contribué à isoler un ordre des ordres, le clergé.
Sinon, je viens de feuilleter le "lexique historique de la France d'Ancien Régime" et je lis, pour l'article "société" entre autres (pardonnez de ne pas mettre le passage en entier):
<< La nature de la société d'Ancien Régime suscite, aujourdhui encore, des interprétations divergentes. [...] (je passe les analyses sur la société de classes définie selon les historiens marxistes mais dépassées aujourd'hui) Roland Mousnier, s'inspirant des écrits du XVIIe siècle, et particulièrement de ceux du juriste Loyseau, estime que l'Ancien Régime connait une société d'ordres, qui repose sur l'estime sociale,
reconnue par l'opinion, et largement indépendante du rôle économique. (il y a ensuite des citations de Loyseau qui définit plusieurs hiérarchisation intra-ordres blablabla) [...] Cette société d'ordres a ses règles, tend à l'endogamie et à l'hérédité, mais conserve une certaine mobilité sociale pour l'individu: il faut en général trois générations pour changer d'ordre, après consécration par la société et par l'Etat. Par peur du changement, par l'intérêt de la plupart à maintenir
les structures existantes, par la "liaison de l'ordre social existant avec tout un système d'idées qui lui donne une justification rationnelle",
ce principe de classement peut subsister au-delà des circonstances qui lui ont donné naissance. R. Mousnier voit une société de classes en formation dans le seul tiers état. Pour d'autres historiens il y a coexistence de l'
ordre et de la classe et le lien entre la richesse et le niveau social, qui en résulte, n'est pas niable. Il s'agit également d'un problème de conscience d'appartenance à un groupe social avec le sentiment de posséder une certaine culture et une solidarité entre ses membres. Il reste de cette confrontation que la société d'Ancien Régime apparaît d'une grande complexité, avec l'héritage des liens médiévaux, avec le rôle, qui n'est pas nouveau, mais plus fort, des rapports économiques, avec l'affirmation de la place de la culture intellectuelle, avec l'influence, non niable et non isolée, de la considération sociale et des définitions juridiques. Un critère intéressant est fourni par le classement de la capitation de 1694 comportant 22 "classes". >>
Pour ceux qui veulent une étude très récente, le dernier point (rôle du classement en 22 "classes" par le premier rôle de capitation de 1695) est notamment travaillé par M. Vergé-Franceschi dans
La société française au XVIIe siècle, tradition, innovation, ouverture, paru récemment.