Bonjour Georgia,
Voilà, c’est relu. Je ne cacherai pas que ça a été dur, mais quoi, c’est moi qui ai ouvert la discussion, je ne devrais pas me plaindre
. J’ai eu un problème avec l’affaire de la liquidation de la maison du roi, je ne l’ai pas trouvée au chapitre X.
Je vous donne mon sentiment sur les deux autres chapitres : ils ne constituent pas, de loin, les passages les plus étranges du livre, je comprends que vous les ayez choisis (mais c’est de bonne guerre). Néanmoins, ils posent de problèmes méthodologiques importants.
Par exemple, pour démontrer que Louis XVI n’a pas soldé ses gardes du corps émigrés, les Girault se fondent sur... des pièces officielles, des ordonnances royales et les registres de la Liste civile (ou plus exactement sur des pièces reconstituées au XIXème siècle, ce qui pose un problème, mais bon, passons). Moi je veux bien que le roi, ou ses agents aient été des imbéciles, mais quand même pas au point de faire apparaître une opération de cet ordre dans des documents officiels ! C’est idiot ! C’est d’ailleurs un des problèmes qui se posent aux historiens de toute activité clandestine, quelle qu’elle soit : les sources sont cachées, souvent elles ont été détruites : elles ne résident de toute façon, en aucun cas, dans les données publiques. C’est d’ailleurs une manie chez les Girault de dire que de telles pièces « innocentent le roi ». Forcément. En ce qui concerne, par contre, les pièces authentiquement à charge qu’ils récusent, je ne vois pas bien comment ils peuvent dire que la lettre de Coblence ne prouve rien, alors qu’elle contient en toutes lettres : « il sera rendu compte au roi dans la forme ordinaire de l’emploi de ces fonds » (c’est-à-dire de ceux de la caisse du corps, qui doivent être transférés à Coblence par le biais de banquiers véreux).
On a, par ailleurs, un bon exemple de coupure faite par les Girault d’une manière qui me paraît tout sauf innocente (mais je suis peut-être paranoïaque, c’est la mauvaise influence de Robespierre) : dans leur citation de la seconde lettre du Prince de Poix, ils prétendent que le roi n’a pas accepté de payer les gardes émigrés comme le lui demandait le Prince ; ouais, c’est peut-être vrai, mais ça m’ennuie quand même qu’ils retirent de sa lettre la phrase suivante : « ces comptes ont été huit jours entre les mains de Monsieur de Laporte »... c’est-à-dire de l’intendant de la Liste Civile, que les Girault estiment blanc comme neige. Pourquoi les états des dépenses seraient-ils passés par Laporte sinon pour être régularisés ?
Que par ailleurs Louis XVI ait envoyé des secours à des émigrés n’est pas douteux, les Conventionnels avaient à leur disposition plusieurs lettres de lui ; ce sont les fameuses pièces qu’il n’a pas reconnues, faisant très mauvaise impression à l’Assemblée le 11 décembre, lors de sa première comparution. Dans sa plaidoirie, de Sèze ne nie aucunement ces secours, il les justifie par des motifs humanitaires. Les Girault font de même : bon, c’est affaire d’interprétation.
Pour la question du caractère incivique de la garde du Roi, je ne sais pas trop que dire : on dispose à ma connaissance d’une soixantaine de témoignages. Les récuser tous sous prétexte que leurs auteurs étaient des « patriotes » me paraît difficile. Les Girault ne font rien d’autre, si du moins j’ai bien lu le chapitre. Il est hors de doute que cette garde a donné prétexte à la presse révolutionnaire pour attaquer Louis XVI, que certaines des attaques étaient purement polémiques, etc. Quant à l’accusation, qui est une donnée importante au procès, d’avoir continué à solder les gardes et leurs officiers après leur licenciement, le fonds n’en est pas niable : les pièces qui le prouvent existent. Tout est affaire encore une fois d’interprétation. Les Girault affirment que c’était de la part de Louis XVI un témoignage de reconnaissance innocent envers des hommes qui l’avaient bien servi, les Conventionnels ont pensé que c’était une manoeuvre destinée à se conserver un groupe de partisans. Je ne trancherai pas.
Mais je précise de nouveau que la curiosité que suscite chez moi le travail des Girault ne tient pas à ces points, qui peuvent être discutés : de toute façon, il ne fait pas de doute que de nombreuses accusations, au procès, étaient mal étayées, et quelques-unes (pas toutes quand même) carrément fausses. Ce qui me paraît étrange, ce sont les affirmations insoutenables destinées à nier des évidences : de l’armoire de fer construite par Roland (ils font preuve d’une haine envers ce malheureux qui eût ravi Robespierre
) et du 10 août fomenté par Pétion (mon Dieu !...) au vieux thème des massacres de septembre destinés à éliminer des témoins à décharge, on en trouve des quantités... En relisant le livre, j’ai souvent eu une pensée compatissante pour Louis-Auguste, qui aime Marie-Antoinette (ce que je comprends parfaitement) et qui doit souffrir à cette lecture
. La reine à la tête d’une entreprise de faux destinés à torpiller son propre époux... Qui peut le croire ?
Par ailleurs, il y a des choses tout à fait justes dans ce que disent les Girault : que les témoins à décharge n’aient pas été entendus, c’est exact (les témoins à charge non plus, la Convention ayant décidé qu’il n’y aurait aucun témoignage), que des pièces favorables à Louis XVI aient été écartées, aucun doute, que le thème du « roi-traître » ait été instrumentalisé par les révolutionnaires les plus radicaux dès le 10 août, en partie sur la base de témoignages aberrants et d’affirmations délirantes, aucun problème, mais franchement tout ça n’était pas une nouveauté en 1982. Quant à l’irrégularité du procès, elle a été dénoncée durant son déroulement et elle n’est pas niable, mais là on entre dans un autre problème...
Enfin voilà, j’espère que ma réponse vous satisfera au moins en partie.
Cordialement,
CC