Notre marine connaissait au XVIIIe siècle les conseils de guerre, mais à la différence des Anglais, aucun amiral français ne pouvait ordonner des cours martiales. Il était obligé de renvoyer l'affaire soit à Brest, Rochefort et Toulon. Mais voici comment étaient organisés ces conseils de guerre (toujours l'exposé de Jean Boudriot) :
"Très sommairement, je vais vous entretenir du conseil de guerre, il en existe un dans chacun de nos trois ports. Ce conseil se tient sur le vaisseau amiral. Les juges composant le conseil sont au nombre de sept y compris le président, ils sont nommés par le major de la marine et seulement avertis la veille du jour de réunion du conseil, et nul ne peut se dispenser d’y participer, ayant été désigné.
Le jour de la tenue du conseil, le vaisseau amiral hisse son pavillon, et l’on tire un coup de canon à neuf heures. Ceux qui composent le conseil doivent entendre la messe juste avant de se rendre au conseil auquel ils assistent étant à jeun, les officiers de marine étant en grand uniforme, et ceux du corps royal d’infanterie portent le hausse-col et les guêtres.
Les membres se placent à droite et à gauche du président, suivant leur grade et ancienneté.
Le major du corps royal a instruit le procès si c’est un soldat, et le major ou aide-major de la marine si c’est un matelot. Tous les officiers du département, qu’ils soient de la marine ou de l’arrmée de terre, peuvent assister au conseil de guerre, debout, chapeau bas et en silence. Les juges étant assis et couverts, après que le président aura dit le sujet pour lequel le conseil de guerre est assemblé, le major du corps royal ou le prévôt, suivant les cas, font lecture de la requête contenant la plainte, des informations, du recolement, de la confrontation des témoins et de ses conclusions. Ce rapport est fait debout et découvert.
Après la lecture entière du procès, l’accusé, sur ordre du président, est amené devant l’assemblée, assis sur une sellette, si les conclusions sont à peine afflictives, sinon l’accusé comparaît debout. L’accusé prête serment de dire la vérité, le président procède à son propre interrogatoire ; et chaque juge peut faire de même.
L’accusé étant sorti pour être reconduit en prison, le président prend les voix pour le jugement de l’accusé. Le dernier juge ôtant son chapeau doit lire à haute voix s’il trouve l’accusé convaincu pour tel crime, il le condamne à telle peine suivant les ordonnances, ou le jugeant innocent, il le renvoie absous, ou si l’affaire lui paraît douteuse faute de preuve, il conclut à un plus ample informé (l’accusé restant emprisonné). Le juge suivant donne son avis à son tour et ainsi de suite, le président s’exprimant le dernier. L’avis le plus doux prévaut dans les jugements si le plus sévère ne l’emporte que de deux voix. Chaque membre du conseil, y compris le président, ne dispose que d’une voix.
La sentence est signifiée à l’accusé dans sa prison, celui-ci étant à genoux (si la peine est afflictive), lorsque le greffier fait lecture de la sentence. Si l’accusé est condamné à mort on lui donne aussitôt un confesseur, et si c’est un soldat il doit être exécuté dans la journée ; pour un matelot l’exécution peut être différée pendant quelque temps.
J’ai pensé qu’il n’était pas superflu de vous donner ces quelques explications sur le conseil de guerre, et sachez que les officiers peuvent y être jugés, pouvant encourir des peines infamantes telles que dégradation, renvoi de la marine du roi, interdiction de servir, et même encourir la peine de mort (par décapitation) pour abandon de son bâtiment ou trahison.
Je rappelle que tout capitaine-commandant doit répondre de la perte de son bâtiment devant le conseil de guerre quelles qu’en soient les circonstances. Aussi le jugement peut-il fort bien être rendu tout à son honneur, c’est seulement sur ordre du roi qu’un officier passe au conseil de guerre, sauf dans les cas réclamant une grande célérité."
Et enfin, les délits que reconnaît la marine, et les sanctions :
"Venons-en maintenant aux délits. Tout d’abord la désertion théoriquement punie des galères perpétuelles pour les matelots et de mort pour les soldats, mais en fait, périodiquement des amnisties sont prononcées et l’on évite les châtiments extrêmes, se contentant de récupérer les hommes et de les astreindre à un service prolongé, parfois avec diminution ou suppression de solde.
La désertion est surtout présente sur le levant. Sont considérés comme déserteurs les gens classés abandonnant leur service, ou même s’éloignant sans congé de plus de deux lieues du port de débarquement ou autres lieux, s’ils ont un service à remplir.
Au moment de l’appareillage, l’on bat la caisse dans le port, et dans les vaisseaux pour appeler et faire embarquer les gens de l’équipage. Le bâtiment en partance peut hisser son pavillon en berne, d’où le proverbe « le petit hunier paie les dettes et fait sangloter les fillettes », et enfin le dernier appel est un coup de canon à poudre, pouvant être précédé de plusieurs autres coups tirés à intervalles convenus.
Ceux qui arrivent trois heures après les derniers signaux de partance (ce qui suppose le bâtiment en rade) sont mis aux fers, au pain et à l’eau pendant quinze jours, et les absents lors de l’appareillage pour la haute mer sont considérés comme déserteurs. Les matelots français ne peuvent servir sur les bâtiments étrangers, et les capitaines-commandants des vaisseaux du roi sont habilités à rechercher ceux qui sont embarqués sous un autre pavillon que celui de notre nation, ces hommes étant passibles de peines relativement sévères.
L’incitation à la désertion est punie des galères perpétuelles. Les rixes, duels sont punis suivant leur gravité de mise aux fers, au pain et à l’eau, de huit jours à un mois, de douze coups de corde, de la cale et des galères.
L’absence ou l’abandon de quart coûte huit jours de fers et la cale en cas de récidive. Pour les officiers mariniers manquant le quart ou leur service à bord, il est prévu une privation de solde pour un mois, et en cas de récidive, ils sont passibles du conseil de guerre. Pour les soldats la même faute est sanctionnée par le chevalet.
Les hommes de quart doivent se tenir nécessairement sur le deuxième pont, les gaillards, la dunette, sous peine de mise aux fers pour trois jours.
Tout homme de l’équipage se révoltant contre un officier-major; levant la main pour l’offenser ou le frapper est condamné à mort. Ceux qui quittent leur poste dans un combat pour se cacher, ceux qui parlent de se rendre sont passibles de la peine capitale, de même que celui qui amène le pavillon sans ordre.
Toute intelligence avec l’ennemi, signal illicite, communication écrite ou verbale, fait encourir la peine de mort. Ceux qui abandonnent leur bâtiment dans le combat, même s’il s’agit d’embarcations, les capitaines de brûlot qui font de même sans avoir accroché l’ennemi sont également passibles de la peine de mort. L’abandon d’un convoi par l’officier chargé de sa protection lui fait encourir la peine capitale (le capitaine d’un navire marchand sous escorte quittant le convoi est passible d’une condamnation aux galères).
Les duels sont interdits et sévèrement punis. Mais tout ceci n’est que théorique, la rigueur des ordonnances est certes extrême, constituant tout à la fois une menace réelle et un recours pour les juges dans le cas où des condamnations exemplaires doivent être prononcées.
En ce qui concerne plus particulièrement la police à bord du vaisseau, les ivrognes peuvent être mis aux fers, au pain et à l’eau pour six jours, et avoir la cale en cas de récidive ! Un retranchement de solde d’un mois au bénéfice du dénonciateur est applicable à ceux qui jouent leurs hardes ou armes. Les vols sont punis de la bouline ou de la cale, et dans des cas graves, les vols sont passibles des galères. Les soldats perdant par négligence leurs armes ou équipement de guerre sont mis aux fers et ont la cale. Les vols commis au détriment du roi sont punis, si leur montant est inférieur à dix livres, d’une amende du quadruple de la valeur du vol et de la cale. Au-dessus, le coupable est mis au conseil de guerre et condamné aux galères."
_________________ "L'Angleterre attend que chaque homme fasse son devoir" (message de l'amiral Nelson à Trafalgar)
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