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Message Publié : 14 Fév 2012 10:23 
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Thucydide
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On parle de révolution, du moins me semble-t-il, lorsque le peuple se révolte contre son propre gouvernement, et surtout contre un gouvernement légitime. On parlera de Révolution française, de Révolution cubaine, bolivienne, que sais-je.

En Inde, la GB exerce une domination sur un peuple non-britannique ; en Algérie, les Algériens sont, quoi qu'on en ait dit à l'époque, un peuple indigène dominé par une puissance étrangère. Dans les deux cas, il y a invasion, occupation, et, des années plus tard, guerre d'indépendance destinée à chasser un occupant jugé illégitime.

Le processus est similaire, mais il y a des différence de natures.

Je reconnais que la situation des colonies américaines peut causer polémique - il n'y a pas eu renversement du pouvoir en Angleterre, les colonies étaient déjà engagées dans un processus d'émancipation, mais ils étaient bel et bien britanniques, descendants, pour la plupart, de britanniques émigrés.

L'historiographie a consacré le terme de Révolution américaine. Et les Américains se sont bel et bien reconnus dans la Révolution française. Il y a là bien sûr quelque chose d'idéologique.

Je regarderai le lien que vous proposez dans la journée.


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Message Publié : 14 Fév 2012 11:03 
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Jean Mabillon
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Il y a là bien sûr quelque chose d'idéologique.


oui bien sûr. Il y a eu toute une historiographie piétiste/patriotique américaine qui a développé ce thème de l'Indépendance comme Révolution, qui a insisté sur l'aspect rupture et novation de l'événement, sur sa dimension héroique, pour booster le sentiment d'exceptionnalité du peuple américain. Tout pays important et impérialiste a besoin d'une histoire héroique, jalonnée de tribulations et de triomphes, jusqu'à la victoire finale.
Pour susciter le patriotisme, mieux vaut évoquer les débuts de la République américaine en termes de Révolution et de combat pour la liberté qu'en termes de conflit économique entre élites coloniales et métropolitaines :mrgreen: .
La même idéalisation des motivations du conflit est à l'oeuvre dans la vision de la guerre de Sécession. Les tendances sécessionistes liées aux structures économiques conflictuelles du Nord et du Sud s'étant d'ailleurs exprimées dès l'Indépendance.
.


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Message Publié : 16 Fév 2012 18:08 
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Thucydide
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Alors, tout d'abord, je suis absolument d'accord avec votre dernière intervention.

Je me suis un peu promené sur les liens que vous proposez. Certains sont morts, malheureusement. En substance, je remarque d'abord que le terme "American Revolution" fait l'unanimité. Ce qui est contesté par certains historiens, c'est la dimension sociale de la Révolution. 

Certains historiens semblent avancer que les Pères fondateurs étaient animés moins par l'ideologie des Lumières que par leur propre intérêt. On les soupçonne de mauvaise foi. Pour le peuple américain, la Révolution ne serait qu'un changement de maître. 

Il est certain que pour nombre d'Americains, la Révolution n'a pas été à la hauteur de leurs espoirs. On pense aux Noirs, aux esclaves, aux petits propriétaires spoilés pendant la guerre, aux femmes. Pour les Indiens, l'indépendance est même une catastrophe. 

Pour autant, ce serait faire preuve de cynisme que de penser que les Pères fondateurs n'ont été que d'odieux oligarques, qui n'auraient utilisé les thèmes des Lumières que pour mieux manipuler le petit peuple illetré. 

Je pense que nos fameux Pères étaient à la fois pragmatiques et idéalistes. Pour glisser de l'autonomie (ce dont il était question au départ) à la rupture de la déclaration d'indépendance, il y a eut une maturation des idées. Il a fallu se justifier. La rencontre entre ce désir d'autonomie et l'esprit des Lumières (Locke, par exemple, ou plus tardivement Thomas Paine, dont le Sens commun à été lu par des centaines de milliers d'Américains), a bien donné naissance à un État original - et fondé sur le droit des gens. Séparation des pouvoirs, deux chambres, président élu, liberté d'expression, liberté de la presse, liberté de commercer, droit des neutres, etc. 

Ce n'est pas rien, tout de même ! J'ai du mal à imaginer un Jefferson hypocrite. La réalité s'est imposée ensuite, et tout ce qui avait été envisagé avant la guerre n'a pas pu se concrétiser. 

Sans doute nos Pères n'ont-ils pas pu aller jusqu'au bout de leur idées. Certains d'entre eux, en tous cas. On pense à l'abolition de l'esclavage, par exemple. Mais il fallait réformer un État - et les colonies du sud ont refusé de discuter cette éventualité. Mais l'idée n'en était pas moins là. 

Et ensuite, n'oublions pas que l'une des grosses sources de frictions entre coloniaux et anglais, c'était la frontière ouest. Les Anglais étaient tout à fait opposés à une expansion, réclamée par le petit peuple américain. La Révolution à fait sauter ce verrou - et tout le monde en à profité. Hors les indiens, évidemment...

Finalement, ne voir que du pragmatisme politique chez les Pères fondateurs, cela me semble également idéologique. Et tout aussi faux que de n'y voir que le bel esprit des Lumières. 

On fera, on a fait, le même procès à la Révolution Française. Dira-t-on que les Lumières n'y sont que pour peu, en avançant qu'à son origine, elle est une crise économique, une banqueroute d'Etat et le refus d'un nouvel impôt ?


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Message Publié : 16 Fév 2012 22:40 
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Jean Mabillon
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Je pense que nos fameux Pères étaient à la fois pragmatiques et idéalistes. Pour glisser de l'autonomie (ce dont il était question au départ) à la rupture de la déclaration d'indépendance, il y a eut une maturation des idées. Il a fallu se justifier. La rencontre entre ce désir d'autonomie et l'esprit des Lumières (Locke, par exemple, ou plus tardivement Thomas Paine, dont le Sens commun à été lu par des centaines de milliers d'Américains), a bien donné naissance à un État original - et fondé sur le droit des gens. Séparation des pouvoirs, deux chambres, président élu, liberté d'expression, liberté de la presse, liberté de commercer, droit des neutres, etc.


Je suis d'accord sur le "pragmatique et idéaliste", de toute façon c'est une caractéristique de la culture américaine de toujours faire coincider au mieux intérêts et grands principes :mrgreen:
Cela dit, ce sont bien des raisons pragmatiques qui sont au tout début de la Révolution: résistance des commerçants et hommes d'affaires américains mercantilistes au mercantilisme déchainé du gouvernement anglais, révolte fiscale--on retrouve ce thème très américain de la révolte fiscale actuellement dans le mouvement du Tea Party.
Les idées, les principes ne sont intervenus qu'après, par une réflexion théorique/idéologique sur la situation nouvelle à laquelle les colons étaient confrontés examinée à la lumière par exemple de "grilles de décodage" comme Locke, ou Montesquieu.

Vous avez donné aussi un argument en faveur de "révolution" dans la dispute avec"révolte coloniale" en soulignant que dans une guerre d'indépendance anticoloniale stricto sensu, on se révolte contre des gens d'un autre peuple, des envahisseurs étrangers.
Bien sûr, comme vous le soulignez, même si le pouvoir monarchique n'est pas renversé, la révolution américaine est une affaire entre Anglais, mais d'une part, les colons avaient acquis une identité culturelle légèrement différente de la britannique pur jus suite à leur vie en Amérique et d'autre part, les troupes anglaises et administrateurs anglais étaient bel et bien vus comme des envahisseurs, ou au moins comme des oppresseurs-sauf par les loyalistes .

A ce sujet, c'est amusant de souligner que Martin van Buren, est le premier président né citoyen américain dans la série présidentielle inaugurée par Washington: tous ses prédécesseurs étaient nés citoyens anglais. Van Buren est aussi le premier président d'origine non anglaise.

Pour récapituler, la Révolution américaine est une manifestation politique mixte, "amphibie":
- révolution par certains aspects (invention d'un nouveau système politique même si inspiré des libertés anglaises), dimension inter-anglaise de l'affaire (qu'on ne peut pas vraiment qualifier cependant de guerre civile, vu l'absence presque complète de violences civiles graves d'une part, et vu que le conflit a opposé civils coloniaux anglais et soldats métropolitains anglais d'autre part).
- guerre d'indépendance par d'autres: pas de changement des élites politiques/économiques en place, pas de changement social, pas de redistribution de la propriété comme dans les révolutions typiques.

Comparez par exemple avec la Révolution haitienne: guerre anticoloniale certes, mais révolution indiscutable, vu le renversement et l'expropriation des élites coloniales et la prise du pouvoir par la catégorie dominée.


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Message Publié : 17 Fév 2012 9:53 
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Thucydide
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Je pense que nous sommes d'accord, dans le fond. Toutefois, je pense que votre analyse est biaisée par un certain manque de nuance. Vous parlez des "élites coloniales" comme si elles partageaient une même vision de la société américaine en devenir. Ce qui est, je pense, en partie faux.

Si je proposais comme borne basse pour la Révolution, 1815, ce n'etait pas pour ergoter. C'est justement parce que deux visions de la société américaine s'y affrontent, et assez durement. Les Fédéralistes ont une vision bien plus élitiste que les Républicains, beaucoup plus préoccupés par le peuple (bien qu'ils se méfient également de ses excès). Avant l'ère fédéraliste, tous sont dans un même mouvement - se libérer du joug anglais. Ensuite, les divergences apparaissent.

Ce n'est qu'en étudiant la période 1788-1815 que l'on perçoit la dimension sociale de la Révolution américaine. Le changement n'est sans doute pas "radical" mais je trouve exagéré de dénier une préoccupation sociale à une partie au moins des élites coloniales.

Pour la Révolution haïtienne, je manque définitivement de connaissances pour comparer.


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Message Publié : 17 Fév 2012 10:51 
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Jean Mabillon
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Je pense que nous sommes d'accord, dans le fond. Toutefois, je pense que votre analyse est biaisée par un certain manque de nuance. Vous parlez des "élites coloniales" comme si elles partageaient une même vision de la société américaine en devenir. Ce qui est, je pense, en partie faux.


J'ai rappellé le contraire: les élites coloniales sont diverses: il y a eu des loyalistes, il y a dès le début l'opposition entre le Sud et le Nord, dont les intérêts divergent, il y a les antifédéralistes, et il y a surtout un peuple et une petite bourgeoisie coloniale qui s'implique dans la Révolution.
Mais, dans la Révolution américaine, ce sont les intérêts des élites commerciales/business du Nord fédéralistes qui l'emportent et ce sont leurs représentants qui mènent le mouvement. Les anti-fédéralistes/populistes et le Sud auront leurs moments, mais ils ne dicteront pas durablement la politique américaine et ils représentent en quelque sorte un combat d'arrière garde.

Personne n'a mis en doute le caractère révolutionnaire de la Révolution française, archétype et référence de toutes les Révolutions futures, ni de la Révolution russe, leur caractère révolutionnaire va de soi.
D'assez nombreux historiens américains par contre ont mis en question l'appellation patriotique "révolution américaine"; cela prouve qu'il y a bien une incertitude.


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Message Publié : 17 Fév 2012 13:10 
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Georges Duby
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Ou une tendance actuelle à démystifier et à en faire rabattre sur sur ce qui apparait à certains de beaux idéaux.
Il y a aussi la revisite des grands évènements à la lumière de grilles modernes d'examen voire de grilles politiques.

_________________
Heureux celui qui a pu pénétrer les causes secrètes des choses. Virgile.


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Message Publié : 17 Fév 2012 13:42 
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Jean Mabillon
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Ou une tendance actuelle à démystifier et à en faire rabattre sur sur ce qui apparait à certains de beaux idéaux.
Il y a aussi la revisite des grands évènements à la lumière de grilles modernes d'examen voire de grilles politiques


Cher alain, il ne s'agit pas vraiment d'une tendance actuelle;la remise en question "matérialiste" de la version patriotique de la révolution américaine date des années 20.
Les livres de Boorstin (prix Pulitzer, administrateur de la Bibliothèque du Congrès)--cités plus haut sont un peu plus tardifs, ils datent des années 40/50.
Un lien intéressant soutenant le caractère révolutionnaire de la Révolution américaine:

http://launiusr.wordpress.com/2011/03/1 ... evolution/


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Message Publié : 18 Fév 2012 1:40 
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Thucydide
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J'étais un moment tenté de voir dans cette volonté de démystifier la Révolution américaine une lecture des événements à travers une grille marxiste (comme celle d'Howard Zinn, par exemple), mais on imagine mal faire ce procès à Boorstin :)

"Ideas and ideals certainly mattered in the context of the American Revolution, and I would contend that they matter in all of world history. Self-interest is very real, but ideas and ideals served as powerful motivations for actions."

Je suis assez en accord avec cette conclusion. Pas très risqué, me direz-vous :)

Finalement, ce qui met le doute dans cette Révolution, et ouvre donc de nombreuses interprétations possibles, c'est que les changements sociaux, réels, n'ont pas eu la même ampleur, ni le même caractère de brutalité que dans d'autres Révolutions - dont la Révolution française. Vous l'avez très bien dit : de nombreux changements étaient déjà engagés avant la guerre d'indépendance.

En France, en moins de trois ans, l'Ancien Régime est à terre. La stupeur est immense. En Amérique, il faut une longue guerre d'indépendance, et ensuite de longues années de maturation pour que le nouveau système trouve son équilibre.

Vous avez raison, Tonnerre, de souligner que ce sont les intérêts des élites qui l'emportent finalement - mais certaines réalisations des Républicains ont durablement marqué la civilisation américaine. Je pense évidemment à l'achat de la Louisiane, et à l'ouverture de l'expansion vers l'Ouest, après 1803. Les Fédéralistes n'y sont pas favorables, et c'est peu dire - les Républicains y voient justement un moyen de promouvoir, dans les nouveaux territoires, leur République idéale et leur utopie de petits propriétaires-citoyens. C'est là une véritable ambition "sociale". Et réalisée, qui plus est.

Mais il faut bien avouer que la Révolution Américaine parait moins spectaculaire que d'autres, parce que moins "populaire", sans doute. Au sens où le peuple y est moins mis en avant par l'historiographie ; les foules en sont presque absentes. Plus paisible, d'une certaine manière (même si on mourrait très bien, et en grand nombre, pendant la guerre contre les Anglais).

Et comme vous le dites, et en reprenant le Caligula d'Albert Camus : "Tout cela manque de sang".

Pas assez sociale, sans doute. Mais "Révolution", indéniablement. :wink:


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Message Publié : 18 Fév 2012 9:38 
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Jean Mabillon
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J'étais un moment tenté de voir dans cette volonté de démystifier la Révolution américaine une lecture des événements à travers une grille marxiste (comme celle d'Howard Zinn, par exemple), mais on imagine mal faire ce procès à Boorstin


C'est tout à votre honneur de le souligner :P
Fondamentalement, et en schématisant , dans l'acception courante, une révolution, c'est un changement majeur concernant les structures politiques , le système économique, et l'organisation sociale.
Le changement politique ici est bien majeur: non seulement émancipation de la tutelle anglaise, rejet de la monarchie comme forme de gouvernement mais aussi invention de la forme démocratique moderne, avec la théorisation et les principes qui vont avec (égalité des hommes en droit, droits naturels, souveraineté qui n'émane que du peuple et lui donne le droit fondamental de se rebeller si ceux à qui il l'a déléguée en font mauvais usage etc).
Cela dit, c'est tout de même la même classe privilégiée qui conserve les leviers du gouvernement local, qu'ils assumaient déjà de fait, la monarchie britannique étant loin. Car je l'ai déjà souligné, le droit de vote dans la République américaine naissante est censitaire.
Les auteurs de la Constitution sont partis du principe qu'il faut que le pouvoir soit exercé par les élites possédantes et éclairées, et que le peuple ignorant et sans responsabilités n'en est pas capable , du moins sans un strict encadrement.
D'où le vote censitaire, et l'élection du président au suffrage indirect, toujours en vigueur comme vous le savez.
Par contre, le système de propriété et de production ne change pas d'un iota, sauf l'expropriation de quelques loyalistes. La bourgeoisie américaine, tout au contraire, a enfin les mains libres--libérée des taxes, tyranniques régulations du commerce et tarifs imposés par le gouvernement anglais--pour développer ses affaires et s'enrichir.
Rien ne change non plus dans la pyramide sociale; ceux qui sont en bas ou exclus du système (esclaves, indiens, femmes) restent en bas et exclus.
Cependant, des historiens notent des changements sociaux non pas structurels mais culturels: ils voient, suite à la Révolution, la fin de la "société de déférence": les fermiers ne s'inclinent plus,ou moins, devant leur propriétaire et ne l'appellent plus "your Lordship", simplement 'Sir", des relations plus démocratiques s'instaurent entre les classes.


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Message Publié : 18 Fév 2012 9:41 
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Philippe de Commines
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Inscription : 17 Mars 2004 23:16
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J'adhère assez à l'interprétation (reprise par Furet) selon laquelle la différence fondamentale entre les révolutions anglaise de 1688 ou américaine de 1775 d'une part, et la révolution française de 1789 d'autre part, c'est que sur le plan politique, les révolutions anglo-saxonnes se veulent (ce qui ne concorde pas nécessairement avec ce qu'elles sont, on est bien d'accord sur ce point), contrairement à la française, des restaurations, des retours à un passé idéalisé.

Il s'agit de restaurer les antiques libertés anglaises.

De même, les indépendantistes américains, prétendent restaurer les antiques libertés. Pour justifier leur sécession, ils dressent un réquisitoire extraordinairement caricatural (bien plus que celui dressé contre Louis XVI avant 1792) contre George III qui est dépeint comme un abominable tyran.

Avec les anglo-saxons, le terme de révolution s'entend comme un achèvement du cercle pour revenir au point d'origine qui n'aurait pas du être quitté.

La grande nouveauté de la révolution française, qui la rend si révolutionnaire et lui confère une portée mondiale, c'est cette volonté de faire table rase du passé, de rejeter ce passé qui appartiendrait aux ténèbres pour ouvrir des perspectives lumineuses.

Sur le plan social, je partage plutôt votre avis. La révolution américaine a certainement été plus profonde que l'idée qu'on en a gardée. Notamment parce qu'on oublie que les colonies américaines étaient, plus pour certaines parties que d'autres, encore assez fortement marquées par des structures de type nobiliaire, voire féodal. Je pense en particulier à la Pennsylvanie, et au rôle de la famille Penn dans cet Etat avant la victoire des indépendantistes.


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Message Publié : 18 Fév 2012 13:54 
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Jean Mabillon
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Sur le plan social, je partage plutôt votre avis. La révolution américaine a certainement été plus profonde que l'idée qu'on en a gardée. Notamment parce qu'on oublie que les colonies américaines étaient, plus pour certaines parties que d'autres, encore assez fortement marquées par des structures de type nobiliaire, voire féodal. Je pense en particulier à la Pennsylvanie, et au rôle de la famille Penn dans cet Etat avant la victoire des indépendantistes.


En fait, la couronne anglaise a attribué d'immenses domaines américains à des membres de la haute noblesse, des états entiers.
Vous citez la Pennsylvanie de William Penn , fils de l'Amiral Sir William Penn, territoire qui comprenait aussi ce qui est maintenant le Delaware, et qui est restée dans la famille jusqu'à la Révolution.
Il y a également le Maryland, qui fut donné à Cecil Calvert, Lord Baltimore (d'où le nom de la ville et le nom de rues et lieux de Baltimore nommés Calvert).
Son fils hérita de ces immenses possessions et comme son père, n'y mit jamais les pieds; des membres de la famille moins éminents se chargèrent de l'administration sur place.
Il y le cas de la Caroline Nord et Sud, donnée parCharles II à 8 "lords proprietors" et rachetée par la couronne anglaise vers 1720.
Enfin, le Connecticut a été un refuge pour les nobles Puritains.
Souvent ces nobles étaient des maîtres absents vivant en Angleterre qui déléguaient l'administration de ces vastes domaines à des locaux, constituant ainsi une bourgeoisie de grands gestionnaires et intendants coloniaux. Ils avaient néanmoins le pouvoir de nommer le gouverneur.

J'ai noté qu'un historien attribue, parmi les causes du mécontentement des classes dirigeantes américaines qui ont pris la tête de la Révolution, une place au fait que les monarques britanniques, s'ils ont distribué des terres américaines à des nobles anglais, n'ont jamais attribué des titres de noblesse à des bourgeois anglais établis dans les colonies et y prospérant.
Ce manque de reconnaissance sociale, allié aux réglementations commerciales tatillonnes et aux exigences fiscales succédant à la période de "benign neglect" pendant laquelle l'Angleterre laissait les colons tranquilles, a pu en effet jouer un rôle.
Et cet historien pose la question: "est-ce que Washington aurait combattu les troupes anglaises s'il avait été fait comte par His Royal Majesty?


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Message Publié : 19 Fév 2012 12:22 
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Plutarque
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Permettez de poser une autre question; quel était le % d'américains alphabétisés lors de la révolution américaine ?

_________________
La meilleure partie de l'humanité ne périra pas; elle migrera d'étoile en étoile au fur et à mesure que celles ci s'éteignent. Ainsi, la vie ne connaitra pas de fin. Le perfectionnement de l'humanité sera permanent.

Konstantin TSIOLKOVSKI
Rêves de la Terre et du Ciel


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Message Publié : 19 Fév 2012 12:54 
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Jean Mabillon
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Je n'ai pas trouvé de pourcentage précis; d'abord, il semble qu'il y ait eu beaucoup plus d'illettrisme dans le Sud que dans le Nord. Si vous lisez l'anglais, un lien wiki très complet sur l'histoire de l'éducation aux Etats-Unis, avec une partie importante consacrée à l'éducation dans les13 colonies:
http://en.wikipedia.org/wiki/History_of ... ted_States

Pour résumer ce lien, dans les colonies du Nord, et particulièrement en Nouvelle Angleterre, presque tout le monde savait lire. Une loi de la colonie du Massachusetts de 1642 stipule qu'une éducation adéquate ("proper education") est obligatoire pour les enfants de la colonie; cette loi est adoptée dans d'autres colonies plus tard.
L'enseignement de la lecture était essentiel pour pouvoir lire la Bible dans ces colonies fondées par des groupes protestants, Quakers ou Puritains, d'où l'importance de cet apprentissage dans ces communautés.
Il était effectué, dans les très petits hameaux, par les parents eux mêmes, et dans les villages plus importants comportant un temple et un pasteur, par le pasteur.
C'est dans les villes que les premières vraies écoles furent créées, religieuses aussi, ou au moins privées, par exemple la Boston Latin School en 1635. Elles étaient payantes (tuition), même si pas très couteuses en général.
Ces écoles étaient essentiellement pour les garçons, il y avait peu de choses pour les filles, qui étaient éduquées par leurs parents (home schooling) ou à l'église.
Dans le Sud, les enfants des planteurs étaient éduqués par des tuteurs, ou envoyés en Angleterre. Bizarrement, les femmes y apprenaient à lire,mais pas à écrire et, typiquement, ne pouvaient signer leur nom sur des documents officiels.


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Message Publié : 26 Fév 2012 13:52 
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Jean Mabillon
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Si on tient à utiliser le terme "Révolution" pour qualifier le processus de l'Indépendance américaine, il faudrait le compléter par les adjectifs "aristocratique", ou "patricienne".
Je viens de lire la liste des hommes (avec leur âge et profession) qui ont constitué le corps chargé de discuter la nouvelle Constitution de la jeune République, les "articles de la Confédération" qui servaient de base au nouveau régime après l'Indépendance ne permettant pas à un gouvernement de fonctionner convenablement--en particulier ne lui permettant pas de lever des impôts.
Parmi ces 55 membres, ça va de soi, pas une femme, pas un noir.
Mais pas un seul petit ou moyen fermier, pas un seul artisan, pas un seul employé ou travailleur manuel. Sans parler du peuple, la classe moyenne est totalement absente.
Essentiellement, il y a de grands propriétaires terriens, planteurs/propriétaires d'esclaves, des grands négociants, des avocats. Quelques rares professeurs d'université et médecins.
Nettement moins représentatif de l'ensemble de la population que les assemblées révolutionnaires en France donc.

Les membres du collège électoral qui a élu Washington à l'unanimité comme premier président des EU étaient choisis (non élus) par les Congrès de chaque état, constitués de représentants des mêmes catégories sociales que ci-dessus. Ou par des électeurs sélectionnés parmi les citoyens les plus riches et les plus éminents de chaque état.
Ce mode de désignation du président par une assemblée non vraiment élue mais cooptée par des pairs ayant été retenu parce les élites américaines gouvernantes craignaient par dessus tout l'irruption de la "mob rule" (le pouvoir de la populace) dans leurs affaires politiques et estimaient le peuple et la petite et moyenne bourgeoisie insuffisamment éduqués et responsables pour être associés à lagestion des affaires de l'Etat.
Bien sûr, cela va changer assez rapidement avec l'arrivée de gens comme Jackson à la présidence, et les règles électorales vont évoluer aussi peu à peu.
Mais la naissance de la jeune République s'est faite sous le signe d'un élitisme affirmé et revendiqué.


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