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Message Publié : 21 Août 2012 22:46 
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Jean Mabillon
Jean Mabillon

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Ce texte des Confessions ne figurerait pas dans une anthologie de l'homophobie s'il ne pouvait être lu comme homophobe.
D'ailleurs, c'est assez logique même du point de vue des positions philosophiques de Rousseau, cette réaction: la sodomie, généralement assimilée à l'homosexualité, était vue à l'époque comme le summum de ce qui est contre-nature, donc d'autant plus condamnable par lui qu'étant vue comme une des perversions amenées par la civilisation.
Il n'y a guère que Sade au XVIIIème siècle qui ne rejette pas l'homosexualité, mais il ne rejette absolument aucune pratique sexuelle aussi extrême qu'elle soit--cette acceptation n'est donc évidemment pas par tolérance ou humanisme.

En tout cas, sur la base de ce que j'ai pu trouver sur le net, le texte de Rousseau est nettement plus homophobe que celui-ci de Voltaire, qui est surtout une attaque contre la corruption de l'église, et vraiment guère contre l'homosexualité.

""A son dîner, il se présenta vingt hommes sans barbe et vingt violons qui lui donnèrent un concert. Il fut courtisé le reste de la journée par les seigneurs les plus importants de la ville; ils lui firent des propositions encore plus étranges que celle de baiser les pieds du vieux des sept montagnes. Comme il était extrêmement poli, il crut d’abord que ces messieurs le prenaient pour une dame, et les avertit de leur méprise avec l’honnêteté la plus circonspecte. Mais, étant pressé un peu vivement par deux ou trois des plus déterminés violets, il les jeta par les fenêtres, sans croire faire un grand sacrifice à la belle Formosante. Il quitta au plus vite cette ville des maîtres du monde où il fallait baiser un vieillard à l’orteil, comme si sa joue était à son pied, et où l’on n’abordait les jeunes gens qu’avec des cérémonies encore plus bizarres. "

Surtout, Voltaire a défendu par ses écrits un homme nommé Desmarets, accusé de sodomie, crime très grave à l'époque, il semble donc qu'on lui fasse un mauvais procès.


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Message Publié : 22 Août 2012 6:23 
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Jean Mabillon
Jean Mabillon

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Voilà la suite de ce texte des Confessions, l'homophobie--un dégout et une réprobation très vives pour les pratiques homosexuelles et ceux qui s'y adonnent--n'y sont guère contestables;d'ailleurs ce texte est apparemment utilisé en classe de lycée, explication de texte à la clé, pour faire comprendre aux élèves ce qu'est l'homophobie:

"Je n’eus rien de plus pressé que d’aller conter à tout le monde ce qui venait de m’arriver. Notre vieille intendante me dit de me taire, mais je vis que cette histoire l’avait fort affectée, et je l’entendais grommeler entre ses dents : Can maledet ! bruta bestia ! Comme je ne comprenais pas pourquoi je devais me taire, j’allai toujours mon train, malgré la défense, et je bavardai si bien que le lendemain un des administrateurs vint de bon matin m’adresser une assez vive mercuriale, m’accusant de faire beaucoup de bruit pour peu de mal et de commettre l’honneur d’une maison sainte.
Il prolongea sa censure en m’expliquant beaucoup de choses que j’ignorais, mais qu’il ne croyait pas m’apprendre, persuadé que je m’étais défendu sachant ce qu’on me voulait, et n’y voulant pas consentir. Il me dit gravement que c’était une oeuvre défendue, ainsi que la paillardise, mais dont au reste l’intention n’était pas plus offensante pour la personne qui en était l’objet, et qu’il n’y avait pas de quoi s’irriter si fort pour avoir été trouvé aimable. Il me dit sans détour que lui-même, dans sa jeunesse, avait eu le même honneur, et qu’ayant été surpris hors d’état de faire résistance, il n’avait rien trouvé là de si cruel. Il poussa l’impudence jusqu’à se servir des propres termes, et s’imaginant que la cause de ma résistance était la crainte de la douleur, il m’assura que cette crainte était vaine, et qu’il ne fallait pas s’alarmer de rien.
J’écoutais cet infâme avec un étonnement d’autant plus grand qu’il ne parlait point pour lui-même ; il semblait ne m’instruire que pour mon bien. Son discours lui paraissait si simple qu’il n’avait pas même cherché le secret du tête-à-tête : et nous avions en tiers un ecclésiastique que tout cela n’effarouchait pas plus que lui. Cet air naturel m’en imposa tellement, que j’en vins à croire que c’était sans doute un usage admis dans le monde, et dont je n’avais pas eu plus tôt occasion d’être instruit. Cela fit que je l’écoutai sans colère, mais non sans dégoût. L’image de ce qui m’était arrivé, mais surtout de ce que j’avais vu, restait si fortement empreinte dans ma mémoire, qu’en y pensant, le coeur me soulevait encore. Sans que j’en susse davantage, l’aversion de la chose s’étendit à l’apologiste, et je ne pus me contraindre assez pour qu’il ne vît pas le mauvais effet de ses leçons. Il me lança un regard peu caressant, et dès lors il n’épargna rien pour me rendre le séjour de l’hospice désagréable. Il y parvint si bien que, n’apercevant pour en sortir qu’une seule voie, je m’empressai de la prendre, autant que jusque-là je m’étais efforcé de l’éloigner.

Cette aventure me mit pour l’avenir à couvert des entreprises des Chevaliers de la manchette, et la vue des gens qui passaient pour en être, me rappelant l’air et les gestes de mon effroyable Maure, m’a toujours inspiré tant d’horreur, que j’avais peine à la cacher. Au contraire, les femmes gagnèrent beaucoup dans mon esprit à cette comparaison : il me semblait que je leur devais en tendresse de sentiments, en hommage de ma personne, la réparation des offenses de mon sexe, et la plus laide guenon devenait à mes yeux un objet adorable, par le souvenir de ce faux Africain."

A noter qu'on lit souvent que l'homosexualité, en tant que catégorie de personnes , n'existait pas avant le XXème siècle, il y avait des actes homosexuels, mais pas à proprement parler une catégorie définissant leur identité sexuelle par ces pratiques; commettre des actes homosexuels ne vous constituait pas comme homosexuel .
Or dans ce texte, quand Rousseau utilise l'expression péjorative "chevalier de la manchette', il semble bien se référer dans sa façon de penser l'homosexualité, à un groupe de personnes, et non pas seulement à des actes.


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Message Publié : 22 Août 2012 19:40 
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Pierre de L'Estoile
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Bonjour,
personnellement, j'ai plus l'impression que l'anachronisme se trouve dans le camp de ceux qui s'acharnent à vouloir coûte que coûte défendre une icône (dont je ne nie pas le génie, ce n'est pas le problème). L'anachronisme réside peut-être plutôt dans le fait d'avoir honte de mépriser l'homosexualité. Bon, nous connaissons tous les exemples homosexualité dite « rituelle » (pour certaines utilisations, évidemment elle ne peut être que rituelle) mais il n'en demeure pas moins vrai qu'elle est condamnée et considérée comme une vile perversion, il n'y a qu'à voir certains livres saints… On est homophobe et on le revendique bien haut ! Si le terme est récent la réalité l’est peut-être moins. Mais pour être sur de ne pas faire d'anachronisme en histoire pourquoi ne pas échanger dans les langues de chacun des débats historiques ?? Au moins on n’utilisera pas de nouvelletés linguistiques.
Une fois encore comme dans bien d'autres débats je trouve que le péché d'anachronisme a bon dos et tombe bien opportunément (comme d'habitude). Mon avis.
Bien à vous.

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et tout le reste n'est que littérature


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Message Publié : 22 Août 2012 21:07 
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Jean Froissart
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Je serais assez d'accord avec vous, Yongle, à ceci près que l'homosexualité, même réprouvée, a toujours été "codifiée" selon les époques : dans la Grèce antique, par exemple, il était très mal vu, voire passible de la peine capitale, que, dans le cadre de la pédérastie, il y ait des rapports sexuels entre le maître et l'élève. Par ailleurs, même si ce rapport était possible - et même parfois recommandé -, il était impensable que le maître soit passif : dans les représentations sur les vases, l'éphèbe a toujours le regard levé vers la barbe du maître ou vers le ciel, signe d'une sorte de béatitude qu'il serait malsain de troubler (dans les mentalités grecques) ; le maître, quant à lui, à souvent la main portée sur les parties de l'éphèbe. La pédérastie était recommandée mais l'homosexualité ne l'était pas, elle était même condamnée quand elle était rendue publique.

L'homophobie - et je suis parfaitement d'accord avec vous pour dire que le terme n'a de sens que dans son actualité, c'est-à-dire au sens où il n'était pas pensable auparavant : l'homosexualité était mal vue, même si elle existait, il était donc naturel de la rejeter - n'est pas condamnée, elle est rejetée. Ceci ne l'empêche pas pour autant de se pratiquer. Je serais donc plus nuancé que vous en disant que c'est l'actualité de l'homophobie (et non de l'homosexualité) qui engendre cet anachronisme que vous relevez à juste titre. Si on lit les poème d'Omar Khayyâm, on trouve l'évocation d'une attirance "unisexuelle" (comme cela, on sera dans les néologismes ignobles :mrgreen: ) qui rappelle fortement l'homosexualité telle qu'elle peut être envisagée dans pratiquement toutes les civilisations. D'après ce que je peux voir, c'est poser la question de l'actualité de l'homophobie avant la seconde moitié du XXème siècle qui est anachronique.

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Il n'y a pas de littérature sans liberté politique

Memoriam quoque ipsam cum voce perdidissemus, si tam in nostra potestate esset oblivisci quam tacere


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Message Publié : 22 Août 2012 21:26 
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Jean Mabillon
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Citer :
ébats je trouve que le péché d'anachronisme a bon dos et tombe bien opportunément


Vous pourriez élaborer? Je vois mal où vous voulez en venir.
De plus, vous posez qu'il s'agit ici de défendre Voltaire; ce n'est pas l'axe de mon argumentation.
J'ai cherché plus précisément à mettre en évidence que, vu l'imprégnation chrétienne très présente dans la culture européenne au XVIIIème siècle, l'homosexualité y était quasi-universellement condamnée.
En la condamnant, ces philosophes des Lumières qui l'ont condamnée--Voltaire mais aussi Rousseau (comme mis en évidence plus haut) et Montesquieu, peut être d'autres, il faudrait chercher, n'ont fait que répercuter les normes de leur époque.
Alors, non, ils ne pensent pas exactement comme des hommes du XXIème siècle--il faut être sérieusement obtus pour le leur reprocher;
ce qu'il faut voir par contre, c'est que POUR LEUR EPOQUE, et DANS CERTAINS DOMAINES, ils ont été des pionniers à l'avant-garde du mouvement d'idées qui a abouti à ces façons de penser modernes dont nous sommes si fiers.
Si Voltaire, et quelques autres "laicisateurs"? n'avaient pas lutté contre l'influence de l'Eglise, le catholicisme serait encore tout-puissant, et les homosexuels toujours stigmatisés et persécutés, comme ils le sont encore dans certains pays ultra-religieux.

Faisant en ce moment des recherches sur l'esclavage et son abolition, je n'ai trouvé, jusque vers la moitié du XIXème siècle, absolument aucun essayiste, homme politique, pasteur, etc qui affirme en toute certitude que les noirs sont les égaux des blancs du point de vue intellectuel.
Au mieux, les plus progressistes d'entre eux disent prudemment que l'intelligence du noir est dégradée suite à ses conditions de vie difficiles en Afrique (théorie des climats) et sa présente situation servile, mais que si on lui permet de vivre libre et dans des conditions décentes, dans X générations, il y a des chances pour que son intelligence égale celle des blancs.
Faut il pour autant intenter un procès rétrospectif pour racisme à ces gens qui étaient pourtant à la pointe du combat en faveur des droits des noirs?
De même, Lincoln jugeait impossible et dangereuse la cohabitation des blancs et des noirs aux EU après leur émancipation, il jugeait néfaste tout métissage entre ces deux groupes et pensait que la seule option pour les esclaves émancipés était la colonisation au Libéria ou ailleurs.
Ce grand homme était incontestablement raciste d'après nos définitions actuelles, mais il ne faisait que refléter l'opinion de la vaste majorité de ses électeurs--c'est généralement le cas des politiciens démocratiques qui sont sanctionnés par l'élection.
Et pourtant, de la même façon que Voltaire homophobe a considérablement contribué à la régression des préjugés homophobes en se battant contre l'influence pervasive de l'Eglise dans la société française, Lincoln le raciste est à l'origine d'un pas de géant dans l'avancée des droits des noirs aux EU.
Pour ne pas voir de telles considérations, les approches à courte vue comme celles de Droit ne pêchent pas seulement par anachronisme, mais aussi par manque de recul et superficialité. .
Droit, s'il voyait un peu plus loin que le bout de son époque, devrait aussi se rendre compte que nos façons de penser, y compris les siennes, seront sans doute vues comme scandaleusement réactionnaires par nos descendants dans 100 ans.

Citer :
, c'est poser la question de l'actualité de l'homophobie avant la seconde moitié du XXème siècle qui est anachronique.


Il y a en effet un double anachronisme:
- exiger d'auteurs morts il y a plus de deux siècles qu'ils aient les mêmes valeurs que nous
- reprocher à Voltaire d'être homophobe alors que, comme rappelé plus haut, les homosexuels n'auraient pas été constitués en tant que catégorie distincte avant la fin du XIXème.
Cela dit, la fin de la citation de Rousseau postée ci dessus semblerait indiquer le contraire, la référence aux "chevaliers de la manchette" est tout à fait claire là dessus.


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Message Publié : 23 Août 2012 0:02 
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Grégoire de Tours
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Excusez la naïveté de ma question, mais j'aimerais clarifier ce point. Est-ce que l'anachronisme (si anachronisme il y a) réside dans :

1) Le fait d'utiliser un néologisme moderne, en l’occurrence homophobie, alors que le concept (et non le mot) n'existait pas à l'époque (à savoir la haine et le rejet de l’homosexualité et des homosexuels) ?

2) Ou du fait que l’homosexualité et les homosexuels étant unanimement rejetés par la société de l'époque il n'y a pas lieu de qualifier quiconque d'homophobe puisque c'était la norme sociale ?

3) Ou que de toute façon, on ne peut pas utiliser le terme homophobie, car néologisme moderne, pour qualifier une situation antérieure à l'apparition du mot.

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"I do not know with what weapons World War III will be fought, but World War IV will be fought with sticks and stones."

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Message Publié : 23 Août 2012 10:00 
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Jean Mabillon
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Citer :
1) Le fait d'utiliser un néologisme moderne, en l’occurrence homophobie, alors que le concept (et non le mot) n'existait pas à l'époque (à savoir la haine et le rejet de l’homosexualité et des homosexuels) ?


Cette haine des actes homosexuels et de ceux qui les pratiquaient existait bien, il n'y a qu'à lire les textes de Rousseau et Voltaire ci-dessus.

Citer :
2) Ou du fait que l’homosexualité et les homosexuels étant unanimement rejetés par la société de l'époque il n'y a pas lieu de qualifier quiconque d'homophobe puisque c'était la norme sociale ?

Quelque chose comme ça; si l'on veut absolument appliquer le terme moderne d'homophobe à une réalité sociale antérieure à son apparition, l'erreur d'analyse consiste à accuser tel ou tel individu particulier d'homophobie, alors que c'est sa culture qui l'est.
Cela ne peut être considéré comme une faute personnelle, parce que ce n'est pas un choix individuel mais un formatage social.
Lorsque tel formatage social particulier, par exemple l'homophobie, est la seule option qui s'offre à un individu, qu'il n'a accès à aucune opinion différente dans la société où il vit, il est non seulement stupide mais injuste de l'accuser d'homophobie, parce que s'il n'a pas d'autre choix, sa responsabilité individuelle ne peut être engagée dans les croyances et opinions qu'il a reçues de son environnement.
On peut donc s'amuser futilement à passer en jugement tous les individus célèbres vivant dans des sociétés anciennes qui étaient homophobes, sexistes, racistes, esclavagistes (c'est à dire la vaste majorité ) et à les condamner tous pour s'être conformés aux normes en vigueur là où ils vivaient. A titre personnel, ces professionnels de l'indignation qui aiment un peu trop jouer les Fouquier-Tinville me causent un malaise.


Citer :
3) Ou que de toute façon, on ne peut pas utiliser le terme homophobie, car néologisme moderne, pour qualifier une situation antérieure à l'apparition du mot.


Une réalité sociale peut exister avant l'invention d'un terme spécifique pour la désigner, donc cette objection n'est que moyennement recevable.
Plutôt, ce que j'ai lu et qui semble la vue acceptée actuellement sur l'homosexualité, est que l'homosexualité n'existait pas avant le XIXème siècle en tant que catégorie de pensée dans laquelle des individus sont placés en fonction de leurs pratiques sexuelles.
Il y avait des actes homosexuels, mais pas d'homosexualité comme case où la pratique d'actes sexuels avec une personne du même sexe vous fait entrer et vous définit à vie sous l'étiquette "homosexuel".
Dans certaines cultures, un homme pouvait avoir des rapports sexuels avec d'autres, et ne pas être considéré pour autant comme inverti--s'il respectait les codes phallocratiques et sociaux de sa société: être le pénétrant, pas le pénétré, et que ce dernier soit son inférieur socialement.
A la rigueur, pour un homme jeune, il pouvait être admissible de jouer le rôle dit passif si c'était temporairement, avec un homme plus vieux et hiérarchiquement supérieur; ça ne faisait pas non plus de lui un inverti.
En fait ce qui comptait pour la catégorisation conceptuelle, ce n'était pas d'avoir des rapports avec une personne du même sexe mais la position active ou passive systématiquement occupée dans ces rapports-la désignation et la stigmatisation ne touchant que l'homosexuel dit passif .
Mais justement, ce qui m'interroge dans le texte de Rousseau ci-dessus, c'est qu'il semble invalider cette théorie: l'agresseur sexuel de Rousseau est clairement un homosexuel actif, et pourtant Rousseau le place dans une catégorie , celle des "chevaliers de la manchette--curieuse expression- qui semble correspondre, sous une dénomination familière et péjorative, à la catégorie moderne des homosexuels.


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Message Publié : 23 Août 2012 11:56 
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Grégoire de Tours
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Merci pour votre réponse Tonnerre.

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Message Publié : 23 Août 2012 15:24 
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Pierre de L'Estoile
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Tonnerre, j'ai passé plus d'une demi-heure à reprendre point par point vos deux derniers messages et mon post n'est pas passé. Je ne comprends pas.

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Message Publié : 23 Août 2012 15:44 
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Jean Mabillon
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Désolé, c'est frustrant, c'est la raison pour laquelle je mets toujours en mémoire mes posts avant de poster. Try again B)

Voilà ce que dit Diderot sur la (supposée par les Européens) pratique de l'homosexualité chez les Indiens d'Amérique, dans le "Supplément au voyage de Bougainville".
Il est moins négatif que Voltaire,mais très loin d'approuver ces pratiques.

"Je crois qu’il en faut chercher la cause dans la chaleur du climat, dans le mépris pour un sexe faible, dans l’insipidité du plaisir entre les bras d’une femme harassée de fatigues, dans l’inconstance du goût, dans la bizarrerie qui pousse en tout à des jouissances moins communes, dans une recherche de volupté plus facile à concevoir qu’honnête à expliquer, peut-être dans une conformation d’organes qui établissait plus de proportion entre un homme et un homme américains, qu’entre un homme américain et une femme américaine ; disproportion qui développerait également et le dégoût des Américains pour leurs femmes et le goût des Américaines pour les Européens.
D’ailleurs ces chasses, qui séparaient quelquefois pendant des mois entiers l’homme de la femme, ne tendaient-elles pas à rapprocher l’homme de l’homme ?
Le reste n’est plus que la suite d’une passion générale et violente qui foule aux pieds, même dans les contrées policées, l’honneur, la vertu, la décence, la probité, les lois du sang, le sentiment patriotique, parce que la nature, qui a tout ordonné pour la conservation de l’espèce, a peu veillé à celle des individus ; sans compter qu’il est des actions auxquelles les peuples policés ont avec raison attaché des idées de moralité tout à fait étrangères à des sauvages. »

Dans un autre texte, il parle de la brutalité des rapports sexuels homosexuels, et de "caresses empoisonnées".
Et donc, qu'on veuille bien citer un seul penseur des Lumières qui ne condamne pas l'homosexualité.


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Message Publié : 23 Août 2012 16:00 
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Pierre de L'Estoile
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:wink: Oui, j'ai déjà commencé, je vais les poster au fur et à mesure. Ce qui vous permettra de répondre entre-temps pour alimenter la discussion

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Message Publié : 23 Août 2012 16:20 
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Pierre de L'Estoile
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Tonnerre a écrit :
Vous pourriez élaborer? Je vois mal où vous voulez en venir.
.

je le peux.
Ce que je voulais dire c'est que ce qui me semble anachronique c’est de vouloir nier contre vents et marées quelque chose qui, comme vous le dites vous-même, était unanimement admis et revendiqué. Voltaire était homophobe comme la majorité des gens de son temps. De là à dire que cela n'existe pas uniquement parce que c'était une pratique généralisée, ou presque, ça ne colle pas. C'est comme de dire que sous prétexte que nous mangeons tous avec un couteau et une fourchette, nous n'avons pas conscience de cela. C'est un peu prendre nos ancêtres pour des simples d'esprit, je trouve. L'anachronisme est peut-être dans le refus d'admettre son homophobie.
Tonnerre a écrit :
De plus, vous posez qu'il s'agit ici de défendre Voltaire; ce n'est pas l'axe de mon argumentation.
.

je retire car je ne peux évidemment prouver quoi que ce soit concernant vos intentions. Je remarque juste que généralement la pancarte anachronisme est brandie lorsqu'il s'agit de préserver la mémoire de quelqu'un ou de quelque chose que l'on se sent le devoir de défendre. Vous êtes intègre dans votre démarche et c'est tout à votre honneur, pourtant :
Tonnerre a écrit :
J'ai cherché plus précisément à mettre en évidence que, vu l'imprégnation chrétienne très présente dans la culture européenne au XVIIIème siècle, l'homosexualité y était quasi-universellement condamnée.
.

pour une figure de la carrure de Voltaire que l'on veut précurseur dans le domaine de la pensée éclairée et de la tolérance le « quasi » est primordial ; surtout lorsqu'on sait que des voix se sont élevées à cette époque contre l'homophobie ou plutôt-mais j'y reviendrai-la condamnation « des personnes s'étant livré à des pratiques homosexuelles ». On aurait attendu, à tort ou à raison ce n'est pas le problème, que ce chantre de la tolérance se soit joint à ces protestations, non ?
Tonnerre a écrit :
En la condamnant, ces philosophes des Lumières qui l'ont condamnée--Voltaire mais aussi Rousseau (comme mis en évidence plus haut) et Montesquieu, peut être d'autres, il faudrait chercher, n'ont fait que répercuter les normes de leur époque.
.

c'est trop facile. Le déterminisme social est incontestable mais il n'explique pas tout notamment pour les raisons que j'ai évoquées juste au-dessus.
Tonnerre a écrit :
Alors, non, ils ne pensent pas exactement comme des hommes du XXIème siècle--il faut être sérieusement obtus pour le leur reprocher;
.


Ils ne pensent pas exactement comme des gens du XXIe siècle, ce qui ne veut pas dire que personne n'ait condamné l'homophobie ou l'esclavage des noirs. Le christianisme à lui seul ne peut expliquer un tel état d'esprit. Bien des interprétations du nouveau testament sont possibles pour ne pas condamner le pêcheur. Je crois qu'il faut le rappeler énergiquement.
Les modes de pensée évoluent au cours du temps, c'est un fait. Toutefois on ne peut contester qu'il existe des constantes. Pour quelle raison telle civilisation ou telle personne serait dépourvue d'empathie ? L’éthologie montre sans le moindre doute possible que bien des animaux en font preuve quotidiennement. Tout porte à croire que c'est un instinct animal (peut-être de survie de l'espèce ?). On peut bien vivre dans une culture où les pratiques homosexuelles sont condamnées par les normes sociales et ne pas rester indifférent aux réalités qui nous entourent. Est-il anachronique de penser que certains ayant dans leur entourage du moins proche de la compassion pour un homme ou une femme de qualité (ou tout simplement aimé du fait d'être le fils, le frère, l’ami etc.). C'est impensable. Sir Arthur Conan Doyle disait fort justement que « lorsque vous avez éliminé l’impossible, ce qui reste, aussi improbable soit-il, est obligatoirement la vérité. En conséquence, la condamnation de l'homophobie ne peut être qu'une réalité de tout temps.

Tonnerre a écrit :
l'erreur d'analyse consiste à accuser tel ou tel individu particulier d'homophobie, alors que c'est sa culture qui l'est.
.


Moi je vois l'erreur d'analyse dans votre camp. N'oublions jamais qu'une culture est par définition très loin d'être un bloc monolithique ; c'est même exactement le contraire. Avec toutes les contradictions que cela comporte dans la pluralité des comportements de chaque jour et de chaque individu .

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Message Publié : 23 Août 2012 16:45 
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Pierre de L'Estoile
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Tonnerre a écrit :
Cela ne peut être considéré comme une faute personnelle, parce que ce n'est pas un choix individuel mais un formatage social..


c'est extrêmement simpliste et réducteur, nous ne sommes pas des chiens de Pavlov. Et c'est exactement pour cela que les cultures évoluent dans le temps et dans l'espace. Si les choses se passaient tels que vous les décrivez le monde serait complètement figé et contraint à la stricte reproduction sociale. Auquel cas votre argument d'anachronisme se viderait immanquablement de son sens.

Tonnerre a écrit :
On peut donc s'amuser futilement à passer en jugement tous les individus célèbres vivant dans des sociétés anciennes qui étaient homophobes, sexistes, racistes, esclavagistes (c'est à dire la vaste majorité ) et à les condamner tous pour s'être conformés aux normes en vigueur là où ils vivaient. A titre personnel, ces professionnels de l'indignation qui aiment un peu trop jouer les Fouquier-Tinville me causent un malaise.




c'est un aveu ? Je n'entre pas dans les procès d'intention.

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Message Publié : 23 Août 2012 17:06 
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Tonnerre a écrit :
Plutôt, ce que j'ai lu et qui semble la vue acceptée actuellement sur l'homosexualité, est que l'homosexualité n'existait pas avant le XIXème siècle en tant que catégorie de pensée dans laquelle des individus sont placés en fonction de leurs pratiques sexuelles.
Il y avait des actes homosexuels, mais pas d'homosexualité comme case où la pratique d'actes sexuels avec une personne du même sexe vous fait entrer et vous définit à vie sous l'étiquette "homosexuel".
.

alors là, c'est le pompon. Vous défendez l’indéfendable et en plus en vous inspirant d’auteurs plus que douteux. J'en suis d'autant plus étonné du fait que vous citiez presque systématiquement des travaux universitaires. En effet, par quel prodige pourrait-on imaginer qu'avant le XIXe siècle nous n'avions que des gens qui se seraient livrés occasionnellement à des pratiques homosexuelles. C'est absurde donc il n'y a qu'une autre solution : leurs capacités intellectuelles étaient trop réduites pour s'être aperçus que certain(e)s ne se livraient qu'à ce genre de pratiques. C'est d'autant plus intenable que bien des études nous montrent l'histoire des appellations de l'homosexualité et des homosexuels. J'en déduis donc, que pour ce coup là, vous avez fait l'économie de rechercher du côté des travaux universitaires. C'est regrettable, convenez-en.

Tonnerre a écrit :
Mais justement, ce qui m'interroge dans le texte de Rousseau ci-dessus, c'est qu'il semble invalider cette théorie: l'agresseur sexuel de Rousseau est clairement un homosexuel actif, et pourtant Rousseau le place dans une catégorie , celle des "chevaliers de la manchette--curieuse expression- qui semble correspondre, sous une dénomination familière et péjorative, à la catégorie moderne des homosexuels.


Hum... B)

Bien à vous.

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et tout le reste n'est que littérature


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Message Publié : 23 Août 2012 17:17 
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Jean Mabillon
Jean Mabillon

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pour une figure de la carrure de Voltaire que l'on veut précurseur dans le domaine de la pensée éclairée et de la tolérance le « quasi » est primordial ; surtout lorsqu'on sait que des voix se sont élevées à cette époque contre l'homophobie ou plutôt-mais j'y reviendrai-la condamnation « des personnes s'étant livré à des pratiques homosexuelles ». On aurait attendu, à tort ou à raison ce n'est pas le problème, que ce chantre de la tolérance se soit joint à ces protestations, non


C'était le chantre de la tolérance pour les opinions. L'homosexualité n'est pas une opinion.
De plus nombre des penseurs des Lumières, en plus de l'imprégnation culturelle par la morale sexuelle chrétienne, ont des raisons spécifiques de rejeter l'homosexualité:
- parce que,à tort ou à raison, ils l'associent souvent à la corruption ecclésiastique (Rousseau, Diderot)
- parce qu'elle est à leurs yeux non seulement anti-naturelle mais aussi anti-nativiste (ce qui est contestable): les homosexuels, dans la vue de l'époque, sont aussi anti-sociaux parce leurs pratiques (un peu comme la masturbation--en pire) s'opposent à la génération.

Et quand j'ai écrit "quasi", c'était pour me couvrir :mrgreen: au cas où..., et n'ayant pas fait de recherches suffisantes.
Les quelques forages google que j'ai fait font apparaître que non seulement Voltaire mais aussi Rousseau, Diderot et Montesquieu désapprouvaient fortement l'homosexualité. Autrement dit, les penseurs vedettes des Lumières, ceux qui ont le plus compté.
Vous dites que des voix se sont élevées pour défendre les pratiques homosexuelles; citez les.

Enfin, j'insiste: Voltaire, en tant que philosophe, écrivain et individu, n'est pas ma tasse de thé, je ne tiens nullement à le défendre parce que je l'apprécierais spécialement.
Ce qui m'énerve, c'est cette tendance à judiciariser la culture, à trainer devant un tribunal d'autorités morales auto-désignées des gens qui ne sont plus là pour se défendre sous prétexte qu'ils ne pensaient pas comme nous. Ce qui est à mes yeux, en plus du manque de rigueur intellectuelle, le comble de l'intolérance--et de l'inélégance.

Et vous n'avez pas répondu à mon argument: quand un individu nait dans une culture, et qu'il se conforme aux normes que lui impose cette culture, parce qu'il n'existe aucune option différente dans son environnement, et qu'il ne sait même pas qu'il peut en exister--comme c'est le cas pour l'homosexualité, alors condamnée partout--il ne peut être considéré responsable des valeurs et croyances qu'il a intégrées suite à ce formatage subi.
La responsabilité est collective, et si l'on veut absolument trouver des responsables, il faudrait plutôt aller du côté des religions et des clergés qui ont originellement anathématisé les homosexuels et présenté leurs pratiques sexuelles comme péchés mortels.
La responsabilité individuelle n'existe que si l'individu est informé d'une alternative; et même dans ce cas, la vaste majorité des gens, y compris beaucoup d' intellectuels, se conforment néanmoins aux normes dominantes dans leur culture.

Citer :
alors là, c'est le pompon. Vous défendez l’indéfendable et en plus en vous inspirant d’auteurs plus que douteux. J'en suis d'autant plus étonné du fait que vous citiez presque systématiquement des travaux universitaires. En effet, par quel prodige pourrait-on imaginer qu'avant le XIXe siècle nous n'avions que des gens qui se seraient livrés occasionnellement à des pratiques homosexuelles.


Désolé, mais vous n'avez absolument pas compris ce que j'ai essayé d'expliquer. Merci de bien vouloir me relire, je ne dis absolument pas qu'avant le XIXème siècle, des gens ne se seraient livrés qu'occasionnellement à des pratiques homosexuelles--ce qui serait absurde.
Je parle des catégories conceptuelles où la société d'alors plaçait ceux qui avaient ces pratiques --non des pratiques elles mêmes.
Ces catégories auraient été établies sur la distinction actif/passif, et non sur la notion "sexe avec des partenaires de même sexe".
Et ceci est justement la théorie universitaire acceptée actuellement; pas nécessairement la mienne. En fait, cette théorie peut avoir une certaine validité mais elle me semblait un peu trop nette et tranchée pour correspondre à des réalités complexes.
Et ce qui m'intéresse, c'est qu'elle semble apparemment infirmée par le commentaire précité de Rousseau.


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