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 Sujet du message : Re: L'affaire Damiens
Message Publié : 28 Fév 2013 21:20 
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Jean Froissart
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Le rapport est la thèse de Sigaut sur la pédophilie ambiante expliquant les enlèvements d'enfants de l'époque (dont la fille de Damiens), qui aurait décidé ce dernier à attenter à la vie de Louis XV.


Vous pourriez nous en dire plus là dessus: sur "la thèse de Sigaut sur la pédophilie ambiante" et sur l'enlèvement de la fille de Damiens?
Je suppose que vous faites allusion pour la pédophilie à "La marche rouge" et pour l'affaire Damiens à "Mourir à l'ombre des Lumières". Je n'ai lu aucun de ces livres.
Voilà ce que j'ai trouvé sur le net:
http://www.egaliteetreconciliation.fr/L ... 13306.html
C'est Hors sujet mais je tenais à indiquer que c'est le site du pote à Dieudonné, des gens qui trouvent très "sympas" les régimes syriens et iraniens.

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 Sujet du message : Re: L'affaire Damiens
Message Publié : 28 Fév 2013 21:41 
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Jean Mabillon
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Je n'avais pas lu le début du fil quand j'ai posé mes questions, désolé.

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la sexualité de Louis XV (qui est un individu assez isolé dans ce cas là, et qui n'avait pas besoin d'aller faire enlever des enfants, il pouvait en trouver facilement, et consentantes)


Je ne préjuge pas que cela ait été le fonctionnement sexuel de Louis XV mais poser que Louis XV pouvait trouver facilement des "enfants consentantes" (si c'est bien ce que vous dites) est un non-sens: anachronisme ou pas, par définition, un enfant n'a pas la maturité d'esprit ni le statut légal pour pouvoir donner un consentement valide, en particulier dans un tel contexte.
De plus, le fait qu'un individu riche et puissant puisse trouver facilement des partenaires sexuelles n'implique nullement qu'il n'aura pas recours aux enlèvements ou aux viols, autrefois (le cas de Sade justement) comme de nos jours (...).
Je n'ai pas lu ce livre, mais a priori, je ne vois pas de raison d'exclure la thèse de réseaux pédophiles: il y en a de nos jours, alors que la pédophilie est criminalisée.
On peut supposer que ces réseaux pédophiles du XVIIIème devaient être d'autant plus actifs et hardis du fait qu'ils étaient largement impunis lorsqu'il s'agissait d'enfants issus du peuple.
Si on lit des ouvrages sur la prostitution en France au XVIIIème siècle, l'existence de bordels réservés à la prostitution enfantine est mentionnée, et l'entrée dans la prostitution se faisait éventuellement très jeune, encore plus jeune que de nos jours, c'est à dire vers 12/13 ans.
Ces bordels d'enfants existaient aussi à Londres à l'époque victorienne, j'ai lu des ouvrages qui évoquent cette forme de prostitution.
Les bordels ordinaires avaient une ou deux fillettes pour "satisfaire les goûts " pédophiles de certains clients.
Dans "Prostitution et police des moeurs au XVIIIème siècle", l'auteur Erica-Marie Benabou cite le cas de fillettes prostituées de 10 ans. Elle ajoute que ces inclinations pédophiles concernaient surtout l' "élite sociale".
L'ouvrage de Restif de La Bretonne, "Le Palais Royal", évoque la prostitution enfantine.
Pour "approvisionner" ces bordels d'enfants, l'existence de réseaux de trafiquants d'enfants était donc "nécessaire".


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 Sujet du message : Re: L'affaire Damiens
Message Publié : 09 Mars 2013 12:17 
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Jean Mabillon
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Je viens de terminer le livre de Marion Sigaut, "La marche rouge, les enfants perdus de l'Hôpital général".
Ce livre étudie des événements peu connus du règne de Louis XV/Régence et s'attache à des aspects peu étudiés de l'histoire: l'histoire des rumeurs, de la culture populaire parisienne, des marginaux de la capitale, de la prostitution enfantine et de la pédophilie, des abus humains et sexuels de la noblesse etc.
A ce titre, et sur la base du gros travail sur les archives de l'Assistance publique et autres documents d'époque que cela implique, il mérite d'être salué même si il peut susciter certaines réserves.
Comme je l'ai dit, il n'y a absolument aucun doute sur l'existence de trafics d'enfants destinés aux pédophiles parisiens; des rapports de police en font mention, l'ouvrage de E.M. Benabou sur la prostitution à Paris au XVIIIème cité ci-dessus en fait mention, il y avait un bordel d'enfants à Paris (faubourg Saint Antoine parait il), Rétif de la Bretonne non seulement en fait mention, mais il relate avoir été lui-même victime de pédophiles etc.
Maurice Lever a étudié des cas d'enlèvements d'enfants et de réseaux pédophiles au XVIIIème dans un ouvrage intitulé "Les bûchers de Sodome". Il y est en particulier mentionné le cas d'un procès célèbre, mentionné par Voltaire: l'affaire Deschauffours.
Ce Deschauffours attirait des enfants et adolescents des deux sexes chez lui, soit en les faisant enlever, soit par des sommes d'argent, soit par la ruse; il leur faisait boire des boissons droguées, et les livrait à des "invités" payants où les faisait emmener chez ceux ci.
Plus de 200 personnes auraient été compromises dans ce trafic d'enfants. Sa "clientèle" était internationale, on venait à ses soirées de tous les pays d'Europe.
Finalement, devant l'accumulation des plaintes, la justice se décida à agir, et Deschauffours fut convaincu par les juges investiguant l'affaire de proxénétisme, rapts, viols et meurtres sur enfants, et même de castration sur un jeune homme. Mais devant le nombre et l'importance des personnes impliquées, il fut décidé de ne le condamner que pour sodomie, ce pourquoi il fut brûlé.

Mais l'hypothèse de Sigaut pour expliquer ces centaines d'enfants et d'adolescents qui sont enlevés et disparaissent des registres de l'Hôpital général au fil des années est double: selon elle, il ne s'agirait pas que de trafic à finalité sexuelle, mais aussi de trafics de main-d'oeuvre envoyée aux colonies pour le compte de la Compagnie des Indes.

Sigaut cite une source mentionnant un convoi de 600 jeunes gens tirés des hôpitaux de Paris, dirigés sur Rouen, puis embarqués vers le Mississipi.
Elle cite l'ordonnance du 22 mars 1720, faisant défense à la populace de s'assembler dans certaines rues, sous peine d'être envoyés aux colonies.
Pour appliquer cette ordonnance, furent créées 3 bandes d'archers, nommées les "bandouliers du Mississipi" chacun touchant 20 pistoles par jour de solde, plus une prime pour chaque individu arrêté.
Les archers arrêtaient des jeunes et des enfants, comme moins susceptibles de résistance. Et ils pouvaient ne pas avoir de parents pour s'opposer à leur arrestation.

.../...


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 Sujet du message : Re: L'affaire Damiens
Message Publié : 09 Mars 2013 15:59 
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Jean Mabillon
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Sigaut évoque les grands seigneurs débauchés de l'époque, ce qu'elle nomme "la face noire du libertinage".
Tels le grand prieur de Vendôme, qui en tant que grand prieur de l'ordre de Saint Jean de Jérusalem était à la tête d'une sorte de petite principauté indépendante à Paris, l'enclos du Temple (ex territoire des Templiers), où la police n'avait pas le droit de pénétrer, et qui abritait environ 4 000 personnes, tants gueux et criminels que nobles.
Ce prieur, ainsi que son frère aîné le duc de Vendôme (descendants du bâtard de Henri IV et de Gabrielle d'Estrées) était connu pour ses débauches.
A tel point que Louis XIV jugea bon de l'exiler; le Régent, plus indulgent, le rappela.
Autre débauché et pédophile de l'époque, le prince de Conti, qui devint aussi prieur du Temple en 1749, et qui tenait un registre de ses jeunes "partenaires", avec des notices détaillées accompagnées d'images qu'il faisait peindre.

Pour satisfaire ces débauchés, il fallait trouver des enfants sans cesse renouvelés.
Il est établi--de nombreuses plaintes de parents en font foi (y compris des parents honorablement connus, commerçants, artisans etc) que des exempts (policiers) enlevaient des enfants dans les rues parisiennes (ils recevaient 12 pistoles "par tête" pour ça) et les envoyaient à l'Hôpital général.
Si ces enfants avaient des parents ayant pignon sur rue, les parents les réclamaient et ils sortaient de l'Hôpital contre une somme d'argent.
Si ces enfants n'avaient pas de parents pouvant s'inquiéter d'eux et payer pour leur sortie, un certain nombre d'entre eux restait à l'Hôpital--et pouvait purement et simplement disparaître des registres au bout de quelques temps, tandis que d'autres mouraient comme des mouches. En effet, le taux de mortalité des enfants dans les établissements de l'HG semble avoir été terrifiant, même pour l'époque.
Sigaut cite le cas d'une cargaison d'enfants arrivés d'Auxerre (les exempts allaient "chasser" en province suite aux émeutes parisiennes). Ce sont des enfants âgés de 3 à 8 ans; deux mois après leur arrivée, les 4/5èmes sont morts.
Sigaut remarque aussi un élément bizarre: les registres mettent en évidence que des enfants très jeunes sortent de l'Hôpital, mais ils sortent "seuls", autrement dit, ils ne sont confiés à personne, aucun adulte pour les attendre et les recueuillir à leur sortie.
Elle établit le nombre de ces enfants de moins de 15 ans sortant seuls année par année; il tourne autour d'une moyenne annuelle de 250.
Autre anormalité notée par Sigaut: la Couche était l'institution qui centralisait les enfants abandonnés à Paris. Arrivés à un certain âge, ces enfants étaient envoyés à l'Hôpîtal général (dans un de ses établissements).
Elle note que, en 1747, 145 petites filles sont sorties de la Couche pour être envoyées à la Salpétrière. Seulement 103 sont arrivées à destination, 45 ont disparu. Parmi celles qui arrivent, certaines n'arrivent qu'après 2 ou 3 jours, alors que la Couche (Faubourg St Antoine) et la Salpétrière (actuel emplacement de la mosquée de Paris) sont situées à environ 1/2 heure à 45 minutes de marche, avec des enfants.

Sur certains rapports de police listant les enfants envoyés à l'HG figurent des indications bizarres: tel enfant a "une très jolie figure", tel autre est décrit comme très propre et sans maladie.
Des policiers essayant d'enlever des petites filles ou petits garçons ont été pris à parti par la foule des dizaines de fois, dans certains cas occasionnant des soulèvements populaires ayant entraîné des morts.
Les chefs de la police et les grands, d'Argenson, Luynes etc, ont reconnu ces enlèvements d'enfants mais ont voulu les présenter comme des tentatives d'extorsion de la part de certains policiers "ripoux" : les enfants enlevés étaient rendus contre une rançon, ce qui était moins grave que l'accusation de pédophilie et viols d'enfants et faisait porter le chapeau à des lampistes.
Pour calmer les fureurs populaires, un procès eut lieu, qui passa devant le Parlement; ce fut un déni de justice: les policiers convaincus d'enlèvements d'enfants furent condamnés à une amende minime (trois livres), tandis que 3 des émeutiers étaient pendus.
Après ce résumé des faits tels que présentés par Sigaut, la thèse qu'elle soutient est que le bras de fer entre le roi et le Parlement à propos de qui contrôlait et dirigeait l'HG est moins une question d'affrontement entre jansénistes/parlementaires d'une part et roi et hiérarchie catholique d'autre part qu'une question d'éviter que soient révélés les graves abus commis par les administrateurs de l'HG, (dont certains appartenaient plus ou moins à la mouvance janséniste), tandis que le roi et les évêques voulaient y placer des hommes (et femmes) à eux.
Que les dirigeants en place voyaient comme susceptibles de comprendre l'étendue de ces abus et trafics, et d'en entraver l'exécution.
Et je vais revenir à Damiens après avoir posé le contexte dans lequel s'est déroulé cette affaire B) .


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 Sujet du message : Re: L'affaire Damiens
Message Publié : 09 Mars 2013 22:10 
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Jean Froissart
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La question est : réussit-elle à démontrer une disparition de la fille de Damiens ?

Vous qui avez lu cet ouvrage : les sources sont elles bien indiquées ?

Ce sont les questions qui se sont posées dans ce fil....

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"Il n'y a point de place faible, là où il y a des gens de coeur." Pierre du Terrail

"Qui est le numéro 1 ?
Vous, Numéro 6. " Le Prisonnier


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 Sujet du message : Re: L'affaire Damiens
Message Publié : 09 Mars 2013 23:04 
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Jean Mabillon
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La question est : réussit-elle à démontrer une disparition de la fille de Damiens ?


Attendez un peu que diable B) , j'ai commandé ses deux livres, mais j'ai lu "La marche rouge" en premier et je viens de commencer l'autre.
L'historien américain Dale Van Kley réfute la thèse de Sigaut sur Damiens sur une base qui paraît absurde (si c'est bien ce qu'il a écrit): selon lui, seuls des garçons étaient enlevés.
Alors que archives et récits d'époque attestent l'enlèvement de filles.
Mais cela n'implique pas non plus que la fille de Damiens ait bien été enlevée.
Ou même qu'elle ait été enlevée par des policiers pour l'HG: des maquereaux et entremetteuses en cheville avec des bordels enlevaient régulièrement des enfants , généralement des enfants pauvres.

Sur les sources du premier, au cas où cela vous intéresserait, elle a consulté (en outre des ouvrages de l'époque et des livres modernes abordant différents aspects du sujet) une masse considérable d'archives: celles de l'Assistance publique: registres d'entrée, de sortie et de décès de La Salpétrière, de 1747/1757, et les archives des Enfants trouvés de 1746/1764.


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 Sujet du message : Re: L'affaire Damiens
Message Publié : 10 Mars 2013 13:07 
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Jean Mabillon
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Même si vous n'avez pas lu--ou pas envie de lire--le livre de Sigaut, la conférence donnée en lien plus haut sur un site assez orienté est très longue et détaillée et donne une idée assez précise des éléments qu'a découverts et vérifiés Sigaut.
Cette conférence est aussi intéressante en ce qu'elle démonte point par point la version qu'en a donnée Voltaire, qui a pourtant été recyclée ad infinitum par nombre d'historiens et prise comme référence ultime sur l'affaire depuis.
Il me semble peu douteux qu'il y ait eu des trafics d'enfants et d'adolescents des deux sexes s'opérant sous le couvert d'une institution charitable, l'HG.
De telles affaires continuent d'ailleurs à se produire de nos jours, avec les mêmes procédés et les mêmes schémas (des pédophiles s'introduisant dans des institutions vouées à l'éducation et à la protection de l'enfance, voire en prenant la direction, et bénéficiant de complicités à divers niveaux pour couvrir leurs agissements); il y en a eu trois (une en France, deux en Angleterre) couvertes ces derniers jours par les médias.
Là où je suis moins Sigaut, c'est au sujet de l'enlèvement de la fille de Damiens.
Damiens avait été le valet du marquis de Marigny, frère de la Pompadour. Selon Sigaut, c'est la Pompadour, son entourage et ses accolytes (Lebel, etc) qui avaient entraîné Louis XV dans la consommation de très jeunes filles, de "petites filles" disent certains témoins cités par Sigaut.
C'est un des anciens maîtres de Damiens qui, après son arrestation, rapporte que Damiens lui a dit que sa fille avait été enlevée.
Or l'historien américain cité plus haut dit avoir épluché les archives des commissariats parisiens de l'année correspondante (1750 je crois) et ne trouver aucune trace de cet enlèvement.
D'après des recoupements personnels que j'ai faits, certains membres du Parlement impliqués dans la gestion de l'HG et dans l'affaire, ainsi que certains des grands seigneurs mentionnés plus haut étaient actionnaires de la Compagnie des Indes.


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