Désolé de reprendre ce débat à contretemps. Et je me suis un peu planté sur le partage de la Pologne mais on est vite rectifié sur ce forum
!
Pour revenir au débat sur l'européanisation, c'est justement la volonté de rejeter une culture strictement importée qui explique la naissance d'une culture russe (mais qui utilise bien sûr la grammaire de l'art de son temps). On oppose du reste (c'est conventionnel) Tchaikovski, compositeur occidentalisé, fasciné par l'Italie, à Moussorgski, qui puiserait au contraire dans une musique traditionnelle russe authentique. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de thèmes russes dans la musique de Tchaïkovski (finale de la 4e symphonie par ex.) mais leur utilisation est plus extérieure, "décorative" (comme les thèmes espagnols dans la musique française) alors que Moussorgski va chercher des couleurs, des harmonies tout à fait nouvelles car tirés du folklore russe. Cela fait de
Boris Godounov une révolution esthétique digne de
Tristan ou
Pelléas. Ajoutons que la musique russe se caractérise par une débauche de couleurs, des cuivres qui vibrent mais qui sont très chauds, un intrumentarium très élargi dans les percussions, des effets de cloche, qui lui donnent son caractère, et qui rend(ai)ent les orchestres russes tout de suite reconnaissables. Ecoutez la Grande Pâque Russe de Rimsky-Korsakov, typique. De même, il y a eu une école russe de piano (avec des noms bien germaniques... : Neuhaus, Gilels, Richter), qui allie un lyrisme magnifique avec un côté percussif du piano. La ferveur de l'interprétation, la largeur du son priment sur la propreté ou l'articulation.
De même en littérature, on ne peut vraiment pas dire que Dostoïevski, ce slavophile impénitent, regarde vers l'occident. Idem pour Tolstoï
Donc l'imitation de l'Europe, oui pour une noblesse cosmopolite et "déraciné" (à la Barrès), effrayé de l'Asiatchina (barbarie asiatique), mais je crois au contraire que tout le génie des auteurs et compositeurs russes a été, alors qu'ils appartenaient à l'élite occidentalisée, de retrouver des racines russes, parfois de les inventer. C'est pourquoi je trouve ce moment exceptionnel. Ajoutons qu'un fait vient confirmer cela : la langue russe. Et que ce soit Tchaikovski ou Moussorgski, leurs opéras sont bien en russe et non en italien. Grandeur de la langue russe...