L’histoire des Lorrains de Toscane est celle de l’échec d’une implantation. Une partie importante des élites lorraines s’installe à Florence; elle y demeure pendant vingt ans. Ces élites sont le moteur de la Toscane, économiquement, intellectuellement, scientifiquement et artistiquement. Sous l’autorité de François III devenu Grand-duc de Toscane, le Comte de Richecourt et le Marquis de Beauvau-Craon, sont les vrais dirigeants de la Toscane, qu’ils administrent avec efficacité mais non sans rudesse ni rivalités entre eux, heurtant souvent les sentiments des Toscans.
Le Marquis de Craon est un homme qui a toute la confiance de François III. Il est Grand Ecuyer de Lorraine et sa famille est très proche de la famille ducale. Il fait partie des nobles invités à participer au mariage de François et Marie-Thérèse à Vienne en janvier 1736. En tant que grand commis de l’Etat, c’est également à lui que fait appel Stanislas pour signifier à Louis XV son arrivée en Lorraine. L’attachement de Craon à la famille ducale pose alors problème, ainsi que le raconte Jean-François Nicolas : « Le Roy Stanislas à son arrivée chargea Mr le Prince de Craon d’aller à Paris notifier son arrivée à L.M.T.C. Mr le Prince de Craon s’excusa en lui représentant qu’il appartenait à S.A.R. duquel il attendoit des ordres pour partir pour Florence ; mais le Roy ne s’en contenta pas et voulut absolument qu’il y alla. » . Craon, de mauvaise grâce, finit par s’exécuter et se rend à Versailles le 9 avril pour faire son compliment au Roi, avant de repartir immédiatement pour la Toscane où il arrive le 3 juin 1737. Il n’est alors que plénipotentiaire de François III en Toscane. La mort du Grand-duc Jean-Gaston de Médicis intervient le 9 juillet.
Immédiatement, pour couper court à toute prétention espagnole, le Prince de Craon réalise la prise de possession de la Toscane, dont il devient le vice-roi. Mory d’Elvange nous apprend que le 27 les armes de Lorraine remplacent celles des Médicis sur le Palazzo Vecchio de Florence. « Madame la Palatine électrice douariere (sic) est déclarée Régente des Etats de Toscane le 6 7bre et sur son refus Mr le Prince de Craon est déclaré chef du conseil de Régence et a pour adjoint Mr de Richecourt, homme d’un mérite reconnu qui avoit été envoyé de Lorraine à la cour palatine. On assure à Mme l’Electrice douarière son logement au château ducal avec 40 mille escu (sic) de pension et ce qu’elle souhaite des escuries et garde Robe du feu duc. » .
Depuis les Pays-Bas autrichiens, on équipe alors quatre navires qui, d’Ostende, amènent en Toscane tout ce que le Grand-duc a cru bon de faire enlever en Lorraine . On propose la Régence de la Toscane à Anne-Marie-Louise de Médicis , qui la refuse. M. de Craon devient alors chef du Conseil de Régence, avec pour adjoint M. de Richecourt. Mory d’Elvange prétend que les Toscans, qui n’attendaient plus rien des Médicis, accueillirent positivement les Lorrains et la nouvelle administration. Cela n’est pourtant pas si certain. Si Marc de Beauvau-Craon et son épouse se sont attachés « à attirer la sympathie du peuple toscan et à gagner le cœur de la noblesse pour son maître. » , il n’en va pas de même pour Richecourt. Celui-ci est le véritable « maître de la Toscane qu’il gouvern[e] avec des pouvoirs de souverain. » et cherche à administrer la Toscane de façon plus efficace qu’auparavant. Ses méthodes déplaisent et il se heurtent fréquemment aux Toscans qui acceptent mal les réformes menées par ce personnage ambitieux et énergique. Ils trouvent des alliés en Marc de Beauvau-Craon et certains autres Lorrains exilés, tels que Bagard .
Un certain Filippo Zagri rédige en italien une Notice historique de la Lorraine et de ses princes, dans le but de faire mieux connaître aux Toscans leurs nouveaux maître et ainsi éviter les tensions entre Toscans et Lorrains, que l’on suppose importantes sans quoi cet ouvrage n’aurait pas eu lieu d’exister. L’ouvrage dresse un rapide historique des duchés et des principaux ducs, en insistant nettement sur l’œuvre de défense du catholicisme effectuée par les ducs de Lorraine au cours des siècles .
Malgré cette tentative, les relations se tendent et les Lorrains ont de plus en plus tendance à vivre en cercle clos, préoccupés essentiellement de leurs propres intérêts. La tentative de colonisation de la Maremme par des Lorrains est un échec retentissant. Qui plus est, l’atmosphère devient peu à peu délétère au sein de la petite « colonie » lorraine et les relations entre Richecourt et Craon tournent à l’affrontement politique. Affrontement suivi de près par quelques Lorrains demeurés dans les duchés, à l’instar de Jean-François Nicolas, qui rend compte au travers de lettres d’un de ses correspondants en Toscane, de l’évolution de la situation politique en lien avec l’arrivée de Bagard à Florence. Nicolas et son correspondant voient en Richecourt un bon Lorrain qui essaie de faire pour le mieux en Toscane tandis que ces « florentins capables des plus grandes bassesses. » se servent du Prince de Craon et de ses proches pour éliminer les Lorrains du gouvernement toscan. Son correspondant lui écrit que les ministres italiens veulent « donner à S.A.R. du soubçons contre notre Nation. » et multiplie les attaques contre Bagard qui « a dressez, écrit et signé de luy seul tous ceux qui ont esté fait contre les Lorrains. » ainsi que contre la Princesse de Craon, femme hautaine qui nourrit une « vieille haine contre ceux de sa nation, qui ne s’étoient pas senti assez de bassesse pour plier les genoux devant ses hauteurs. » .
Ces propos qui nous renseignent sur le climat extrèmement malsain en Toscane font écho à ceux de Jameray-Duval dans sa correspondance avec Fachet, un valet de chambre de François III demeuré à Lunéville . Fachet aurait été le correspondant de nombreux Lorrains exilés, leur servant d’intermédiaire pour leurs affaires en Lorraine et de gazetier. Jameray-Duval a plutôt tendance à ne pas prendre parti dans l’interminable querelle entre Craon et Richecourt, bien qu’il explique que Richecourt, avec l’appui à Vienne du « dictateur Toussaint bouffi d’orgueil et d’arrogance » , a obtenu le renvoi du Prince de Craon en 1749. Celui-ci, souffrant malgré les fêtes qu’il organise à Florence, de l’éloignement avec sa terre natale, retourne en Lorraine dans son château d’Haroué où il décède en 1754. A la lecture des lettres de Jameray-Duval, une impression de mal-être général en Toscane se dégage, accompagné de déception envers ce pays présenté comme une terre d’avenir pour les Lorrains exilés et qui n’est, dans son cas, qu’une terre d’amertume. Tout au long de son exil, il songe à revenir en Lorraine, mais y renonce par fidélité.
En 1757, Richecourt, finalement victime lui aussi d’une cabale, tombe en disgrâce. Le gouvernement de la Toscane revient aux mains des Toscans. Les Lorrains de Florence, à de rares exceptions près , choisissent de rejoindre leur duc, devenu Empereur sous le nom de François Ier ou de retourner en Lorraine. C’est le cas de Richecourt qui, malade et disgracié, retourne à Nancy où il meurt en 1759.
La Toscane lorraine finit ainsi sur cette impression mitigée d’une profonde réforme économique et financière et d’un climat politique délétère. A la mort de François Ier en 1765, le Grand-duché passe aux mains de son fils Léopold, futur Empereur Léopold II, qui poursuit et amplifie l’œuvre de ses prédécesseurs lorrains.
_________________ "[Il] conpissa tous mes louviaus"
"Les bijoux du tanuki se balancent Pourtant il n'y a pas le moindre vent."
|