Alain.g a écrit :
Il convient de se méfier de tout ce qu'on trouve sur des sites internet sur l'esclavage en France et qui a souvent pour but de dénier toute générosité à la France en la chargeant et en la responsabilisant.
Certes. Si j'ai donné un lien vers un site à prendre avec prudence, c'est qu'il fournit une référence intéressante, celle d'un arrêt de parlement de 1571, sur lequel j'aimerais en savoir plus, et surtout sur les circonstances ayant amené à ce que cet arrêt soit rendu : que venait faire cette cargaison d'esclaves à Bordeaux, quel était exactement le litige ? Sur un blog, d'une personne que je ne connais pas, j'ai trouvé un ordre de mission de Louis X qui va dans le même sens, en substance : "Débrouillez-vous pour que ces manants s'acquittent de leurs droits d'affranchissement, j'en ai besoin pour financer mes armées." :
http://ladivinecomedie.20minutes-blogs.fr/archive/2013/05/11/non-louis-x-n-a-pas-aboli-l-esclavage.html. Là encore, ce n'est pas l'opinion de la blogueuse qui m'intéresse, c'est le document qu'elle produit. Enfin, on peut tout de même accorder un certain crédit à Marc Bloch.
Alain.g a écrit :
Pour moi, Louis X a bien pris un édit sur l'affranchissement et du recueil Loysel du 16è siècle, qui fait autorité, il ressort que ce grand juriste a relevé dans le droit coutumier français le principe ancien que «le sol de France affranchit l'homme qui le touche».
Oui, bien sûr, Louis X a pris un édit d'affranchissement, c'est incontestable. Mais essayons, sans parti pris, de savoir ce qu'il contient (je n'ai pas trouvé le texte), dans quel contexte il a été pris et dans quelles intentions. Sinon, on en reste aux mythes et aux idées reçues et l'on peut se contenter de Michelet, dont le style est moins aride que celui de bien des historiens contemporains.
Loysel fait autorité et je ne conteste absolument pas qu'au seizième siècle le droit coutumier prohibe l'esclavage sur le sol de France. J'essaie simplement de porter un regard critique. Un édit du quatorzième siècle affranchissant tout esclave posant le pied sur le sol de France est pour moi un anachronisme. L'esclavage ayant totalement disparu depuis plus de deux siècles, il n'y avait aucune raison de légiférer sur la question. En revanche, ce qui était tout à fait d'actualité, était l'extinction du servage. C'est pourquoi l'explication donnée par Marc Bloch me paraît convaincante et cette explication n'est aucunement contradictoire avec le fait que Loysel ait intégré cet édit dans son recueil et lui donne l'interprétation qui convient à l'aube du dix-septième siècle.
Alain.g a écrit :
Il semble difficile de ne pas en déduire que l'édit de Louis X a eu un effet, même avec un sens financier.
Bien sûr, l'édit a dû avoir un certain effet. De toutes façons, c'était un mouvement amorcé, appuyé par l'Eglise. Mais l'extinction définitive a dû se faire attendre quelque temps. Le seigneur voulait bien affranchir, mais moyennant finances. Or le serf n'y voyait pas forcément grand intérêt, il n'était donc pas enclin à payer très cher. Du coup le seigneur ne l'affranchissait pas. Cela pouvait durer longtemps.
Alain.g a écrit :
Cela n'entame pas sa force juridique. En droit un texte existe par lui-même et produit des effets complets selon sa formulation.
C'est une tout autre question. Je n'ai d'ailleurs pas prétendu que le principe n'existait pas, il existe bel et bien. J'ai simplement tenté d'exposer comment il a pu se former. Je résume :
- Vers l'an mil : extinction de l'esclavage, remplacé par le servage.
- 1315 : Louis X prend un édit d'affranchissement des serfs. La question de l'esclavage, totalement disparu ne se pose pas.
- 16ème siècle : début de la traite négrière transatlantique. La question se pose de la présence d'esclaves sur le sol métropolitain. On considère que l'esclavage a été définitivement aboli. Un parlement appelé à se prononcer décide qu'il doit le rester et, pour motiver son arrêt, déterre opportunément l'édit vieux de deux siècles, appliqué à une solution nouvelle. Cela fera jurisprudence et depuis : "le sol de France affranchit l'homme qui le touche".