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 Sujet du message : Abolition de l'esclavage
Message Publié : 10 Juin 2014 2:26 
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Plutarque
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Bonjour,

Je m'intéresse à l'esclavage et à son abolition n France mais je ne comprend pas la façon dont ça s'est passé. D’après les éléments que j'ai vus, au moyen-âge Louis X interdit "la servitude" en France. En quoi la servitude est-elle différente de l'esclavage ? La servitude et le servage sont-ils la même chose ?

Après, il n'y a rien eu pendant des siècles, mais l'esclavage n'est pas vraiment interdit puisque les Français peuplent les Antilles avec des esclaves africains dès les années 1630. En 1685, Louis XIV met en place le code noir, qui légalise l'esclavage dans certaines colonies. Était-ce nécessaire, vu qu'il y avait des esclaves dans les colonies depuis un demi-siècle ? Était-ce pour combler un vide juridique ? Après Louis XIV, un édit du régent tolère l'esclavage en métropole en 1716.

Ensuite, l'esclavage est à nouveau aboli (à nouveau, s'il a déjà été aboli par l'édit de 1315) en février 1776, avant l'expédition américaine. Je comprend le mouvement de balancier, Louis XVI a un point de vue différent de ses prédécesseurs immédiats, soit. Mais alors pourquoi on voit des gens demander aux états généraux de 1789 l'abolition de l'esclavage ? L'édit de 1776 était-il juste un effet d'annonce de Louis XVI, ou les demandeurs n'étaient-ils pas informés ? L'abolition concernait-elle uniquement la France métropolitaine, autrement dit là où il n'y avait déjà pas d'esclaves ? Est-ce qu'il y a eu du lobbying des négriers pour que la loi ne soit jamais appliquée ?

En 1789, dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, l'esclavage est condamné. A priori il n'y a donc pas de changement de ligne sur ce point entre la monarchie absolue de 1776 et la monarchie constitutionnelle de 1789, mais la constitution n'est-elle pas sensée s'appliquer partout en France, autrement dit également dans les îles ? Pourquoi ça n'a pas été le cas ? Lobbying des négriers ? Désintérêt des députés parce que les îles sont loin et ne les ont pas élus ? Toujours est-il qu'en 1794, la convention abolit l'esclavage (pour la quatrième fois) pour faire cesser la révolte des esclaves d'Haïti (cette révolte est-elle gênante autrement que moralement ?). Pourquoi faut-il refaire une loi, si la loi de 1776 et la constitution de 1789 existent déjà ? Et si en 1776 et en 1789 les lois ont été ignorées, pourquoi en 1794 ça marche alors qu'avant ça n'a pas marché ? Serait-ce parce qu'en 1794 la France est en guerre contre l'Angleterre et donc que les navires reliant les îles à la métropole sont tous abordés par la royal navy, ce qui fait que la traite ne rapporte déjà plus rien ? Mais dans ce cas les îles ne rapportent plus rien de toute façon, alors pourquoi les députés, qui ont l'air de se moquer des îles jusqu'ici, s'y intéressent désormais ?

La suite est connue. Napoléon rétablit, puis la deuxième république réabolit. Mais avant cela, quel sac de nœuds...

ps : j'ai posté ici parce que j'ai l'impression que tout se débloque pendant les lumières, même si l'esclavage n'est pas né pendant les lumières, et qu'il n'est pas non plus mort pendant les lumières d'ailleurs


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 Sujet du message : Re: Abolition de l'esclavage
Message Publié : 10 Juin 2014 9:35 
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Hmm ! l'abolition de l'esclavage n'a pas grand chose à faire dans les Lumières, c'est soit la révolution , soit la seconde république

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C'est l'ambition qui perd les hommes. Si Napoléon était resté officier d'artillerie, il serait encore sur le trône.

Mr Prudhomme


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 Sujet du message : Re: Abolition de l'esclavage
Message Publié : 10 Juin 2014 16:19 
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Pierre de L'Estoile
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Juridiquement, ce qui distingue l'esclavage de la servitude est l'absence ou la reconnaissance d'une personnalité juridique. Mais il faut encore distinguer le servage personnel du servage réel. C'est bien expliqué sur l'article de wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Servage#Di ... 7esclavage. Les définitions juridiques ne sauraient toutefois à elles seules décrire les situations réelles subies par les intéressés. Ainsi, le servage qui subsistait en France en 1789, le servage réel, correspondait-il plutôt à un régime d'exploitation de la terre que l'on retrouve plus tard dans le code rural sous la qualification de métayage. On peut dire qu'en 1789 il y avait encore des serfs en France ou affirmer au rebours que ces serfs étaient en fait libres. De même on peut dire qu'après la révolution les métayers étaient des citoyens ou, au contraire, constater qu'ils restaient sous l'entière dépendance de leur propriétaire. Si, en théorie, les moujiks n'étaient pas des esclaves, dans les faits, dans la première moitié du dix-neuvième siècle, ils en subissaient la condition et le travail forcé, pratiqué dans certaines colonies françaises jusqu'en 1934, ne valait guère mieux.

Marc Bloch, qui s'est intéressé au servage, montre qu'en fait Louis X n'a pas supprimé le servage mais que, ses caisses étant vides, il a émancipé quelques serfs contre espèces sonnantes et trébuchantes : http://www.marcbloch.fr/roisetserfs.html. Cela dit, le servage personnel est progressivement tombé en désuétude et n'existait plus à l'époque moderne.

Le code noir de 1685 est le résultat de l'un des nombreux travaux de codification de Colbert. Il n'institue rien de nouveau, il se contente de réglementer. A la lecture de l'article de wikipedia qui lui est consacré (http://fr.wikipedia.org/wiki/Code_noir), je lis que le parlement de Paris avait refusé de l'enregistrer. J'ignore pourquoi, ce qu'il pourrait être intéressant de savoir.

A ma connaissance, l'édit du 4 février 1776 ne prohibe l'esclavage que sur le territoire métropolitain. Le lobbying ne date pas d'hier et, bien sûr, armateurs et planteurs ont exercé des pressions pour le maintien de l'esclavage outre-mer.

L'abolition de 1794 résulte d'une victoire d'un groupe d'idéalistes menés par l'abbé Grégoire. Restaient à convaincre ou contraindre les propriétaires d'exploitation, moins idéalistes, ce qui ne put être fait qu'en 1848. De toutes façons, la Déclaration des droits de l'homme, en bien des matières, pose des principes généraux qui nécessitent ensuite d'être effectivement appliqués au travers de lois et règlement adaptés définissant les modalités d'application. C'est ainsi que la loi de 1848 fixa un délai d'application et accorda une indemnité aux propriétaires versée par l'Etat.

Il faut aussi être conscient que la Déclaration de 1789 n'était pas lue en 1789 comme aujourd'hui. Il nous paraît évident que l'esclavage est contraire à la constitution américaine de 1776, édifiée sur des bases identiques à celles de la Déclaration française. Mais ce n'était nullement évident pour les citoyens qui venaient de gagner leur indépendance. Implicitement, pour tout américain de 1776 normalement constitué, la qualité de citoyen s'appliquait aux seuls colons blancs. Il eût été incongru de vouloir en faire bénéficier les noirs qui avaient vocation à rester dans l'esclavage et il fallut attendre les années 1960 pour que la Cour suprême déclarât les lois de discriminations raciales anticonstitutionnelles. En France, le suffrage universel décidé au cours de la Révolution n'était pas tout a fait universel : ne pouvaient voter ceux dont, pour reprendre la formulation de Montesquieu, l'état de bassesse leur retirait la capacité civique : les mendiants bien sûr mais aussi les domestiques, ce qui faisait tout de même beaucoup de monde. Bien entendu, il ne venait à l'idée de personne qu'on puisse consulter les femmes. Il fallut encore un siècle pour entendre les premières suffragettes, prises au début très peu au sérieux. Quant au mariage, en 1960, revendiquer le droit au mariage pour des personnes de même sexe eût fait passer pour fou. Les esprits changent et l'on ne comprend rien si on l'oublie.


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 Sujet du message : Re: Abolition de l'esclavage
Message Publié : 10 Juin 2014 17:20 
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Georges Duby
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Elgor a écrit :
Hmm ! l'abolition de l'esclavage n'a pas grand chose à faire dans les Lumières, c'est soit la révolution , soit la seconde république


Il y a eu toutefois à la fin du 18è siècle des sociétés d'abolition de l'esclavage en europe, spécialement en GB mais aussi en France, formées par des adhérents de la philosophie politique des Lumières, des réformateurs de la société au nom de la raison et de la morale.
Pour ce qui est de la contradiction entre abolition de l'esclavage en France par Louis X en 1315 (le sol de France affranchit) d'une part et d'autre part vente autorisée et réglementée (pour éviter les abus), à compter de la découverte de l'Afrique et de l'Amérique, elle se résout par l'interdiction de l'emploi d'esclaves sur le sol français qui sera dans l'ensemble respectée.
Quoiqu'il y ait eu quelques accrocs à l'interdiction, notamment par le travail de musulmans faits prisonniers, spécialement lors de captures en mer et à l'occasion de la Reconquista. Mais en petites quantités et dans le midi ou l'Aquitaine; tout comme en Italie du sud lors de prises en mer ou de razzias et après la Reconquête. Plusieurs ouvrages d'universitaires en font état. Et il a du y avoir affranchissement en cas de présence sur le sol français.

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 Sujet du message : Re: Abolition de l'esclavage
Message Publié : 10 Juin 2014 20:29 
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Pierre de L'Estoile
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Je reste sur l'idée que l'adage "Terre de France affranchit", dans son acception actuelle, est bien postérieur à 1315.
Il daterait du seizième siècle si j'en crois ce qui suit : (http://howtoexperiment.com/quelle-est-la-source-de-labolition-du-racisme-de-lesclavage-et-du-sexisme/):
Citer :
Dans le royaume de France, l'Édit du 3 juillet 1315 de Louis X le Hutin, proclama que le sol de France affranchissait quiconque y posait le pied. On trouve des traces tardives et ponctuelles de l’application de ce texte par les parlements français au XVIe siècle : à Bordeaux, en 1571, il est invoqué pour justifier la libération d’une cargaison d’esclaves africains, transportée par un négrier normand.


L'esclavage sous la forme antique avait totalement disparu au dixième siècle sur le territoire de la France actuelle et avait été remplacé par le servage, régime qui tombait déjà en désuétude à l'époque de Philippe-Auguste. Ce roi avait d'ailleurs déjà pris un premier édit d'affranchissement qui fut réitéré par Louis X en 1315. Il ne s'agissait pas d'interdire l'esclavage sur la terre de France car la question ne se posait tout simplement pas. Il s'agissait d'affranchir des serfs. Ce deuxième édit ne fut guère plus suivi d'effet que le premier. Car de nombreux serfs ne tenaient pas du tout à être affranchis et résistaient. L'affranchissement, outre qu'il n'était pas gratuit, avait en effet deux inconvénients : celui de la précarité tout d'abord, parce qu'ils n'étaient plus attachés à perpétuité à leur terre - l'affranchissement n'était pas accompagné d'une concession de propriété, il ne faut pas rêver - et celui d'un régime fiscal plus lourd ensuite. Les édits de Philippe-Auguste et de Louis X apparaissent en fait plus comme des expédients pour alimenter les caisses royales que des manifestations de générosité.

Lorsqu'au seizième siècle, la traite négrière ayant commencé, des juridictions eurent à statuer sur la légalité de la présence d'esclaves sur le sol métropolitain, elles décidèrent de ne pas autoriser une pratique moralement choquante et trouvèrent ce vieil édit, totalement sorti de son contexte, pour motiver leurs jugements. C'est une vieille pratique juridique : à défaut de textes mieux adaptés, on exhume des antiquités dans lesquelles on lit ce qu'on veut y trouver. C'est ainsi qu'il y a encore quelques années les juridictions administratives s'appuyaient sur l'édit de Moulins de 1566 pour déclarer inaliénables et imprescriptibles les biens du domaine public et qu'on se référait encore, lorsqu'il en était besoin, à l'ordonnance de Colbert sur la Marine.

Mais ce n'est que depuis 1776 que, sur le seul sol métropolitain, véritablement "Terre de France affranchit".


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 Sujet du message : Re: Abolition de l'esclavage
Message Publié : 10 Juin 2014 21:46 
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Georges Duby
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Il convient de se méfier de tout ce qu'on trouve sur des sites internet sur l'esclavage en France et qui a souvent pour but de dénier toute générosité à la France en la chargeant et en la responsabilisant.
Pour moi, Louis X a bien pris un édit sur l'affranchissement et du recueil Loysel du 16è siècle, qui fait autorité, il ressort que ce grand juriste a relevé dans le droit coutumier français le principe ancien que «le sol de France affranchit l'homme qui le touche».
Il semble difficile de ne pas en déduire que l'édit de Louis X a eu un effet, même avec un sens financier. Cela n'entame pas sa force juridique. En droit un texte existe par lui-même et produit des effets complets selon sa formulation.
En tout état de cause, la réalité est là: l'esclavage n'était pas pratiqué sur le sol français, depuis très longtemps, ce qui différencie ce pays des pays africains et des pays d'orient et du Moyen orient qui en ont parfois fait un mode de vie quotidien et courant, se refusant même à suivre la décision d'abolition qui leur a été imposée, non sans mal comme en Arabie notamment, par l'europe colonisatrice. Au milieu du 19è siècle, l'empire ottoman à la demande de l'europe, a cherché à abolir l'esclavage sur son territoire. L'Arabie a refusé sous menace de sécession en rangeant l'esclavage dans son droit coutumier qu'elle ne pouvait modifier.

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 Sujet du message : Re: Abolition de l'esclavage
Message Publié : 10 Juin 2014 23:41 
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Pierre de L'Estoile
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Alain.g a écrit :
Il convient de se méfier de tout ce qu'on trouve sur des sites internet sur l'esclavage en France et qui a souvent pour but de dénier toute générosité à la France en la chargeant et en la responsabilisant.
Certes. Si j'ai donné un lien vers un site à prendre avec prudence, c'est qu'il fournit une référence intéressante, celle d'un arrêt de parlement de 1571, sur lequel j'aimerais en savoir plus, et surtout sur les circonstances ayant amené à ce que cet arrêt soit rendu : que venait faire cette cargaison d'esclaves à Bordeaux, quel était exactement le litige ? Sur un blog, d'une personne que je ne connais pas, j'ai trouvé un ordre de mission de Louis X qui va dans le même sens, en substance : "Débrouillez-vous pour que ces manants s'acquittent de leurs droits d'affranchissement, j'en ai besoin pour financer mes armées." : http://ladivinecomedie.20minutes-blogs.fr/archive/2013/05/11/non-louis-x-n-a-pas-aboli-l-esclavage.html. Là encore, ce n'est pas l'opinion de la blogueuse qui m'intéresse, c'est le document qu'elle produit. Enfin, on peut tout de même accorder un certain crédit à Marc Bloch.

Alain.g a écrit :
Pour moi, Louis X a bien pris un édit sur l'affranchissement et du recueil Loysel du 16è siècle, qui fait autorité, il ressort que ce grand juriste a relevé dans le droit coutumier français le principe ancien que «le sol de France affranchit l'homme qui le touche».
Oui, bien sûr, Louis X a pris un édit d'affranchissement, c'est incontestable. Mais essayons, sans parti pris, de savoir ce qu'il contient (je n'ai pas trouvé le texte), dans quel contexte il a été pris et dans quelles intentions. Sinon, on en reste aux mythes et aux idées reçues et l'on peut se contenter de Michelet, dont le style est moins aride que celui de bien des historiens contemporains.

Loysel fait autorité et je ne conteste absolument pas qu'au seizième siècle le droit coutumier prohibe l'esclavage sur le sol de France. J'essaie simplement de porter un regard critique. Un édit du quatorzième siècle affranchissant tout esclave posant le pied sur le sol de France est pour moi un anachronisme. L'esclavage ayant totalement disparu depuis plus de deux siècles, il n'y avait aucune raison de légiférer sur la question. En revanche, ce qui était tout à fait d'actualité, était l'extinction du servage. C'est pourquoi l'explication donnée par Marc Bloch me paraît convaincante et cette explication n'est aucunement contradictoire avec le fait que Loysel ait intégré cet édit dans son recueil et lui donne l'interprétation qui convient à l'aube du dix-septième siècle.

Alain.g a écrit :
Il semble difficile de ne pas en déduire que l'édit de Louis X a eu un effet, même avec un sens financier.
Bien sûr, l'édit a dû avoir un certain effet. De toutes façons, c'était un mouvement amorcé, appuyé par l'Eglise. Mais l'extinction définitive a dû se faire attendre quelque temps. Le seigneur voulait bien affranchir, mais moyennant finances. Or le serf n'y voyait pas forcément grand intérêt, il n'était donc pas enclin à payer très cher. Du coup le seigneur ne l'affranchissait pas. Cela pouvait durer longtemps.

Alain.g a écrit :
Cela n'entame pas sa force juridique. En droit un texte existe par lui-même et produit des effets complets selon sa formulation.
C'est une tout autre question. Je n'ai d'ailleurs pas prétendu que le principe n'existait pas, il existe bel et bien. J'ai simplement tenté d'exposer comment il a pu se former. Je résume :
- Vers l'an mil : extinction de l'esclavage, remplacé par le servage.
- 1315 : Louis X prend un édit d'affranchissement des serfs. La question de l'esclavage, totalement disparu ne se pose pas.
- 16ème siècle : début de la traite négrière transatlantique. La question se pose de la présence d'esclaves sur le sol métropolitain. On considère que l'esclavage a été définitivement aboli. Un parlement appelé à se prononcer décide qu'il doit le rester et, pour motiver son arrêt, déterre opportunément l'édit vieux de deux siècles, appliqué à une solution nouvelle. Cela fera jurisprudence et depuis : "le sol de France affranchit l'homme qui le touche".


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 Sujet du message : Re: Abolition de l'esclavage
Message Publié : 11 Juin 2014 9:03 
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Grégoire de Tours
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Il est troublant de voir que, 90 ans après Marc Bloch, les mêmes erreurs sont répétées sur l'édit de 1315. Selon les mots de l'historien (The French Quaterly, 1921, disponible sur le site de l'association Marc Bloch) : "Une vieille tradition historique veut que deux rois de France, Louis X et Philippe V, qui vivaient au début du XIVe siècle, aient offert ou vendu la liberté à tous les serfs de leur domaine. Cette tradition est une légende. Louis X en 1315 avait besoin d'argent pour faire la guerre aux Flamands ; il décida de proposer à ses serfs leur affranchissement ; mais non pas dans la France entière ; dans deux bailliages seulement (c'est-à-dire dans deux circonscriptions administratives), Senlis et Vermandois. Il désigna des commissaires chargés de distribuer, moyennant finances, les actes de liberté. Ceux qu'il délégua en Vermandois, remplirent leur mission. Il n'en fut pas de même des deux personnages députés dans le bailliage de Senlis ; ceux-ci reconnurent bien leur nomination, mais, pour des raisons que nous entrevoyons, ne firent rien. En 1318, Philippe V reprit le même projet ; il envoya à Senlis deux commissaires qui, cette fois, purent s'acquitter de la tâche qui leur avait été confiée. Ainsi l'acte fameux de Louis X et Philippe V se réduit à une mesure fiscale de portée très restreinte, tentée et incomplètement exécutée par le premier des deux souverains, achevée par le second : mesure couronnée d'ailleurs, semble-t-il, d'un faible succès ; il est certain que le servage ne disparut alors du domaine ni en Vermandois ni dans le pays de Senlis."

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 Sujet du message : Re: Abolition de l'esclavage
Message Publié : 11 Juin 2014 10:00 
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Georges Duby
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Au delà de l'édit de Louis X, il faut voir l'essentiel, l'esclavage n'existe plus depuis très longtemps en France, ce qui n'est pas le cas hors de France. Et le servage va disparaitre à son tour dans le mouvement d'enrichissement du 12è siècle. Il faut en créditer les rois et les papes en même temps que l'évolution des moeurs en France.
Marc Bloch en tire d'ailleurs les conséquences, sans parti pris en présentant son ouvrage Rois et serfs:
" Présentation de Rois et serfs rédigée par Marc Bloch pour The French Quaterly (1921) :

Les sociétés médiévales, dans l'Europe Centrale et Occidentale, n'ont pas connu l'esclavage, ou ne l'ont connu qu'exceptionnellement. C'est un des points où elles s'opposent le plus nettement aux sociétés antiques. En revanche, elles ont admis partout l'existence d'une classe d'hommes de condition inférieure, qui n'étaient point précisément comme les esclaves la chose de leurs maîtres, mais qui néanmoins ne passaient pas pour entièrement libres. ...

" Au début du XIIe siècle, le lien servile semble encore très fort. Beaucoup peut-être parmi les serfs eux-mêmes ne songent pas à s'en dégager. En tout cas, les rois ne le relâchent pas volontiers. Seules les villes, auxquelles il faut joindre les agglomérations rurales qui en sont immédiatement voisines, ont la force, et peut-être aussi le désir, de le secouer ; mais elles n'y parviennent pas sans peine. Il faut quarante trois ans à la royauté pour se résigner à affranchir la seconde ville du domaine : Orléans. Puis, au XIIIe siècle, dans toute la France, sur les terres des seigneurs comme celles des rois, les affranchissements se multiplient : les serfs veulent la liberté. Autrefois, le servage était conçu comme un lien particulièrement fort attachant le serf à son seigneur ; désormais, par suite d'une lente évolution des idées juridiques, il paraît surtout comme une condition sociale inférieure, entachée de désavantages économiques redoutables ; il semble insupportable à ceux qui le subissent. Quiconque est assez riche pour acheter sa liberté offre de l'argent à son seigneur, et bien souvent le seigneur, qui a besoin de numéraire, accepte. Qu'il s'agisse du domaine royal ou de domaines privés, les choses se passent de même partout. Saint Louis accorde de grands affranchissements ruraux, qui bien entendu ne sont pas gratuits ; c'est qu'il ne songe pas à résister au mouvement social qui emporte son temps ; il y participe sans le commander. Mais après lui, le gouvernement royal, de plus en plus préoccupé par l'état du Trésor, cherche à transformer l'affranchissement en un moyen budgétaire normal. Jadis, sous Louis VI et Louis VII les serfs arrachaient péniblement au roi leur liberté ; sous Saint Louis ils l'obtenaient aisément quand ils acceptaient pour leur rachat des conditions raisonnables ; désormais la royauté la leur offre, et cherche même parfois à la leur imposer. C'est le sens des mesures prises par Louis X et Philippe V. Elles n'avaient rien d'inédit. Elles avaient été précédées par des mesures analogues sous Philippe le Bel ; en 1302 notamment, ce roi avait envoyé des commissaires chargés de vendre les chartes de franchise dans deux bailliages et six sénéchaussées ; acte d'une portée bien plus vaste que ceux de 1315 et 1318. Mais les commissions de 1302 n'avaient pas de préambule. C'est pourquoi l'histoire les a longtemps ignorées. Telle est la puissance de l'art oratoire. "

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 Sujet du message : Re: Abolition de l'esclavage
Message Publié : 11 Juin 2014 10:48 
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Grégoire de Tours
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Où voyez-vous dans l'extrait de Bloch que "le servage va disparaitre à son tour dans le mouvement d'enrichissement du 12è siècle" ? L'historien dit bien qu'il est encore présent au début du 14e s., les affranchissements du 13e siècle, s'ils sont massifs, n'ont pas du tout mis fin au servage. Si on se réfère à une synthèse récente sur l'économie et la société médiévale (L. Feller, Seigneurs et paysans au Moyen Âge, 2007), l'auteur parle de "faux-semblant du mouvement d'affranchissement du XIIIe siècle et insiste sur le développement de nouvelles formes de servitudes dans certaines régions, Catalogne, Gascogne ou Angleterre (et on pourrait penser à la Haute-Marche étudiée par David Glomot, et encore d'autres régions).

L'action "des rois et des papes" en ce domaine n'est pas différente de celles des autres seigneurs ; ils affranchissent certains de leurs serfs, ils n'ont jamais interdit à aucun de leurs vassaux de pratiquer le servage. L'action des chanoines de Laon en 1338 contre leurs serfs demandant l'affranchissement est à cet égard bien représentatif de la politique d'un seigneur ecclésiastique puissant. Après un renforcement de la dépendance servile au cours du 13e siècle (toute personne mariée à un serf devient serve à son tour), les chanoines vendent des affranchissements à certains serfs pour se procurer les fonds nécessaires à monnayer auprès du roi la suppression de la commune de Laon. Désormais les serfs n'ont plus d'endroit où se réfugier en cas de conflit avec le seigneur et sont soumis très étroitement à la domination des chanoines (taille à merci, ce qui veut dire que le droit de prélèvement du seigneur est illimité), d'où une révolte réprimée en 1338. À aucun moment le roi ou le pape n'est intervenu en faveur de l'affranchissement des serfs.

Quant à l'esclavage, il y a une filiation entre l'esclavage et le servage en Europe, la deuxième forme de dépendance remplaçant la première au Xe s.

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 Sujet du message : Re: Abolition de l'esclavage
Message Publié : 11 Juin 2014 12:24 
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Georges Duby
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Cornelis a écrit :
Où voyez-vous dans l'extrait de Bloch que "le servage va disparaitre à son tour dans le mouvement d'enrichissement du 12è siècle" ? L'historien dit bien qu'il est encore présent au début du 14e s., les affranchissements du 13e siècle, s'ils sont massifs, n'ont pas du tout mis fin au servage.

Duby où j'ai puisé, indique, je rectifie, qu'au 12è se produit une égalisation des conditions et que la condition des serfs a un aspect de plus en plus fiscal. fiscal. C'est au 13è que les serfs cherchent à se libérer de leur condition. Les affranchissements se multiplient sous la forme de manumissions (actes d'affranchissement) et Duby ajoute:
" Elles (manumissions) furent si nombreuses dans la région parisienne à partir de 1245 que le servage en moins de trente ans avait à peu près disparu.
Ainsi autour de 1270 dans l'ensemble du monde paysan les différents statuts personnels laissaient place à une commune liberté. "

C'est donc bien avant Louis X et 1315 que l'esclavage avait disparu en France et que le servage avait commencé à s'effacer. A comparer avec l'Afrique et L'orient et moyen-orient notamment.

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 Sujet du message : Re: Abolition de l'esclavage
Message Publié : 11 Juin 2014 14:19 
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La discussion ayant été placée dans le forum "Lumières", il serait intéressant d'examiner de plus prêt ce qu'il s'est passé au cours de cette période. Il n'y a pas eu de commerce d'esclaves sur le territoire métropolitain. Mais qu'en était-il de ceux qui arrivaient des îles avec leur domesticité servile ? J'imagine que ces esclaves n'obtenaient pas immédiatement leur affranchissement et qu'il devait y avoir une certaine tolérance à cet égard. Ceux-ci cherchait-ils d'ailleurs à être affranchis ? Il faut cependant observer qu'un édit de 1776 rappelait que le sol de France affranchissait. Pour quelles raisons ? Quels en furent les effets ?


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 Sujet du message : Re: Abolition de l'esclavage
Message Publié : 11 Juin 2014 14:38 
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Polybe
Polybe
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Inscription : 12 Mars 2014 18:44
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Localisation : France
Notons que la France du Moyen-Age n'était pas la France d'aujourd'hui ! Le servage dans l'Etat Breton a été aboli officiellement avant l'an 1000. Et le duc Alain Tortebarbe en a confirmation par Louis d'Outremer.

Quant à l'esclavage en France, il faut croire que le massacre des blancs par les révoltés haïtiens; l'extermination de l'armée française là-bas ne furent pas une leçon pour Bonaparte, né pourtant de la Révolution. Son pouvoir commença dans le sang et s'y termina.


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 Sujet du message : Re: Abolition de l'esclavage
Message Publié : 11 Juin 2014 14:43 
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Fustel de Coulanges
Fustel de Coulanges
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Inscription : 06 Fév 2004 7:08
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Zogou a écrit :
Son pouvoir commença dans le sang


Une petite lecture sur le coup d'état de brumaire semble s'imposer...

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" Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)


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 Sujet du message : Re: Abolition de l'esclavage
Message Publié : 12 Juin 2014 10:42 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours

Inscription : 18 Jan 2008 13:49
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Localisation : Paris
Citer :
Duby où j'ai puisé, indique, je rectifie, qu'au 12è se produit une égalisation des conditions et que la condition des serfs a un aspect de plus en plus fiscal


Pourriez-vous me donner le nom de l'ouvrage ? J'admire beaucoup Duby, mais ses ouvrages sont anciens désormais.

Citer :
La discussion ayant été placée dans le forum "Lumières", il serait intéressant d'examiner de plus prêt ce qu'il s'est passé au cours de cette période.


Tout-à-fait. Je voudrais signaler que dans la zone méditerranéenne, l'esclavage n'a jamais réellement disparu, en raison de la possibilité de réduire en esclavage les non-Chrétiens. Les régions de contact avec le monde musulman au Moyen Âge et à l'époque moderne sont des régions où l'on trouve des esclaves. Ainsi on trouve des esclaves de maison au XVIIe s. à Perpignan, mais aussi une chiourme servile dans la marine royale française, achetée sur les marchés d'esclaves italiens. La question qui s'intensifie au XVIIIe s. c'est le sort des esclaves noirs d'Amérique, car ils sont, en majorité, Chrétiens.

Citer :
Le servage dans l'Etat Breton a été aboli officiellement avant l'an 1000. Et le duc Alain Tortebarbe en a confirmation par Louis d'Outremer.


Ce n'est pas tout-à-fait vrai : le droit de motte est une forme de servage (redevances spécifiques, interdiction de quitter la terre, restriction des héritages) qui perdure, quoique diminuée, jusqu'au XVe s. en Cornouaille et Léon.

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Ira principis mors est


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