Ce livre malgré son syle compassé est une référence unique. La découverte de cette princesse inconnue m'intriguait depuis longtemps, aucune étude ne lui avait été consacrée au cours du XIXe et du XXe siècle. A peine devinait-on sa présence dans les rares travaux consacrés à son mari et à son beau-père. J'avais pour ma part commencé à évoquer sa mémoire sur ce forum, mais les lacunes de la documentation à son sujet m'avait laissé entrevoir des possiblités de recherches à explorer. Ce document unique allait-il combler ma curiosité ? pour une bonne part, non.
En fait, ce constat repose sur un problème et une vérité : la dernière princesse de Conti n'a jamais produit la moindre publicité autour de son nom. Sa vie officielle et publique ainsi que le cadre de sa vie privée ont été marqués sous le sceau du devoir et une discrétion inaltérable. Ainsi, la plupart des portraits qui lui sont attribués ne sont meme pas authentifiés comme la représentant par les conservateurs. Notre personnage de son vivant a contribué à son oubli. Il le restera, malgré cette courageuse biographie, l'imaginaire collectif ne s'attache qu'aux héros et aux etres charismatiques.
Nous pouvons toutefois avancer sans se tromper que si cette princesse de Modène née en Italie n'avait pas épousé le comte de La Marche, fils du prince de Conti en 1759, son souvenir n'aurait laissé qu'une trace insignifiante dans l'histoire. Tout juste, pouvons nous dire, qu'en apparence en tout cas, le nom de Fortunée-Marie d'Este se place au niveau du très médiocre.
Elle devint pourtant, et c'était alors une faveur insigne, l'épouse d'un prince du sang, cousin du roi de France. Cette position très privilégiée qui la plaçait dans le giron des dix premières dames de France ne lui procura en vérité qu'un rang envié, et pour son infortune un sens du devoir accompli à l'extrême. C'était sans doute et en partie, en raison meme du tempérament conformiste et effacé d'une jeune fille innocente, un simple pion de la stratégie matrimoniale princière en Europe.
Le malheur de son existence débuta justement avec son mariage. Son époux, Louis-François-Joseph de Bourbon n'avait aucune envie de se marier, mais son père ne l'entendait pas ainsi et le força à épouser la princesse de Modène. Le peu de grâces extérieures de Fortunée-Marie et son nez démesuré (apanage atavique de la famille d'Este) firent le reste... Le prince l'ignora totalement et ne resta qu'une demi-heure dans la couche nuptiale lors de la nuit de noces. Comprimant sa souffrance de femme bafouée, la princesse, peut-etre honteuse d'humiliations restées secrètes, ne fit jamais aucune confidence, ni témoignage. Elle assura son rôle d'altesse sérénissime avec une constance exemplaire, mais sans lustre réel, et avec une invincible austérité qui semble l'avoir complètement ensevelie.
Lorsque la Révolution éclata, la princesse de Conti n'était déja plus qu'une vénérable douairière de cinquante-huit ans. Emigrée dès 1789, elle émigra successivemet en Savoie, en Suisse, en Bavière, en Hongrie pour finir ses jours à Venise en 1803.
D'autre part, si l'exil représenta un changement de vie drastique pour les princes et les princesses de Bourbon réfugiés à l'étranger, une légende tenace reste à détruire. Ces altesses royales et sérénissimes ne vécurent jamais dans le dénuement, ni la solitude totale. Par exemple, certains historiens ont affirmé que la comtesse d'Artois était morte dans la misère et seule. C'est coimplètement faux.
Pour ce qui concerne la princesse de Conti, Fortunée-Marie avait vendu ses diamants à son frère le duc de Modène, souverain régnant depuis 1780, qui lui assurait en retour une rente. Lorsqu'elle s'éteignit, très agée, à plus de soixante-dix ans, elle assurait les gages d'une dizaine de personnes et son testament recense quelques bijoux précieux. Tout ceci, évidemment, ne correspondait plus avec les deux cents mille livres de revenus de la princesse vers 1776-1780, mais ne témoigne pas d'un état de pauvreté.
Enfin, Pierre Houdion parle avec tact, mais sans nul éclaircissement d "une blessure profonde dont il semble qu'elle ne se soit jamias remise." Cette laconique citation renferme-telle le secret de cette femme enigmatique enmurée dans sa trop grande dignité ?
_________________ Dominique Poulin
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