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Karolvs a écrit :
Duduche19 auriez vous l'amabilité de me préciser votre avis au sujet de Condorcet svp ? Pensez vous qu'il est de ceux qui […] ne remettaient pas en cause l'esclavage en tant qu'institution mais cherchaient seulement à adoucir les conditions de vie des esclaves dans le but de rendre l'esclavage acceptable ? Ou admettez vous que Condorcet était un abolitionniste à 100% ? Duduche19 a écrit : Condorcet voyait dans l'eclavage une profonde injustice. Mais sa vision de l'abolition de l'esclavage me laisse perplexe. L'abolition ne devait en aucun cas être immédiate, ni avoir lieu de son vivant.
J'ai relu le chapitre 9 "Des moyens de détruire l'esclavage des Nègres par degrés", de "Réflexions sur l'esclavage des Nègres" (source :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k823018.
Vous vous trompez lorsque vous dites que pour Condorcet, l'abolition ne devait en aucun cas être immédiate.
L'abolition immédiate était au contraire souhaitable aux yeux de Condorcet, et rien ne s'y opposait réellement (il le démontre dans le chapitre 8) si ce n'est le veto massif des puissances d'argent et du pouvoir politique.
Par ailleurs, d'où tirez vous que Condorcet ne voulait pas que l'abolition ait lieu de son vivant ?
On dirait que la première phrase du chapitre 9 vous a échappé. Le "style argumentatif" du XVIIIème siècle ne nous est pas familier, mais si on comprend de travers cette mise au point de l'auteur, on s'expose au contresens. Condorcet écrit ceci :
"Si les raisons que nous venons d’exposer paroissent suffisantes pour ne point employer le seul moyen de détruire l’esclavage, qui soit rigoureusement conforme à la justice ; il y en a d’autres qui peuvent, du moins à la fois, adoucir l’état des Negres dès les premiers instans, & procurer la destruction entiere de l’esclavage à une époque fixe & peu éloignée. Mais si nous les proposons, c’est en gémissant sur cette espece de consentement forcé que nous donnons pour un tems à l’injustice, & en protestant que c’est la crainte seule de voir traiter l’affranchissement général comme un projet chimérique, par la plupart des politiques, qui nous fait consentir à proposer ces moyens." Condorcet dit clairement que le seul moyen qui soit rigoureusement conforme à la justice est de détruire l'esclavage. Il examine les raisons qui empêcheraient l'abolition immédiate pure et simple (les raisons exposées au chap. 8). Ces raisons, il les réfute toutes, systématiquement, une après l'autre, mais il sait que le pouvoir politique n'est pas prêt, et que les esprits éclairés (il les appelle les "
amis de la raison, de la justice et de l’humanité") ne peuvent rien tout seuls, car ils
"éprouveroient le sort que le genre humain, toujours ignorant & barbare, a fait éprouver à quiconque a osé défendre le foible contre le fort, & opposer la justice à l’esprit d’avidité & d’intérêt ". C'est pourquoi Condorcet doit accepter
"en gémissant" ce qu'il appelle
"cette espèce de consentement forcé donné pour un temps à l’injustice".
Duduche19 a écrit :
Il prone dans un premier temps l'abolition de la traite. Cette mesure aurait pour conséquence d'adoucir les conditions des êtres humains déjà esclaves.
Puis il propose que les enfants à naitre soient esclaves au moment de leur naissance. A l'âge de 35 ans, le maître serait obligé de les affranchir.
Pour les esclaves de moins de 15 ans au moment de la publication de la loi, ils seraient déclaré libres à l'âge de 40 ans. Pour les autres, ils devraient attendre l'age de 50 ans et on leur demanderait si ils veulent être libre ou non.
Enfin, il a quelques mots pour la classe des esclaves dits perpétuels qui seraient en fait des domestiques engagés.
Avec ces dispositions, Condorcet estimait qu'il ne resterait plus aucun esclave au bout de 70 ans (à l'exception de classe des esclaves dits perpétuels).
C'est cela, mais très approximativement : il y a quelques erreurs dans ce que vous dites. Par exemple pour les enfants à naître : Condorcet ne propose pas qu'il soient esclaves jusqu'à 35 ans ; il propose que la loi oblige les maîtres à les affranchir à l'âge de 35 ans
au plus tard.
Ou en ce qui concerne la classe des esclaves dits perpétuels (c'est-à-dire ceux qui auront plus de 15 ans quand sortira la loi) : elle aura disparu dans 50 ans au plus tard.
Et quand on lit cela, il ne faut jamais perdre de vue que c'est toujours contraint et forcé, en gémissant, que Condorcet consent ainsi, pour un temps, à l'injustice qu'est l'esclavage…
Duduche19 a écrit :
A la vue de ces différentes mesures, peut-on qualifier Condorcet d'abolitionniste à 100 % ? Sachant que l'espérance de vie a cette époque devait approcher 40 ans, l'abolition ne concernerait pas ceux qui la subissaient ni la majorité de ceux à naitre. Condorcet était donc un abolitionniste, mais pour son futur et non de son vivant.
Je ne pense pas que cela en fasse un abolitionniste moins sincère.
Et vous vous trompez encore : dans la "proposition de loi" de Condorcet, l'abolition concernait tous les esclaves de moins de 15 ans et tous les enfants d'esclaves à naître. Par ailleurs, c'est une hypothèse de durée de vie longue (voire très longue) pour l'époque et pour les conditions de vie des intéressés : 65 ans, qui laisse prévoir la disparition totale de l'esclavage dans 70 ans. Il est bien évident que la disparition de l'esclavage est d'autant plus rapide que l'espérance de vie est plus courte. Mais est-il nécessaire de pousser plus avant cette sinistre comptabilité ? Je ne le pense pas.
De plus, nous sommes d'accord sur l'essentiel, puisque vous semblez admettre maintenant que les esprits éclairés du XVIIIème siècle remettaient en cause l'esclavage en tant qu'institution, alors qu'au départ, vous pensiez qu'ils cherchaient seulement à adoucir les conditions de vie des esclaves pour rendre acceptable l'esclavage.