LES AFFRES D'UNE REINE EN EXIL 1796-1810
Poussée dans ses retranchements par le dialogue de sourds qui l'avait opposée à son père, Marie-Joséphine se replia à Arona. Elle y tomba malade puis rétablie, reprit sa route en compagnie de Marguerite de Gourbillon.
Elle se fixa à Bellinzona en Suisse. La proximité de la frontière française révéla la précarité de cette étape, la reine ne pouvait s'attarder. De son côté, Louis XVIII avait tenté de raisonner sa femme afin de rester à Turin. Sans succès. Le souverain en exil entendait cependant que son épouse soit décemment installée. Dans ces conditions, il se chargea des démarches auprès des monarques de l'Europe.
Il fallut plusieurs mois avant que la chancellerie de Vienne accorde une réponse favorable. Le comte de Saint-Priest, représentant de Louis XVIII auprès de l'empereur François II, ne ménagea pas ses efforts en ce sens. Marie-Joséphine était autorisée à résider à Passau, en Bavière, au château de Riedenbourg. Elle s'y installa au mois de juillet 1796 avec l'inévitable Marguerite, sans compter les quelques fidèles attachés à sa maison et les domestiques. En ces lieux, et à son grand préjudice, l'intempérante savoyarde se rendit la risée de la bonne société de Passau en étalant son goût marqué pour la boisson sur la place publique.
En effet, elle profita un jour de l'absence de son amie pour s'enivrer sans retenue avant de se présenter dans un état déplorable devant les dames de la ville... Scandale ! A cette occasion, Marie-Joséphine fut sans doute sermonnée par sa chère Marguerite. Cette dernière fit le siège de sa maîtresse afin de l'appeler à plus de sobrieté. Il faut bien avouer que ses débordements devenaient incomptatibles avec sa dignité de reine sans couronne. Ce fut pour la reine le début d'un long combat intérieur. Sa santé, jamais très bonne, était gravement altérée depuis plusieurs années par les symptomes d'une cyrrhose du foie et par l'hydropisie, un mal lent et vicieux qui rongeait son corps. Pour Marie-Joséphine, ce cera un long chemin de croix.
Le scandale fut-il tel pour que la reine déménageât à nouveau dès le mois d'août 1796 ? toujours est-il qu'elle fut astreinte à reprendre sa route pour s'établir à Budweis en Bohème.
A cette époque l'ancienne comtesse de Provence menait une vie bourgeoise dépourvue de luxe superflu. Le faste de son opulente maison de deux cent cinquante six personne lorsqu'elle était la deuxième dame de France à Versailles n'était plus qu'un souvenir. Elle se débattait dans des difficultés financières de plus en plus chroniques.
Bien que pensionnée de dix mille livres tournois par le roi Charles IV d'Espagne, elle était souvent à court d'argent et Marie-Joséphine demandait encore et toujours... Il faut bien avouer que l'état de guerre quasi permanent en Europe compliquait singulièrement la situation.
Elle fait régulièrement part de ses déboires au souverain madrilène en affirmant que "cette somme ne m'est payée par les banquiers Rignon qu'en papier-monnaie qui a perdu progressivement jusqu'à 48 pour cent de sa valeur et qui en perd encore aujourd'hui de 29 à 30... Au lieu de recevoir 10 000 livres tournois, je n'en ai reçu qu'environ 7000 par la forme du paiement et parfois moins."
Depuis son départ de Turin, les versements tardaient en raison d'une administration cahotique. La banque espagnole de Saint-Charles n'avait pas modifié l'adresse des fonds, elle continuait de les adresser à Genes, pour transiter ensuite à Turin avant d'etre remis à Vienne au comte de Saint-Priest, représentant officieux de Louis XVIII. On imagine le résultat d'une telle procédure ! Il arrivait que Marie-Joséphine ne disposait plus d'aucun argent et de se voir contrainte de souscrire des emprunts grevés de lourds intérêts. Elle confiait ainsi le 8 janvier 1797 à Saint-Priest :
" J'ai reçu une lettre de change de quarante mille francs, somme qui m'était due des mois d'août, septembre, octobre, novembre où j'ai été obligée de vivre d'emprunts."
Marie-Joséphine n'avait à l'évidence jamais été préparée à la gestion de ces assommantes questions d'argent. Autrefois, c'était ses gens qui s'occupaient de ces tâches. Ses trésoriers, ses comptables, ses secrétaires étaient tout dévoués à ce type de besognes. Ce temps était révolu. Bien qu'en apparence assez peu sensible au luxe, elle céda longtemps aux agréments d'une vie dispendieuse. Elle dépensa beaucoup pour sa Folie de Montreuil, pour ses appartements à Versailles et au palais du Luxembourg ou encore pour son château de Rocquencourt dont elle ne vit jamais l'achèvement. Elle vécut au moins jusqu'en 1791 au milieu d'une somptuosité exceptionnelle.
A Turin de 1792 à 1796, entretenue par son père le roi de Piémont-Sardaigne dont les possiblités étaient certes bien loin d'égaler celles de Louis XVI et du comte de Provence, elle mena une vie très confortable. Elle commença pourtant à se plaindre de la dureté des temps en ne réalisant pas qu'elle n'était pas au bout de ses peines... Le problème ne se focalisait pas sur la personne de Marie-Joséphine, mais bien sur les personnes qui lui étaient attachées et qu'elle continuait de pensionner.
A Budweis, en Bohème, vers 1797-1799, elle avait toujours à sa suite quelques commensaux de cour et des domestiques qu'il fallait gager, nourrir et parfois même habiller. On peut encore évaluer l'entourage de cette reine en exil entre vingt et trente personnes, peut-être même sommes nous au dessous de cette estimation.
Mais comme tous les rois et les princes de ce temps, même dans une misère dorée, la vie quotidienne ne se concevait pas sans cour ni employés subalternes. De la mentalité des altesses, il incombait que les princes placés par leur naissance au-dessus des simples mortels devaient s'entourer d'une suite imposante, même dans les pires difficultés. C'était une règle naturelle et atavique remontant à la nuit des temps. Un prince sans cour, sans gardes, était considéré d'autant plus déchu et abandonné. Il ressortait de ce postulat le vieux serment féodal ou le commensal jurait fidélité à son roi ou à son prince. Le principe était le même chez les dames de très haute naissance. Toutes ces considérations commençaient certes à perdre de leur sens à la fin du XVIIIe siècle mais elles demeuraient encore vivaces dans la société des princes et de la grande noblesse.
Seules les personnes ayant eu le malheur de déplaire à leurs maîtres encouraient la disgrâce. Mais pour bon nombre elles pouvaient compter sur la bonté de leurs bienfaiteurs qui les récompensaient de leur zèle et de leur dévouement par des pensions, des dons, des titres ou des recommandations.
Dans les plus noires années de son exil, la reine Marie-Joséphine fut entourée de quelques fidèles, la plupart ayant été d'anciens astres de sa maison à Versailles. On relève le nom de son ultime dame du palais, la comtesse de Narbonne, de son chevalier d'honneur, le duc d'Havré ou encore d'un simple domestique du nom de Gonnet qui devint garçon de toilette de Louis XVIII sous la Restauration. Par ailleurs, lorsqu'elle quitta Budweis, en mai 1799, Marie-Joséphine accorda six cent livres à M. de Castellane et à l'ancien éveque de Frejus, trois cent livres à M. de Crux, son écuyer cavalcadour et au marquis de Solas.
La reine de France en exil menait ainsi une vie tranquille, quoique fort discrète, lorsque des impératifs familiaux la contraignirent à rejoindre son époux en 1799.
Ce ménage de parade bien que séparé de fait depuis de nombreuses années n'avait pas cessé de correspondre. On peut d'ailleurs conjecturer que ce couple dorénavant royal et qui ne s'entendait guère, s'épanouissait au mieux par les voies de la correspondance ! En témoignent les lettres de Louis XVIII à sa femme :
"Je m'étais bien promis de ne pas vous obéir et de lire votre lettre tout d'une haleine. Mais il n'y a pas eu moyen et le rire m'a interrompu" ou encore "J'attends avec impatience (car j'aime à rire) les détails que vous m'annoncez sur Mlle de Briochais".
Depuis leur jeunesse, Louis-Stanislas et Marie-Joséphine cultivaient un esprit alerte en bons mots et s'entendaient parfois à se moquer aux dépens des autres. Cette propension humoristique aux accents acérés ne leur coûtait rien dans leurs lettres et le roit forçant la note, mais bien révélatrice de son tempérament faux et pédant n'hésitait pas à écrire à sa moitié : " Je vous aime et vous embrasse de tout mon coeur ". Le ton de ces aimables missives devait bientôt changer.
Au terme de plusieurs installations à Vérone, Riegel, puis à Blakenberg dans le duché de Brunswick, Louis XVIII séjournait dans les états du tsar Paul 1er au château de Mitau en Courlande. Le prétendant s'éloignait encore et reculait inexorablement du champ des nouvelles de France et des réseaux royalistes. Devenu de plus en plus indésirable en Europe, il accepta l'offre de Paul 1er et s'établit à Mitau dans un pays glacé et inhospitalier.
Il faut toutefois convenir que l'offre de l'empereur de Russie était particulièrement généreuse. Le château de Mitau était une véritable résidence royale ayant appartenu aux ducs de Courlande et Paul 1er assurait à son hôte une pension de deux cent mille roubles.
Posément établi, Louis XVIII accéléra les négociations concernant le retour de sa nièce, Madame Royale. La fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette avait survécu aux siens dans la prison du Temple. Libérée en décembre 1795, elle avait été autorisée à rejoindre sa famille maternelle en Autriche. Elle vécut ensuite à Vienne trois années assez tristes et obscures sous la garde sourcilleuse de l'empereur François II. L'empereur espérait la marier à son frère, l'archiduc Charles mais la princesse s'y opposa catégoriquement.
De sa retraite, et au prix de bien des difficultés occasionnées par la cour d'Autriche, Louis XVIII était entré en contact avec sa nièce. Le prétendant désirait de toutes ses forces le retour de sa nièce au sein de sa parenté française. Non pas qu'il s'en fut soucié lorsqu'elle n'était qu'une fillette à Versailles ! Selon toute vraisemblance, Louis XVIII échafauda un projet assez machiavélique à l'encontre de Madame Royale.
Il lui fit croire que ses parents avaient souhaité son mariage avec le duc d'Angoulème, fils du comte d'Artois. De plus, au-delà de cette union combinée de toute pièce, le roi pensait surtout à sa popularité en ayant à ses cotés une princesse rescapée du naufrage de la dynastie des Bourbons. "L'Orpheline du Temple" redorerait ainsi son blason et assoierait l'image de Louis XVIII en légitimant ses droits à la Couronne de France.
Une lettre de l'exilé au roi Charles IV d'Espagne illustre son manque total de scrupules et de sa diplomatie tortueuse : " Les longs malheurs de ma nièce, son courage, ses vertus ont rassemblé sur elle un intérêt dont il est essentiel de tirer parti en la mariant à mon héritier."
La solennité des noces de Madame Royale et du duc d'Angoulème requérait la présence de Marie-Joséphine. Cette question n'était pas sans soulever quelques craintes dans l'entourage de Louis XVIII. Ces alarmes reposaient sur les relations rien moins que conflictuelles entre Marie-Antoinette et sa belle-soeur. De fait, les conseillers du prétendant s'inquiétaient du ressentiment de Madame Royale envers sa tante. C'est pourquoi on peut penser que des esprit perfides avaient instillé à la jeune princesse des bruits douteux concernant sa mère et la comtesse de Provence.
Le cardinal de La Fare prévenait ainsi prudemment le comte de Saint-Priest : " Vous avez su pendant votre séjour à Vienne, les préventions trés fortes de Madame Royale, envers la reine, sa tante. Elle est venue de France, avec l'idée, ou plutôt avec la persuation que la reine était l'ennemie de la feue reine et par conséquent la sienne."
Toutefois, dans l'hypothèse où la princesse fut informée de l'inimitié entre sa mère et la comtesse de Provence, elle ne fut très probablement pas renseignée lorsqu'elle vivait à Versailles, puis aux Tuileries. Elle était alors fort jeune. Est-ce Madame Elisabeth qui s'entretint avec sa nièce lorsqu'elles se retrouvèrent seules au Temple ? c'est peu probable, la soeur de Louis XVI n'était pas du tempérament à déchirer la famille à un moment aussi crucial.
Plus vraisemblablement, des personnes anciennement attachées à la cour de Versailles ont peut-être cru de bon ton d'informer la fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette des différends de sa famille, dont ceux de sa mère et de Marie-Joséphine. Plus tard , les relations de Marie-Joséphine et de Madame Royale ne semblent pas avoir été empreintes d'hostilité. On peut seulement supposer que leurs rapports n'étaient pas marqués du sceau de l'amitié.
A la veille de ce mariage, une préoccupation plus pratique et épineuse tourmentait Marie-Joséphine. Le financement d'un long voyage. Toujours génée dans ses finances, elle demanda l'aide de son époux. Mauvaise pioche, " le roi n'a pas un sol à lui envoyer pour la route " confiait La Fare à Saint-Priest. Et les sollicitations de Louis XVIII auprès du roi d'Espagne se soldèrent par un échec. Enfin, après s'etre longtemps fait prier, le tsar Paul 1er accepta une avance des frais, mais uniquement lorsque Marie-Joséphine aurait franchit le frontière de ses Etats. Malheureusement, cela représentait encore une lourde charge pour l'exilée. La reine fut contrainte de contracter un emprunt sur des fonds qu'elle possédait à Genes. Et magré ses incessantes difficultés matérielles, sa suite ne se composait pas moins de vingt cinq personnes !
Le voyage de Marie-Joséphine soulevait encore un autre problème, la place de madame de Gourbillon. Sur ce point, Louis XVIII fut inflexible. La compagne de sa femme était jugée indésirable à Mitau. Comme à son habitude, la reine s'enteta et fit le voyage avec sa protégée. Elle pensait sans doute qu'elle triompherait des difficultés et de l'animosité de son mari envers sa lectrice.
Elle avait déja franchi la frontière depuis le 23 mai 1799 lorsque le roi fut informé de la présence de Marguerite de Gourbillon dans la suite de son épouse. Ce à quoi Louis XVIII prévint sans détours son incorrigible moitié le 31 mai 1799 : " M. de Nesle m'a remis votre lettre, ma chère amie, je ne m'arreterai pas à son contenu, il me fait trop de mal à penser, seulement je vous conjure d'y réflechir. Mais si mes instances, mon amitié ne peuvent rien sur vous, si vous pouvez vous résoudre à me compromettre vis-à-vis de l'empereur de Russie qui ne pourra d'aprés votre résistance que prendre la plus étrange idée de nous deux, madame de Gourbillon pourra arriver à Mitau, mais je vous jure pour ma part, qu'elle ne mettra pas les pieds au chateau, et que je ne réponds pas des dispositions de l'empereur à son égard. Encore une fois, ma chère amie, rendez vous à notre amitié et que la joie que j'éprouverai en vous revoyant soit, s'il est possible, augmentée par cette condescendance de votre part. je ne suis pas embarrassé de vous en supplier, car c'est votre interet seul qui me fait parler."
La détermination de Louis XVIII fut sans faille, il avait demandé d'arreter madame de Gourbillon une fois parvenue à Mitau. Un oukase de Paul 1er rendit cette décision irrévocable. Mais l'époux de Marie-Joséphine appréhenda aussitot la colère de la reine aux humeurs excessives. A l'aproche de cette épreuve, il se lamentait auprès de ses confidents en disant "Mes amis, ne m'abandonnez pas".
Marie-Joséphine entra enfin à Mitau le 2 juin 1799. La reine et sa lectrice ne voyageant pas ensemble dans la meme voiture, les autorités russes mandatées par le gouverneur de la ville, interceptèrent facilement madame de gourbillon sans que sa maitresse s'en aperçoive. Au chateau, Louis XVIII fit un accueil trés aimable à son épouse. Mais trés rapidement, Marie-Joséphine s'inquiéta de l'inexplicable absence de sa chère amie. Finalement, au bout de quelques atermoiements embarrassés, Louis XVIII lui signifia clairement la situation. Madame de Gourbillon avait été arretée à l'entrée de la ville.
Suffoquée, la reine fit sur le champ une violente crise de nerfs en perdant tout sentiment de son rang sous les yeux méduses des courtisans. Malgré ses cris, ses larmes, ses suppliques, Louis XVIII resta inébranlable. Il encouragea au contraire sa femme à reprendre sa dignité en lui faisant comprendre qu'elle se donnait indignement en spectacle. Saint-Priest, témoin de la scène, rapporte ses orageuses retrouvailles dans ses Mémoires : " Les invectives entremélées de railleries les plus mordantes qu'elle put imaginer (ce qui était un tour d'esprit de la reine) ne furent pas épargées à son auguste époux ".
Marie-Joséphine s'enferma dans ses appartements dans un mutisme boudeur. Pendant ce temps, la voiture de madame de Gourbillon avait été détournée du cortège pour etre conduite minu militari devant le siège du gouverneur de la ville. A l'instar de Marie-Joséphine, la lectrice plongea à son tour dans une crise hystérique, insultant tout son monde. Il en fallait bien davantage pour impressionner les autorités russes, elle fut "empaquetée" de force dans un couvent à Vilna. Informé de tout ce grabuge, le tsar Paul 1er se félicitait de la prompte célérité de son administration afin " de faire rebrousser chemin à la dame de Gourbillon et de vous réiterer mes ordres quand à elle en vous permettant meme de la tenir sous garde, et de l'enfermer là ou vous jugerez à propos, en cas qu'elle ne se corrige et ne se tienne tranquille."
Retenue prisonnière à Vilna, Marguerite ne devait pourtant céder ni au découragement, ni à l'amertume. Trés intelligente et d'une inépuisable energie, elle refusa son sort.
Madame de Gourbillon obtint rapidement sa libération avant de prendre contact avec la cour de Russie. Son entreprise de réhabilitation fut concentrée sur trois personnes, le tsar Paul 1er, Louis XVIII et Marie-Joséphine alias comte et comtesse de l'Isle aux yeux du tsar. Sa requete jugée interessante par la chancellerie russe déboucha sur une invitation de la cour à Saint-Peterbourg afin qu'elle expose ses déclarations. Rien de moins ! Le recours en grace auprès de ses maitres naturels, surtout Louis XVIII représentait une autre entreprise, éminement délicate. Mais aux yeux de l'indomptable Marguerite, rien n'était impossible. Elle rédigea à cet effet deux mémoires semblables datés du 19 juillet 1799 au roi et à la reine afin de justifier tous les antécédents de sa conduite passée.
Dans ce mémorandum, Mme de Gourbillon se déclarait innocente de l'accusation de complicité dans l'alcoolisme de Marie-Joséphine. A sa décharge, il est vrai que l'ex-comtesse de Provence était déja contaminée par ce vice lorsque la lectrice entra à son service en 1785. Marguerite avait-elle alors encouragé sa maitresse à "remplir sans cesse les flacons qu'elle apportait à sa princesse" comme le dit le marquis de Bombelles dans ses Mémoires ? Difficile à dire.
Le point culminant de cette affaire, on s'en souvient, avait eu pour conséquence la rencontre inpromptue de la lectrice de Marie-Joséphine et du comte de Provence dans un corridor de Versailles en 1789. Mme de Gourbillon tenait alors un récipient dissimulé sous un voile. louis-Stanislas, informé du vilain peché de sa femme, crut tenir la preuve évidente des connivences de la suivante de la comtesse de Provence. Il l'accusa de collusion dans les débauches éthyliques de Marie-Joséphine. Le 19 février 1789 une lettre de cachet consignait madame de Gourbillon à Lille.
Or, dix ans plus tard, Marguerite crie son innocence. Ce récipient ne contenait ni vin, ni liqueur, mais un bouillon aux herbes prescrit par les médecins de la princesse. Dépressive, la comtesse de Provence était en proie à une maladie nerveuse qui la surevoltait. Soit. On peut cependant conjecturer que l'intempérance de Marie-joséphine n'était pas sans relations avec ses troubles de l'humeur... Sur ce point, la reine avait prévenue son amie : " J'avais tout dit, jusqu'au bouillon."
Quant aux éventuels pots de vin dont la lectrice avait bénéficié de 1785 à 1789, Mme de Gourbillon fait table rase par un revers de main : " Je m'expliquerais avec le roi pour cela ". Voila une déclaration aussi brève que curieuse ! Avait-elle quelque chose à cacher ou à se reprocher ? Toutefois un argument de poids étayait le mémoire de Marguerite, la mission que lui avait donné le comte de Provence dans la fuite de Marie-joséphine en juin 1791. Grace à sa lectrice, la princesse avait pu sortir de France, sans encombres et se réfugier aux Pays-Bas. A l'époque Louis-Stanislas avait redonné la place perdue de l'amie de sa femme, bien conscient de son habileté. Sur ce point, Marguerite laissa percer son amour-propre outragé : " Lorsque le roi m'a choisie pour sauver Votre Majesté, on ne m'a pas demandé mes preuves. " En guise de conclusion, elle osait emettre des menaces : " Si je n'obtiens cette justice, je me croirai forcée de retourner près de sa Majesté l'empereur... Si je n'obtiens pas le succès que j'ai droit d'attendre de la justice du roi, je n'aurais pas de reproche à me faire, et les suites sont à ma disposition. "
Pour sa part, Louis XVIII resta de marbre et ne donna pas de réponse. Les interventions de Marie-Joséphine furent impuissantes auprès de son mari. Ulcérée, madame de Gourbillon décida de jouer de toutes ses relations et de l'oreille compatissante des ministres de Paul 1er pour perdre l'auteur de ses malheurs. Convaincue dans son dessein, ses intrigues auprès des puissants de la Russie devaient bientot porter leurs fruits. Ce ne fut plus qu'une question de temps.
Le 4 juin 1799, la reine avait assisté boudeuxe et passive à l'arrivée de Madame Royale. Six jours plus tard les noces de la jeune princesse étaient célébrées sous l'oeil rayonnant de Louis XVIII. Il est vrai qu'aux yeux du monarque exilé et des monarchistes, c'était le premier événement heureux dans la famille des Bourbons depuis 1789.
Privée de sa favorite, la vie n'avait plus guère de sens pour Marie-Joséphine. Confortée dans l'espoir de la revoir, elle se résigna à une vie morne et sans relief, au château de Mittau. Les frilosités des brumes de Courlande, l'affectation d'un époux distant, la place éminente de Madame Royale à la petite cour du roi aigrirent un peu plus la nature hypocondriaque de la reine. A demi-prisonnière au sein d'une cage qui n'avait même pas l'avantage d'etre dorée, celle que le prince de Ligne avait surnommée Notre-Dame de Mittau n'eut plus qu'une idée, fuir la Courlande.
Le printemps de 1800 apporta enfin une bouffée d'oxygène à la maussade épouse de Louis XVIII. Sous prétexte de santé, elle décida un voyage à Pyrmont, une petite ville d'eaux, près de Kiel en Allemagne.
Partie de Mittau, le 2 avril, les questions d'argent rattrapèrent aussitot Louis-Stanislas et Marie-Joséphine. En effet, deux mois plus tôt étaient parvenues les disparitions des filles de Louis XV, Mesdames Adélaide et Victoire. Elles s'étaient éteintes à Trieste, leur ultime lieu d'exil, ne subsistant que grâce à la charité du roi d'Espagne. Or, Louis XVIII jamais scrupuleux afin d'améliorer sa situation de souverain désargenté, demanda la reversion de la pension de ses tantes. Charles IV acquiesca. A la veille de son départ, Marie-Joséphine ne pouvait que préter une oreille intéressée à l'obtention de cette manne inespérée. Hélas, c'était son propre époux qui désirait en faire usage. Il est vrai qu'il en avait fort besoin afin de financer ses agents politiques, ses représentants dans les cours d'Europe et les fidèles assez nombreux qui peuplaient sa cour en Russie. La reine détourna-t-elle tout ou partie de ces fonds ? Cette hypothèse a parfois été soutenue. Certes, Marie-Joséphine avait des difficultés matérielles, mais Charles IV lui versait, quoique bien irrégulièrement sa pension de dix mille livres tournois, et elle possédait encore des fonds qui lui étaient propres. Afin de financer son voyage à Pyrmont, elle ordonna un prélevement de dix mille francs sur des capitaux personnels.
Les eaux de Pyrmont ne retinrent pas longtemps Marie-Joséphine. Dès le mois décembre, elle établissait sa nouvelle demeure au château de Schirsensee dans le duché de Schleswig-Holstein. Elle confirmait son projet à la comtesse de La Ferronnays : " Je pars demain de très bonne heure, je serai à peu près huit jours en route, marchant à grandes journées et si le vent m'est favorable pour m'enbarquer je serai à Kiel mercredi ou peut-etre au chateau de Schirsensee , près cette ville, que j'ai loué le temps de mon absence d'ici pour y faire ma demeure. "
Pour sa part, Marguerite avait bien profité de son temps afin de tirer vengeance de celui qui l'avait expulsée de Mittau. On ne sait trop sous quel artifice, l'ancienne compagne de Marie-Joséphine obtint sa libération du couvent de Vilna ou l'avait consignée le tsar Paul 1er.
Toutefois, le fait est qu'elle s'établissait en 1799 à Saint-Petersbourg en parvenant à nouer des relations avec la cour impériale. Mme de Gourbillon noua alors des contacts avec des femmes au passé trouble, des intrigantes de haute volée, Mmes Chevalier et de Bonneuil. Ces complices n'étaient pas en fait inconnues aux yeux de Marguerite. Mme Chevalier avait été dans un premier temps contactée par ses soins afin de l'aider à sortir de son couvent de Vilna. Quant à Mme de Bonneuil, son époux avait fait partie de la maison du comte de Provence et elle avait autrefois résidé rue de Maurepas à Versailles. Or, la rue de Maurepas était également le lieu de résidence de Mme de Gourbillon.
Mme Chevalier, brillante actrice de son état, faisait partie depuis peu de la troupe du Théatre-Français à Saint-Petersbourg. Maitresse du comte Koutaikoff, un proche de l'empereur de Russie, certains indices laisseraient penser qu'elle était peut-etre mandatée pour le compte du Directoire. Or, Mme Chevalier, ne parvenait pas à concrétiser ses intrigues. Dans ce but, elle entra successivement en relation avec Mmes de Gourbillon et de Bonneuil. A cet effet, l'ex-lectrice de Marie-Joséphine ne joua qu'un rôle de complice dans l'affaire qui affecta le roi de France en exil.
C'est Mme de Bonneuil qui tira les ficelles. Cette dernière avait été la maitresse du duc d'Havré, représentant de Louis XVIII à la cour d'Espagne et prit connaissance de papiers compromettants. Une correspondance du duc d'Avaray, favori du roi, adressée à d'Havré révélait des commentaires désobligeants à l'encontre du tsar Paul 1er et de son ministre des Affaires etrangères, Rostopchine, qualifiés de "sots et d'imbéciles". Mme de Bonneuil, peu scrupuleuse pour le compte du duc d'Havré, subtilisa le précieux document. Son séjour en Russie lui fut alors fort utile. Devenue la maitresse de Rostopchine et du comte Panine, elle utilisa les papiers qu'elle détenait.
Des informations confidentielles éminemment dangereuses pour l'exilé de Mittau et sa petite cour ! La correspondance de d'Avaray à d'Havré fut remise entre les mains de l'empereur de Russie, un souverain au caractère cyclothimique, aux passions maniaques et à l'humeur belliqueuse. Monarque absolu dans ses Etats, Paul 1er ne pouvait tolérer cet écart de l'entourage de Louis XVIII. Ce roi sans couronne était son hôte, il le tolérait en tant qu'invité en Courlande en le pensionnant, rien de plus. La réponse impériale fut immédiate, le roi était contraint et forcé de partir. Au plus mauvais moment d'ailleurs. L'ordre fut prescrit en janvier 1801 en plein hiver.
De surcroit, Paul 1er était parfaitement informé des tractations politiques de Louis XVIII. L'exilé avait des représentants officieux dans la plupart des capitales européennes, des informateurs et des messagers liés à des réseaux royalistes en France. Cette position irritait de plus en plus le tsar soucieux de se rapprocher de la France et de son nouveau maitre, Bonaparte, afin de contenir les ambitions de l'Autriche et de l'Angleterre.
Quel fut dans cette affaire le niveau d'influence de l'égérie de Marie-Joséphine ? Il semblerait que si Marguerite de Gourbillon était bien entrée en contact avec la Bonneuil et la Chevalier, elle n'eut pas une part décisive dans la conclusion du complot qui précipita le départ de Louis XVIII de Russie.
En effet, cette dernière quitta le territoire russe au cours de l'année 1800 et sa présence est attestée à Londres au cours du mois de juillet de cette année. Entre-temps, et alors qu'elle était considérée comme perdue un an plus tôt avec son expulsion de Mittau et son emprisonnement à Vilna, elle avait obtenu non seulement sa libération, mais la permission de se rendre à Saint-Petersbourg et l'octroi d'une pension prélevée sur la cassette de l'empereur.
A l'évidence, et avec éclat, elle avait provoqué un étonnant retour de situation. Pourtant, les derniers faits de l'année 1800 avec la fameuse lettre de d'Avaray exposée sous les yeux de Paul 1er sont imputés à Mme de Bonneuil, pas à Mme de Gourbillon. Sa participation afin de se venger de l'impassiblité de Louis XVIII à son égard parait assez faible, même si le comte de Saint-Priest pensait le contraire :
" Une fois arrivée à Petersbourg, sa haine manoeuvra si bien, peignit sous de si noires couleurs Louis XVIII et tout son entourage, sans même épargner la reine, sa bienfaitrice, que la vengeance d'une si vile créature ne laissa pas de porter coup, et qu'elle est elle-meme peut-etre dans les causes d'une nature plus politique, qui dix-huit mois plus tard amenèrent l'expulsion de la famille royale de Mittau. "
Emigrée en Allemagne, on ignore la réaction de Marie-Joséphine face à l'expulsion de son époux qui trouva finalement refuge en Pologne. De même, le silence reste entier vis-à-vis de son sentiment envers les soupçons qui pèsent sur Mme de Gourbillon.
Le début du XIXe siècle représente une période d'errance pour l'ex-comtesse de Provence. Elle ne tient pas en place. Bien qu'officiellement établie au château de Schirsensee, elle voyage fréquemment retournant à plusieurs reprises aux eaux de Pyrmont et de Wildungen. Pourtant la malchance ne desserre pas son étreinte, les villes d'eaux n'améliorent pas la santé alarmante de Marie-Joséphine. Ses périodes de maladie s'avèrent de plus en plus longues, elle ne quitte pas son lit et pense sa fin proche.
L'année de son cinquantième anniversaire en 1803 est secouée par une grave crise. Dès qu'une accalmie lui laisse un peu de repos, elle se pose devant son secrétaire afin d'informer ses proches. Elle écrit sans fausse pudeur ces moments "sans dormir, ni digérer, rejetant jusqu'à un peu d'eau sucrée, avec des douleurs horribles de toutes les parties de mon corps." ou encore "Je relève d'une fièvre maligne ou j'ai été huit jours entre la vie et la mort."
Marie-Joséphine ne mourut pas, mais son état de santé sans espoir d'amélioration durable en fit une femme prématurément vieillie, désséchée et déformée par l'ostéoporose. Enfin, au terme de trois années passées loin de son mari, elle se résigna à rejoindre Louis XVIII en Pologne. IL est vrai, le prétendant pensait qu'une famille royale unie dans les épreuves et sous le même toit ne pouvait que renforcer la légitimité des Bourbons.
Varsovie était une ville aux influences occidentales et slaves, et la plupart des familles aristocratiques polonaises étaient pétries de culture française. Le pays plut très vite à la reine. Elle confiait ainsi à la comtesse Tyszkiewiczwa :
"J'aime beaucoup y être qu'autre part, ce pays se rapproche beaucoup plus de la France que tous ceux que j'ai vus depuis douze ans" Par ailleurs, quelques familles de la noblesse polonaise étaient apparentées aux Bourbons. En effet, la grand-mère de Louis XVIII était Marie Leszcynska, l'épouse de Louis XV.
Deux années s'écoulèrent sans évènement notable pour Marie-Joséphine. Toutefois, il en allait autrement de la France et de la carte de l'Europe. De l'ancien royaume des Lys, le Consulat avait fait place à l'Empire et le duc d'Enghien, cousin du prétendant avait été fusillé. Aucun complot, dont deux au moins visaient l'assasinat du Premier Consul ne purent aboutir. La reine, tout comme l'entourage entier de Louis XVIII, excécrait le Corse :
"Si le scélérat que je ne nomme pas se tire des griffes des Russes, il faut qu'il soit donné au diable, car je ne vois pas qu'un brigand et un usurpateur puisse avoir une étoile. " écrivait-elle échauffée à la comtesse de La Ferronnays.
Cependant, le roi en exil affirmait haut et fort ses positions dynastiques et politiques. C'est ce qu'il fit à la fin de 1804 lors de la proclamation de Calmar ou Louis XVIII réfutait le titre d'Empereur à Napoléon et le régime impérial. Cette intervention intempestive indisposa les souverains européens, le roi exilé embarrassait les politiques des chancelleries. Le résultat fut net, le prétendant devait quitter Varsovie. Les princesses, Marie-Joséphine et Madame Royale, étaient autorisées à rester le laps du temps duquel le souverain parviendrait à se fixer durablement dans un autre pays. C'est durant le mois d'avril 1805 que les deux femmes purent rejoindre le roi dans des lieux qu'elles connaissaient bien, le château de Mittau en Courlande. Mittau II se substitua à Mittau I. Louis XVIII en était parfaitement conscient.
Il écrivait ainsi à son frère, le comte d'Artois : " Mittau I était Saint-Germain, Mittau II ne sera plus qu'un lit à l'Hôtel-Dieu. "
Relégués une fois de plus à la pointe extrême de l'Europe, les derniers irréductible de la cour des Bourbons s'immobilisèrent comme pétrifiés par le froid coupant de la Russie et les victoires de la France impériale. La cour de Louis XVIII comptait quarante trois personnes vers 1807 dont le duc d'Avaray, favori du roi, le duc de Gramont, le duc de Piennes, la marquise de Sérent, la comtesse de Choisy. La comtesse de Narbonne assurait la fonction de dame d'honneur auprès de la reine Marie-Joséphine.
Comme à Versailles, tout ce monde assumait des offices honorifiques : grand aumonier, grand chambellan, capitaine des gardes, gentilhommes de la chambre... Evidemment, si tous s'enorgueillissaient d'approcher au plus près Sa Majesté, la Russie et le décor ne rappelaient guère les douces heures de jadis ! A l'évidence, ces fidèles étaient possédés par une indéfectible loyauté envers leur maître naturel malgré le manque chronique d'argent, le climat détestable, la condescendance méprisante des pays d'accueil et les expulsions répétées dont le roi était l'objet.
Marie-Joséphine, elle, ne partageait pas l'optimisme inébranlable d'un époux muré dans sa légitimité. Toujours souffrante, mais jamais innocente devant les courbettes et les commentaires stéréotypés des courtisans, elle usait fréquemment d'une formule à l'emporte-pièce :
"Trompeurs, trompés, trompettes !".
Courbée en deux par l'ostéoporose, se déplaçant avec difficulté, affublée de vieux habits dont elle refusait de se séparer, plus négligée que jamais, elle donnait une impression rien moins que flatteuse aux rares visiteurs de Mittau.
Les contemporains qui l'ont décrite à la fin de sa vie ont laissé des paroles sans appel : " La reine fort maussade apparut dans un costume grotesque qui enlaidissait son étrange figure." écrit la princesse de Tarente. Dorothée de Courlande, future duchesse de Dino dépeint la vieille reine sous les mêmes couleurs : " Je n'ai jamais vu une femme ni plus laide, ni plus sale. La reine grelotte de fièvre. ses yeux sont à moitié collés. "
La comtesse Gouloukine souligne la pétillance de son intelligence :
"Un costume grotesque et ignoble, une figure désagréable, mais elle séduisait par son esprit. "
Le roi et la reine formaient un étrange couple royal, tous deux marqués par l'âge et la maladie. Leur situation de monarques sans couronne entourés d'une cour d'opérette, à la merci d'un départ précipité au gré des caprices de la politique européenne occasionnait une fâcheuse impression. Le tsar Alexandre 1er qui consentit à leur rendre visite prononça des paroles extrêmement dures à l'encontre de son invité de marque :
"Je viens de rencontrer l'homme le plus nul en Europe et le plus insignifiant, il ne montera jamais sur le trône. "
Louis XVIII fera payer ces paroles dangereusement définitives qui blessent à jamais un homme au petit-fils de Catherine II en accordant à l'autocrate de toutes les Russies une simple chaise au château de Compiègne en 1814...
Le roi avait raison de se méfier d'Alexandre 1er car au terme de la bataille de Friedland, l'empereur Alexandre avait conclu à Tilsit une alliance avec Napoléon le 26 juin 1807. Ce rapprochement franco-russe était inacceptable pour Louis XVIII, la nouvelle fut accueillie avec horreur à la petite cour de Mittau. Par ailleurs, las des rigueurs du climat balte et de l'isolement politique dont il était victime, le roi décida de gagner l'Angleterre incognito et sans autorisation du gouvernement britannique.
Il voulait s'y établir de gré ou de force, l'Angleterre n'était-elle pas l'immuable ennemie de la Révolution et de l'Empire ? Embarqué de Liebau le 3 septembre 1807, il accosta les côtes britanniques à Yarmouth le 29 octobre. Avant de partir, il avait écrit au tsar en soulignant son "amitié" avec Sa Majesté Impériale.
Cette "amitié" était illustrée par les "gages que lui et son neveu laissaient en Courlande". Ces "gages" n'étaient autre que son épouse et Madame Royale, duchesse d'Angoulème. Louis XVIII avait lors de cette circonstance une singulière façon de présenter les femmes de sa famille ! Que pouvait donc l'empereur de Russie envers deux princesses sans défense et sans pouvoir ?
Marie-Joséphine et sa nièce ne rejoignirent le roi qu'à la fin du mois d'août 1808. Ce retard fut occasionné par les sempiternelles questions matérielles et l'aménagement de la nouvelle résidence des Bourbons en exil sur le sol britannique.
Débarquées à Harwich le 24 aout, la reine et la fille de Louis XVI étaient accompagnées du duc d'Angoulème, parti auparavnt d'Angleterre le 22 avril. Une foule considérable couvrit de vivats l'épouse de Louis XVIII, comme jamais peut-etre ne l'avait été la reine Charlotte de Hanovre. Mais trés vite, l'étrange aspect de Marie-Joséphine provoqua la stupeur des Anglais.
Lady Jerningham a bien observé le délabrement physique de la reine des émigrés : " La rapetissement de la reine est un sujet d'étonnement universel. Il semble qu'elle ne soit plus d'une taille ordinaire. Elle marche courbée en deux, les poings sur les hanches, les coudes en dehors, et lorsqu'elle est assise, elle est toute pliée, avec ses mains tenant ses genoux et un tabouret sous ses pieds."
La fille du prince de Condé qui la rencontra à la meme époque présente un tableau similaire : " La reine a été fort honnete pour moi, mais entre nous quel changement ! Non qu'elle eut rien à perdre quant à la figure, mais plus petite, plus mal tournée que jamais, mais des cheveux tout blancs, mais soixante-dix-ans, moins parlante qu'à Versailles, en un mot unique."
On s'en souvient, près de quarante ans plus tot la timide princesse de Savoie n'avait pas recueilli l'unanimité de la France et de la Cour quant à ses charmes ! "Le Toulouse et le Mirepoix la trouvent affreuse. La comtesse de Provence aura le prix de la laideur." écrivait madame du Deffand en 1771. Et madame Campan ne lui accordait que "d'assez beaux yeux". A cinquante cinq ans, la laideur de Marie-Joséphine est occultée par les ravages de la maladie. Une cyrrhose du foie consécutive à ses débordements de boisson depuis sa jeunesse, les progrès lancinants de l'hydropisie et une décalcification sévère minent ses dernières forces et elle a considérablement maigri. Lucide sur son état, elle avouera à madame de Gourbillon : " Autrefois, j'étais un cheval, à présent je ne suis plus qu'une vielle rosse."
D'abord établie au chateau de Gosfield, au nord de l'Essex, l'humidité et les pluies légendaires des iles anglo-normandes achevèrent de détraquer un peu plus la santé de la reine : " J'ai voulu hier au soir me lever, ma fièvre étant finie et faire refaire mon lit, dans lequel je ne pouvais plus tenir, mais ma chambre est si humide que ma douleur de coté qui était disparue m'a reprise avec beaucoup de violence ainsi que l'oppression. Me voila condamnée à mon lit pour ne m'en relever que lorsque le médecin le jugera à propos. "
L'égoisme de Louis XVIII n'a pas diminué avec l'age, bien au contraire. Il refuse de prendre au sérieux la maladie de sa femme, pourtant évidente. Ce vieux couple dont la vie conjugale et intime demeura des plus réduites et qui vécut de longues années séparés pendant l'exil, n'est pas revenu à de meilleurs sentiments. Il entretenait des relations détestables sous un vernis de courtoisie qui pouvait tromper les non-initiés. Marie-Joséphine, avait bien du mal à supporter cet homme dénué de naturel et envers qui elle ne pouvait attendre aucun réconfort : " Il m'assome par sa ladrerie et sa pédante régularité à ne rien changer de la distribution de la journée ; ce qui me tue, c'est qu'il croit en ce pays-ci qu'il faut qu'il passe pour un bon mari." L'entourage du roi ne trouve pas davantage grace à ses yeux, elle déclarera qu'elle n'a " rien de commun pour ce qui regarde mon chez moi avec les personnes attachées au roi. "
L'année 1809 fut marquée par un nouveau déménagement. Trop à l'étroit à Gosfield, le roi des émigrés loua le chateau de Hartwel House, près d'Aylesbury. Un immense escalier sculté, d'immenses salons de réception, un parc redonnèrent une touche d'honorabilité aux Bourbons exilés. En vérité, seule la famille royale disposait de véritables appartements. Le reste de la suite, cent quarante personnes au moins, vivait dans les greniers et les dépendances que l'on avait aménagés grace à des cloisons.
C'est en Angleterre, que la correspondance de Marie-Joséphine avec Marguerite de Gourbillon reprit à un rythme régulier. Cette dernière était installée à Londres à Litchfield street et les deux femmes espéraient encorer se revoir en déjouant les soupcons de Louis XVIII. Plus encore, madame de Gourbillon souhaitait etre reçue officiellement à Hartwel, un voeu presque impossible à réaliser. Le roi ne voulait plus entendre parler de l'ex-lectrice de sa femme et encore moins la recevoir sous son toit ! Les deux amies dont la séparation avait été brutale en 1799 et qui ne s'étaient jamais revues depuis, se contentèrent des voies de la correspondance. Et quelle correspondance !
La reine y fait régulièrement part de son attachement inaltérable, devient susceptible au moindre mot un peu leste ou à un courrier mal interprété. Pour sa part, Marguerite s'entendait à manipuler son ancienne maitresse en ne répondant pas toujours selon les délais impartis, ce qui achevait d'exaspérer Marie-Joséphine, se croyant abandonnée. Les justifications sur les faits du passé, de sordides questions d'argent, et les crises de santé des deux épistolières égrennent toute la correspondance.
Marguerite était déterminée afin de mettre à jour les raisons qui avaient conduit à sa disgrace en 1789 et plus encore son arrestation et son emprisonnement dix ans plus tard. A cette question et malgré ses efforts pour percer la vérité, Marie-Joséphine ne semble jamais etre parvenue à saisir totalement les motifs de l'hostilité de Louis XVIII.
Elle possédait néanmoins quelques réponses tangibles, à savoir la mise à l'index de sa propre famille. On le sait, la famille royale de Savoie eut tout le loisir d'observer la compagne de Marie-Joséphine entre 1792 et 1796 lorsque la princesse séjournait à la cour de son père. A cette époque, les relations entre la lectrice et les parents de la savoyarde se tendirent à l'extreme. Victor-Amédée III exigea tardivement le renvoi de madame de Gourbillon, une éventualité inconcevable aux yeux de sa fille. Elles quittèrent alors bien vite la rigide cour de Turin. Interloqués sur les inexplicables rapports d'une princesse de sang royal et d'une obscure lectrice promue au rang de favorite, la famille de Savoie crut bon d'informer l'époux de Marie-Joséphine, pourtant bien renseigné de la liaison des deux femmes.
C'est ce que confia l'épouse de Louis XVIII à son immuable amie : " Il est trop vrai que tout cela est venu de mon père trompé tout à fait, qu'il a exigé de son gendre de me séparer de vous, qu'on a blamé mon intimité avec vous et qu'on a été dire que cela faisait tort à mes moeurs. Vous étiez jour et nuit entouré d'espions qui ont envenimé tout. "
Dans une autre lettre, elle parle toujours sur le meme ton : " Je vous demande pardon à genoux. On a dit mon honneur perdu en souffrant que vous fussiez aussi intimement liée à moi, que cela faisait suspecter mes moeurs et que le déshonneur retombait sur le roi. Il faut écrire au roi une lettre de conscience et de sensiblité, toucher et non cabrer... Je vais vous dire le sujet de votre disgrace. C'est mes parents qui ont fait un crime au roi de trop de complaisance maritale. J'ai les preuves de ce que je vous dis : j'ai vu les lettres de mon père, de ma soeur, la princesse de Piémont et de mon frère ainé. Le roi a eu la bonté de prendre mon parti et a dit que surement j'étais innocente, mais il a cru devoir donner cette satisfaction à mes parents et il n'a pas voulu voir que c'était plutot accréditer ces bruits plutot que les étouffer. "
Les deux vieilles femmes aux prises avec les affres de la maladie et de la mort qui approche ne cessent de ruminer leurs ressentiments. Leurs lettres ne représentent qu'une succession d'explications assez oiseuses : "IL est malheureux pour moi que j'ai perdu votre confiance et que je ne puisse parvenir qu'à vous affliger et à etre jugée d'une autre manière que j'aurais droit d'y prétendre. Je suis ulcérée. " griffone Marie-Joséphine rageuse. Un autre jour, la reine se croit abandonnée : " Vous me dites que vous n'etes plus ma bien-aimée, je vous aime toujours mais plus durement. "
Dans l'épreuve de l'exil, les deux épistolières n'ont toujours pas désarmé avec le hiatus des questions d'argent. Marguerite de Gourbillon compte toujours sur sa bienfaitrice pour la sortir de ses embarras financiers, sa pension accordée par le tsar dix ans plus tot ayant cessé d'etre versée. L'ex-lectrice désormais à demi-aveugle et pourvoyant à l'éducation de sa petite-fille Adèle, expose régulièrement le médiocre état de sa situation. Certes, la position de la reine était plus enviable, mais Marie-Joséphine ne disposait plus de sa pension espagnole avec la chute des Bourbons de Madrid en 1808 et il ne semble pas qu'elle aie obtenue beaucoup d'argent de sa famille piémontaise désormais repliée dans on ile de Sardaigne à Cagliari. Pour toute recette, elle touchait une pension de son époux et son aide matérielle se révélait intermittente, d'autant plus que les fonds de Louis XVIII ne lui étaient pas régulièrement versés. Elle se plaignait en effet souvent de sa ladrerie. En économisant ou en vendant quelques objets comme un nécessaire en or, la souveraine sans couronne parvenait à trouver de l'argent. Mais l'amie d'autrefois renaclait devant la faiblesse des secours.
En guise de réponse, Marie-Joséphine avait bien du mal à cacher son dépit : " Je n'ai plus rien sous la calotte des cieux. Je suis forcée de vous dire, ce qui n'est pas délicat que l'argent que je vous envoie est le seul pauvre avoir que j'avais pour m'acheter des chemises car les miennes me quittent. "
La fin de Marie-Joséphine n'est qu'une litanie de maux. Son corps révèle l'inexorable délabrement d'un organisme qui se décompose. L'année 1810 commence trés mal, la reine est la proie d'une attaque d'ophtalmie, puis au cours de l'été elle fait une chute et se casse le poignet droit. Elle sait qu'elle va bientot mourir et décrit à Marguerite l'état effrayant des ravages de son mal : " Je souffre de douleurs abdominales, mes dents d'en bas ont été disloquées par les convulsions. Je ne suis plus ni gourmande, ni intempérante . On me donne des lavements d'huile de camomille et de camphre, mes urines sont infectes ainsi que mes sueurs. "
Le 4 novembre, ses dernières forces l'abandonnent et les médecins déclarent forfait. Son agonie la fit encore souffrir six jours, mais entre-temps elle trouva encore le moyen de rappeler une anecdote que seule la famille royale et quelques rares intimes connaissaient. Pour faire allusion au temps affreux qui accompagnait ses derniers instants, Marie-Joséphine confia qu'elle ne pourrait plus parler du " temps de Motte ". Quarante ans plus tot, était mort un serviteur du dauphin du nom de Motte " alors que des orages d'une rare violence avaient marqué son décès.
La reine mourut enfin le 10 novembre dans la matinée à cinquante-sept ans.
C'est dans la mort que sa dignité de reine de France fut reconnue avec tous les droits et prérogatives inhérents. A cet égard, Louis XVIII nourrissait des relations assez cordiales avec la famille royale d'Angleterre, particulièrement avec le prince de Galles, le futur Georges IV. C'est grace à cette amitié et à l'obligeance du gouvernement britannque, que les funérailles de l'épouse du prétendant se déroulèrent dans le plus grand apparat. Il est possible que cete cérémonie ait été la plus grandiose en qualité symbolique de toutes celles qui marquèrent les Bourbons depuis 1792 alors qu'ils ne régnaient plus et vivaient sur une terre étrangère.
Aprés l'exposition rituelle du cercueil dans la chambre de la reine, le service religieux se déroula à l'église de King's street à Londres lors d'une cérémonie impressionnante réservée à une souveraine sans trone. Sa titulature royale n'en était pas moins reconnue, la mention des tickets d'invitation faisant référence "aux obsèques de la reine de France ". Tous les Bourbons établis en Angleterre étaient présents, soit dans l'ordre protocolaire, Sa Majesté Louis XVIII, son frère le comte d'Artois, le duc et la duchesse d'Angoulème, le duc de Berry, enfin les cousins, le prince de Condé, le duc de Bourbon et Mademoiselle de Condé. Manquaient à l'appel parmi les menbres de la maison de Bourbon, ne vivant pas sur le sol britannque, tous les Orléans, la duchesse de Bourbon et le prince de Conti. La famille royale d'Angleterre était représentée par le prince de Galles et ses frères. On comptait aussi de nombreux menbres de la noblesse française et anglaise dont les Bukinghams.
Le Premier ministre Perceval et les menbres du corps diplomatique étaient présents. C'est dans la prestigieuse abbaye de Wetminister, nécropole des rois d'Angleterre, que le corps de Marie-Joséphine fut inhumé. Ainsi, à travers ces honneurs exceptionnels reservés à une dynsastie déchue, et cela malgré l'exil, la Révolution et Napoléon, les Bourbons avaient vraiment trouvé un pays d'élection, et une reconnaissance politique, honorifique certes, mais visible et capitale.
Marie-Joséphine ne devait pourtant reposer qu'un an à Wetminster. En 1811, Louis XVIII fit transporter son cercueil à Cagliari, en Sardaigne, dernière possession de la famille de Marie-Joséphine, depuis les annexions de la Savoie et du Piémont à la France. Cette démarche représentait le dernier souhait de la reine qui selon la dernière thèse établie aurait interdit que sa dépouille soit déposée à Saint-Denis au cas ou la monarchie serait restaurée en France. Cette ultime volonté n'en demeure pas moins troublante et n'a pas dévoilé son sercret. C'est dans la chapelle San Luciféro que ses restes reposent. Ce curieux nom avait été porté par un eveque de Cagliari mort vers l'an 370.
Marguerite de Gourbillon, poutant plus agée que sa bienfaitrice, survécut à sa maitresse. Toujours prévoyante dans l'avenir, elle avait conservé de précieux documents dans l'éventualité d'un retour de fortune. Parmi ses justificatifs, figurait un acte de Marie-Joséphine daté du 13 septembre 1794 ou cette dernière garantissait des avantages matériels à sa lectrice, puis une lettre de Louis XVIII la remerciant du succès de la fuite de sa femme organisée par ses soins en 1791. Avec le rétablissement de la royauté en 1814, elle fit valoir ses droits auprès de l'Administration et obtint gain de cause. Celle qui vécut selon toute apparence dans la hantise de la pauvreté, mourut à quatre-vingt-ans en 1817 en terre de France. Le roi, qui ne semble pas avoir soulevé d'obstacles dans la réhabilitation des biens de madame de Gourbillon, se souvenait toutefois de la correspondance pasionnée de sa femme ! C'est pourquoi, la police fit main-basse sur les papiers de l'ex-lectrice dès que son décès fut connu.
En conclusion et à l'aune de l'histoire, l'épouse de Louis XVIII ne compte pas parmi les reines de France en titre. C'est un fait incontesté. Son époux, enfin installé dans ses droits régaliens en 1814 et qui datait sa Charte de Saint-Ouen " de la dix-neuvième année de son règne" n'a pas pour autant brouillé l'exactitude des historiens. Son véritable avénement commence en 1814 et se termine avec sa mort en 1824. Pourtant, au nom des traditions de la monarchie Capétienne, et à une époque encore largement imprégnée d'idées monarchiques, l'exilé de Coblence, de Vérone, de Mitau ou de Hartwel ne se trompait pas.
C'est pourquoi, malgré le fait de n'avoir jamais régné ayx coté de Louis XVIII, on peut concéder à Marie-Joséphine de Savoie la titulature de reine de France au regard de la légitimité dynastique toujours vivace en France sous la Révolution, le Directoire et l'Empire et dans le cadre historique des idées et des passions politiques de cette période.
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_________________ Dominique Poulin
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