Voici le dernier chapitre de mon récit, les trois dernières années du Comte d'Artois en France de 1786 à 1789.
Cette période est importante dans la vie du frère cadet de Louis XVI : à l'aube de la trentaine, Charles de range, il met fin à une série de scandales et de dissipations qui ont fortement terni son image dans l'opinion publique et à la cour. Quelles sont les raisons de ce revirement de conduite ? d'une part, il tombe amoureux, peut-etre pour la première fois de sa vie et d'autre part le climat politique et social de la fin de ces années 1780 va lui permette de jouer un role plus sérieux aux pieds du trone.
Dés 1785, il tombe sous le charme de Louise de Polastron. C'est la belle-soeur de la duchesse de Polignac qui est trés liée à la société de la reine. La vicomtesse de Polastron n'est pas ce que l'on appelle une maitresse-femme, elle est douce, effacée. Pourtant Charles s'éprend de la jeune femme. Cette liaison est la cause principale de la métamorphose du prince : la famille royale et la cour ne le reconnaissent plus, le comte d'Artois ne fréquente plus les maisons closes de Paris. Assagi, le comte d'Artois tempère ses comportements intenpestifs d'autrefois. Pourtant, il est trop tard, la réputation du prince est detestable dans l'opinion qui le juge perverti et corrompu. Charles n'en a cure. IL a l'habitude de dire : "Que peut-t-on contre moi ? Ne suis-je pas le frère du roi ?". Cette phrase résume le prince imbu de sa naissance...
L'année 1787 est un tournant. Le Controleur Général des Finances, Calonne, a remis à Louis XVI un plan de réformes des finances du royaume. Ce plan propose une refonte des impots dont l'institution d'un impot proportionnel au revenu foncier, la Subvention Territoriale, imposable à tous, y compris le clergé et la noblesse. Pour contourner l'opposition problable du Parlement, le roi décide de réunir une Assemblée des Notables jugée plus docile. Le 22 février 1787, cette assemblée se réunit à Versailles divisée en sept bureaux sous la présidence des princes du sang. Le comte d'Artois préside le second bureau. A partir de ce jour, Charles entre dans la vie politique , il est appelé pour la première fois à jouer un role dans les rouages de la vie du royaume. C'est aussi le cas du comte de Provence.
Appelés à sieger plusieurs semaines en raison de la complexité des projets à présenter, Calonne laisse entendre que des privilèges doivent etre sacrifiés. C'est à ce moment, que les notables au nombre de 147 montent au creneau : ils exigent des explications. On le leur donne : la France a emprunté 1 milliard 250 millions de 1776 à 1786 , la dette de l'Etat se monte à 2 milliards et on rembourse 300 millions tous les ans. La balance budgétaire de la France est en désiquilibre : pour 500 millions de recettes, les dépenses sont de 700 millions dont 300 pour payer la dette publique. Dans ce contexte, l'Etat est etranglé et est menacé de banqueroute.
Les notables, pourtant soigneusement triés sur le volet par Louis XVI, se soulèvent contre Calonne et le rendent responsables du déficit. Il est vrai que ces priviligiés d'entre les privilégiés (ce sont pour la plupart les plus grosses fortunes du royaume) sont les premiers à se sentir visés : ils font donc bloc contre les projets de Calonne.
Au cours de ces semaines qui annoncent le prélude de la Révolution , Louis XVI s'affaise devant l'impasse d'une situation qu'il n'a pas prévue. C'est alors que la reine, le comte de Provence et deux orateurs de l'Assemblée des notables ou figure Loménie de Brienne font le siège du roi et exigent le renvoi de Calonne.
Mais quelle est la position du comte d'Artois ? il soutient Calonne et est en minorité au sein des notables. Pourquoi se montrer solidaire des projets du controleur général des finances et pourquoi notre prince ne s'est pas montré solidaire des menbres de sa famille ? car il faut bien le dire, le changement de politique préconisé par Calonne et soutenu un temps par Louis XVI ne va pas dans un renforcement des privilèges fiscaux dont jouit le comte d'Artois.
On peut premierement avancer que le comte d'Artois a été un des principaux bénéficiaires de la générosité du Controleur général pour trouver des solutions à son endettement croissant, le comte de Provence est dans la meme situation, il doit beaucoup à Calonne. Mais la reine et Provence n'ont jamis aimé Calonne, on ne sait trop pourquoi : il y a sans doute eu des froissements d'amour-propre, cela compte. De son coté Artois apprécie le ministre et en fera son conseiller politique et financier pendant la période de l'Emigration.
Alors que penser ? les princes à cette époque font rarement état de leurs sentiments, lorsque leurs interets sont en jeu, ils n'hésitent pas à sacrifier un homme. Toutefois, il faut éviter d'etre trop monolithique car Marie-Antoinette, novice en politique, ne fait que suivre le mouvement et Provence rejoint le camp hostile car il sait que Calonne est condamné par le manque de fermeté du roi dans cette crise. Le comte d'Artois, en désaccord avec son frère et la reine, soutient les projets du ministre. A t-il compris que l'instauration d'assemblées provinciales, l'égalité devant l'impot, l'allègement de la taille et de la gabelle étaient les premiers signes de la fin d'une société d'Ordres et la création d'une société de Classes ? Je pose la question, je n'ai pas la réponse. En tout cas dans cette affaire, on ne peut taxé le comte d'Artois d'ingratitude et de lacheté.
Malgré le soutien du prince, Calonne est renvoyé par Louis XVI le 8 avril 1787. Loménie de Brienne, archeveque de Toulouse et celui qui a poussé le plus à la roue dans la cabale contre Calonne, lui succède. Les notables continuent de siéger mais ils se perdent en débats stériles. Le marquis de La Fayette, qui fait partie du bureau du comte d'Artois en appelle à la convocation des Etats Généraux et suggère meme l'introduction d'une Constitution. Du coup, Charles se fache pour de bon. Pour lui, se serait attenter aux bases qui régissent la monarchie de droit divin auquel il est passionnément attaché. Dores et déja, c'est un conservateur, mais il semble plus attacjé au maintien des formes auliques de la royauté, car il a montré un début d'ouverture en soutenant les projets de Calonne.
Le climat politique devient de plus en plus confus : c'est un bras de fer qui s'instaure entre le pouvoir royal et les parlements. Ces derniers refusent d'enregistrer les édits, entrainant une paralysie judiciare et une baisse de la bourse. Impuissants, le comte d'Artois, comme Louis XVI et le comte de Provence subissent plus qu'ils n'agissent. Le mot d'ordre de la France de 1788 se résume à celui-ci : la convocation des Etats-Généraux, la seule solution aux yeux de l'opinion pour régler la crise financière, sociale et politique qui balaie la France.
Certes, Charles est partisan des mesures radicales, mais que peut-il ? il ne dispose pas de moyens politiques, il n'a pas encore accès au Conseil, ni aux comités inter-ministériels , Louis XVI ne l'écoute pas, la reine d'accord sur le fond avec son beau-frère le redoute car elle pense que les opinions trop tranchantes de Charles risquent de détériorer encore la situation.
Pourtant Charles est inquiet. Il pressent sans doute de manière diffuse que le monde dans laquelle il a vécu est en train de sombrer et que l'institution monarchique est en péril. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, le conservatisme du comte d'Artois n'est pas partagé par toute la cour et toute la noblesse, il s'en faut de beaucoup ! Un certain nombre de titulaires de charges à la cour comme les Noailles et le duc de La Rechefoucaud-Liancourt ne sont pas hostiles aux idées nouvelles, ils sont sensibles aux Lumières et l'idée d'une Constitutution ne les effraie pas outre mesure. Un bon nombre d'entre eux sont anglophiles et reconnaissent que la monarchie britanique n'a rien perdu de sa popularité en abandonnant une partie de ses pouvoirs. Alors pourquoi pas la France ? De tout cela, Artois y est hermétquement hostile, il le dit et le clame franchement, ce n'est pas un prince aux manières cauteleuses.
A bout de patience, fin 1788, lorsque Louis XVI se résigne à convoquer les Etats-Généraux, Charles se rend l'auteur d'une lettre officielle adressée au roi et co-signée avec les autres princes du sang, à l'exeption du comte de Provence et du duc d'Orléans.
En voici quelques extraits :
" Sire,
L'Etat est en péril... Une révolution se prépare dans les principes du gouvernement : elle est amenée par la fermentation des esprits. Des institututions réputées sacrées et par lesquelles cette monarchie a prospéré pendant tant de siècles sont converties en questions problématiques ou meme décriées comme des injustices.
Les droits du Trone ont été mis en question. Les droits des deux premiers ordres de l'Etat divisent les opinions. Bientot les droits de la propriété seront attaqués, l'inégalité des fortunes seront présentées comme des objets de réforme .
Les princes ne peuvent dissimuler l'effroi que leur inspireraient pour l'Etat le succès des prétentions du Tiers Etat et les funestes conséquences de la révolution proposée."
Dans cette lettre le comte d'Artois fait l'argumentation de son opposition à la décision qu'a prise Louis XVI pour la tenue des Etats Généraux : la double représentation des députés du Tiers Etat, les deux autres ordres, le clergé et la noblesse se retrouvant ainsi en position minoritaire. Si Louis XVI a pris cette décision, c'est pour aller au devant des voeux de l'opinion d'une grande majorité de français. Le frère du roi et l'ensemble des princes du sang y voient une attaque aux principes fondamentaux de la monarchie, ils ne veulent pas que le Tiers Etat entre par ce biais dans les affaires publiques. Mais comme l'écrira Sieyes "Qu'est-ce que le Tiers-Etat ? Tout". IL est vrai qu'en 1789, il représente plus de 90 % de la population française. Les princes de sang royal n'en ont pas vraiment conscience...
Les débuts de la révolution se déroulent avec les événements que l'o sait... C'est un nouveau bras de fer entre Louis XVI et les députés du Tiers. Le 17 juin 1789, les députés du Tiers se réunissent et se proclament Assemblée Nationale. Louis XVI ne peut y consentir : pour lui c'est nier la plénitude de la fonction royale que ses pères ont exercée, s'est s'attaquer à ses pouvoirs. L'intervention solennelle du roi le 23 juin dans un silence glacial ou il déclare comme nulle la proclamation de l'Assemblée nationale n'y changera rien, la révolution est en marche.
L'etau se resserre. Louis XVI fait venir des régiments pour quadriller la capitale ; Paris est en ébullition. Inquiet sous la pression de son entourage dont le comte d'Artois, on pense à renvoyer Necker. Ce dernier est jugé responsable de la situation, de plus il ne cautionne pas le retour à la fermeté. C'est chose faite le 10 juillet : Necker est renvoyé. Le baron de Breteuil, un homme à poigne prend la tete du ministère. Le comte d'Artois et Marie-Antoinette exhultent : ils pensent la situation retournée, désormais place à la politique de réaction et surtout se donner les moyens de casser cette Assemblée nationale et de dissoudre les Etats Généraux ! Ils n'en auront pas le temps et à la reflexion il n'est pas du tout certain qu'ils en avaient les moyens. Paris se soulève, le 14 juillet les émeutiers prennent la bastille. Cette fois, le parti de la Cour capitule, la monarchie de roit divin a vécu.
A partir de ce jour, si Louis XVI est menacé dans ses pouvoirs, personne ne veut encore attenter à sa vie. Une liste de proscription circule à Paris : des tetes sont mises à prix. Sur cette liste, figurent en première ligne la reine et le comte d'Artois. Lors d'un dramatique conseil de famille ou il est question du frère du roi, Louis XVI donne l'ordre à son frère de quitter la France dans les plus brefs délais. Avec la reine, le comte d'Artois est perçu dans l'opinion comme le sujet le plus réactionnaire et le plus opposé aux idées nouvelles. Il risque désormais de géner Louis XVI dans le gouvernement. Conscient de son impopularité et du risque trés réel qu'il coure à rester en France, le plus jeune frère du roi prend le chemin de l'exil à 32 ans à peine. Un exil qu'il pense des plus brefs, pas plus de quelques mois pense-t-il. IL devra attendre 25 ans avant de fouler sa terre natale en 1814 !
Il me parait certain que le comte d'Artois courait un risque mortel à rester en France, et cela dès 1789. Pris à partie par une foule en délire, la population n'en aurait fait qu'une bouchée pour le lyncher. Pourquoi une telle impopularité ? Sur bien des points, les causes sont similaires avec la haine qu'inspirait Marie-Antoinette. Trop de légeretés, trop de foucades scandaleuses pendant la jeunesse du prince. De plus, les positions politiques absolutistes de Charles pendant les 3 années qui précèdent la révolution achèvent de le discréditer complétement dans l'opinion.
Mon analyse sur le comte d'Artois s'achève. Comme je l'avais dit, mon axe était concentré sur l'étude du prince de sa naissance en 1757 jusqu'a son départ en exil en 1789. Quelques pistes sont cependant à envisager : Charles, si impopulaire pendant sa jeunesse ne sera pourtant pas l'objet d'un tel ostracisme lors de son age mur, et cela lors de la Restauration en tant que frère de Louis XVIII puis comme roi sous le nom de Charles X. Mal éduqué et guidé dans on age le plus tendre, il se laissa aller trés vite à des débordements infantiles qui lui alienerent ses contemprains car il ne correspondait pas à l'image d'un prince que l'on se faisait à la fin de l'Ancien Régime. Quelques décennies auparavant, des princes comme le comte de Charolais de la maison de Bourbon-Condé s'était également aliéné l'animosité de ses contemporains par ses scandales. Mais à la veille de la Révolution, les Français ne voulaient plus entendre parler de princes oublieux de leurs devoirs car l'esprit d'égalité était en marche.
_________________ Dominique Poulin
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