A partir de 1774, date de l'avènement de Louis XVI, la vie du comte d'Artois se déroule jusqu'en 1789 fans une ambiance d'auguste majesté ponctée de quelques coups d'éclats retentissants. Charles partage son existence entre Versailles et ses résidences personnelles de Bagatelle à Paris, de Saint-Germain et de Maisons.
Le jeu, la chasse, les courses de chevaux,bals et fetes et les plaisirs d'Eros constituent l'essentiel du temps du frère du roi. Peu porté sur l'effort intellectuel, le comte d'Artois n'est occupé à aucune affaire sérieuse et comme le comte de Provence n'a pas accès au Conseil. C'est une époque ou Louis XVI est jaloux de son pouvoir, mais s'il souçonne de la déloyauté chez Provence, il ne fait aucune confiance à d'Artois car ce dernier ne s'interesse nullement aux affaires politique et il n'a pas encore 20 ans.
Il noue une amitié un peu superficielle avec Marie-Antoinette. Dans leur immaturité, ils recherchent les plaisirs, tout leur est bon pour secouer le joug de la vieille cour. Place à la jeunesse et tant pis pour les mécontents !Jeu dangereux. A l'évidence, ils s'amusent franchement, mais leurs relations à mon avis n'ont pas dépassé le stade de l'amitié. Une compagnie d'ailleurs assez courte car la reine conviendra que son beau-frère en fait trop, trop d'écarts de conduite pour un prince de sang royal.
Rapidement, le comte d'Artois s'impose comme l'espoir de la dynastie : il se révèle le seul prince à faire des enfants à son épouse imposée, la fade Marie-Thérèse de Savoie. Coup sur coup, deux princes s'imposent dans le ménage, le duc d'Angoulème en 1775, puis le duc de Berry en 1778. C'est un fait important dans les annales de la monarchie des années 1770 : Louis XVI a visiblement des problèmes conjugaux avec sa femme et le comte de Provence, malgré ses fanfaronnades n'est pas porté sur les plaisirs de la chair. Charles a t-il tiré inconsciemment de cette précoce paternité une gloire éphèmère ? C'est possible.
Sourd aux remontrances de Louis XVI, la vie du comte d'Artois de 1773 à 1785-86 ressemble à un tourbillon incohérent de plaisirs frivoles. Dans ses gouts, le prince laisse éclater son tempérament. Un tempérament qui déroute.
Par exemple, il introduit les courses de chevaux en France. C'est une mode qui vient d'Angleterre et qui fait maintenant fureur sur notre sol. Ainsi, lorsque ses chevaux concourent, il se livre à des atitudes pitoyables entremélées d'effusions désordonnées quand ses coursiers sont vainqueurs. Mais en cas d'échec, il est capable de jurer comme un charretier au grand scandale des assistants. Le jeu et les plaisirs de l'amour occupent aussi beaucoup de son temps : il adore vivre la nuit et court à Paris pour hanter les mauvais lieux de débauche, les maisons de prostitution de luxe. A ce titre, d'Artois ressemble a beaucoup de grands seigneurs de son temps, le libertinage est de mise, la fidélité conjugale est risible, mais le frère du roi oublie d'y mettre de la mesure et de la discrétion. Lorsque l'on est placé si haut, tout se sait !
Notre jeune homme en fait trop, trop de bétises ! Peu réflechi, il s'emporte facilement. Imbu de sa naissance, ses ordres doivent etre exécutés comme ceux d'un roi. C'est encore possible à Versailles, mais ça ne l'est plus à Paris. Un jour qu'il voulait jouer à la paume dans la fameuse salle qui sera si célèbre plus tard, il demande sur le champ une évacuation pure et simple. Ces gestes ne s'oublient pas et les Parisiens ne l'oublieront pas... Un autre jour, il prend violemment à partie sa cousine, la duchesse de Bourbon, au bal de l'Opéra et lui arrache son masque. Scandale. Ce dernier fait peu paraitre peu de choses, mais au XVIIIe ça ne l'était pas.
Sa réputation de prince jouisseur, désiquilibré et prodigue à l'excès contribura beaucoup à son impopularité. Comme tous les grands privilégiés de cette période, Charles dépense bien au-delà de ses revenus, des revenus qui sont pourtant infiniment considérables mais mal gérés et gaspillés. Paul et Pierrette Girault de Coursac, auteurs de "Provence et Artois, les deux frères de Louis XVI" n'hésitent pas à écrire que le comte d'Artois était débiteur de 21 millions de livres de dettes en 1781 (cette somme est au moins à multiplier par 6 pour avoir une idée de la somme en francs). Devant l'outrance d'une telle dette, les conseillers du comte d'Artois décident d'en référer au roi . Louis XVI mettra en place un mémorandum, en clair un échéancier de paiement qui se perdra dans les orages de la Révolution. Sans doute bien des créanciers ne furent jamais payés. Il parait clair que le comte d'Artois n'avait aucune notion de l'argent ou qu'il faissait aveuglément confiance à la générosité du trésor royal pour éponger ses dettes !
Eric Le Nabour, dernier grand biographe du comte d'Artois parle de "cassure psychologique" et "d'attittude volontairement scandaleuse et infantile" pendant la jeunesse du prince. je me sens proche de cette opinion, car tout démontre que Charles de 1773 à 1785-86 mène une vie desaxée, sans but. A l'évidence, et toujours lors de la période pré-citée, il ne s'est jamais vraiment senti aimé. J'ai déja parlé plus haut des relations complexes avec ses parents, pas de spontaneité car protocole oblige. Il semblerait que les effusions avec ses parents ont été trés rares. De plus petit-fils de roi, fils d'un dauphin et frère de roi, il ne pouvait etre entouré sauf à de trés rares exceptions que par des courtisans serviles et interessés. Le manque de discernement du comte d'Artois entre des amitiés trompeuses et des dévouements cachés a contribué à un enchainement terrible de foucades scandaleuses et d'activités futiles à répétition. Le mot-clé de cette vie déréglée est peut-etre l'oisiveté. Quand un homme se sent et se sait condamné à l'inutilité, il entre dans une impasse et cherche desespérement des émotions pour se sentir vivre. Et ma foi, lorsque l'on est prince de Fance au XVIIIe siècle, on peut se permettre bien des écarts. De plus, Louis XVI échoue pour remettre son frère dans le droit chemin. Un bref arret d'exil en province aurait peut-etre amendé le prince, juste pour lui faire sentir que certaines bornes ne doivent pas etre franchies et que la vie d'un prince est aussi faite de devoirs.
Ce n'est qu'aux alentours de la trentaine qu'Artois met un coup d'arret à sa vie dissipée. Je viens de raconter brièvement l'une des pages les plus contestables de la vie du futur Charles X.
Le prochain et dernier acte de 1786 à 1789 donnera une nouvelle image du comte d'Artois dans sa vie privée et publique. Face aux grondements sourds de la Révolution qui approche , Charles de France va entrer dans la vie politique.
Suite au prochain épisode.
Dominique Poulin
_________________ Dominique Poulin
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