Bonjour, L'année 2020 étant le 150e anniversaire du début de la guerre franco-allemande de 1870-1871, j'ai été amené à m'intéresser d'un peu plus près au parcours des unités de la garde nationale formées en Mayenne : 5 bataillons de la garde nationale mobile et 9 de la garde nationale sédentaire mobilisée. Pour essayer d'y comprendre quelque chose dans les processus de mise sur pied de ces bataillons, je me suis astreint à coucher par écrit, en les ordonnant un peu, parmi les données recueillies au fil des semaines et des mois dans les documents conservés aux archives départementales, celles qui me paraissaient de nature à former le cadre législatif et règlementaire qui a présidé à ces créations C'est, en ce qui concerne la garde nationale mobile, le résultat de ce travail que je vous propose ci-dessous.
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Pour pallier l’insuffisance des réserves, la loi du 1er février 1868 sur le recrutement de l’armée et l’organisation d’une garde nationale mobile, complétée par la décision impériale du 28 mars 1868 sur l’organisation de la garde nationale mobile, avait créé une garde nationale mobile, constituée « à l’effet de concourir, comme auxiliaire de l’armée active, à la défense des places fortes, des côtes et frontières de l’Empire, et au maintien de l’ordre dans l’intérieur ». Y étaient versés pour cinq ans les jeunes gens des classes 1867 et suivantes qui n’avaient pas été retenus pour le contingent, ou qui s’étaient fait remplacer. Par mesure transitoire, en faisaient également partie, à partir du jour de la promulgation de ladite loi, les jeunes gens des classes 1866 (pour quatre ans), 1865 (pour trois ans) et 1864 (pour deux ans), « qui ont été libérés par les conseils de révision », parce qu’ils avaient tiré des numéros suffisamment élevés pour ne pas être retenus pour le contingent.
Votée parce que l’Empereur le souhaitait, la loi connut, malgré tout ce qu’on peut lire ici ou là, un début d’exécution rapide et le maréchal Niel, ministre de la guerre, prescrivit dès le 4 février 1868 par circulaire aux préfets, de faire dresser par les maires les listes de recensement des jeunes gens des classes 1864 à 1866 susceptibles d’être appelés les premiers à composer la garde mobile. Une circulaire du 12 février 1868 ordonna la révision de ces listes entre le 9 et le 21 mars 1868 ; ne devaient se présenter que ceux qui pensaient avoir des exemptions à faire valoir pour défaut de taille (1 m 55 minimum) ou pour infirmité. Pour la classe 1867, on attendrait les opérations normales de révision, prévues au printemps.
Les bases retenues pour l’organisation de cette garde mobile ne furent officiellement définies que Par la décision impériale du 28 mars 1868 déjà citée : des bataillons d’un effectif maximal de 2000 hommes, à huit compagnies de 250 hommes au plus, recrutés au sein d’un même arrondissement. Les chefs-lieux de canton étaient retenus comme centres de réunion et d’exercice des compagnies, car il était prévu d’exercer régulièrement cette armée auxiliaire, placée dès le temps de paix sous l’autorité des généraux commandants de subdivision militaire.
Tout l’encadrement était à recruter.
L’encadrement des bataillons était réduit au strict minimum : un chef de bataillon et, par compagnie, un capitaine, un lieutenant, un sous-lieutenant, un sergent-major, 4 sergents dont un instructeur, 8 caporaux et un tambour. Au chef-lieu de chaque département, un capitaine-major, assisté d’un sous-officier secrétaire garde-magasin, était chargé de centraliser l’administration de tous les bataillons. Les officiers devaient être nommés par décret présidentiel ; les sous-officiers et les caporaux par l’autorité militaire. Ces emplois devaient être confiés de préférence à d’anciens militaires, mais on n’excluait pas de recruter des personnes de l’ordre civil. Restait à susciter des vocations.
Le premier emploi à pourvoir fut celui, permanent, de capitaine-major et dès le 26 février 1868, une circulaire du maréchal commandant le 5e corps d’armée à Tours, relative à la création de cet emploi dans chaque département, était diffusée jusqu'aux subdivisions militaires. Placé en dehors de tout bataillon et résidant au chef lieu, le capitaine-major sera chargé, sous les ordres directs du général commandant la subdivision, de tous les détails d’administration et de comptabilité des corps de la garde nationale mobile de son département. Il réunira dans ses fonctions, en ce qu’elles sont applicables à la garde nationale mobile, les attributions dévolues dans les corps de troupe au major, au trésorier et au capitaine d’habillement. En Mayenne, le choix se porta sur un capitaine au dépôt du 69e de ligne, nommé par décret du 22 avril 1868 et qui va donc être admis à la retraite. Il sera le seul officier de mobiles effectivement nommé en Mayenne avant la déclaration de guerre.
Car le processus de recueil des candidatures et de sélection des cadres va s’avérer nettement plus long qu’il ne l’avait été imaginé : il ne s’agissait pas ne nommer n’importe qui et les compétences militaires des futurs cadres n’allaient pas être le critère essentiel de leur désignation. Dans une circulaire datée du 11 mai 1868, le ministre de la guerre informait les préfets qu’il invitait les généraux commandants de division ou de subdivision territoriale « à porter particulièrement leur attention sur la position sociale des candidats et l’influence dont ils peuvent jouir dans l’arrondissement ou le département qu’ils habitent ». Les préfets seraient donc systématiquement conduits à renseigner les généraux commandants de subdivision sur la qualité des postulants au regard de ces critères éminemment politiques. De plus, force fut de constater que, dans les premiers mois du moins, les candidatures ne se bousculèrent pas pour occuper les postes d’officier. Le ministre de l’intérieur écrivait le 23 septembre 1868 dans une lettre confidentielle aux préfets : « Les rapports parvenus à M. le maréchal ministre de la guerre dénotent, sur certains points du territoire, moins d’empressement qu’on n’aurait pu l’espérer à rechercher les grades d’officiers dans la garde nationale mobile. Cette tiédeur apparente vient sans doute de ce que les règles sur lesquelles repose la nouvelle organisation ne sont pas encore suffisamment connues ». Le ministère de la guerre jugea donc nécessaire de diffuser le 5 octobre 1868 jusqu’à l’échelon des communes une circulaire précisant les règles sur lesquelles reposaient la nouvelle organisation :
Les officiers de tous grades de la garde nationale mobile sont choisis parmi les personnes notables, parmi les officiers en activité touchant à la retraite, les officiers retraités ou démissionnaires, les militaires libérés, les appelés et les volontaires de la garde nationale mobile. Les candidats doivent avoir l’aptitude physique nécessaire pour faire un bon service, être autant que possible domiciliés dans la circonscription du bataillon, de la compagnie ou de la batterie dans laquelle ils sollicitent un grade, et y avoir une situation honorable qui leur assure la considération et le respect de leurs subordonnés.
Suivaient les conditions d’âge : pas plus de 57 ans pour les chefs de bataillon, 55 ans pour les capitaines, lieutenants et sous-lieutenant, de façon à pouvoir servir pendant 5 ans avant d’atteindre la limite d’âge fixée à 62 ans pour les chefs de bataillon, 60 pour les autres officiers. Seraient considérés comme employés d’une manière permanente pour l’instruction et l’administration de leur unité, et rémunérés comme tels : - les chefs de bataillon : 1800 francs ; - le capitaine major : 1600 francs, plus 800 francs de frais de bureau ; - les capitaines d’infanterie : 1000 francs, plus 200 francs de frais de bureau. On précisait que ces indemnités se cumuleraient avec les traitements de retraite ou de réforme ; et que les officiers ne seraient liés par aucun acte d’engagement, mais qu’ils ne pourraient cesser leurs fonctions que sur l’acceptation de leur offre de démission. Des dispositions similaires étaient énoncées pour les sous-officiers, avec des emplois permanents, rémunérés et cumulables pour : - le sergent secrétaire (du capitaine-major): 500 francs, - les sergents-majors : 600 francs, - les sergents instructeurs : 450 francs, - les tambours : 300 francs. L’appel à candidatures devenait nettement plus attractif et le général commandant la subdivision de la Mayenne pouvait, au début du mois de juin 1869, solliciter l’avis du préfet sur 25 postulants à un grade d’officier dont 6 comme chefs de bataillon, 25 sous-officiers et 4 tambours. Il faudra toutefois attendre en Mayenne le 4 août 1870 pour voir les 3 chefs de bataillon nommés par décret ; les capitaines commandants de compagnie ne seront nommés que le 13 août 1870, par le général commandant la division militaire. Quant aux cadres subalternes, on ne sait ni quand ni par qui ils ont été nommés.
Pour l’instruction : des fusils… et des armureries !
L’instruction devait comprendre le maniement des armes et l’école du soldat, les principes et la pratique du tir, l’école de peloton. Il fallait donc des armes, entreposées de préférence aux centres de réunion et d’exercice des compagnies. Une abondante correspondance fut échangée en Mayenne tout au long des années 1868 et 1869 entre la subdivision militaire, la préfecture, la gendarmerie et les maires des chefs-lieux de canton, pour trouver des locaux pouvant servir d’armurerie, si possibles gratuitement. Tout ce remue ménage va beaucoup occuper le petit monde administratif en Mayenne pendant plus de deux ans, mais en fin de compte inutilement, car la garde nationale mobile ne disposait toujours d’aucune arme lorsqu’elle fut appelée à l’activité, par la loi du 17 juillet 1870.
L’habillement et l’équipement sont oubliés.
Le chapitre IV de la décision impériale du 28 mars 1868, consacré à ce sujet, se limitait à ce seul paragraphe : Habillement - L’Etat doit, en principe, l’habillement à tous les sous-officiers, brigadiers, tambours, trompettes et gardes nationaux mobiles, à l’exception de ceux qui, s’étant fait remplacer dans l’armée par un garde national mobile, sont tenus de s’habiller et de s’équiper à leurs frais. On en était resté là. L’uniforme n’était même pas précisé et, le moment venu, au mois d’août 1870, il faudra tout improviser, dans l’urgence. La qualité s’en ressentira.
Tout reste à faire.
A la déclaration de guerre, les mobiles de la classe 1864 avaient été libérés, mais ceux des classes 1867, 1868 et 1869 étaient venus grossir les rangs et les bureaux de recrutement avaient à leur disposition un réservoir de plusieurs milliers de gardes nationaux mobiles, potentiellement mobilisables. En faisant voter dès le 17 juillet 1870 la loi appelant à l’activité la garde nationale mobile, le gouvernement impérial accomplissait là une formalité indispensable pour se ménager la possibilité de l’utiliser, le cas échéant. Y songeait-il sérieusement ? Il ne pouvait ignorer l’état d’impréparation de cette armée auxiliaire, sans cadres, sans armes, ni habillée ni équipée, et il avait lui-même reconnu, dans une circulaire relative aux mobiles de la classe 1864 qui allaient être libérés des obligations militaires le 31 janvier 1870: « Les jeunes gens de cette classe n’ayant jamais été exercés ni réunis, etc. ».Il en était de même de ceux des autres classes, faute dit-on de ressources budgétaires.
On peut donc penser que dans l’esprit du ministre de la guerre, les dispositions énoncées dans ce décret pris le lendemain 18 juillet, ne l’étaient que pour préserver l’avenir :
Art. 1. Les bataillons mobilisés de la garde nationale mobile pourront, par décret impérial, être formés en régiments provisoires, composés chacun de deux, trois ou quatre bataillons. Les régiments de la garde nationale mobile prendront entre eux les numéros et le rang indiqués par leur ordre de création. Art. 2. Les régiments provisoires de la garde nationale mobile seront commandés par des lieutenants-colonels pris, soit parmi les anciens officiers en retraite ou démissionnaires, soit parmi les chefs de bataillon de la garde nationale mobile. Art. 3. Les régiments de la garde nationale mobile pourront être réunis en brigades formées de deux à trois régiments, et en divisions formées de quatre à six régiments. Ces brigades et des divisions seront commandées par des officiers généraux du cadre de réserve. Art. 4. L’artillerie de la garde nationale mobile de la Seine etc. (pour mémoire).
A la chute de l’Empire le 4 septembre 1870, pas moins de 58 de ces régiments auront été créés. Plusieurs décrets portant création de ces régiments ont été publiés au Journal Officiel, précisant à chaque fois la provenance des bataillons et le nom du lieutenant-colonel nommé pour le commander. Les régiments numérotés 9 à 16 ont fait l’objet du décret du 22 août 1870 ; celui du 16 septembre 1870 porte sur le 67e régiment. Un de ces décrets précise que les bataillons entrant dans la constitution des régiments sont à environ 1200 hommes et formés à 7 compagnies à 170 hommes, cadres compris. La 8e compagnie du bataillon forme le dépôt. Comme ce sera le cas en Mayenne, d'autres bataillons pourront être formés ensuite, avec les effectifs disponibles dans les dépôts. Leur identification et leur destination n'est pas chose aisée. D’autres régiments ont bien sûr suivi, mais dont les décrets de création ne semblent pas avoir été publiés.
Août 1870 : une mise sur pied en catastrophe.
Il faudra attendre les premiers revers et la prise de conscience de la nécessité de combler les pertes, et la loi du 10 août 1870 relative à l’augmentation des Forces militaires pendant la durée de la guerre, entre autres mesures, autorisait le gouvernement impérial à incorporer la garde mobile dans l’armée active. Encore fallait-il la mettre réellement sur pied.
L’administration militaire ne s’était pas réellement préparée à une mise sur pied de guerre aussi rapide de ces bataillons et il l’évidence s’imposa : les préfets étaient mieux à même de résoudre, par leur pouvoir de réquisition, les multiples problèmes qui s’amoncelaient. Le ministre de l’intérieur télégraphia en conséquence aux préfets, le 12 août 1870 :
« De concert avec le ministre de la guerre, je vous charge de l’organisation des gardes mobiles, y compris la classe 1869. Télégraphiez ou envoyez immédiatement ordonnance ou estafette dans chaque commune. Les maires annonceront centralisation immédiate des mobiles aux chefs-lieux de département ou d’arrondissement. Pourvoyez d’urgence à leur logement provisoire chez l’habitant. Laissez soutiens de famille dans leurs foyers. Faites revue de départ très rapide, mais sévère pour exemption à cause d’infirmités, avec médecin, officier supérieur que désignera le général, et officier de gendarmerie. Nous ne voulons que des hommes très solides ; indiquez-moi nombre exact de ces hommes prêts à partir, par le télégraphe, dès que vous le connaîtrez. L’uniforme sera blouse bleue avec ceinturon en cuir, avec galon rouge en croix sur la manche, sac en toile avec bretelle et un képi. Dites-moi si vous pouvez vous procurer ces effets chez vous en trois ou quatre jours. Serait très préférable à un envoi de Paris, qui entraînerait lenteurs et serait peut-être impossible. Les cadres recevront tunique en drap aux lieux de rassemblement. Chaque homme se pourvoira de deux chemises et d’une paire de souliers. Solde provisoire, un franc par jour. Délivrez mandat pour trois jours à la fois aux commandants qui répartiront entre capitaines. Mobiles vivant à l’ordinaire. Exercez provisoirement aux fusils que pompiers prêteront volontiers. Action patriotique. Cent fusils peuvent exercer cent hommes de 5 heures à 7 heures matin, cent autres de 7 à 9, ainsi de suite. Occupez-vous jour et nuit de cette organisation. Je vous indiquerai lieu définitif où l’on délivrera les armes. »
En Mayenne, les bataillons ont été convoqués pour le 15 août au chef-lieu de leur arrondissement ; les conseils de révision ont prononcé dispenses et exemptions ; la préfecture a passé rapidement des commandes dans le commerce local pour pourvoir à l’habillement (qui ne sera livré qu’à partir du 10 septembre) ; on s’est procuré des fusils à piston auprès de la direction de l’artillerie de Rennes ; on a formé les compagnies et on commencé à mettre de l’ordre dans la pagaille.
Le résultat sera conforme à ce qu’on pouvait légitimement attendre d’un tel niveau d’amateurisme et d’improvisation. On ne peut que s’étonner de constater que, dans la plupart des cas, ces troupes ainsi constituées ne se sont pas débandées au premier coup de feu et ont même, assez souvent, fait bonne figure et se sont honorablement comportées au combat.
Le pire était à venir, avec la mobilisation de la garde nationale sédentaire, une garde sédentaire strictement confinée par la loi du 13 juin 1851 (Louis-Napoléon Bonaparte Président) et soigneusement laissée dans le plus profond sommeil pendant tout l’Empire par Napoléon III, qui se méfiait des opinions libérales de cette milice bourgeoise, à l’esprit parfois frondeur et dont la défection en février 1848 avait provoqué l’effondrement de la monarchie de Juillet.
Mais ceci est une autre histoire…
Cordialement Bernard
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